La chèvre Arbi tunisienne – Un trésor de diversité
En Tunisie, la population caprine locale est constituée d’une mosaïque de phénotypes et de génotypes mais reste fondamentalement représentée par la race caprine indigène « Arbi ». La race Arbi est concentrée surtout dans les zones marginales, où elle est élevée exclusivement dans le cadre de systèmes d’élevage extensifs. La chèvre Arbi est principalement élevée pour la production de viande mais son lait est également trait pour la consommation ménagère. En Tunisie, la population locale de chèvres domestiques présente des caractéristiques d’adaptation remarquables, ainsi qu’une capacité à valoriser les rares ressources naturelles, qui autrement resteraient inutilisées. D’après les découvertes archéologiques, la chèvre domestique locale tunisienne dériverait de l’espèce de chèvre sauvage Capra aegagrus. Le type sauvage s’est répandu dans les îles méditerranéennes, y compris l’île tunisienne de La Galite, et a survécu avec très peu de ressources alimentaires grâce à sa grande adaptabilité. La chèvre a été redomestiquée avec succès en Tunisie à partir des troupeaux de chèvres sauvages de l’île et s’est ensuite étendue, ayant atteint une large répartition géographique.
La chèvre indigène Arbi de Tunisie est aussi appelée chèvre « Bédouine » ou « Maure » et elle est reconnaissable à sa petite taille et à son pelage à poils longs brun foncé à noir. Les caractéristiques morphologiques sont semblables à celles de la chèvre berbère des pays voisins, à savoir un petit gabarit avec une hauteur au garrot comprise entre 70 et 76 cm pour les mâles et autour de 60 cm pour les femelles et un poids moyen de 38 kg pour les mâles et 24 kg pour les femelles. Après son introduction en Tunisie, la population de chèvres Arbi s’est établie principalement dans les régions sèches du sud du pays. Par la suite, la race a connu une large évolution qui l’a amenée à avoir une diversité biologique importante, comme en témoigne la diversité des phénotypes et des types pigmentaires que l’on peut retrouver au sein d’un même troupeau, voire d’un même individu. En effet, l’histoire évolutive de la chèvre Arbi a été marquée par l’introduction fortuite et l’hybridation occasionnelle avec six races exotiques (à savoir les races Nubienne, Boer, Maltaise, Murcienne, Alpine et Damascène), qui ont toutes été capables d’évoluer dans les conditions tunisiennes donnant lieu à de nombreux croisements.
L’évolution suivie par la chèvre Arbi dans les régions sèches a réaffirmé sa valeur génétique en termes d’adaptation, puisque ce processus a conféré à la race des traits anatomiques et comportementaux spécifiques supérieurs à ceux d’autres races et en a fait une ressource génétique unique et essentielle. D’ailleurs, cette race caprine indigène a développé des attributs comportementaux et physiologiques efficaces en réponse aux fortes contraintes des zones sèches. Ainsi, par exemple, la race a la capacité particulière de couvrir ses besoins énergétiques et de maintenir un niveau de consommation constant grâce à divers ajustements. Ces chèvres ont une affinité pour les plantes ligneuses plutôt que pour les plantes herbacées et sélectionnent des espèces uniques, moins accessibles (car épineuses) mais riches en matières azotées et pauvres en cellulose brute, ce qui fait qu’elles aient une bonne digestibilité et une teneur énergétique plus élevée. Cette capacité des chèvres tunisiennes à être très sélectives dans leur consommation alimentaire est liée au fait que la race possède une physiologie digestive perfectionnée qui permet un meilleur recyclage de l’urée et la digestion des fourrages de mauvaise qualité. La sélection naturelle a permis à la population de chèvres indigènes d’acquérir diverses caractéristiques de rusticité, ce qui a conduit à une évolution continue vers l’adaptation. Les chèvres de race Arbi peuvent donc soutenir les moyens d’existence des éleveurs dans des environnements où d’autres espèces ou races pourraient à peine produire et où l’agriculture présente un faible potentiel de production.
Yosra Ressaissi
Photographie: Lassad Khlijini et Sarra Chelbi