Directeur général QU Dongyu

Université de Naples Frédéric II Conférence Perspectives de la sécurité alimentaire mondiale – défis et opportunités: transformation des systèmes agroalimentaires, de la stratégie à la pratique

de M. Qu Dongyu, Directeur général de la FAO

18/07/2023

Université de Naples Frédéric II

Conférence

Perspectives de la sécurité alimentaire mondiale – défis et opportunités:

transformation des systèmes agroalimentaires, de la stratégie à la pratique

de

M. Qu Dongyu, Directeur général de la FAO 

18 juillet 2023

 

Monsieur le Professeur Matteo Lorito, Recteur de l’Université de Naples,

Monsieur le Professeur Danilo Ercolini, Directeur du Département d’agriculture de

l’Université de Naples

Mesdames et Messieurs,

Chers collègues,

Chers étudiants

 

C’est un grand honneur et un plaisir pour moi de prononcer cette conférence dont le thème est «Perspectives de la sécurité alimentaire mondiale – défis et opportunités: transformation des systèmes agroalimentaires, de la stratégie à la pratique».

 

Je commencerai ma conférence par un petit rappel historique concernant la FAO.

 

En 1905, David Lubin, un Californien d’origine polonaise, fonda l’Institut international d’agriculture (IIA), qui s’établit à Rome, en Italie. Cet institut avait pour mission d’aider les agriculteurs à échanger leurs connaissances, à mettre en place un système de crédit mutuel rural et à s’assurer la maîtrise du commerce de leurs produits.

 

Lors de sa première réunion, 44 pays étaient représentés. L’IIA a mis fin à ses activités en 1945, lorsque la FAO a pris le relais du mandat de la coordination internationale de l’agriculture. La bibliothèque de la FAO, où sont conservées les archives personnelles de M. Lubin, notamment ses essais et ses traités, a pris le nom de bibliothèque David-Lubin.

 

L’après-midi du 16 octobre 1945, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a été créée officiellement, plus de 20 nations ayant signé son Acte constitutif.

 

À l’issue de cette première session de la Conférence, qui se tint au Château Frontenac à Québec (Canada), 42 nations avaient officiellement intégré l’Organisation, et c’est ainsi que la première institution spécialisée des Nations Unies voyait le jour dans l’après-guerre, au terme de deux années de travail acharné de la Commission intérimaire, laquelle avait été créée en mai 1943 par la Conférence de Hot Springs organisée à l’initiative du président Roosevelt.

 

Le premier Directeur général de la FAO était un scientifique nutritionniste renommé, le britannique John Boyd Orr, qui a exercé ses fonctions d’octobre 1945 à avril 1948. Certaines de ses recherches ont permis d’établir la corrélation entre la pauvreté et la malnutrition, tandis que d’autres portaient sur la qualité de l’alimentation.

 

La nomination d’un nutritionniste au poste de premier Directeur général de la FAO témoigne du rôle essentiel qui, dès l’origine, avait été confié à la FAO dans le domaine de la nutrition. Le mandat dont était investie la FAO en matière de nutrition était spécifique et sans ambiguïté: il était de relever les niveaux de nutrition. Cette mission est également inscrite dans l’Acte constitutif de la FAO.

 

La Journée mondiale de l‘alimentation a été célébrée pour la première fois le 16 octobre 1981 à Rome, avec la participation de l’ancien chancelier de la République fédérale allemande, M. Willy Brandt, qui a prononcé l’allocution liminaire en sa qualité de Président de la Commission indépendante sur les questions de développement international, au Siège de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’Agriculture (FAO).

 

Le 16 octobre 2020, durant la pandémie de covid-19, nous avons célébré la Journée mondiale de l’alimentation 2020 par des projections lumineuses sur le Colisée de Rome, une première pour un public de plusieurs milliards de personnes sur les réseaux sociaux.

 

J’en viens à présent au cœur de cet exposé, soit la situation dans laquelle nous nous trouvons et celle que nous devons atteindre d’ici à 2030.

 

Nous sommes dans un moment charnière. Nous observons les prémices d’une convergence de facteurs qui, si nous n’y prenons garde, risque de nous empêcher de vaincre la faim et la malnutrition sous toutes ses formes dans le monde.

 

Nos systèmes agroalimentaires, en même temps qu’ils produisent les résultats que nous souhaitons en matière de sécurité alimentaire et de nutrition, pâtissent de la pollution et subissent l’effet inhibant de dangereuses rétroactions préjudiciables à notre santé, notre économie et notre planète, et qui compromettent l’avenir de la sécurité alimentaire et de la nutrition.

 

Il existe plusieurs facteurs dominants et tendances de fond ayant façonné nos systèmes agroalimentaires:

  • la dynamique démographique et l’urbanisation
  • la croissance économique, la transformation structurelle et la stabilité macroéconomique
  • les interdépendances entre les pays
  • la production, la maîtrise, l’exploitation et l’appropriation de mégadonnées
  • l’instabilité géopolitique et les effets croissants des conflits
  • Les incertitudes, notamment celles de la pandémie de covid-19 et de la crise climatique

 

Nous devons faire les choses autrement que par le passé et il est patent que nos systèmes agroalimentaires nécessitent une transformation.

 

Le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde a augmenté au cours des sept dernières années et, en 2022, il s’est établi à un niveau très élevé après la pandémie de covid-19 et la guerre en Ukraine. Ce nombre est supérieur de 119 millions à celui de 2019, avant la survenue de la pandémie de covid-19.  

 

Ce dernier bilan trace les contours d’un monde qui se remet à peine d’une pandémie mondiale et qui se trouve à présent aux prises avec les conséquences de la guerre en Ukraine et des chocs météorologiques répétés.

 

Cette «nouvelle normalité», faite de crises multiples, a porté la faim et l’insécurité alimentaire à un niveau qui, en 2021 et 2022, a été beaucoup plus élevé que celui qui prévalait avant la pandémie de covid-19 à l’échelle mondiale, et l’on voit des crises alimentaires graves se nouer et s’approfondir dans de nombreux endroits du monde. La stabilité globale cache une montée sensible de la faim et de l’insécurité alimentaire dans certaines régions et sous-régions.

 

La concrétisation de l’ODD 2 (faim zéro) apparaît plus éloignée que jamais, car c’est près de 600 millions de personnes qui risquent d’être confrontées à la faim chronique en 2030. L’avancement vers les objectifs mondiaux en matière de nutrition accuse un retard lui aussi.

 

Les derniers chiffres du coût et de l’abordabilité d’une alimentation saine, présentés dans le rapport intitulé «L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde, 2023», permettent de conclure qu’en 2021, une alimentation saine était hors de portée pour plus de 3,1 milliards de personnes.

 

Les retards de croissance juvénile concernent toujours un nombre inacceptable d’enfants et l’excès pondéral et l’obésité continuent de progresser dans les pays riches autant que dans les pays pauvres. Dès 2012, le nombre de personnes souffrant d’obésité avait dépassé celui des personnes souffrant de la faim. Et plus de trois milliards de personnes dans le monde ne peuvent se permettre des régimes alimentaires sains, même les moins onéreux.

 

L’indicateur ODD donnant la mesure de la faim chronique est la prévalence de la sous-alimentation.

 

Le rebond économique consécutif à la pandémie a eu pour effet positif d’endiguer la montée de la faim au niveau mondial, mais ce progrès a été entravé par la hausse des prix des denrées alimentaires et de l’énergie ainsi que par des conflits, des phénomènes météorologiques et des inégalités sociales aux ancrages profonds.

 

La pandémie de covid-19 a été la cause de graves revers dans la lutte contre la faim. L’année 2022 a vu la situation s’aggraver par des événements venus donner un coup de frein à la reprise et compromettre les perspectives de croissance pour la suite de la décennie.

 

Près de 600 millions de personnes risquent de souffrir encore de la faim en 2030.

 

La seule année 2022 aura des conséquences durables: en effet, à elle seule, cette année nous a mis sur une trajectoire où le nombre des personnes sous-alimentées sera augmenté de 23 millions en 2030, ce qui rend plus distante l’éventualité d’une concrétisation de l’ODD 2.

 

Parallèlement, les modes de consommation actuels et les systèmes agroalimentaires qui les sous-tendent ont eux aussi des effets sensibles sur l’environnement. Ils contribuent au gaspillage et aux pertes alimentaires, à la pollution de l’air, aux émissions de gaz à effet de serre, à la perte de biodiversité et constituent une source croissante d’inégalités.

 

Nos systèmes agroalimentaires ont un coût humain, économique et environnemental considérable, qui se chiffre en milliers de milliards d’USD.

 

Mais nous savons ce que nous devons faire d’ici à 2030:

  • la sous-alimentation doit être ramenée partout à un niveau maximal de 5 pour cent;
  • Les régimes alimentaires sains doivent être à la portée de toutes les bourses;
  • Le taux de surcharge pondérale dans la population doit être ramené partout à 15 pour cent environ, soit un niveau comparable à celui des années 1980;
  • Le taux d’obésité ne doit pas dépasser 5 pour cent de la population dans tous les pays.
  • L’incidence des retards de croissance chez les enfants doit reculer de manière sensible;
  • Nous devrions rattraper la décennie perdue en matière de lutte contre la pauvreté rurale;
  • Il faut combler les inégalités de manière sensible si nous voulons voir la pauvreté rurale se résorber de manière durable;
  • Quant à la planète, nous devons concrétiser un certain nombre d’objectifs de neutralité (carbone, dégradation des sols), accroître l’efficacité d’utilisation de l’eau dans l’agriculture et atteindre l’objectif de l’accord de Paris de réduction des émissions de gaz à effet de serre en vue de limiter le réchauffement climatique à une valeur comprise entre 1,5 et 2 degrés Celsius (°C).

 

Pour atteindre nos objectifs d’ici à 2030, les défis qui se présentent à nous doivent être abordés à travers le prisme des systèmes agroalimentaires et nous devons agir en nous dotant d’une vision globale.

 

Cela suppose de prendre conscience de l’intrication et de la complexité des impacts économiques, sociaux et environnementaux de nos systèmes agroalimentaires.

 

Du point de vue stratégique, cela recèle des implications qui ne sauraient être sous-estimées car elles détermineront l’ordre des priorités dans nos interventions et nos investissements.

 

Dans nos recherches de solutions, nous devons également nous mettre en quête de synergies et nous soucier des conséquences. Cette approche peut nous récompenser amplement de nos efforts.

 

Car le verdissement de nos systèmes agroalimentaires est porteur de solutions doublement, voire triplement avantageuses pour venir à bout de la faim dans le monde et nous attaquer aux effets de la crise climatique. 

 

Il existe en effet un éventail de solutions permettant de réduire l’empreinte carbone des aliments, garantir la pérennité environnementale, tout en s’attaquant à la faim chronique, à l’insécurité alimentaire et à la malnutrition, et en rendant une alimentation saine abordable à chacun. 

 

Qui plus est, les interventions stratégiques et les solutions peuvent être conçues comme moteurs du redressement économique, à travers la création d’emplois viables et de moyens de subsistance durables et, ce qui revêt une importance particulière, corriger les inégalités. 

 

Nous devons également gérer les conséquences. C’est ainsi que certains pays à faible revenu, ou à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, pourraient devoir accroître leur empreinte carbone afin de répondre aux besoins alimentaires de leur population, en particulier pour prévenir la malnutrition.

 

Les solutions globales relatives aux systèmes agroalimentaires doivent être adaptées au contexte et il reste beaucoup à faire pour les définir, mais il est indispensable d’entamer ce travail, et de le mener à grande échelle. 

 

Si nous voulons atteindre nos objectifs pour 2030, nous devons nous attacher à transformer nos systèmes agroalimentaires.

 

Ceux-ci sont incontestablement les systèmes économiques les plus importants, par le nombre de personnes qu’ils emploient, les moyens d’existence qu’ils assurent et leur impact sur la planète, alors même que la pauvreté et l’inégalité sont endémiques en leur sein.

 

Si nos systèmes agroalimentaires sont transformés dans le sens de la durabilité et de l’inclusion, en assurant la sécurité alimentaire et la nutrition dont nous avons besoin, ils peuvent devenir une force qui concourt à éliminer la faim et toutes les formes de malnutrition dans le monde. 

 

Il existe plusieurs facteurs dominants et tendances de fond responsables de l’évolution et de la forme acquise par nos systèmes agroalimentaires:

  • l’évolution démographique, les mouvements de population et l’urbanisation
  • l’industrialisation, la hausse des revenus qui s’accompagne d’un creusement des inégalités
  • le changement climatique, la neutralisation du carbone et la raréfaction des ressources
  • l’évolution des préférences de consommation et celle de la nutrition et de la santé
  • la rapidité des changements technologiques et de l’innovation
  • l’essor du numérique et des mégadonnées (production, maîtrise, exploitation et appropriation)
  • l’instabilité géopolitique et les impacts croissants que produisent les conflits
  • Les incertitudes, notamment celles qu’ont fait naître la pandémie de covid-19 et la crise climatique

 

Nous devons faire les choses autrement que par le passé et nos systèmes agroalimentaires appellent une transformation. 

 

Permettez-moi de m’arrêter sur quatre de ces tendances de fond propres à induire une transformation: le numérique, l’urbanisation, l’industrialisation et la neutralisation du carbone.

 

En ce qui concerne l’urbanisation, nous devons examiner l’évolution, de 1970 à 2019, du rapport entre la part de la population urbaine dans la population totale et la part qu’occupe l’agriculture, englobant la sylviculture et la pêche, dans le produit intérieur brut (PIB) total des différentes régions.

 

À l’échelle mondiale, la part de la population urbaine est passée de 37 pour cent en 1970 à 56 pour cent (estimation) en 2019, tandis que la part de l’agriculture dans le PIB mondial a reculé, passant de 5,3 à 4,2 pour cent.

 

Une analyse plus poussée révèle des tendances très diverses selon les régions. En effet, dans les pays à revenu élevé, en Europe et en Asie centrale, et dans une moindre mesure en Amérique latine et dans la région Proche-Orient et Afrique du Nord, la transformation structurelle avait été largement entamée avant 1970, quand le PIB agricole atteignait à peine 10 pour cent du PIB total, tandis que l’urbanisation étaient assez avancée, la population urbaine représentant plus de 50 pour cent de la population totale (plus de 70 pour cent dans le cas des pays à revenu élevé).

 

Dans toutes les régions du monde, l’urbanisation devrait se poursuivre, la population des zones rurales ne devant plus représenter qu’un tiers à peine de la population totale d’ici à 2050.

 

À cette date, l’Asie du Sud serait la région où la proportion d’habitants des zones rurales serait la plus forte, en partie à cause du type spécifique d’urbanisation in situ qui s’y déploie; elle serait suivie par l’Afrique subsaharienne, ces deux régions comptant plus de 40 pour cent de leur population dans leurs zones rurales. À l’inverse, la population rurale ne dépasserait guère les 10 pour cent dans les pays à revenu élevé, en Amérique latine et dans les Caraïbes.

 

Nous savons qu’en plus de renforcer la résilience face à des crises multiples, la tendance lourde que constitue l’urbanisation doit être intégrée dans tous nos efforts en faveur de la transformation.

 

Cela signifie qu’il faut tenir compte de la connectivité croissante du tissu créé par la rurbanisation, et qu’il faut cibler les interventions, les politiques et les investissements dans l’ensemble du tissu rurbain.

 

Si l’on se donne pour mesure indirecte de l’industrialisation la part de valeur ajoutée par l’agriculture dans le PIB et la part des emplois agricoles, on observe des dynamiques différentes suivant les régions.

 

Alors qu’au cours des trente dernières années, et ce à peu près partout, une proportion de la main-d’œuvre employée dans l’agriculture s’est détournée du secteur agricole pour gagner le secteur manufacturier et celui des services, dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, la productivité de la main-d’œuvre dans ces secteurs est restée quasi stationnaire, tandis qu’elle s’est accrue au cours de la transformation structurelle qui s’est opérée dans les pays à revenu élevé.

 

L’on constate en effet que la productivité de la main-d’œuvre dans le reste de l’économie a été quasi stationnaire en Afrique subsaharienne, en Amérique latine et dans les Caraïbes, en Asie orientale et dans le Pacifique, tandis qu’elle n’a que très légèrement progressé en Asie du Sud et dans la région Proche-Orient et Afrique du Nord. Mais en revanche, dans ces régions, la productivité de la main-d’œuvre agricole a progressé par rapport aux autres secteurs de l’économie.

 

Bien que cela ne soit pas un problème en soi dans la mesure où les processus de développement peuvent entraîner des gains de productivité plus rapides dans un secteur que dans un autre, la question qui se pose est de savoir quel secteur peut assurer une croissance soutenue de la productivité tout en absorbant de la main d’œuvre.

 

Le système agroalimentaire – à moins d’une transformation radicale – pourrait ne pas en être capable à long terme.

 

Nous sommes confrontés à d’immenses défis.

 

Plus de 30 pour cent des terres mondiales sont dégradées, plus de 20 pour cent des aquifères de la planète sont surexploités et notre agrobiodiversité est menacée.

 

Les impacts entre les systèmes agroalimentaires et d’autres systèmes, y compris les systèmes environnementaux et de santé, forment des boucles d’interaction et sont intriqués. 

 

Nos systèmes agroalimentaires ne sont pas seulement victimes de cette intrication et de cette boucle d’interactions, ils sont aussi à l’origine de la dégradation des ressources naturelles et de la situation sanitaire, notamment par des pandémies et des maladies. 

 

Nos systèmes agroalimentaires contribuent aux émissions mondiales de gaz à effet de serre, ce qui constitue un des nombreux défis à relever!

 

L’agriculture exploite environ 40 pour cent des terres de la planète et, avec l’énergie et les transports, elle contribue de manière sensible aux émissions de gaz à effet de serre.

 

Il ne s’agit pas seulement de l’élevage et de la pêche, mais aussi de la manière dont nous pratiquons les cultures, en utilisant des engrais. De nombreux aspects des systèmes agroalimentaires contribuent aux émissions mondiales de gaz à effet de serre et aux perturbations climatiques que nous observons tout autour de nous. Mais nous devons examiner ces aspects de plus près pour déterminer avec quels sous-secteurs nous pourrions travailler et les améliorations qui pourraient être apportées.

 

Donc, une approche fragmentaire s’est avérée incapable de répondre à l’intrication de ces enjeux.

 

Nous devons d’urgence travailler de manière intégrée, dans tous les secteurs, pour transformer nos systèmes agroalimentaires et en faire une force positive. Une force qui préserve notre planète et notre santé, et qui garantisse à tous la sécurité alimentaire et la nutrition. 

 

Le système agroalimentaire a émis 16 milliards de tonnes de éqCO2 en 2020. Cela représente 31 pour cent des émissions mondiales.

 

Près de 50 pour cent de ces émissions étaient composées de gaz autres que le CO2, ceux-ci étant produits au sein de l’exploitation agricole par les activités de production végétale et animale; 20 pour cent provenaient des changements d’affectation des terres, soit principalement la déforestation et la dégradation des tourbières tropicales (et boréales); et 30 pour cent provenaient de la chaîne d’approvisionnement (soit tous les traitements dont les produits alimentaires font l’objet en aval de l’exploitation agricole, à savoir leur transport, leur transformation, leur vente au détail, leur consommation dans les ménages et l’élimination des déchets), à quoi s’ajoutent les émissions provenant de l’utilisation d’énergie pour la production d’engrais et de pesticides.

 

Nos systèmes agroalimentaires doivent connaître une mutation pour parvenir à la neutralité carbone et, à cette fin, nous devons améliorer la gouvernance des ressources naturelles, accroître la productivité (produire plus avec moins d’intrants), améliorer les pratiques de production, améliorer les modes et les comportements de consommation et utiliser des énergies plus propres.

 

Le cadre stratégique 2022-2031 de la FAO est explicitement axé sur les quatre améliorations touchant la production, la nutrition, l’environnement et les conditions de vie.

 

Les technologies émergentes modifient déjà les systèmes agroalimentaires, mais la plupart des gouvernements et des acteurs des systèmes alimentaires ne tirent pas encore parti de leur fort potentiel.

 

En aidant les agriculteurs à tirer pleinement parti des nouvelles technologies que sont notamment l’agriculture numérique – qu’il s’agisse du commerce électronique, des registres de chaîne de blocs ou encore de l’intelligence artificielle pour l’amélioration de la lutte contre les nuisibles et de la génétique des denrées cultivées – ainsi que des outils permettant d’optimiser la gestion des ressources naturelles et de déclencher des alertes rapides sur les menaces à la sécurité alimentaire, on aidera fortement à la transformation nécessaire. 

 

Les dernières données de l’Union internationale des télécommunications (UIT) révèlent que l’utilisation d’Internet s’est intensifiée pendant la pandémie. En 2019, Internet comptait 4,1 milliards d’utilisateurs (soit 54 pour cent de la population mondiale). Entre 2019 et 2021, le nombre d’utilisateurs a augmenté de 782 millions pour atteindre 4,9 milliards de personnes, soit 63 pour cent de la population.

 

En d’autres termes quelque 2,9 milliards de personnes restent sans connexion à Internet, dont 96 pour cent se trouvent dans les pays en développement. Ceux qui n’ont pas encore de connexion internet se heurtent en outre à de multiples obstacles, notamment l’absence de toute infrastructure de réseau, c’est ainsi que quelque 390 millions de personnes n’ont pas même accès à un signal de haut débit mobile.

 

L’essor général des connexions internet a néanmoins a contribué à une modeste réduction de l’écart entre les pays les plus connectés au monde et ceux qui le sont le moins: c’est ainsi que l’écart des connexions entre les économies développées et les pays les moins avancés (PMA) est passé de 66 points de pourcentage en 2017 à 63 points de pourcentage en 2021. Cette évolution ouvre de nouvelles perspectives pour l’agriculture numérique.

 

Mais pour concrétiser ces perspectives, il y a des investissements à opérer et des mesures à prendre, tant du côté logiciel que du côté matériel de la transformation numérique. L’exploitation efficace et fructueuse de l’infrastructure matérielle et des autres avancées technologiques passe nécessairement par le développement de l’élément logiciel, qui doit permettre à ces innovations numériques d’avoir une incidence positive sur la réduction de la pauvreté et de la faim.

 

Les infrastructures et les politiques publiques procurent au système numérique le socle nécessaire, le cadre habilitant. Chaque pays dispose de son infrastructure et de ses solutions stratégiques propres, mais les systèmes numériques au service de l’agriculture et du développement rural présenteront certaines caractéristiques communes.

 

Les plateformes de données et de contenu doivent être interfonctionnelles. Le recueil et la diffusion de données utiles admettront toujours différentes modalités, mais les informations et les services sont d’autant plus précieux que les différentes données qui les sous-tendent se combinent pour offrir une image plus complète et plus fine. Parmi les éléments importants, citons les cartes des ressources naturelles (sols, eau et climat), la surveillance des organismes nuisibles et des maladies, les profils des agriculteurs, les prévisions météorologiques locales, les informations sur les prix du marché et les algorithmes de notation du crédit.

 

Trois notions revêtent une importance capitale:

 

Les capacités: les pays en développement, qui sont ceux où la transformation numérique est la plus nécessaire, sont aussi ceux dont les capacités disponibles pour conduire le processus sont les plus faibles. Et le secteur agricole accuse un retard particulier dans ce processus. Le développement des capacités à tous les niveaux, sur l’axe horizontal comme sur l’axe vertical, est d'une importance déterminante.

 

Le contenu : création conjointe, personnalisation, adaptation et utilisation – valeur utilitaire pour les petits exploitants, appropriation locale –, les outils numériques ne devraient pas servir à déverser des informations sur les producteurs ruraux, mais bien à faciliter l’élaboration conjointe de connaissances et d’innovations, à intégrer les connaissances issues du terrain et des populations autochtones.

 

Les outils et les applications offrent des avantages directs aux agriculteurs. Les agriculteurs ont besoin d’informations pour prendre les décisions qui s’imposent, qu’il s’agisse du choix des cultures, de la manière de s’en occuper ou de l’optimisation des débouchés commerciaux pour leurs produits agricoles. Les outils numériques peuvent fournir des informations utiles en temps réel, susceptibles d’améliorer les résultats recherchés par les agriculteurs.

 

Privilégier l’adaptation aux petits exploitants agricoles: le problème est qu’il est fréquent de voir les innovations transformatrices et les outils modernes destinés à rendre les systèmes agricoles plus efficaces et durables ne pas être conçus pour une utilisation par les petits exploitants. Leur adaptation à plus petite échelle est une difficulté majeure pour les petits exploitants agricoles des pays en développement.

 

Le contexte: il n’y a pas de solution à valeur universelle; dans les décisions d’investissement et les choix microéconomiques, nous devons tenir compte du contexte local des infrastructures, de la connectivité, des moyens disponibles, des usages agricoles, de la dynamique de marché, etc., en vue d’offrir des solutions applicables, accessibles et abordables au niveau local.

 

Nous sommes tenus par ailleurs à trois obligations:

 

Faire SIMPLE. À l’heure actuelle, l’adoption des technologies numériques par les petits producteurs est limitée, d’où leur fréquente situation d’exclusion.

 

Les solutions n’ont pas besoin d’être compliquées pour produire leurs effets. La simplicité est préférable et plus inclusive. Une étude de Harvard montre que l’intégration de simples SMS dans les services de vulgarisation et d’appui-conseil a considérablement modifié le comportement des agriculteurs et les a incités à utiliser les nouvelles informations et technologies pour améliorer leurs pratiques et augmenter leurs rendements agricoles de 4 pour cent.

 

La durabilité. Le numérique dans l’agriculture et les systèmes agroalimentaires peut avoir un impact économique, social, environnemental et institutionnel positif.

 

La transformation numérique du secteur agroalimentaire devrait adopter une approche inclusive, efficace et durable. Cette approche requiert des mesures importantes de la part des autorités, pour mettre en place des cadres stratégiques habilitants et des mesures incitatives adéquates. Par ailleurs, les solutions numériques devraient être intégrées dans les institutions et les structures existantes, afin d’éviter que leur mise en place ne soit synonyme de fardeau supplémentaire pour les autorités. 

 

La numérisation profite à tous les acteurs des systèmes agroalimentaires, si bien qu’une approche systémique intégrée et globale des disciplines et des secteurs s’impose lorsqu’il s’agit de relever les défis et de soutenir les petits producteurs ruraux.

 

En bref, le numérique représente une avancée importante pour le système agroalimentaire.

 

Quelle stratégie devons-nous donc mettre en place pour les systèmes agroalimentaires?

 

Compte tenu des menaces d’une gravité croissante auxquelles nous sommes confrontés, nous nous devons de prendre des mesures immédiates de protection des moyens de subsistance afin de préserver l’avenir de notre planète et de nous assurer de résultats durables. Le Programme 2030 pour le développement durable est là pour nous guider, mais la détermination politique et l’engagement en faveur de son exécution doivent être à la hauteur du consensus historique qui a marqué son adoption.

 

Sachant que nombre des objectifs de développement durable (ODD) ne sont pas, pour l’heure atteignables, la nécessité de mobiliser tous les acteurs à tous les niveaux se fait plus pressante.

 

Les défis d’aujourd’hui appellent une coopération qui doit non seulement être transfrontière mais aussi concerner l’ensemble de la société.

 

Le Cadre stratégique de la FAO fait une place centrale au choix stratégique de ne laisser personne de côté grâce à des systèmes agroalimentaires plus efficaces, plus inclusifs, plus résilients et plus durables, pour une amélioration en matière de production, de nutrition, d’environnement et de conditions de vie.

 

Ces quatre améliorations constituent un principe organisateur de la manière dont la FAO entend contribuer directement, et sans s’y limiter, à l’ODD 1 (élimination de la pauvreté), l’ODD 2 (faim «zéro») et l’ODD 10 (réduction des inégalités), ainsi qu’à la réalisation de l’ensemble des ODD, ce qui est déterminant pour incarner la vision d’ensemble de l’Organisation.

 

Les Quatre améliorations traduisent l’interdépendance des aspects économiques, sociaux et environnementaux des systèmes agroalimentaires. À ce titre, elles encouragent aussi l’adoption d’une approche stratégique et systémique dans toutes les interventions de la FAO.

 

Dans le but d’accélérer les progrès et de maximiser nos efforts pour atteindre les ODD, et afin de réaliser nos aspirations, la FAO appliquera quatre «accélérateurs» transversaux dans l’ensemble de son programme de travail: la technologie, l’innovation, les données et les éléments complémentaires (gouvernance, capital humain et institutions).

 

Assurer la pérennité de l’alimentation de près de 10 milliards de personnes à l’horizon 2050 représente un défi sans précédent. Et cela dit aussi l’importance primordiale d’accélérer les effets de nos interventions programmatiques, tout en minimisant les arbitrages. Ces quatre accélérateurs permettent aussi la réalisation de ces deux objectifs. Il est essentiel que la technologie, les innovations et les données soient intégratrices, qu’elles fassent droit à la sexospécificité et qu’elles servent à stimuler le développement.

 

Nous avons défini pour nos travaux 20 Domaines prioritaires du Programme (DPP), appelés à être progressivement étoffés, qui s’articulent autour des Quatre améliorations de notre nouvelle stratégie.

 

Les domaines prioritaires de l’amélioration de la production sont les suivants: l’innovation verte, la transformation bleue, l’approche «Une seule santé» et l’accès équitable des petits producteurs aux ressources et à l’agriculture numérique.

 

Les priorités dans l’amélioration de la nutrition sont des régimes alimentaires sains pour tous, la nutrition au bénéfice des plus vulnérables, la salubrité des aliments pour tous, la réduction des pertes et du gaspillage de nourriture et la transparence des marchés et des échanges commerciaux.

 

Les priorités dans le cadre d’un meilleur environnement sont la réduction de la pollution, la restauration des écosystèmes et l’amélioration de l’environnement agricole, qui composent la feuille de route générale. L’agriculture dans son ensemble contribuera à la santé de notre planète. Des systèmes agroalimentaires qui atténuent les effets du changement climatique et s’y adaptent, la bioéconomie, la biodiversité et les services écosystémiques pour l’alimentation et l’agriculture.

 

Tous ces éléments contribuent à une amélioration des conditions de vie. Au nombre des DPP connexes, citons l’égalité femmes-hommes et l’autonomisation des femmes rurales, la transformation rurale inclusive, les systèmes alimentaires urbains durables, les urgences agricoles et alimentaires, les systèmes agroalimentaires résilients, ainsi que des programmes et des initiatives d’intensification des investissements et l’initiative Main dans la main de la FAO, qui visent spécifiquement à faire en sorte que l’action collective pour la réalisation des ODD puisse être généralisée et enclencher une mutation des systèmes agroalimentaires. 

 

Les thèmes transversaux de la sexospécificité, de la jeunesse et de l’inclusion nous permettront de ne pas perdre de vue les catégories vulnérables et marginalisées dans l’ensemble de nos travaux, afin de ne laisser personne de côté et de contribuer à la concrétisation des ODD 1, 2 et 10.

 

Chers amis,

 

La pandémie de covid-19, les conflits dans le monde, dont la guerre en Ukraine, et les effets de la crise climatique sont venus nous rappeler notre fragilité face à la faim. 

 

Mais ils nous donnent également l’occasion de repenser la manière dont nous nous attaquons aux causes profondes de la faim et de renforcer la résilience face aux périls, afin de nous reprendre avant qu’il ne soit trop tard et que nous ne soyons frappés par une autre catastrophe mondiale, de même ampleur ou d’ampleur supérieure.

 

Cette «pause» requiert de notre part un examen franc et honnête de nos systèmes agroalimentaires actuels.

 

Donnons la primauté à la science.

 

Non seulement sur les éléments factuels concernant la faim, mais aussi sur les facteurs expliquant les tendances et les inégalités dans l’accès à l’alimentation et qui sont au cœur du problème. 

 

Il nous faut pour cela saisir la nature des interactions en lesquelles se trouvent les facteurs à l’origine de l’insécurité alimentaire et prendre la mesure des lacunes de nos systèmes agroalimentaires.

 

Nous avons réussi dans le passé et nous devons réussir aujourd’hui.

 

Tout ce qu’il nous reste à accomplir doit, à l’instar de ce que nous avons déjà accompli, se faire en collaboration avec nos partenaires et en particulier avec le soutien de notre pays d’accueil, l’Italie.

 

Permettez-moi donc de conclure en remerciant l’Italie et tous nos membres pour la confiance qu’ils ont accordée et qu’ils continuent d’accorder à la FAO.

 

Nous continuerons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour nous montrer à la hauteur des attentes mondiales, en soutien aux agriculteurs du monde entier.

 

Je vous remercie de votre attention.