FAO en Côte d'Ivoire

Les mareyeuses ivoiriennes redoublent d’efforts en période de confinement pour satisfaire les besoins de la communauté en poissons.

15/07/2020

La commune d’Attécoubé située au Sud d’Abidjan entre le plateau et la commune de Yopougon est bien connue pour ses activités de pêche artisanale. On y trouve plusieurs quais de pêches dont celui du débarcadère de Locodjro beaucoup plus moderne baptisé “Point de débarquement aménagé Mohammed VI. Il est bâti sur une superficie de 1,4 hectares et l’infrastructure comporte une plateforme de 3000 m², une passerelle de 30 mètres linéaires et deux pontons pour l’accostage des pirogues. Sur ce site initialement prévu pour accueillir 1600 mareyeuses, sont présentes près d’une centaine de femmes pour la plupart venant du quai de pêche d’Abobo doumé regroupées au sein de 4 coopératives sur le site.

A la rencontre des femmes de ce débarcadère dans le cadre du projet GCP/RAF/837/GFF « Initiative Pêches Côtières en Afrique de l’Ouest (IPC-AO) » , nous découvrons de véritables passionnées de la pêche artisanale. Togbo Clarisse est mareyeuse depuis 2005 et mère d’une fille de 10 ans. Cette mère célibataire était une ancienne commerçante de viande de porc. Régulièrement en contact avec ses clientes mareyeuses, elle a été séduite par la facilité avec laquelle celles-ci se procuraient du poisson, l’écoulaient et obtenaient des bénéfices. Il faut dire que l’activité était florissante en 2015 ; « avec peu d’argent tu pouvais avoir beaucoup de poissons. Quand on prenait le poisson sur le champ, il y avait des vendeurs de « Garba » (poisson thon frit vendu avec de l’attiéké) qui venaient l’acheter. Donc tu pouvais facilement vendre 500 kg de poissons de 6h à 18h, et rentrer chez toi avec au moins 20.000 cfa par jour ». « De plus, c’est un produit que mes enfants et moi pouvons manger tous les jours. Il est sain et bénéfique pour la santé » argumente-t-elle.

Aussi, devant les quantités de plus en plus abondantes de poissons à vendre et l’incapacité pour elles de les conserver, Clarisse et ses collègues décidaient d’utiliser de vieux réfrigérateurs. Elles y entreposaient de la glace, y ajoutaient leurs poissons et perçaient des trous aux quatre coins du fond des réfrigérateurs afin de laisser s’échapper l’eau de la congélation. Un système D qui marche très bien.

L’effet de la pandémie de Covid

Aujourd’hui installée dans le chic débarcadère de Locodjro, Clarisse a gardé sa passion intacte. Cela malgré la confirmation le 11 mars 2020, du premier cas de Coronavirus en Côte d’Ivoire. Face à l’évolution de la pandémie, le Gouvernement ivoirien avait décrété l’état d’urgence nationale, et pris des mesures restrictives dont le couvre-feu, l’isolement de la ville d’Abidjan et de sa périphérie, la fermeture des frontières sans oublier le respect des mesures barrières.

Des décisions qui n’ont pas été sans conséquences pour le secteur de la pêche artisanale. Ainsi, les pêcheurs n’allaient presque plus en mer et les populations méfiantes, se terraient chez elles. Toutefois, les mareyeuses à l’instar de Togbo Clarisse n’ont pas baissé les bras. Elles continuaient à se rendre sur leurs lieux de travail, parce qu’il fallait selon elles que les populations mangent du poisson au-delà des heures de couvre-feu. Même s’il est vrai que la survenue de la pandémie ne coïncide pas avec la période de haute saison de pêche c’est-à-dire de juillet à octobre, Clarisse et ses collègues avec le peu de poissons dont elles disposaient, utilisaient la plateforme WhatsApp de vente de poissons créée dans le cadre du projet IPC-AO et animée par les femmes et leurs clients pour livrer du poisson à domicile.  

Toujours inventive, Clarisse n’a pas hésité lorsque la haute saison a débuté en juillet, à passer ses nuits au débarcadère. « Il faut bien que quelqu’un veille sur le poisson pour ne pas qu’il se gâte » dit-elle avec le sourire. « Pendant le couvre-feu, lorsque le poisson arrivait après 18h, nous devions être présentes pour l’acheter et le conserver car les chambres froides ne sont pas performantes ». Aussi, « il fallait trouver les moyens de se procurer de la glace malgré les barrages de sécurité en ville et utiliser les réfrigérateurs de fortune pour que nos poissons, surtout le thon, gardent leur fraicheur ». En effet, l’espèce de poisson privilégiée par les clients et largement vendue par les mareyeuses est le thon. Il est très prisé par les vendeurs de « Garba »et la population en raffole. Initialement commercialisé par des nigériens, le « Garba » est aujourd’hui vendu à grande échelle par des ivoiriens qui n’hésitent pas à lui donner une couleur locale.

Une autre difficulté engendrée par la Covid-19 a été « l’approvisionnement des clients vivant dans les zones en dehors du Grand-Abidjan. Il n’était pas facile de s’y rendre et les prix pratiqués par les transporteurs autorisés à convoyer les marchandises à travers le pays étaient exorbitants. « Aussi pour éviter de perdre de l’argent, nous fumons ou séchons notre poisson pour le vendre. Ce qui a considérablement réduit notre bénéfice » affirme Clarisse très amère. « Si ça continue comment allons-nous subvenir aux besoins de nos enfants ? »

 Mareyeuse métier d’avenir

Le métier de mareyeuse nourrit sa personne nous révèle Togbo Clarisse. Mais lorsque nous lui demandons combien cela lui rapporte, elle se contente de nous faire savoir qu’elle vit bien de son métier. Et que cette activité lui permet de scolariser ses deux enfants. Une fille de 10 ans qui vient d’avoir l’entrée en sixième et son garçon de 18 ans qui est en terminale. Beaucoup de femmes s’y intéressent surtout celles qui, à cause de la crise post-électorale, se retrouvent veuves ou sans emploi avec des enfants à charge. Aussi elle invite les gouvernants et les partenaires techniques et financiers à l’image de la FAO à s’intéresser à la pêche artisanale pour aider à l’autonomisation des femmes et des jeunes déscolarisés.