CCP: ME 04/2


COMITÉ DES PRODUITS

GROUPE INTERGOUVERNEMENTAL SUR LA VIANDE ET LES PRODUITS LAITIERS

Vingtième session

Winnipeg (Canada), 17 – 20 juin 2004

IMPACT DES AUGMENTATIONS SOUDAINES DES IMPORTATIONS: ÉTUDES DE CAS PAR PAYS

Table des matières



I. INTRODUCTION

1. Le commerce mondial des produits alimentaires de base a augmenté de manière sensible au cours de la dernière décennie. Cette tendance a été plus particulièrement marquée pour les produits de la viande ; avec un accroissement de 7 pour cent par an durant les années 90, ces produits figurent parmi ceux ayant enregistré la plus forte croissance dans les échanges internationaux de produits agricoles. L’essor du commerce devrait se poursuivre dans les années à venir, ce qui aura des conséquences aussi bien positives que négatives sur la sécurité alimentaire, notamment dans certains pays à faible revenu et à déficit vivrier. Il est préoccupant de constater que de plus en plus de pays en développement et d’organisations de la société civile signalent que les poussées des importations de produits alimentaires perturbent les marchés locaux, ce qui a des répercussions négatives sur les prix, la production et la sécurité alimentaire dans les zones rurales.

2. Il n’existe pas de définition spécifique de la notion de "poussée des importations". Les accords de l’OMC sur les mesures correctives générales (mesures antidumping, mesures compensatoires et mesures de sauvegarde d’urgence) proposent une définition générale. Selon l’article 2 de l’Accord de l’OMC sur les mesures de sauvegarde, ce phénomène survient lorsqu’un "produit est importé sur son territoire en quantités tellement accrues, dans l'absolu ou par rapport à la production nationale, et à des conditions telles qu'il cause ou menace de causer un dommage grave à la branche de production nationale de produits similaires ou directement concurrents". Une poussée des importations revêt donc un caractère "inhabituel"; en d’autres termes, ce phénomène est associé à une cassure nette par rapport à une tendance établie. Toutefois, l’Accord sur l’agriculture (Article 5) offre une définition quantitative précise dans la mesure où il stipule qu’une poussée se vérifie lorsque le volume et le prix d’importation constatés s’écartent des valeurs de référence établies pour une période donnée.

3. En 2003, le Secrétariat a soumis un document à la soixante-quatrième session du Comité des produits qui visait à déterminer la nature et l’importance des poussées des importations observées sur les marchés des pays en développement dans le cas de catégories de produits de base spécifiques1. Ce document a défini la notion de poussée des importations comme “un écart (positif) de 20 pour cent par rapport à la moyenne mobile sur cinq ans des volumes importés“. En se fondant sur les données commerciales de FAOSTAT par pays, il indique que les brusques accroissements des importations se produisent assez fréquemment dans le cas de groupes de produits spécifiques, en particulier certaines viandes et huiles végétales.

4. Le Comité des produits a donc recommandé que le phénomène soit examiné de manière plus approfondie au niveau de chaque pays faisant état de poussées des importations afin de: i) déterminer l’origine des importations et le contexte dans lequel elles augmentent dans des proportions importantes; ii) analyser l’impact des brusques accroissements des importations sur le secteur agricole national dans les pays en développement; iii) évaluer la capacité des pays en développement à faire face au problème, notamment identifier les mécanismes institutionnels permettant de recourir à des mesures de sauvegarde adaptées.

5. L’objectif du présent document est de mieux comprendre l’incidence des poussées des importations sur les marchés locaux. Il ne s’attache pas à faire une étude statistique rigoureuse des données commerciales qui démontrerait l’occurrence de ces poussées, mais se penche, en revanche, sur le cas de deux pays, la Tanzanie et le Sénégal, qui ont été choisis en raison des préoccupations suscitées par l’impact du changement observé dans les importations de volaille et de produits laitiers sur leurs marchés. Le document décrit l’évolution de l’importation de ces produits, présente le point de vue des diverses parties concernées et examine les mesures de politique générale prises par les deux gouvernements. Il analyse également les effets de la tendance à la hausse des importations et de leurs brusques augmentations sur les industries locales. Les données nécessaires à la réalisation des deux études de cas ont été recueillies par des consultants nationaux entre septembre 2003 et février 2004. Elles proviennent de diverses sources gouvernementales, d’enquêtes sur les prix de marché et d’entretiens réalisés sur place auprès de chercheurs, de représentants du gouvernement et de l’industrie, et d’intervenants du marché.

II. ÉTUDE DE CAS DU SÉNÉGAL

6. Dans l’ensemble, les importations des produits alimentaires ont rapidement augmenté au Sénégal. Leur valeur totale a presque triplé, passant de 88 milliards de francs CFA en 1992 à 250 milliards en 19992. Comme il le sera ultérieurement noté dans le contexte des produits de la volaille et des produits laitiers, plusieurs facteurs expliquent ce phénomène. Le gouvernement sénégalais et diverses parties concernées se sont périodiquement inquiétés de la situation et des poussées occasionnelles des importations, du fait de leur incidence potentiellement négative sur les secteurs les plus fragiles de la production intérieure.

7. La croissance des importations est en partie attribuable à la réduction progressive des obstacles aux importations découlant de l’application successive de plusieurs programmes d’ajustement. Suite à l’adoption des structures tarifaires de l’UEMOA3 et du tarif extérieur commun (TEC), l’économie s’est progressivement ouverte. Dans le cadre de l’accord de l’UEMOA, les tarifs douaniers sur la viande de volaille ont graduellement baissé. Ils étaient ainsi de 55 pour cent sur les découpes de volaille avant avril 1998, puis de 30 pour cent en 1999, de 25 pour cent en 2000 et, finalement, de 20 pour cent en juillet 2002. Le Sénégal bénéficie du tarif consolidé de l’OMC de 30 pour cent sur la viande et les produits laitiers, et a conservé le droit d’appliquer jusqu’à 150 pour cent d’“autres droits ou charges”.

8. S'inquiétant des poussées des importations, le Sénégal a demandé une dérogation à l’OMC en décembre 2000 pour maintenir un système de prix de référence minimums4 applicables à plus de 29 produits, dont la volaille, le lait en poudre et le lait concentré. Cette demande a mis en avant l’étroitesse du marché intérieur, l’absence d’infrastructures efficaces, les coûts de production élevés et l’impossibilité de recourir aux sauvegardes générales de l’OMC5. L’OMC a donné son accord en 2002, mais a retiré le lait en poudre de la liste finale des produits approuvés.

A. TENDANCES ET SOURCES DES IMPORTATIONS DE VOLAILLE

9. Les importations de volaille ont considérablement augmenté au Sénégal au cours de la dernière décennie puisqu’elles sont passées de 506 tonnes en 1996 à 16 600 tonnes en 2002. Cet accroissement, lié à un fléchissement de la production nationale, a fait progresser la part des importations dans la consommation intérieure, de un pour cent seulement en 2000 à environ 19 pour cent en 2002 (Figure 1). Les importations se composent principalement de découpes de volaille congelées (86 pour cent), complétées de carcasses congelées (13 pour cent) et de viande fraîche (1 pour cent). Environ 62 pour cent des produits importés provenaient des Pays-Bas et de la Belgique. Entre-temps, la part du marché détenu par le Brésil a rapidement augmenté pour s’établir à 24 pour cent, tandis que celle des États-Unis et du Canada est tombée de 15 à 2 pour cent entre 2000 et 2003. On estime que le coût de ces importations, évaluées à près de 10 milliards de francs CFA en 2003 (soit 18 millions de dollars EU), est égal au chiffre d’affaire de l’industrie de volaille de chair locale; de fait, cette industrie commerciale représente environ 20 pour cent de la production totale de volaille au Sénégal, soit 3,7 millions de volatiles.

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10. Plusieurs explications ont été avancées pour comprendre la croissance observée des importations qui dépasse 50 pour cent par an depuis 2000. On citera à titre d’exemple: i) la hausse de la demande des consommateurs liée à une augmentation de revenus, notamment dans les zones urbaines; ii) la libéralisation relativement rapide des restrictions à l’importation résultant de divers programmes d’ajustement, des négociations de l’OMC et, ce qui est probablement très important, de l’intégration régionale au sein de l’UEMOA; enfin, iii) la disponibilité de découpes de volaille bon marché sur le marché international.

B. TENDANCES ET SOURCES DES IMPORTATIONS – PRODUITS LAITIERS

11. Contrairement aux importations de volaille, les importations de produits laitiers ont été constamment très élevées pendant de nombreuses années, à l’exception des deux années qui ont suivi la dévaluation du franc CFA (1994 et 1995). En 2002, les importations ont toutefois atteint le niveau presque record de 240 000 tonnes (en équivalent lait), soit le double de la production intérieure. Le lait en poudre (30 000 tonnes) représente 75 pour cent de la valeur des importations de lait; le fromage, 10 pour cent; le lait de consommation, 8 pour cent, et le beurre, 5 pour cent. La valeur totale des importations de lait et de produits laitiers, estimées à 31 milliards de francs CFA (soit 59 millions de dollars EU), est trois fois plus élevée que celle des importations de volaille. La France est le principal exportateur de lait en poudre à destination du Sénégal, contribuant, en moyenne, à 42 pour cent du total des importations. Dans l’ensemble, l’Union européenne (UE) a fourni près des quatre cinquièmes des importations totales de lait en poudre.

12. Compte tenu de ces volumes d’importation, on pourrait normalement s’attendre à une incidence importante sur la production intérieure de lait. Cependant, les entretiens réalisés auprès de diverses parties concernées et l’analyse des données disponibles indiquent que cela n’a pas été le cas. L’une des principales raisons provient du fait que les petites unités de transformation ont utilisé le lait en poudre importé comme matière première pour produire du lait de consommation pour les marchés de Dakar et certains autres marchés urbains importants. Parallèlement, du fait des coûts de transport élevés et du manque d’équipement pour acheminer le lait frais, les marchés intérieurs de lait sont très probablement segmentés, ce qui réduit l’incidence de la concurrence avec le lait en poudre importé.

C. INCIDENCE SUR LE MARCHÉ ET OBSERVATIONS GÉNÉRALES

13. L’impact des importations affecte différemment les sous-secteurs de la volaille et des produits laitiers. Dans le premier cas, la forte augmentation des importations au cours des dernières années a gravement nui à la production locale de volaille de chair. Du fait de la vive concurrence des découpes de volaille à bon marché, certains producteurs ont décidé de ne plus élever de poulets de chair et de se consacrer à l’élevage de poules pondeuses. En ce qui concerne le secteur laitier, en revanche, les importations ont été très élevées de manière régulière pendant les dix dernières années et ne semblent donc pas entraver le développement d’une industrie laitière locale émergente. La production de lait au Sénégal est restée assez stable, s’établissant, en moyenne, à environ 130 000 tonnes pour les années 90. La production nationale aurait pu croître en l’absence d’importations, mais il est très difficile de vérifier cette hypothèse.

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14. Le secteur traditionnel de la volaille, qui se caractérise par le petit élevage et la vente de poulets vivants sur les marchés locaux, semble ne pas être touché par la hausse des importations. L'impossibilité apparente de substitution entre les poulets de chair produits commercialement et les poulets fermiers peut être déduite de l’évolution des prix sur les marchés industriels et locaux. Les prix au détail de la viande des poulets de chair à Dakar ont ainsi baissé rapidement face aux importations de volaille qui ont quadruplé depuis 2000 (Figure 2) alors que ceux des poulets fermiers ont continué à croître au cours de la même période. Des entretiens réalisés auprès d’intervenants du marché et de ménagères révèlent que les consommateurs perçoivent une différence entre les deux produits.

15. En revanche, l’essor rapide des importations de découpes de volaille a eu des conséquences négatives sur la production intérieure de poulets de chair, notamment le secteur de production locale situé près de Dakar et sur des marchés secondaires. Selon les organisations de producteurs, environ 70 pour cent des élevages de volaille de chair ont fermé. Cette information ne peut être confirmée par des chiffres de production officiels émanant du gouvernement, mais les données recueillies sur le nombre de poussins de chair vendus pour l’élevage en exploitations locales a baissé de 30 pour centre entre 2001 et 2003 (Figure 3).

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Source: Données de l’industrie avicole du Sénégal.

16. L’incidence économique générale des poussées des importations de découpes de volaille à bon marché a été en partie atténuée par la conversion de certains élevages de poulets de chair en élevages de poules pondeuses destinées à la production d’œufs de consommation. Les retombées de ces conversions sont illustrées à la Figure 3 et l’on peut constater que le nombre de poules pondeuses achetées a presque doublé entre 1999 et 2002. L’ovoculture est devenue un secteur très dynamique, dont le chiffre d’affaires représente le double de celui de la production de la volaille de chair. La décision prise par le gouvernement sénégalais au milieu de l'année 2002 de limiter les importations d’œufs, invoquant des questions sanitaires liées aux expéditions d’œufs congelés, a été un facteur déterminant pour le développement de ce secteur. À la même époque, le gouvernement a également suspendu les importations entre septembre et octobre 2002, sur la base de préoccupations sanitaires concernant la viande de volaille congelée. Toutefois, cédant à la pression des négociants d’importation et d’autres autorités politiques, les importations de viande de volaille ont repris en novembre de la même année.

17. La crise a attiré l’attention publique sur le sous-développement et le manque de compétitivité de l’industrie de la viande de volaille au Sénégal, et sur la nécessité d’en améliorer l’efficacité et le professionnalisme afin de générer des produits de qualité. Elle a également permis la création, en 2001, d'une institution majeure, la Fédération nationale des producteurs avicoles (FNPA), qui, par ses efforts d’unification des organisations de producteurs, a fait du secteur avicole l’un des mieux organisés aujourd’hui au Sénégal.

18. Les poussées des importations sont souvent attribuées à un fléchissement des prix internationaux, mais cela n’a pas été le cas au Sénégal. Ainsi, la Figure 4 ne montre pas de lien entre les volumes mensuels d’importations de viande de volaille et la valeur unitaire à l’exportation des découpes de volaille provenant des États-Unis, qui est le prix de référence international le plus souvent utilisé pour les découpes de volaille. Parallèlement, la valeur moyenne par unité de volaille importée par le Sénégal est restée plus élevée que le prix international moyen des découpes de volaille, ce qui reflète le changement de composition des importations (volailles à la découpe ou volailles entières) et le coût du transport. Cette analyse n’établit pas un lien direct entre les importations et l’utilisation de subventions à l’exportation. La majeure partie des importations de volaille au Sénégal proviennent de l’Union européenne, mais cette dernière a éliminé les restitutions dans le cas des volailles entières destinées à l’Afrique en 1998 alors que des subventions pour les volailles découpées ont été consenties seulement pendant deux brèves périodes depuis 19996.

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19. On doit donc déduire que la baisse des prix internationaux et les subventions à l’exportation ne semblent pas être intervenues dans la croissance rapide des importations au Sénégal, tout du moins directement. Indirectement toutefois, des subventions à l’exportation, bien que destinées à d’autres régions, peuvent avoir un impact sur la région, par le biais d’effets de déplacement ou en limitant les augmentations des prix internationaux. L’analyse de ces liens dépasse toutefois la portée du présent document.

20. L’évolution des taux de change influe de manière sensible sur les importations. Au Sénégal, les poussées des importations sont probablement en partie imputables à la réévaluation régulière du franc CFA par rapport au dollar EU, qui est intervenue à partir du premier trimestre de 2002. Les données montrent que le taux de change du franc CFA par rapport au dollar EU était assez stable avant le début de 2002, s’établissant en moyenne à 733 francs CFA/dollar EU en 2000-01. En comparaison, le taux de change était de 560 CFA/dollar EU durant le dernier trimestre de 2003, soit une hausse de 22 pour cent.7 Le taux tarifaire ayant été maintenu, la marge protectrice antérieure a diminué de manière sensible sous l’effet de l’appréciation de la monnaie, ce qui a fortement encouragé les importations.

21. Il est probable que l’évolution du taux de change a également stimulé la croissance des importations de produits laitiers en 2002. Cependant, la nature segmentée du marché a limité l’incidence sur les prix, aussi bien géographiquement qu’entre produits. Contrairement à l’industrie avicole, il semble que le secteur de la production laitière locale se soit ajusté sans heurts à la situation car les importations de produits laitiers ont augmenté régulièrement pendant de nombreuses années et l’industrie nationale a eu le temps de s’adapter. La segmentation du marché pour divers produits, ainsi que les questions liées à la qualité, peuvent expliquer les différences de prix entre produits. Par ailleurs, certains produits locaux peuvent être plus onéreux que les produits importés, du fait de la préférence des consommateurs. Les importations de produits laitiers ont fait l’objet d’une couverture médiatique moins importante que celles de volaille et les diverses parties concernées ne perçoivent pas les deux catégories de produits de la même manière. Les préoccupations des producteurs et des transformateurs locaux ont cependant conduit à la création de la Fédération nationale des acteurs de la filière lait au Sénégal (FENAFILS) en septembre 2003.

22. On peut donc dire de manière générale qu’il existait des conditions favorables à une hausse des importations de viande de volaille au Sénégal, en particulier la réduction des restrictions d’importations et la réévaluation du taux de change. L’étude montre également que la croissance des importations a mis en évidence la vulnérabilité des exploitations commerciales. Cette vulnérabilité se manifeste par le manque de compétitivité de l’industrie et s'explique par d’autres raisons, dont : une mauvaise gestion, l’accès limité au crédit, l’inadéquation des infrastructures qui ne permet pas de conserver les produits, une mauvaise identification des débouchés commerciaux et l’absence d’organisation du marché local. Les effets négatifs des poussées des importations ont également été accentués par le manque de préparation de l’industrie à l’ouverture grandissante des marchés découlant des accords de commerce régionaux.

III. ÉTUDE DE CAS DE LA TANZANIE

23. Les marchés des produits alimentaires en Tanzanie ont profondément changé depuis que le pays a adopté des réformes répondant au marché au milieu des années 80. Les réformes relatives au régime du taux de change, à la libéralisation des échanges et à la libération des prix ont permis d’accroître les quantités et les types de produits alimentaires importés, y compris les produits d’élevage. La hausse des importations au milieu des années 90 a également été liée à une plus grande ouverture des marchés intérieurs, suite à l’application des accords de l’OMC.

24. Comme au Sénégal, le gouvernement et d’autres parties concernées se sont inquiétés du risque de voir l’augmentation des importations de volaille et de produits laitiers perturber la production locale. Le gouvernement, soucieux de l’impact des importations à bas prix sur les industries locales, a pris diverses mesures (Tableau 1) qui ont abouti à l'adoption d’un projet de loi présenté à l’Assemblée nationale en février 2004 dans le but de protéger l’industrie nationale contre le dumping de produits d’importation bon marché (et de qualité inférieure aux normes). Les partisans de la libéralisation des échanges soulignent, de leur côté, que les effets négatifs sont négligeables, en raison des faibles quantités importées et de la segmentation des marchés des produits locaux et importés.

Tableau 1: Chronologie des mesures prises par le gouvernement en faveur du secteur des produits d’élevage

ANNÉE

MESURES GOUVERNEMENTALES

1999

Diminution des tarifs d’importation conformément aux obligations de l’OMC; chute des tarifs douaniers de 40% à 25% sur la volaille et les produits laitiers.

Juil.-99

Abolition du droit de timbre sur les produits agricoles et sur les produits de l’élevage.

2000

Imposition d’un droit différé, à 25%, sur tous les produits laitiers importés.

Juil.-01

Abolition de la TVA sur les matériaux d’emballage du lait.

Juil.-02

Réduction d’un droit différé, de 25% à 20%, sur tous les produits laitiers importés; abolition d’un droit différé sur les produits laitiers (lait en poudre, fromage, yaourt, etc.).

Juil.-03

Réduction d’un droit différé, de 25% à 20%, sur les importations de lait frais.

Fév.-04

Adoption d’un projet de loi à l’Assemblée nationale visant à protéger l’industrie nationale contre le dumping de produits bon marché (et de qualité inférieure aux normes).

Fév.-04

Première présentation à l’Assemblée nationale du projet de loi sur la Commission du développement du secteur laitier national. Cette loi devrait être approuvée à la session du mois d’avril prochain.

25. L’analyse des questions relatives à la forte tendance à la hausse des importations de la volaille et des produits laitiers, et aux poussées des importations présentée dans le présent document s’inscrit dans ce contexte. Comme pour le Sénégal, les données ont été recueillies entre septembre 2003 et février 2004.

A. TENDANCES ET SOURCES DES IMPORTATIONS DE VOLAILLE

26. Les importations de viande de volaille en Tanzanie ont augmenté rapidement au cours des six dernières années puisqu’elles se sont multipliées par 81, passant de 6 tonnes en 1997 à près de 500 tonnes (Tableau 2)8. Selon les éleveurs et les transformateurs avicoles, qui assurent seulement un pour cent de la production intérieure, l’augmentation des importations serait à l’origine de la stagnation des prix de la volaille ces dernières années. L’industrie nationale est également confrontée à diverses difficultés, dont: des coûts de production élevés, la mauvaise qualité de l’alimentation animale et la lourde fiscalité (20 pour cent) sur les intrants de l’alimentation pour les animaux d’élevage, et surtout l’absence d’organisation représentant l’industrie avicole. Contrairement au secteur laitier, aucun groupe d’intérêt ou ONG d’influence ne soutient le secteur avicole.

Tableau 2: Importations de volaille et de produits laitiers en Tanzanie (tonnes)

 

Produits laitiers

Volaille

1997

3 469

6

1998

3 869

32

1999

5 565

163

2000

4 876

139

2001

3 942

380

2002

4 354

490

20031/

4 869

192


1/ Données douanières, incomplètes pour 2003

27. L’Afrique du Sud est le plus grand exportateur de volaille en Tanzanie (Figure 5). Cependant, les importations en provenance de l’Union européenne ont augmenté en 2001. Récemment, les Émirats arabes unis ont rapidement augmenté leur part de marché, en raison du point de transit majeur que représente le port franc de Dubai. Par type, les importations de volaille se composent d’abord de poulets entiers, puis de découpes de poulet et de dinde. À la différence des produits laitiers, les produits de la volaille importés se vendent surtout sur les principaux marchés urbains et dans les lieux à vocation touristique dotés de supermarchés et d’hôtels de tourisme.

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28. La majeure partie des produits importés est vendue à Dar es-Salaam, qui est le plus grand marché urbain du pays. Si l’on considère que 70 pour cent des importations de volaille (soit 350 tonnes) sont vendues à Dar es-Salaam, où l’on estime que la production annuelle de poulets de chair élevés sur des exploitations commerciales à partir de races améliorées s’élève à 510 tonnes par an9, les importations représenteraient environ 70 pour cent de cette part de marché spécifique.

29. Une ouverture générale de l’économie, dans le cadre en particulier des accords de commerce régionaux (Communauté de développement de l’Afrique australe-SADC et Communauté de l’Afrique orientale-CAO), a stimulé une hausse des importations, y compris en provenance de la région. Les liens de commerce régionaux ont été également consolidés par l’accroissement des investissements transfrontaliers réalisés par des supermarchés, des hôtels, des sociétés minières et des institutions financières d’Afrique du Sud en Tanzanie à la fin des années 90 et au début des années 2000. Ces dernières années, les droits NPF appliqués aux découpes de volaille s'élevaient en général à quelque 25 pour cent alors que le taux appliqué aux produits de la CAO était de 5 pour cent, ce qui est nettement inférieur. Des droits préférentiels similaires pour les pays membres de la SADC entreront en vigueur en juillet 2004. Tous ces facteurs ont contribué à accroître les importations régionales en Tanzanie.

30. Dans certains cas, les hôtels locaux ont une politique d’achat de volailles locales; toutefois, en raison de l’usage généralisé d’antibiotiques, des échantillons des produits locaux sont envoyés au Kenya pour être testés en laboratoire, ce qui fait augmenter le prix de la volaille locale. La demande soutenue des détaillants urbains, associée à la production cyclique due à la saison des pluies, explique la nature saisonnière des importations de volaille, dont le volume est particulièrement élevé durant le premier semestre de l’année et atteint son maximum en juin.

B. TENDANCES DES IMPORTATIONS
– PRODUITS LAITIERS

31. Les importations de produits laitiers en Tanzanie ont progressé de 40 pour cent, passant de 3 469 tonnes en 1997 à 4 869 tonnes en 2003. Avant l’imposition d’un droit différé, à 25 pour cent (auquel s’ajoute un tarif d’importation de 25 pour cent), les importations de produits laitiers s’élevaient à 5 565 tonnes en 1999. Les principaux produits laitiers importés sont le lait en poudre (entier et écrémé), puis le lait concentré et le lait UHT (Figure 6). Le fromage, le beurre et le yaourt sont également importés. Ces produits risquent de concurrencer le lait frais vendu sur le marché, notamment à Dar es-Salaam et dans d’autres centres urbains.

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32. Selon les statistiques douanières, 27 pays ont importé des produits laitiers en 2003: l’Afrique du Sud tout d’abord (22 pour cent du total), suivie du Kenya (21 pour cent), des Pays-Bas (14 pour cent) et du Zimbabwe (8 pour cent). Dans l’ensemble, les importations de l’Union européenne ont représenté 20 pour cent du total.

33. Les importations de produits laitiers ont fléchi au début des années 90, du fait des changements structurels apportés au secteur laitier à la suite de la privatisation des sociétés publiques. La tendance à la baisse s’est toutefois inversée depuis 1997. Selon certaines parties concernées, l’accroissement du volume des importations a eu une influence sur les prix intérieurs des produits qui ont stagné ou qui se sont effondrés.

C. INCIDENCE SUR LE MARCHÉ ET OBSERVATIONS GÉNÉRALES

34. Les importations de produits de volaille et de produits laitiers en Tanzanie sont négligeables par rapport au volume total de la production. Une analyse comparant la part commercialisée de la production intérieure sur des marchés urbains et des marchés de niche ciblés montre cependant que les importations jouent un rôle important et qu’elles pourraient avoir des retombées négatives sur la croissance de la production et des industries de transformation nationales.

35. Ces préoccupations reposent sur le fait que les coûts de production et de transformation sont relativement plus élevés en Tanzanie que dans certains pays partenaires commerciaux et sources d’importations, y compris ceux dont les agriculteurs bénéficient de subventions considérables. Le problème se complique parfois avec les préférences des consommateurs pour les produits importés qui sont perçus comme étant supérieurs. Contrairement au Sénégal, la hausse des importations ne peut être attribuée à l’évolution du taux de change; le shilling tanzanien s'est déprécié de manière progressive et régulière au cours des six dernières années.

36. En ce qui concerne le sous-secteur de la volaille, malgré la nature saisonnière de la concurrence et des indications générales qui montrent l’incidence minime des importations sur le marché local, les transformateurs et les producteurs urbains de viande de volaille se plaignent des effets négatifs des importations sur les prix intérieurs. Ils considèrent que les produits importés menacent le développement de l’industrie de transformation nationale. Ce secteur, tout comme les intervenants publics, admettent cependant que les petits éleveurs de volaille éprouvent des difficultés à accéder aux marchés de niche que représentent les supermarchés et les hôtels de tourisme car ils n’adhèrent pas toujours aux normes de sécurité sanitaire et de qualité. Trois petites usines de transformation produisent des découpes standard (poitrine, ailes, gésiers, pilons, etc.), mais il n’existe aucune usine de désossage pour fournir d’autres produits, tels que des steaks, des brochettes ou des samoussas de volaille, recherchés par les hôtels de tourisme et les consommateurs bénéficiant d’un revenu élevé. C’est à cette demande que répondent les importations de volaille.

37. Les consommateurs tanzaniens préfèrent en général acheter des volailles entières ou des poulets de chair vivants. Les poulets de chair, fournis par des éleveurs locaux, sont vendus par des petits détaillants qui possèdent généralement un ou deux réfrigérateurs et qui sont régulièrement approvisionnés en viande de volaille par les producteurs. Les supermarchés, qui constituent un phénomène relativement récent en Tanzanie, concurrencent les petits détaillants car ils ciblent des ménages dans les zones les plus peuplées. Contrairement aux hôtels, les supermarchés importent donc plus de volailles entières que volailles découpées. La croissance des importations fait clairement ressortir les faiblesses de l’industrie de transformation nationale. Étant donné que les poulets de chair élevés sur des exploitations commerciales représentent près de la moitié des 47 millions de volailles de la Tanzanie, le risque de substitution et d’incidence sur le marché est réel. Toutefois, les données de prix et de production pour les zones rurales et urbaines qui auraient permis de quantifier cette incidence n’étaient pas disponibles.

38. Dans le sous-secteur des produits laitiers, la quantité de lait produit localement qui entre effectivement en concurrence avec les produits importés est un indicateur précieux pour évaluer l’incidence potentielle des poussées des importations. Au cours des six dernières années, les importations de tous les produits laitiers en Tanzanie se sont établies, en moyenne, à 34 millions de litres par an, en équivalent lait, ce qui représente 18 pour cent du total de la production intérieure de lait, soit 188 millions de litres par an. Ce volume peut paraître assez faible par rapport à la production intérieure, mais une comparaison plus juste consiste à mesurer la part de la production locale entrant en concurrence avec les produits importés. Si l’on utilise le volume commercialisé (67 pour cent de la production) comme dénominateur, la part des importations s’élève à 27 pour cent. Si l’on compare les importations au total de la production intérieure de lait transitant par des marchés réglementés/autorisés (27 pour cent), la part des importations représente alors 40 pour cent. Enfin, si l’on compare les importations à la quantité de lait produit dans le pays et transformée localement, on obtient le niveau extrêmement élevé de 90 pour cent. Si l’on tient compte du fait que la majeure partie des produits importés sont vendus sur les marchés urbains, en particulier à Dar es-Salaam (bien qu’il soit de plus en plus souvent possible de se procurer également du lait et des produits laitiers sur les marchés ruraux), la part des importations de produits laitiers sur les marchés urbains est en réalité très importante.

39. Une analyse saisonnière des importations des produits laitiers montre qu’il existe deux périodes de pointe (avril-mai et novembre-décembre) et une période creuse (août). Le rythme des importations ne correspond pas exactement à la production intérieure, dont le point culminant se situe durant la saison des pluies (mars-juin). Le lait en poudre, utilisé principalement par les transformateurs locaux pour reconstituer du lait de consommation, représente la plus grande part des produits importés (71 pour cent en 2002). Ce type de produit peut concurrencer la production intérieure de lait cru et de lait transformé, en particulier sur les marchés urbains. La Tanzanie produit relativement peu de fromage de qualité, mais l’on peut facilement trouver du beurre de fabrication locale. La notion de marchés de spécialité pour le beurre est donc exclue. Les détaillants, tels que les supermarchés, les magasins et les commerçants, vendent côte à côte du lait et des produits laitiers locaux et importés, ce qui est un signe de concurrence. Compte tenu du réacheminement de certains produits laitiers par des ports francs comme Dubai, il est difficile de recenser toutes les sources de produits laitiers entrant en Tanzanie.

40. En ce qui concerne l’incidence potentielle des importations au niveau des ménages, alors que la hausse des produits importés peut entraver le développement du secteur de la transformation, les enquêtes réalisées auprès de ménages montrent qu’un faible pourcentage seulement des ménages agricoles tanzaniens tirent leur principale source de revenu de l’élevage de volaille, qui représente, en moyenne, moins d’un pour cent de leurs revenus10, un chiffre qui atteint 6 pour cent lorsque l’on tient compte de l’élevage, dans sa totalité, y compris de la production de lait et de produits laitiers. Étant donné qu’environ 20 pour cent seulement des 47 millions de volailles de la Tanzanie (dont 20 millions seulement de poulets de chair produits sur des exploitations commerciales) sont vendus dans les centres urbains, la pénétration restreinte des importations de volaille sur les marchés secondaires implique que la hausse des importations des produits de la volaille et la stagnation des prix de la volaille n’ont qu’une incidence limitée sur les moyens d'existence des petits producteurs.


Encadré 1: Le point de vue des parties prenantes au Sénégal et en Tanzanie

Parties prenantes

Les diverses parties concernées dans les secteurs de production avicole et laitière des deux pays perçoivent l’incidence des poussées des importations de manière légèrement différente. D’après les transformateurs locaux de lait et de volaille (et dans une moindre mesure, les agriculteurs, le gouvernement, les ONG et les chercheurs), la libéralisation des échanges et l’OMC ont porté préjudice aux marchés intérieurs.

Les grossistes (importateurs), les détaillants et les transformateurs de lait de consommation et de produits laitiers n’ont pas la même opinion. Ils sont en effet favorables à la poursuite d’un régime de commerce libéral, et ceci pour deux raisons. Tout d’abord, les quantités importées sont peu importantes par rapport à la production intérieure et ont donc un effet négligeable sur les prix intérieurs. Compte tenu du caractère saisonnier de la production nationale, notamment dans le secteur laitier, il est indispensable de recourir à des importations pour que les usines de transformation puissent continuer à fonctionner durant la basse saison. Ensuite, les marchés pour les produits locaux et importés sont segmentés et il n’y a pas de chevauchement sur le plan ni géographique, ni saisonnier, ni des consommateurs. Les importations coïncident à la basse saison de la production intérieure, ciblent les marchés urbains qui ne sont pas suffisamment approvisionnés en raison de l’éloignement des zones de production, et/ou répondent à la demande des consommateurs bénéficiant d’un revenu élevé, dont les expatriés, et des hôtels de tourisme qui recherchent des produits de spécialité, tels que le fromage, le beurre et les découpes de volaille, qu’ils ne peuvent se procurer localement.

Dans les deux pays, plusieurs fonctionnaires et commerçants pensent que les producteurs de volaille ne sont pas compétitifs pour diverses raisons, en particulier – dans le contexte de la concurrence avec les importations – par manque de capacités de transformation efficaces. L’impossibilité d’offrir des produits plus élaborés en concurrence des importations est un handicap majeur. D’autres facteurs incluent une mauvaise gestion et le coût élevé de l’alimentation animale et d’autres intrants. La concurrence est également compromise par le caractère saisonnier de la production et par la difficulté d’accéder aux marchés, la distance entre producteurs et consommateurs pouvant être très importante. L’une des stratégies susceptibles de surmonter cet obstacle serait de transformer les produits de manière à prolonger leur durée de conservation et de les diversifier pour accéder à des segments de marché en expansion.

Il semble qu’il y ait un consensus sur le fait que la hausse des importations de viande de volaille entrave effectivement le développement du secteur de la transformation et de ce fait, limite les débouchés commerciaux. L’un des acteurs concernés a notamment fait remarquer que le secteur agro-alimentaire n’en n’est qu’à ses premiers pas et qu’il doit être protégé contre la concurrence des importations de produits agricoles bon marché.

Actions des gouvernements

Il ressort de certaines nouvelles orientations politiques et de certains entretiens avec des fonctionnaires que les gouvernements des deux pays répondent aux pressions qui cherchent à protéger les tarifs douaniers en vue d'atténuer les retombées négatives sur les industries nationales. En Tanzanie, l’industrie laitière a réussi à obtenir une hausse des tarifs sur le lait et les produits laitiers. Ce groupe se compose essentiellement de transformateurs locaux de lait frais alors que les transformateurs de lait de consommation (à partir du lait en poudre importé) demandaient une réduction des tarifs. En 2000, le gouvernement avait imposé un droit différé, à 25 pour cent, sur l’ensemble du lait et des produits laitiers importés, ce qui a entraîné une augmentation des droits de douane de 50 pour cent. Ce droit différé a été ultérieurement ramené à 20 pour cent en juillet 2003.

Au Sénégal, l’incidence des importations de lait sur la production locale n’a pas fait l’objet d’une couverture médiatique aussi importante que celles de volaille. Fin 2002, sous l’effet de l’émergence d’un groupe représentant les professionnels de l’industrie avicole et de groupes de pression, les importations de volaille ont été suspendues pendant une brève période. Le gouvernement, de toute évidence soucieux d’agir légalement par rapport à l’OMC et inquiet de la perte des recettes de douane tirées des importations de volaille, a ensuite levé cette interdiction. Le total des recettes de douane dérivées de l’ensemble des produits génère environ 40 pour cent du total des recettes publiques du Sénégal, les importations de volaille et de produits laitiers apportant une contribution considérable de 5 et 12 milliards de francs CFA respectivement.
 

IV. ÉVALUATION ET IMPLICATIONS DES POLITIQUES GÉNÉRALES

A. ÉVALUATION

41. De nombreux pays en développement partagent un certain nombre de préoccupations liées à l’incidence de plus en plus marquée des poussées des importations des produits alimentaires de base sur les marchés locaux et sur la production locale. Cette question occupe également une place importante dans les deux études de cas réalisées dans le cadre du présent document. Au Sénégal, le gouvernement a demandé à l'OMC une dérogation valable jusqu’en 2005, en vue de maintenir des prix de référence minimums pour les importations de divers produits, précisément pour les raisons citées ci-dessus. En accordant cette dérogation, les membres de l’OMC montrent qu'ils comprennent le problème. De même, en Tanzanie, cette question a fortement attiré l’attention de toutes les parties concernées, y compris le gouvernement. On a d’ailleurs appris que les deux gouvernements avaient déjà demandé que des analyses soient réalisées sur les conséquences des poussées des importations.

42. Il est difficile de mesurer l’impact des poussées des importations mais de simples études de cas font ressortir certaines questions fondamentales. Les deux études effectuées dans le cadre du présent document montrent que l’impact varie sensiblement selon le contexte et les produits. Au Sénégal, il est ainsi clairement apparu que les brusques accroissements d’importations avaient eu des effets négatifs sur l’industrie de la volaille de chair, ce qui n’a pas été le cas pour les produits laitiers. En effet, les importations de produits laitiers, bien qu’élevées, ont augmenté régulièrement sur une période plus longue, ce qui a permis à l’industrie locale de s’adapter. En Tanzanie, les poussées des importations ont eu certaines retombées négatives sur le sous-secteur laitier, mais des effets limités sur celui de la volaille. Dans les deux pays, la croissance rapide des importations de volaille a mis également en exergue le manque de capacité de l’industrie de transformation nationale à concurrencer les produits importés, notamment face à l’élévation rapide de la demande des supermarchés et des hôtels pour des produits plus élaborés que ne peut fournir l’industrie locale.

43. Dans les deux études, sauf dans le cas du secteur laitier au Sénégal, les importations représentent une quantité relativement faible par rapport à la production intérieure. On pourrait donc en conclure à une faible incidence. Il s’est pourtant avéré que les produits importés sont principalement vendus dans les villes, où la part des importations est beaucoup plus élevée. La segmentation des marchés urbains et ruraux semble être un facteur important pour évaluer les retombées, qui peuvent être considérables sur des marchés commerciaux localisés, mais beaucoup plus faibles dans les zones rurales. Cette observation soulève le problème de la capacité des producteurs nationaux à approvisionner les marchés urbains en expansion, en particulier en produits plus élaborés. Il faudrait toutefois étudier cette question de manière plus rigoureuse à l’aide de techniques économétriques.

44. Il est communément admis que les poussées des importations sont souvent liées à des pratiques commerciales déloyales, notamment les subventions à l’exportation. Les études de cas montrent qu’on ne peut pas toujours appliquer cette généralisation et que d’autres facteurs ont autant, ou plus, d’importance, comme la réduction des tarifs et l’évolution du taux de change. Les subventions à l’exportation peuvent toutefois jouer un rôle non négligeable. Selon les données commerciales, le Sénégal et la Tanzanie ont tous deux importé des produits avicoles et du lait en poudre en provenance de l’Union européenne ces dernières années. On estime en fait que celle-ci fournit la moitié des importations de lait en poudre, soit près de 250 000 tonnes, à l’Afrique. En 2003, les subventions à l’exportation de l’Union étaient, en moyenne, de 640 dollars EU la tonne pour le lait en poudre écrémé et de 1 120 dollars EU la tonne pour le lait en poudre entier. Tous les produits à base de lait en poudre exportés par l’Union européenne sont subventionnés, ce qui n’a pas été souvent le cas pour les exportations de volailles (entières ou à la découpe) à destination de l’Afrique, laquelle n’est pas l’une des zones ciblées pour la restitution de l’UE, même si des subventions pour l’exportation de volailles à la découpe ont pu être périodiquement consenties. Par ailleurs, il est difficile de déterminer clairement l’origine des produits importés par la Tanzanie en provenance des Émirats arabes unis, où arrive une partie des exportations subventionnées de l’UE. Les subventions américaines pour la viande de volaille n’ont été appliquées que périodiquement au cours des 10 dernières années et ne concernaient que l’exportation de volailles entières à destination de certains pays du Moyen-Orient.

45. Enfin, le présent document montre que le gouvernement et les autres parties prenantes ne sont pas nécessairement dogmatiques en matière d’application d’obstacles tarifaires face à la forte tendance à la hausse des importations et à leurs brusques augmentations. Ainsi, au Sénégal, la réduction des tarifs et la croissance des importations ont porté un grave préjudice aux sous-secteurs de la volaille de chair, mais le gouvernement n’a imposé aucune restriction commerciale. Un grand nombre d’éleveurs se sont alors détournés de la production de poulets de chair pour s’orienter vers l’élevage de poules pondeuses. Le débat qui a suivi a également attiré l’attention publique sur la nécessité de moderniser, de professionnaliser et de rendre compétitive l’industrie de la volaille de chair au Sénégal. Certains acteurs concernés, dont le gouvernement, semblent considérer qu’il s’agit là d’un ajustement souhaitable.

46. Le défi, pour le gouvernement, consiste à identifier les facteurs qui sous-tendent les poussées des importations et à définir si les causes sont d’origine structurelle ou fondées sur des perturbations brutales du marché à court terme induites par un changement de production intérieure ou par le bouleversement des marchés internationaux. Les conséquences de ces perturbations doivent être également estimées en évaluant la compétitivité de divers sous-secteurs, avant de déterminer des périodes d’ajustement nécessaires et de mettre en œuvre des politiques de soutien. Les mesures commerciales correctives sont conçues pour répondre à des problèmes ponctuels.

B. IMPLICATIONS DES POLITIQUES GÉNÉRALES

47. À la lumière des principales observations précédentes, les conclusions du présent rapport sont regroupées dans trois sections: les politiques nationales; les négociations de l’OMC; et les domaines exigeant une analyse plus approfondie.

Politiques nationales

48. Les poussées des importations et des phénomènes similaires qui se produisent sur les marchés internationaux ne disparaîtront pas, même si des négociations commerciales multilatérales écartent toutes les formes de pratiques commerciales “déloyales”, comme le montre le cas des produits non agricoles où un grand nombre des distorsions admises par les règles de l’OMC en agriculture ne sont pas tolérées. Il est donc essentiel que les pays renforcent leurs capacités à faire face à ces perturbations. À cet égard, les pays en développement, dont le Sénégal et la Tanzanie, devraient porter une attention particulière aux points suivants:

Négociations de l’OMC

49. L’Accord sur l’agriculture contient deux éléments directement liés à la présente discussion.

Besoins analytiques

50. L’une des observations générales faites au cours de l’étude concerne le très faible nombre d’études analytiques ayant trait à l’impact des poussées des importations alors que le phénomène suscite des préoccupations et un intérêt largement partagés. En fonction de cette étude, les domaines prioritaires suivants pourraient faire l’objet d’un complément de recherche et d’analyse:

__________________________

1 Politiques commerciales et évolution des importations de produits agricoles dans le contexte de la sécurité alimentaire, document CCP/03/10, soixante-quatrième session du Comité des produits, 18-21 mars 2003, FAO Rome.

2 La dévaluation du franc CFA en 1994-1995 s’est traduite par une croissance beaucoup moins marquée en dollars EU.

3 Union économique et monétaire ouest-africaine. Créée en 1994, l’Union a pour membres le Bénin, le Burkina-Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger, le Togo, le Sénégal et la Guinée-Bissau.

4 Dans le cadre de l’Accord de l’OMC sur les évaluations en douane.

5 Le Sénégal a choisi de consolider les droits de douane, sans voie de “tarification”, dans sa liste par pays de l’OMC, et ne peut donc recourir à la sauvegarde spéciale, d’utilisation simple, prévue dans l’Accord sur l’agriculture.

6 Une fois entre décembre 2001 et avril 2002 et une autre fois entre octobre 2002 et avril 2003. Sauf en janvier 2002, les restitutions ont été limitées à 50 euros la tonne.

7 De simples calculs fondés sur la moyenne des prix d’exportation de la volaille du Brésil et des États-Unis montrent que le Sénégal aurait dû appliquer un tarif de 27 pour cent à la fin 2003 pour maintenir le niveau nominal de protection des prix en vigueur en 2000-01. En d’autres termes, si le tarif avait été de 20 pour cent en 2000-01, il aurait fallu appliquer un tarif de 47% fin 2003 pour garantir le même niveau de protection. Il aurait été nécessaire d’acrroître le tarif de 31% si le prix des exportations de volaille n’avait pas augmenté d’environ 4 pour cent au cours des deux périodes. Cet exemple montre également que le niveau nominal de protection de 2000-01 aurait pu être maintenu, même avec la réévaluation de la monnaie, si les prix internationaux d’exportation de volaille avaient progressé d’environ 20 pour cent au lieu de l’augmentation réelle, qui est de 4 pour cent seulement.

8 Les parties concernées s’accordent à penser que les statistiques enregistrées sous-estiment les importations de volaille, du fait d’une sous-facturation, de la fraude fiscale et d’échanges transfrontaliers officieux.

9 Le marché de Dar es-Salaam offre le plus grand nombre de poulets de chair issus de races améliorées (22 pour cent des stocks nationaux), soit 127,6 tonnes de viande de volaille fournies par des élevages commerciaux. Avec une hypothèse de 4 rotations par an, la production annuelle de poulets de chair s’élève à 510 tonnes.

10 Enquête élargie sur l’agriculture, 1995/96.