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REPRODUCTION ET ACTIVITE MIGRATOIRE DE LARVES DU POISSON CLUPEIDE LIMNOTHRISSA MIODON BOULENGER (1906) DANS LA PARTIE SUD DU LAC KIVU (BASSIN DU BUKAVU)

par

Kaningini, Mwenyimali
UNECED-FUNDP
61, rue de Bruxelles
5000 Namur-Belgique

ABSTRACT

The analysis of the gonadosomatic index and the larvae abundance, from January 1988 to March 1992, indicates that Limnothrissa miodon spawn throughout the year in the southern part of lake Kivu. This is similar in lake Tanganyika, the original habitat of the species, an in lake Kariba where it was introduced.

Recruitment seems however to be more important at certain periods of the year. In the southern part of lake Kivu, at least three periods have been identified. These periods of more intensive reproduction vary from one year to another and would be dependent of environmental factors, more particularly wind and rain.

The catches of Limnothrissa larvae at the same time inshore and offshore seem to indicate that spawning probably takes place in littoral and pelagic zones.

RESUME

L'analyse de l'évolution du rapport gonadosomatique et de l'abondance des larves, de janvier 1988 à mars 1992, permettent de considérer que L. miodon se reproduit toute l'année dans la partie sud du lac Kivu. Ceci est aussi vrai au lac Tanganyika son milieu d'origine qu'au lac Kariba où il fut également introduit.

Le recrutement semble cependant être plus important à certaines époques de l'année. Dans la partie Sud du lac Kivu, trois périodes au moins ont été repérées. Ces périodes de reproduction plus intense varient d'une année à l'autre et seraient dépendantes des facteurs environnementaux, plus spécialement des vents et de la pluie.

La présence de larves de L. miodon á la fois en milieux littoral et pélagique semble indiquer que la reproduction se ferait probablement dans ces deux milieux et non uniquement en zone littorale.

1. INTRODUCTION

Dans de nombreux cas, les introductions de poissons (Welcomme, 1981; Moreau et al., 1990; Ogutu-Ohwayo et al. 1991) effectuées en Afrique, ont été réalisées sans connaissance approfondie des espèces concernées et sans suivi de l'incidence de ces introductions sur le milieu et le peuplement autochtone. L'introduction du poisson clupéide Limnothrissa miodon au lac Kivu n'échappe guère á cette réalité.

Toutefois, depuis l'introduction réussie de L. miodon au lac Kivu (1959) et puis au lac Kariba (1964–1968), plusieurs travaux portant sur divers aspects de la biologie de cette espèce ont été initiés aussi bien dans son milieu d'origine, le lac Tanganyika, que dans les deux lacs où il a été introduit.

Dans le lac Kivu, la pêche artisanale de cette espèce a timidement commencé en 1975 dans la partie zaïroise du lac Kivu (Lomami, 1989) et de manière organisée au Rwanda à partir de 1978 (grâce à un projet FAO à Gisenyi) et s'est développée assez rapidement. Cependant, les captures annuelles fluctuent apparemment assez fortement. Les causes en sont mal connues: variations naturelles du stock dues à des fluctuations du recrutement ou des ressources alimentaires, surexploitation, etc… Autant de questions dont la réponse pourrait aider à mieux gérer les ressources piscicoles du lac.

Nous avons entrepris cette étude afin de préciser l'importance saisonnière ou annuelle du recrutement de cette espèce. Ce travail se propose de faire le point sur la biologie de la reproduction de L. miodon dans la partie Sud du lac Kivu pendant la période janvier 1988 à mars 1992. Deux approches complémentaires sont utilisées pour préciser la période de reproduction et les saisons de recrutement maximal: l'analyse de l'évolution du rapport gonadosomatique et le suivi de l'évolution des captures mensuelles de larves.

2. LOCALISATION DE L'ETUDE

Le lac Kivu est situé entre les latitudes sud 1°24' et 2°30', et entre 28°50' et 29°23' de longitude est. Il forme une frontière naturelle longue d'environ 100 km et large 50 km entre le Zaïre à l'Ouest et le Rwanda à l'Est. Le plan d'eau est à une altitude de 1463 m et couvre une superficie estimée à 2370 km2. C'est un lac de barrage volcanique, formé lors des éruptions des volcans Virunga au Pléistocène. Le blocage et le remplissage de la vallée qui s'en suivirent furent à l'origine du lac (Beadle, 1981). Il est caractérisé par une grande profondeur (plus de 500 m dans la partie Nord), son profil thermique inversé à environ 50 m de profondeur et par un gradient de salinité croissant à partir d'une profondeur de 70 m, qui lui donne un caractère méromictique marqué. Damas (1937, in Mahy, 1979) le subdivise en cinq grands bassins, dont le bassin de Bukavu forme la partie extrême Sud couvrant une superficie de 96,5 km2 (Damas, 1937 et Verbeke, 1957 in Mahy, 1979). Le bassin de Bukavu a une profondeur maximale de 105 m (fig. 1).

3. MATERIEL ET METHODES

3.1 Examen des gonades

Les poissons matures sont capturés par pêche au carrelet avec attraction lumineuse ou par filet maillant monofilament. Quatre pêches sont organisées par mois à raison d'une pêche par semaine. La pêche se déroule aussi bien en zone littorale qu'en milieu pélagique. A l'issue de chaque sortie, l'échantillon examiné est constitué de 100 individus à raison de 50 mâles et 50 femelles. Une fois pêchés, les poissons sont placés dans une boîte réfrigérée et ramenés au laboratoire pour la suite des manipulations. On mesure la longueur totale du poisson et son poids. Après dissection les gonades sont prélevées et pesées au moyen d'une balance électronique Mettler H80 d'une précision de 0,0001 g.

La détermination des stades de maturité sexuelle se fait par examen visuel de la coloration et de l'aspect des gonades selon la clé de De Kimpe (1964, in Micha, J.C. 1973; Plisnier, P.D., Micha, J.C. et Frank, V. 1988) légèrement modifiée. Pour bien trancher les stades 3 et 4 dont la différence de patron de coloration peut ne pas être nette, la présence d'ovules engagés dans l'oviducte et la spermiation constituent le critère déterminant du stade 4 de la maturité sexuelle.

3.2 Echantillonnage de larves

L'échantillonnage couvre la période de mai 1990 à janvier 1992. Deux sites de pêches distants d'environ 800 m l'un de l'autre ont été choisis en zone côtière à moins de 4 m des rives (fig. 1). Ce sont deux sites parmi les nombreux endroits où nous avions auparavant rencontré les pêcheurs clandestins de larves de L. miodon (larves communément appelées Mugala au lac Kivu). La configuration topographique des deux stations est presque la même: la station de Bwindi se situe à environ 5 m de l'exutoire de la rivière du même nom avec le lac et le site de Kalengera, du nom d'un village proche.

Une surface rectangulaire de 12 m de long sur 3 m de large a été délimitée dans chaque site. La profondeur d'eau dans les deux rectangles est d'environ 1,30 m. Tous les 15 jours, la pêche de larves a été réalisée avec un tulle moustiquaire (L = 3 m; 1 = 1,5 m; maille = 300 microns) entre 5h30' et 6h30' dans les deux stations. La pêche consiste en deux passages successifs d'un bout à l'autre du rectangle du filet monté entre deux bâtons, tenu et plongé obliquement dans l'eau entre les deux pêcheurs. De plus, trois cycles de 24 h de pêche ont été effectués (dont deux en juin '91 et un en janvier '92) avec le même matériel dans les deux stations.

Pour la zone pélagique, deux cycles de 24 h de pêche ont été organisés en janvier 1992 avec un “Bongo net” de la station de recherches hydrobiologiques d'Uvira au lac Tanganyika. La pêche s'est effectuée en surface et à différentes profondeurs. Immédiatement après la prise, l'échantillon de larves de chaque station est pesé avant d'être gardé en boîte réfrigérée. Au laboratoire, la longueur totale de larves est mesurée à raison de 100 individus par site et par jour de pêche. On procède en même temps à la pesée des 25 premiers individus mesurés par site.

3.3 Traitement des données

Le rapport gonadosomatique RGS est calculé suivant la formule classique cidessous:

RGS = (G/P) × 100

dans laquelle G représente le poids des gonades (g) et P le poids total du corps (g). Le pourcentage mensuel d'individus à divers stades de maturité sexuelle s'obtient en divisant la fréquence d'individus au stade considéré par l'effectif total mensuel du sexe considéré multiplié par 100.

Le facteur de condition K de Fulton (Ricker, 1980) a été calculé aussi bien pour les poissons matures que pour les larves selon la formule:

K = 105 × P/Lb

où P = poids du corps (g) et L = longueur totale (mm).

La densité de larves à différentes profondeurs a été obtenue en divisant le nombre de larves pêchées à chaque niveau et tranche horaire par le volume d'eau qui a traversé le “Bongo net”. La résultat obtenu est ramené à 1 m3 en calculant le volume d'eau par la formule suivante (Dr. Kinoshita, comm. pers.):

V = π.r2 × (d × No)

r = rayon de l'ouverture du filet (m); (d × No) = distance effectivement échantillonnée, mesurée par un compteur monté sur l'ouverture du filet.

4. RESULTATS

Nous avons examiné de janvier 1988 à décembre 1991, les gonades de 17074 L. miodon dont 9493 femelles et 7581 mâles. La synthèse de ces observations permet de situer le moment de reproduction de cette espèce dans la partie sud du lac Kivu. Nous n'avons pas de données pour juillet 1988, novembre et décembre 1989.

La taille de 6905 larves pêchées de mai 1990 à décembre 1991 en zone côtière a été mesurée. Le poids de 1600 larves de cet échantillon a aussi été mesuré. Les larves capturées par “Bongo net” en milieux pélagique et littoral, en surface et à différentes profondeurs ont également été mesurées.

4.1 Evolution des gonades

Le rapport gonadosomatique moyen des femelles et des mâles de L. miodon varie d'un mois à un autre. Les rapports gonadosomatiques moyens des femelles et des mâles évoluent parallèlement, celui des femelles étant généralement supérieur à celui des mâles. L'analyse de l'évolution de ce rapport durant quatre années consécutives montre que sa variation n'a pas la même allure d'une année à l'autre (fig.2).

En 1988, le RGS des femelles, très bas en janvier, augmente jusqu'en avril puis diminue jusqu'en juin. D'août à septembre, on remarque une nouvelle augmentation du rapport gonadosomatique qui atteint un pic maximum en septembre et puis descend jusqu'en décembre. Cette séquence se reproduit encore en 1989: le RGS augmente de janvier en avril, diminue d'avril à juin, remonte en juillet pour atteindre de nouveau le pic en septembre et diminue en octobre. Nous n'avons malheureusement pas de données de novembre et de décembre 1989. L'évolution du rapport gonadosomatique est moins régulière en 1990 et en 1991. On observe une succession des petits pics (février, juin, août et novembre 1990; janvier, avril, juillet, septembre-décembre 1991) séparés par deux à trois mois de baisse du rapport. L'évolution du rapport gonadosomatique des mâles suit un patron semblable à la description faite ci-haut.

Les valeurs des RGS que nous avons trouvées sont élevées par rapport à celles trouvées par Lays (1979) et Mahy (1981) dans la partie nord du lac. D'après Mahy les RGS moyens varient de 1,080 à 1,450 pour les femelles et 0,409 à 1,931 pour les mâles. Notre étude montre que les RGS moyens des femelles varient entre 1,577 et 3,488 et ceux des mâles de 1,614 à 2,986. Les valeurs extrêmes individuelles sont 0,04 à 10,105 pour les femelles et 0,04 à 11,689 pour les mâles. Nos résultats semblent correspondre aux valeurs calculées pour cette même espèce par Ellis (1969, in Nimubona 1979) au lac Tanganyika. L'écart entre nos résultats et celui de Lays serait à notre avis probablement dû au faible effectif (n = 17) utilisé par ce dernier et au fait qu'il a travaillé sur un échantillon fixé. En janvier 1988, nous avons une valeur de RGS moyen faible; ce mois correspond à un effectif faible de notre échantillon.

Le résultat de calcul des pourcentages de femelles et de mâles de L. miodon aux différents stades de maturité sexuelle effectué pour la période de janvier 1990 à janvier 1992, montre que chaque mois, 70% au moins de la population de L. miodon mature se trouvent en activité sexuelle (stades 3 et 4) et que tous les mois, au minimum 30% des femelles et 45% des mâles sont en pleine reproduction (stade 4). Ces femelles ont leurs oviductes gorgés d'ovules jusqu'au pore génital et les mâles sont spermiants. Ces observations montrent que la reproduction de L. miodon dans la partie Sud du lac Kivu s'étale sur toute l'année.

4.2 Densité et distribution des larves

Les larves de L. miodon (Lt: 8–26 mm) ont été pêchées en zone côtière durant toute la période d'étude. Les captures fluctuent d'un mois à l'autre (fig.3).

La figure 4 présente le résultat des trois cycles de 24 h de pêche effectués dans deux stations côtières au lac Kivu. On remarque qu'en surface, à proximité des rives (moins de 4 m), les prises de larves sont plus importantes le jour que la nuit. Le pic maximum se situe le matin tandis que les captures nocturnes se sont révélées médiocres.

Les figures 5 et 6 illustrent les distributions verticales et horizontales de larves de L. miodon zone littorale et en milieu pélagique. Le jour, les larves sont faiblement représentées en surface et en zone littorale et absentes en surface en milieu pélagique.

Pendant ce temps, elles ont été pêchées en milieu pélagique à 10, 20 et 30 m de profondeur. La nuit, les larves de L. miodon se rencontrent en surface aussi bien en zone littorale qu'en milieu pélagique. Elles se retrouvent aussi à différentes profondeurs mais elles sont mieux représentées dans les 10 premiers mètres.

L'analyse des fréquences de tailles des larves pêchées en zone côtière n'a pas dégagé un glissement modal apparent d'un mois à un autre. Les larves de 15 et 16 mm se retrouvent en grand nombre pendant toute la période d'échantillonnage.

Le facteur de condition K des larves varie très peu dans le temps mais semble pour certains mois évoluer légèrement dans le sens opposé à celui des femelles matures.

4.3. Périodes de reproduction

Etant donné la variabilité interannuelle du RGS, nous en avons calculé la valeur moyenne mensuelle sur 4 ans (fig.7). La figure obtenue présente une succession de quatre pics séparés chaque fois de deux à trois mois. Le RGS, assez élevé en janvier, chute en février puis remonte pour atteindre un pic en avril, chute en mai, augmente en juin-juillet et diminue en août, remonte en septembre-novembre et chute en décembre.

D'autre part, les prises plus importantes de larves (> 100g/mois) ont été réalisées en juin et octobre 1990, février 1991, mai-juin 1991, septembre et novembre 1991. En superposant la variation de densité des larves avec le RGS des femelles pour la même période (fig.8), on constate qu'une capture importante de larves est généralement précédée par une diminution assez prononcée du rapport gonadosomatique.

Cette correspondance nous pousse à soutenir l'hypothèse de l'existence de certaines périodes à activité reproductrice plus intense.

4.4 Sites de fraie

Les larves de plus petite taille (5 mm) de notre échantillon ont été pêchées en milieu pélagique et en profondeur. En examinant le zooplancton prélevé en milieu pélagique dans la partie nord du lac Kivu (projet FAO de Gisenyi) Foumiret (1992) a trouvé quelques larves de L. miodon de moins de 5mm de longueur. Cet échantillon avait été pris en milieu pélagique sur une colonne d'eau de 60 m de profondeur. Ce résultat nous amène à penser que la fraie de L. miodon au lac Kivu pourrait ne pas se produire uniquement en zone littorale comme au lac Tanganyika (Ndugumbi, Van Well et Chapman, 1976).

5. DISCUSSION

La variation du rapport gonadosomatique des femelles et des mâles de L. miodon au cours du temps associée à la pêche des larves durant la période d'étude (fig.8) indique que l'espèce se reproduit toute l'année dans la partie Sud du lac Kivu. Ce résultat est conforme aux observations faites par tous les auteurs qui ont étudié cette espèce dans son milieu d'origine (Matthes, 1968; Ndugumbi et al., 1976; Mulimbwa, 1989; Moreau et al., 1991) et là où elle fut introduite, notamment dans la partie Nord du lac Kivu (Spliethoff et De longh, 1980; Mahy, 1981; Reusens, 1988) et au lac Kariba (Cochrane, 1978). Bien que la reproduction s'étale sur l'ensemble de l'année, certaines époques paraissent être caractérisées par un recrutement plus important. D'après nos observations, il y aurait trois à quatre pics de reproduction plus marquée, mais les époques de l'année sont difficiles à préciser, étant donné la forte variabilité interannuelle. Dans la partie Nord du lac, Mahy (1981) ainsi que Spliethoff, P.C., De longh, H.H. et Frank, V.G. (1983) reconnaissent plutôt deux grandes périodes de reproduction couvrant les mois d'août à octobre et de mars à mai. Ces différences pourraient être liées aux conditions hydroclimatiques régnant au nord et au sud du lac, mais le manque de données actuelles sur un laps de temps suffisamment long ne permet pas d'avancer une explication précise sur l'influence de l'environnement sur le comportement de L. miodon. Dans l'hypothèse où il existe de différences dans les conditions hydroclimatiques au nord et au sud comme l'a signalé Marshall (1990), un décalage des périodes de reproduction maximale ne serait pas surprenant. En effet, L. miodon comme la plupart d'autres petits clupéides, est une espèce opportuniste qui réagit et s'adapte aux influences imposées par son environnement (Lowe-McConnell, 1987). Au lac Kivu, où il n'existe pas de variation sensible de température de l'eau d'un mois à l'autre, ou la longueur des journées d'ensoleillement reste pratiquement la même, les vents et la pluviosité ont une influence déterminante sur le fonctionnement écologique du lac et sur la biologie de L. miodon. Au lac Tanganyika, des périodes maximales de fraie ont été reconnues (Ellis, 1971; Henderson, 1976; Ndugumbi, Van Well et Chapman; et Roest in Mahy, 1979) mais celles-ci sont d'inégale longueur et se produisent à des époques différentes d'une zone à l'autre: décembre à février (eaux tanzaniennes), mars à juillet (eaux burundaises et zambiennes), août à septembre (Tanzanie) et septembre à janvier (Burundi et Zambie).

L. Miodon effectue au lac Kivu des déplacements verticaux et horizontaux. Parmi les facteurs susceptibles d'induire ces mouvements, Lowe-McConnell (1987) et Wootton (1990) signalent la recherche de nourriture et la fuite aux prédateurs. Au lac Kivu, il n'existe pas de poisson prédateur qui exerce une pression obligeant L. miodon à migrer dans les différentes zones du lac. Les déplacements de cette espèce au lac Kivu semblent plutôt conditionnés par la distribution et la disponibilité en zooplancton et la prédation sur ses propres alevins. Nos observations ne permettent pas de confirmer que les migrations des individus matures des zones pélagiques vers le littoral seraient dans un but de fraie comme le soulignent Spliethoff, P.C., De longh, H.H. et Frank, V.G. (1983) pour la partie nord du lac. L'état des gonades des poissons matures pêchés au littoral et au large n'a pas présenté de différence significative.

Comme les adultes, les larves de L. miodon effectuent des migrations verticales entre les zones profondes et la surface. L'étude des contenus digestifs des larves prélevées à différentes profondeurs et à différents moments devra permettre de dire si ces déplacements sont à caractère trophique comme l'a signalé Tshibangu (1988) au lac Tanganyika. La présence de larves en zone côtière et à différentes profondeurs au large ne permet pas de conclure que la zone littorale constitue un site privilégié pour la reproduction. Au stade actuel on peut aussi penser comme l'a signalé Matthes (1966) au lac Tanganyika que L. miodon pourrait frayer dans les zones profondes.

6. CONCLUSIONS

Cette étude avait pour but de préciser l'importance saisonnière ou annuelle du recrutement de L. miodon dans la partie sud du lac Kivu afin d'essayer de réunir des éléments d'explication des fluctuations constatées dans les captures par pêche de cette espèce.

L'examen des gonades, l'analyse de l'évolution du rapport gonadosomatique des L. miodon femelles et mâles matures, le pourcentage élevé d'une proportion de la population de L. miodon activité reproductrice au cours du temps et la pêche systématique des larves démontrent que L. miodon se reproduit toute l'année dans la partie sud du lac Kivu. Ce résultat concorde bien avec les observations faites par les autres auteurs sur cette espèce.

Cependant, les captures de larves montrent des fluctuations d'un mois à un autre. Ces variations ne sont pas régulières dans les temps. Dans la mesure où les larves devront assurer le renouvellement du stock, les fluctuations observées au niveau de la pêcherie pourraient partiellement s'expliquer par les variations dans la production de larves, mais aussi par un taux de survie variable de celles-ci.

Vu l'absence de données sur le taux de survie de larves à différentes étapes de leur croissance et la méconnaissance des facteurs déterminant de leur croissance, il nous semble prématuré de dire si les fluctuations observées dans les captures de larves se répercutent sans modification sur la composition du stock exploitable.

Plusieurs auteurs soulignent l'importance des facteurs environnementaux sur les fluctuations d'abondance des poissons. Etudiant les sardines, Margalef (1960, in Belveze 1991) soutient que la pêche n'intervient dans ces fluctuations naturelles qu'en augmentant l'instabilité des populations par le biais du rajeunissement qu'elle provoque en ne capturant que les individus adultes, mais la production de plancton et donc la quantité de nourriture disponible constitue la principale cause de fluctuation. Pour Ahlstrom (1960, in Belveze 1991), la relation entre le nombre de reproducteurs et l'abondance du recrutement est masquée par l'influence dominante du milieu sur la survie des oeufs et des larves.

Au lac Kivu, Marshall (1990) a mis en évidence une corrélation entre la pluviosité et les captures de L. miodon quinze mois plus tard. ll a souligné l'importance des facteurs abiotiques sur L. miodon qui à l'heure actuelle serait plus sous l'influence de ces facteurs que de l'augmentation de l'effort de pêche. Ceci est démontré par le fait que la CPUE en 1990 est semblable à celle qu'elle était en 1980 malgré l'augmentation du nombre de pêcheurs. Les répercussions des variables abiotiques sur la physiologie de L. miodon restent mal connues. On sait cependant que les vents et les pluies du bassin versant influent sur la chaîne trophique en permettant la circulation des éléments nutritifs et en apportant par les eaux de ruissellement des éléments minéraux au lac.

Ainsi pour une bonne gestion des ressources du lac, il est indispensable d'améliorer les connaissances, non seulement au niveau de la biologie de L. miodon mais également sur l'ensemble des variables constituant son environnement biotique et abiotique. Ceci implique notamment d'entreprendre des recherches sur la dynamique du phyto-et du zooplancton, très méconnue au lac Kivu (Descy, 1990).

7. REMERCIEMENTS

La récolte de données qui ont servi à la rédaction de cette contribution a été réalisée dans le cadre de notre recherche doctorale dirigée par le professeur Jean-Claude Micha de l'Unité d'Ecologie des Eaux Douces des Facultés Universitaires Notre Dame de la Paix de Namur, Belgique. Nous le remercions pour les orientations données au travail, la correction du manuscrit et la demande faite à l'AGCD pour nous obtenir le titre de voyage.

Les frais de voyage aller-retour Belgique-Bujumbura et notre séjour ont été subsidiés par l'AGCD et le CTA WAGENINGEN. C'est grâce à ces deux institutions que nous avons pu prendre part à ces assises. Nous exprimons nos profonds sentiments de gratuité à toutes les personnes qui ont soutenu noter demande auprès de ces deux institutions et particulièrement Mlle. Henry, Dr. F. Roest, G. Ssentongo, D. Greboval, F. Coenen, Mr. Naraini et R. Dellore.

Le Dr. Jean Pierre Desey de l'UNECED-FUNDP, a bien accepté de lire et corriger le manuscrit de ce texte jusqu'à sa forme finale. Qu'il trouve ici l'expression de nos sentiments de reconnaissance.

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Wootton, R.J., 1990. Ecology of Teleost Fishes. Chapman and Hall, London New York, 404 p.

Figure 1

Figure 1. Lac Kivu, Bassin de Bukavu. Localisation des sites d'échantillonnage des larves (0) et des adultes (x) de L. miodon.

Figure 2

Figure 2: Variation du rapport gonado-somatique (RGS) moyen mensuel des femelles et des mâles de L.miodon au lac Kivu, bassin de Bukavu durant 4 années consécutives (janvier 1988–décembre 1991).

Figure 3

Figure 3 : Captures (g) totales mensuelles de larves de L.miodon effectuées en surface avec un tulle moustiquaire à deux stations côtières au lac Kivu, bassin de Bukavu (juin 1990 à décembre 1991).

Figure 4

Figure 4 : Captures totales (g) de larves de L.miodon à différentes heures au cours de trois cycles de 24 h de pêche avec un tulle moustiquaire dans deux stations côtières au lac Kivu, bassin de Bukavu (6/91 et 1/92).

Figure 5

Figure 5 : Distribution verticale et densité (ind./m3) de larves de L. miodon au lac Kivu, bassin de Bukavu. Observations faites au cours de deux cycles de pêche de 24 h réalisées à deux stations pélagiques en janvier 1992. En haut: station de Bwindi (27–28/01/92) ; en bas: station de Kalengera (25–26/01/92).

Figure 6

Figure 6.

Figure 7

Figure 7.

Figure 8

Figure 8 : Evolution comparée du rapport gonado-somatique moyen mensuel des femelles de L.miodon en rapport avec les captures mensuelles de larves réalisées avec un tulle moustiquaire dans deux stations cotières au lac Kivu


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