Sécurité alimentaire et agriculture : une adaptation accélérée (SAGA 2) : Entretien avec deux agricultrices à l’avant-garde de l’adaptation aux changements climatiques en Côte d’Ivoire et au Sénégal

Lancement de la série à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes
Les femmes sont au cœur de notre alimentation, mais ce sont aussi elles qui subissent le plus les effets des changements climatiques, surtout dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Cette inégalité est ancrée dans des déséquilibres historiques, mais les femmes s’engagent pour changer la donne.
La Journée internationale des droits des femmes nous rappelle à quel point il est important d’intensifier nos efforts pour promouvoir l’égalité des genres chaque jour, afin de garantir un avenir plus durable pour tous.
À la FAO, cet engagement est au cœur du projet « Sécurité alimentaire : une agriculture adaptée » (SAGA 2), en partenariat technique et financier avec le gouvernement du Québec. De la formation des agricultrices à l’agroforesterie, en passant par l’apiculture, la finance locale et des techniques de maraîchage qui restaurent la terre, les femmes façonnent des solutions face au climat.
Aux côtés de nos partenaires, Carrefour International, Génération Femmes du 3ème Millénaire (GMF3) et l'Association pour la Promotion de la Femme Sénégalaise (APROFES), nous sommes fiers de soutenir et d’apprendre des agricultrices qui renforcent la résilience climatique dans leurs communautés.
Dans cette entrevue, Adagra et Amy, deux agricultrices inspirantes de Côte d’Ivoire et du Sénégal, nous parle de leur parcours, leurs défis et les conseils qu’elles souhaitent partager.
Amy Sarr
À 45 ans, Amy est une agricultrice passionnée et membre du groupement « Bok Jom » du village de Gapakh, au cœur du Saloum, dans le sud-ouest du Sénégal. Son parcours agricole a débuté à l'âge de 18 ans, alors benjamine du groupement, soutenu par l'APROFES. Aujourd’hui, elle a su s'impliquer pleinement dans ce secteur qui lui permet de subvenir aux besoins de sa famille. Avec son groupement de femmes, elles mettent en place des solutions locales pour financer leurs projets agricoles adaptés au climat, apportant à sa communauté des aliments et des revenus durables.
Adagra Cécile Epse Kouamé
Agée de 52 ans et mère de trois enfants, Adagra est membre de l'Association Villageoise d'Epargne et de Crédit « BENKADI » de Kirifi, dans la région de l'Indénié-Djuablin au Centre-Est de la Côte d'Ivoire. Ancienne agente de transit, elle a été contrainte de réduire ses activités physiques suite à des problèmes de santé en 2009. Encouragée par une amie, elle a commencé à cultiver un potager de gombo, aubergines et piments derrière sa maison. Aujourd’hui, elle milite activement pour l’agriculture biologique et sensibilise les femmes de Kirifi, notamment pour améliorer la nutrition des enfants à la cantine scolaire, dont elle est la présidente du comité.
Quelles sont vos plus grandes fiertés en tant que productrice ?
Amy : Grâce à cette activité, j’ai pu tisser de nombreuses relations. Avant, je vivais dans mon coin, sans aucune connexion avec l’extérieur. Aujourd’hui, j’ai confiance en moi. Non seulement en plus d’avoir acquis une grande renommée, cette activité me permet également de bien tirer mon épingle du jeu. Je parviens à prendre en charge la santé et la scolarisation de mes enfants dont certains sont à l’université.
Adagra : Aujourd’hui, grâce à mon potager, ma plus grande satisfaction est de pouvoir nourrir ma famille avec des produits sains tout en préservant leur santé. J’ai également réussi à sensibiliser d’autres femmes à adopter l’agriculture sans produits chimiques pour le bien-être de leurs familles. Cette prise de conscience collective est une grande fierté pour moi, car elle contribue à améliorer la qualité de l’alimentation dans notre communauté.
Dans votre métier, quels défis avez-vous rencontrés ? En particulier face aux changements climatiques ?
Adagra : Les défis majeurs pour moi, ce sont le manque de pluie qui assèche la terre et rend la culture plus difficile. En plus, le sol est pauvre, ce qui affecte la qualité de mes récoltes. Avec les changements climatiques, il devient de plus en plus compliqué de produire suffisamment. Pour y faire face, j’utilise du compost naturel et je diversifie mes cultures afin de préserver la fertilité du sol et assurer une bonne production.
Amy : J’éprouve d’énormes difficultés liées aux changements climatiques. Elles freinent le développement de notre secteur d’activité qui dépend beaucoup de la pluviométrie. Mes consœurs et moi sommes de plus en plus confrontées à des phénomènes tels que des chaleurs extrêmes, des pluies hors saison ou bien qui n’arrivent pas quand nous les attendons. Dans le domaine du maraichage et de l’horticulture, les changements climatiques constituent des facteurs de blocage pour le développement de notre activité.
Comment le projet SAGA 2 avec le soutien de l’ONG Carrefour International, vous a-t-il aidée à renforcer vos capacités d’adaptations et à ouvrir des opportunités pour permettre à plus de femmes de réussir dans le secteur agroalimentaire ?
Amy : Les revenus de notre périmètre maraicher résilient nous permettent de subvenir à nos besoins, mais aussi de mettre en place un système endogène de crédit épargne avec les caisses de notre association de femmes. Grâce au projet SAGA 2, nous avons pu : réviser notre règlement intérieur, créer des outils de gestion adaptés, faire l’analyse de l’environnement et la vulnérabilité des femmes et des filles aux changements climatiques à Kaolack, étudier les opportunités d’accès des groupements de femmes au financement de projets de production agricole en démarrage, en extension, organiser une journée de sensibilisation.
Adagra : Nous avons, grâce au projet SAGA 2, amélioré nos connaissances et capacités à faire face aux changements climatiques dans plusieurs domaines de nos activités agricoles. Nous avons été sensibilisées à l'importance de la structuration des réseaux d'associations de femmes en Fédération régionale, ainsi qu'à l'harmonisation des outils de gestion et à l'élaboration des règlements pour améliorer notre productivité. Nous tenons donc à remercier Carrefour International, GFM3 et la FAO pour leur engagement à nous accompagner dans nos efforts.
Selon vous, pourquoi est-il important d’avoir des voix diverses, en particulier celles des femmes dans la lutte contre les changements climatiques en agriculture ?
Adagra : Il est important d’associer les femmes dans la lutte contre les changements climatiques, car cela a un impact direct sur notre qualité de vie à tous. Elles jouent un rôle central dans la famille, l’alimentation et la protection de l’environnement. C’est crucial de les mobiliser afin qu’elles puissent contribuer plus activement à la protection des ressources naturelles, comme les arbres, pour garantir un avenir meilleur aux générations futures.
Amy : De mon point de vue, tout ce qui concerne notre autonomisation doit intéresser tout le monde. Les conséquences des changements climatiques sont néfastes pour notre activité, il est donc crucial que chacun prenne la parole pour alerter le monde face à ce phénomène. La stigmatisation n’a pas sa place dans la recherche de solution pour lutter contre les changements climatiques. Les femmes doivent donc être impliquées dans la recherche de solutions en tant qu’actrices principales dans l’agriculture afin de trouver des solutions.
D’autres femmes et hommes ont-ils joué un rôle dans votre parcours, en vous soutenant ou en vous inspirant ? Si oui comment ?
Amy : Pendant le projet SAGA 1, nous avons réalisé l’importance du rôle des femmes dans l’agriculture. Depuis lors, les préjugés à l’égard des femmes ont commencé à disparaître. Nous travaillons en synergie avec l’accompagnement des « hommes champions » du village qui nous supportent pour le développement de notre secteur d’activité. Nous avançons dans la solidarité et l’entraide. C’est ce qui nous a valu le résultat de toutes ces variétés culturales dans notre périmètre maraicher.
Adagra : Oui, plusieurs personnes ont joué un rôle important dans mon parcours. Je pense notamment à la femme du Directeur d’école de Kirifi, qui m’a transmis sa passion pour l’agriculture. De plus, les femmes de Kirifi, malgré les difficultés liées aux cultures pérennes, m’ont inspirée par leur engagement à assurer leur autosuffisance alimentaire, en cultivant des plantes vivrières et maraîchères.
Quel conseil donnerez-vous aux jeunes filles et aux hommes qui envisagent un avenir dans l’agriculture, notamment face aux défis des changements climatiques ?
Adagra : Bien se nourrir nous met à l’abri des maladies. Il est important de rester courageuses pour continuer l’agriculture pour l’autosuffisance alimentaire de nos familles et de notre pays. Les changements climatiques sont un obstacle majeur pour l’agriculture, mais, nous, les femmes, avons un rôle clé à jouer dans la protection de l’environnement. En le faisant, nous garantirons un sol fertile et une agriculture solide à transmettre aux générations futures. Plusieurs techniques existent pour pratiquer l’agriculture malgré les changements climatiques. L’agriculture est un savoir transmis par nos mères, et il est de notre devoir de la préserver.
Amy : Je leur conseillerais de valoriser leur travail en faisant preuve de résilience. C’est en forgeant qu’on devient forgeronne. Il est essentiel d’aimer ce que l’on fait, car le travail permet de gagner sa vie dignement. L’agriculture est un secteur qui demande de la patience et de la détermination surtout dans ce contexte des changements climatiques. Je souhaite que la relève de ce secteur vital pour notre avenir soit assurée par la jeune génération.