COAG/2005/6


COMITÉ DE L’AGRICULTURE

Dix-neuvième session

Rome, 13 - 16 avril 2005

Le secteur de l’élevage à l’heure de la mondialisation: incidence des marchés en mutation

Point 6 de l’ordre du jour provisoire

Table des matières



I. Introduction

1. À sa vingt-neuvième session, en mai 2003, le Comité de la sécurité alimentaire mondiale1 a identifié le commerce international comme un élément affectant la sécurité alimentaire et la sécurité sanitaire des aliments et a recommandé que la FAO « documente et analyse la façon dont le commerce international et les distorsions commerciales affectent la sécurité alimentaire des pays ». À sa dix-septième session, en 2003 également2, le Comité de l’agriculture a noté la nécessité de renforcer la capacité d'accès aux marchés des petits exploitants.

2. Le commerce international est un élément important d'un phénomène plus vaste connu sous le nom de mondialisation. On peut considérer la mondialisation comme une intégration des économies par le biais des échanges commerciaux, des flux financiers, des échanges de savoir et d'idées et de la circulation des personnes. La mondialisation du secteur de l'élevage se manifeste par un accroissement des flux internationaux de bétail, de produits animaux et de capitaux, par des échanges d'informations et de technologies, une omniprésence de normes toujours plus contraignantes et par des changements structurels favorisant la concentration et l'intégration du secteur. En tant que telle, la mondialisation peut affecter le fonctionnement des marchés nationaux du bétail.

3. Le secteur de l'élevage, qui repose depuis toujours sur des ressources locales, assure la subsistance de quelque 600 millions de paysans pauvres. La présente communication décrit l'évolution du secteur sous l'effet de la mondialisation et l'influence que celle-ci exerce dans les pays en développement, sur les petits éleveurs, les négociants et les spécialistes de la transformation des produits. Pour ce faire, elle:

4. Enfin, le but de la présente communication est d'obtenir du Comité de l’agriculture des orientations quant au degré de priorité à assigner aux incidences connexes de la mondialisation du secteur de l'élevage sur l'élément social, la santé publique et l’environnement, ainsi que sur les approches que la FAO et les pays membres devront suivre, au niveau technique comme sur le plan des politiques, pour faire face à ces conséquences.

II. Mondialisation des marchés

Flux internationaux de bétail et de produits animaux

5. La production animale des pays en développement n'a cessé de croître en volume depuis le début des années 80, qu'elle soit destinée à la consommation locale ou à l'exportation. D'autre part, la consommation de viande et de lait a progressé dans le monde. Cette augmentation est attribuable pour une bonne part à la croissance que connaissent les pays en développement et la hausse de la consommation de volaille et de porc de ces pays a été particulièrement marquée (190 et 160 pour cent respectivement entre 1983 et 1997). En 1980, la population des pays en développement représentait 76 pour cent de la population mondiale et consommait un tiers de la viande et du lait produits dans le monde. On estime que, d'ici 2020, ces chiffres pourraient passer à 80 pour cent de la population mondiale et à deux tiers de la consommation directe de viande et 60 pour cent de la consommation de lait.

6. La production animale destinée au commerce international est passée de 4 pour cent au début des années 80 à quelque 10 pour cent aujourd’hui. Des pays en développement figurent parmi les 20 plus gros exportateurs et importateurs, en valeur3, de produits animaux, c’est-à-dire: animaux vivants et viande de bovins, d’ovins, de caprins, de porcins, de cheval, de poulets et de canards, lait de vache frais et condensé, et aliments pour le bétail (bovins et porcins). Les importations en grandes quantités se composent de viande de bovins, d’ovins, de poulets et de canards, de lait de vache frais et en poudre, de ghee, d'aliments pour animaux et de bovins, caprins, ovins, buffles et poulets vivants. Les accords commerciaux régionaux comptent de plus en plus pour le maintien des échanges avec les pays voisins et pour la réalisation d'un potentiel d'économies de gamme et d'échelle pour leurs membres présents sur les marchés internationaux. Les importations des pays industrialisés, quoique importantes en volume et en valeur, sont stables et ne font intervenir que quelques partenaires commerciaux des pays en développement.

7. La croissance démographique et la hausse des revenus ont fait augmenter la demande. Dans les zones urbaines des pays en développement, la progression du pouvoir d'achat et l'émergence d'une classe moyenne exercent une influence à la fois sur le volume de la demande de produits animaux et sur le type et la qualité des produits demandés.

8. La libéralisation des marchés internationaux, avec la baisse des tarifs douaniers4 qui l'accompagne, la « tarification5 » des barrières non tarifaires applicables à certains produits et l'entrée de nouveaux membres dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC) devraient favoriser la mondialisation du secteur de l'élevage en uniformisant les règles du jeu pour tous les partenaires commerciaux. Mais, concrètement, si l'impact de l'Accord agricole est d'une interprétation difficile, on constate néanmoins que les règles ne sont toujours pas les mêmes pour tous. Les pays en développement ont bénéficié de clauses d'accès préférentiel aux marchés et de calendriers d'abaissement des tarifs douaniers plus longs, mais ces concessions sont à mettre en rapport avec le fait qu'avant le Cycle d'Uruguay, leurs tarifs douaniers étaient souvent inférieurs à ceux des pays développés. De plus, même après les ajustements opérés par le système de la « tarification », on constatait dans les pays développés des taux extrêmement élevés pour les produits laitiers et la viande. Des barrières non tarifaires subsistent (et semblent se multiplier) sous la forme de critères et de règlements qui, actuellement, relèvent principalement de la santé animale et de la sécurité des produits alimentaires mais pourraient, à l'avenir, concerner d'autres éléments, comme le bien-être des animaux et les préoccupations environnementales.

9. Le rapport entre épizootie et mondialisation est double. Conformément aux principes d'équivalence énoncés dans l'Accord sanitaire et phytosanitaire (SPS) de l'OMC, il est plus facile à des pays ayant des statuts similaires en matière de maladie animale de commercer ensemble qu’à des pays ayant des niveaux sanitaires différents. S'agissant des marchés des pays industrialisés, les critères de lutte contre les maladies constituent de sérieux obstacles à l'entrée dans le pays. Par ailleurs, l'allongement des chaînes de marché et l'éloignement des sources d'approvisionnement en produits venant d'aires géographiques plus vastes augmentent le risque de diffusion des maladies et compliquent encore le défi de la traçabilité. L'apparition de maladies transfrontières (fièvre aphteuse, péripneumonie contagieuse bovine) et de nouvelles menaces (peste aviaire hautement pathogène) déstabilisent les marchés nationaux et les organisations de commerce régional de même que les échanges internationaux.

Flux financiers

10. L'investissement étranger ou investissement extérieur direct émanant de grands groupes de distribution (chaînes de supermarchés ou de restauration rapide et entreprises de transformation de produits alimentaires) constitue un apport financier important pour le secteur de l'élevage des pays en développement. Des conditions politiques et économiques stables, combinées à des mesures d'incitation à l'investissement, en Amérique latine et dans les pays d'Asie et d'Afrique, ainsi que la saturation des marchés aux États-Unis et dans l'Union européenne ont créé un climat propice à une expansion mondiale des grandes chaînes de distribution. Bien que le phénomène ne date que de dix à quinze ans, une fois en place, ce grand marché de la distribution s'est développé à un rythme accéléré.

11. Le développement des grandes surfaces est un exemple de l'interaction entre l'investissement étranger et la mondialisation des marchés du bétail. Au début des années 90, elles étaient pratiquement absentes des pays en développement, mais elles se sont multipliées très rapidement depuis. Bien que l'expansion n'ait pas suivi un schéma identique partout, elle semble généralement se produire par « vagues » successives, par un développement des commerces de gros, d'abord, puis des grands magasins locaux et des chaînes nationales ensuite, et enfin par la création de chaînes multinationales et la consolidation des chaînes nationales. Les supermarchés ont gagné du terrain et ils représenteraient 55 pour cent du commerce national de l'alimentation de détail en Afrique du Sud, en Argentine, au Chili, aux Philippines et au Mexique. L’accroissement le plus sensible concerne les fruits et légumes, mais les ventes englobent également le lait, la viande et les produits laitiers. En Chine, on estime à plus de 40 milliards de dollars le chiffre d'affaires annuel des supermarchés, qui s'approvisionnent principalement dans le pays et représentent 35 pour cent des ventes de produits alimentaires en milieu urbain, un chiffre en rapide progression d'ailleurs. Dans les grandes villes et les villes moyennes (20 pour cent du marché), les supermarchés représentent 40 à 50 pour cent des ventes totales de lait.

Diffusion des idées et des technologies

12. L'innovation technologique a permis la conservation des produits de l'élevage (lait en poudre, viande surgelée, semence) tandis que l'amélioration des infrastructures de transport permet de transporter ces produits rapidement sur de longues distances et prolonge les filières commerciales au-delà des frontières nationales.

13. La diffusion internationale de l'information est le résultat des voyages, de la télévision, du cinéma, de l'Internet et de l'expansion des sociétés internationales de commerce de détail. La convergence des régimes alimentaires, c’est-à-dire que les mêmes produits sont demandés dans de nombreux pays, semble en être une conséquence. La circulation des idées en matière de nutrition et de préférences alimentaires n'a pas été à sens unique et, dans les villes du monde entier, on voit s'élargir la gamme des produits et recettes en provenance de nombreux pays.

14. Les recommandations nutritionnelles fournies par des organisations internationales comme la FAO auraient, si elles étaient adoptées, une influence sur le commerce international. Les chiffres présentés à la dix-huitième session du Comité de l’agriculture6 indiquent que si les consommateurs nantis suivaient les recommandations et limitaient leur consommation de matière grasse et si la consommation de produits animaux augmentait chez les pauvres, la production, la transformation et les flux mondiaux de produits animaux s'en trouveraient affectés. Dans les pays les plus pauvres, la consommation moyenne de produits animaux est inférieure aux niveaux recommandés alors que, dans les pays développés, l'obésité est considérée comme un problème croissant. On constate déjà un retour spontané à des schémas de consommation plus sains chez certains consommateurs de la classe moyenne urbaine des pays développés, bien que ceux-ci ne représentent qu'une part limitée de la population totale.

15. La diffusion de l'information relative aux zoonoses animales peut rendre les marchés mondiaux plus volatils en influençant brusquement les préférences des consommateurs pour des viandes de différentes espèces ou de différentes sources (l'encéphalopathie spongiforme bovine, par exemple, a influé négativement sur la consommation de bœuf. Dans les pays touchés par la peste aviaire, on a fermé les marchés d'exportation de la volaille et de nombreux consommateurs locaux se sont tournés vers d'autres viandes, comme le porc).

III. Impact de la mondialisation des marchés

16. La mondialisation des marchés du bétail est évidente à trois niveaux:

    1. Des chaînes commerciales internationales fournissent des produits animaux provenant d'un pays exportateur aux détaillants et aux consommateurs d'un autre pays. Ces chaînes sont contrôlées par de grandes entreprises de distribution, comme des supermarchés, ou par des sociétés d'import spécialisées dans certaines denrées en particulier.
    2. Les chaînes créées par l'investissement extérieur direct. Il s'agit de chaînes de commercialisation intégrées verticalement qui approvisionnent un marché local et principalement urbain. Elles sont en général contrôlées par de grands groupes de distribution, comme des chaînes nationales ou internationales de supermarchés ou de restauration rapide.
    3. Les marchés nationaux sont affectés par la mondialisation. L'influence de la mondialisation sur la demande et le comportement du consommateur a entraîné des réactions des chaînes commerciales nationales autres que les chaînes verticalement intégrées. C'est notamment le cas des sociétés de transformation des produits laitiers, des chaînes de restauration rapide et de restaurants qui ont développé et accru la diversité des produits mis sur le marché, alors qu'elles ne font pas partie de chaînes verticalement intégrées.

La mondialisation peut favoriser une interaction entre le marché international et les marchés nationaux. Des flux de produits et des mouvements de personnes se produisent d'un marché à l'autre. Sur les marchés de la volaille, par exemple, tous les morceaux ne sont pas exportés et ceux qui ne sont pas demandés à l'exportation sont vendus sur le marché national. Dans certains pays d'Asie du Sud-Est, les producteurs de porcs se tournent vers le marché national ou vers les marchés régionaux en fonction des prix relatifs en vigueur à certains moments de l'année.

Bien que ces marchés ne soient pas identiques, ils présentent des similitudes dans leurs critères et leur impact, en particulier dans les deux premiers cas.

Avantages

17. La mondialisation des marchés permet d'augmenter le revenu national et de créer de l'emploi. Pour les producteurs et les négociants, le développement du marché national est source de flexibilité et d'une diversité accrue de moyens de subsistance.

18. Le fait d'investir dans la lutte contre les maladies animales peut avoir pour effet d'élever les normes des services nationaux de santé animale et d'abaisser les coûts des maladies cliniques et subcliniques. Les consommateurs peuvent profiter des normes de sécurité sanitaire des aliments s'ils se fournissent auprès de grands distributeurs ou si les normes de sécurité des aliments imposées pour le marché d'exportation entraînent un relèvement des normes du marché national. Les normes de sécurité et de qualité d'une chaîne commerciale finissent pas influencer les autres parce que les consommateurs s'habituent à des normes plus strictes et que les producteurs passent d'un marché à l'autre.

19. Dans certains cas, la présence de grands groupes de distribution peut faire baisser les prix demandés aux consommateurs. En Chine, par exemple, la multiplication de supermarchés a brisé le monopole des producteurs laitiers locaux, a fait baisser les prix des produits laitiers et a permis d’apporter une plus grande variété de produits.

20. Les risques peuvent être réduits moyennant des clauses contractuelles conçues à cet effet. Par ailleurs, les critères de sécurité et de qualité facilitent le développement du marché et sa pénétration. En l'absence de normes, les détaillants doivent s'intégrer verticalement parce que ce sont eux qui doivent assurer la qualité et la sécurité. Quand les normes sont largement appliquées, une intégration verticale ne s'impose pas nécessairement.

21. Un élément tout aussi important est que l'intérêt du secteur privé pour la normalisation peut s'avérer bénéfique s'il participe au coût des adaptations institutionnelles et techniques requises pour la mise en place de normes efficaces.

Normes et règlements

22. La réglementation de la santé animale et de la sécurité sanitaire des aliments est en général stricte dans le cas des filières internationales d’importation et d’investissement, en raison de la recherche du risque zéro par les importateurs, les groupes de distribution et les consommateurs de la classe moyenne. Les codes et normes internationaux de l'Organisation internationale des épizooties (OIE) et du Codex Alimentarius servent de base aux négociations. Pour s'y conformer, un pays exportateur va peut-être devoir prendre certaines mesures. Il va peut-être devoir établir des zones exemptes de maladie plus ou moins grandes entourées de zones tampons, des producteurs vont peut-être devoir être déplacés, ou des zones vont être isolées physiquement par des clôtures ou soumises à des restrictions strictes des déplacements du bétail. Les abattoirs doivent répondre à des normes rigoureuses de santé animale et de sécurité sanitaire des aliments et les normes de biosécurité imposées aux installations des producteurs et des transformateurs doivent être strictes afin de contenir les zoonoses. Les systèmes de contrôle et de certification des aliments doivent être extrêmement fiables. En plus des normes et règles de santé et de sécurité arrêtées par les instances internationales, d'autres exigences techniques peuvent être imposées par les distributeurs, comme des coupes particulières, des tailles et poids de carcasse donnés, une qualité de viande maigre, des taux de matière grasse du lait, la couleur des œufs, un étiquetage portant des indications précises ou dans des langues particulières, la production biologique et le bien-être des animaux. Dans les marchés interconnectés, il arrive que les normes imposées sur le marché le plus exigeant soient reprises sur le marché qui l'est moins, mais avec un contrôle moins strict.

Exclusion

23. Les marchés mondialisés sont exclusifs. Seuls quelques producteurs remplissent les conditions pour y avoir accès et, souvent, les petits producteurs connaissent mal ces conditions ou peinent à consentir les investissements nécessaires. Dans les chaînes verticalement intégrées contrôlées par la grande distribution, les procédures d'achat s'orientent généralement vers des systèmes centralisés de passation des marchés, passant notamment par des grossistes spécialisés dans une catégorie de produits et/ou travaillant exclusivement pour cette chaîne de marché. Les grandes chaînes de supermarchés recourent parfois à des systèmes de fournisseur privilégié pour sélectionner les producteurs remplissant des normes de qualité et de sécurité et réduire les coûts transactionnels. Les produits peuvent venir d'une vaste aire géographique et l'approvisionnement est coordonné entre différentes zones d'activité géographiques.

24. Les critères de sécurité et de qualité peuvent se muer en barrières non tarifaires demandant, pour s'y conformer, une dépense aussi importante que les droits de douane précédemment appliqués. Ils sont fréquemment actualisés et le rythme du changement peut poser autant de problèmes que son ampleur. Les grands producteurs et les grosses entreprises de transformation investissent davantage qu’il ne leur est demandé aujourd'hui pour réduire le nombre des changements qui leur seront demandés, mais les petits ont plus de mal à le faire ou à anticiper les autres changements qui leur seront demandés par la suite.

25. Les exclus des marchés mondialisés peuvent continuer à approvisionner les marchés locaux, s'orienter vers une autre activité d'élevage ou abandonner la production animale. D'autres perspectives d'emploi peuvent se développer tout au long de la chaîne, comme par exemple le transport, la transformation, l'inspection, et les travailleurs voient se multiplier les possibilités d'emploi, mais leur autonomie est limitée et ils sont tributaires de la survie du détaillant.

26. Les prix à la consommation peuvent augmenter pour couvrir le coût du conditionnement et du contrôle de la qualité, tandis que l'incidence relative des baisses de prix résultant des économies d'échelle et des hausses imputables aux normes de qualité est affectée par la concurrence et varie d'un cas à l'autre. Les consommateurs ruraux peuvent être pénalisés si les produits dont ils ont besoin deviennent moins accessibles au niveau local.

Augmentation du risque

27. Les producteurs devenus un maillon d'une chaîne intégrée peuvent voir changer leurs conditions contractuelles (en acceptant des contrats d'exclusivité, par exemple), jouir d'une assistance accrue et de prix plus élevés pour des produits de qualité, mais au prix d'un risque accru si les conditions contractuelles ne sont pas remplies ou si le détaillant arrête ses activités. Cela est surtout vrai dans les cas où le fermier doit se spécialiser pour répondre à des exigences de volume, de sécurité et de qualité; en règle générale, les petits exploitants se diversifient pour se prémunir contre le risque et font de petits investissements dans plusieurs entreprises, mais cette position n'est plus guère tenable lorsqu'ils doivent investir davantage dans une seule entreprise pour répondre à la demande d'un détaillant. Avec leurs critères de sécurité et de qualité plus exigeants, les marchés mondialisés sont généralement plus aléatoires parce que tout un marché peu disparaître avec l'apparition d'une maladie ou la découverte d'un problème de qualité. Les petits exploitants et les petits négociants ont peu de possibilités de s'assurer contre les pertes et n'en ont généralement pas les moyens.

Effets externes

28. Les producteurs qui n'arrivent pas à s'intégrer dans un marché mondialisé peuvent en subir des effets externes négatifs. Les rebuts du marché d'exportation et les importations à bon marché peuvent être une source de concurrence pour les petits producteurs sur les marchés nationaux. Ceux qui sont installés dans une zone exempte de maladie ou dans une zone tampon sont soumis à des règles limitant les mouvements de produits. Par ailleurs, les risques liés au marché peuvent augmenter. Si les débouchés internationaux se ferment en raison d'un foyer de maladie animale transfrontière, le marché national peut se retrouver inondé par des excédents de production. Au cours des dernières années, la péripneumonie contagieuse bovine, la fièvre aphteuse et la peste aviaire ont toutes engendré des situations de ce type. Conformément aux règles de l'OMC, les pays exportateurs doivent aussi ouvrir leurs marchés aux importations et, de ce fait, à la concurrence sur les prix et la qualité. La position concurrentielle des exploitants locaux est tributaire du contexte économique et réglementaire dans lequel ils opèrent.

29. L’environnement peut aussi avoir des effets externes négatifs. Les clôtures délimitant une zone exempte de maladie peuvent être préjudiciables pour la faune sauvage. Les exportateurs de volailles et de porcs cherchent en général à profiter des économies d'échelle, ce qui se traduit par la création de grands établissements industriels qui posent des problèmes de gestion des déchets et menacent la qualité de l'approvisionnement en eau.

30. Des effets externes négatifs pour la santé humaine peuvent survenir si le commerce des animaux favorise la propagation de zoonoses par-delà les frontières. Les marchés internationaux accroissent le risque de contagion tandis que les marchés interconnectés peuvent accentuer les problèmes de surveillance des maladies et les risques de propagation entre les chaînes commerciales.

Concilier les atouts et les défis de la mondialisation

31. Pour autant qu'il soit bien géré, un secteur de l'élevage mondialisé peut être profitable à l'économie nationale, créer de l'emploi, promouvoir les nouvelles technologies, accroître la sécurité des aliments et diversifier les produits alimentaires disponibles. Toutefois, la mondialisation du secteur peut aussi comporter des inconvénients, comme l'exclusion du marché, l'accroissement du risque et les effets externes négatifs. Le défi consiste à promouvoir un partage raisonnable des avantages tout en tempérant les effets externes, et à encourager la promotion d'aliments sûrs et de grande qualité tout en décourageant la mise en place de normes ou d'exigences sans fondement. La compartimentation7 des produits animaux constitue un exemple intéressant par lequel on peut appliquer à certains produits ou secteurs des normes très rigoureuses destinées à un marché haut de gamme qui ne sont pas appliquées à d'autres segments du secteur de l'élevage. La section suivante propose un cadre qui devrait faciliter la discussion entre les pays membres de la FAO et l'identification des domaines propices à un renforcement des capacités.

IV. Cadre destiné à compenser l'impact de la mondialisation sur les marchés

32. Ce cadre est proposé afin d'identifier clairement les avantages et les défis de la progression de la mondialisation dans le secteur de l'élevage. Il a pour but d'aider les pays membres à définir avec attention leur approche en matière de marchés du bétail mondialisés. La démarche suivie par chaque pays en particulier est incontestablement tributaire de facteurs tels que sa dépendance vis-à-vis des exportations, la disponibilité des investissements étrangers, la croissance attendue de la demande intérieure et la stratégie suivie en matière de santé publique et de sécurité alimentaire. Par ce cadre, la FAO pourra fournir des exemples, des outils et d'autres formes d'assistance pour aider les pays à obtenir les résultats qu'ils se sont fixés pour leur secteur de l'élevage, atteindre une situation de croissance et réaliser les Objectifs de développement pour le Millénaire en vue de la réduction de la pauvreté.

33. On peut s'attendre à ce que les contraintes se multiplient et que la situation devienne de plus en plus complexe. Les processus de normalisation nécessitent un dialogue entre la communauté internationale et les gouvernements nationaux et entre les secteurs public et privé. Ce qui est proposé n'est pas entièrement nouveau, les répercussions de la mondialisation ayant déjà été examinées individuellement dans de nombreuses instances. Une approche plus coordonnée du problème est présentée afin d'aider les pays à prendre les décisions qui s’imposent.

34. Le cadre proposé doit servir à l'examen systématique des répercussions de la mondialisation sur les marchés du bétail. Il se composerait des cinq éléments d'incidence étudiés dans la section précédente:

Ces cinq éléments peuvent à leur tour être subdivisés en plusieurs domaines. Ce qui suit ne se veut en aucune manière une liste exhaustive de facteurs pouvant entrer en ligne de compte pour chaque élément. Des considérations d'ordre général pour l'utilisation du cadre sont énoncées à la fin de la section.

Avantages

35. La mondialisation des marchés peut comporter des avantages pour ceux qui participent directement à la chaîne commerciale (producteurs, négociants, spécialistes de la transformation des produits, fournisseurs d’intrants, détaillants, etc.), pour les consommateurs de produits animaux et pour des secteurs affectés par la production animale, comme le tourisme et la production céréalière. De nouvelles possibilités d'emploi peuvent résulter de l'expansion et de la diversification des marchés. Ces avantages peuvent prendre la forme d'une hausse de revenu, d'économies sur les coûts directs, d'abaissement des coûts de transaction, ou de facteurs difficilement quantifiables tels qu'un choix accru ou un sentiment de sécurité. Des effets externes positifs peuvent être ressentis par des acteurs extérieurs à la chaîne de marché mais qui ont un meilleur accès à des services favorisés par la mondialisation, ou par des consommateurs qui tirent profit des effets d'une concurrence qui diminue les prix ou améliore la qualité sur les marchés où ils se procurent leurs produits alimentaires.

36. Plusieurs points importants sont à prendre en considération:

Normes

37. La santé animale, la sécurité sanitaire des aliments, les normes techniques et de qualité – tant celles arrêtées par des règlements internationaux que celles imposées par des détaillants privés – peuvent toutes constituer des éléments d'une chaîne commerciale. Parmi les éléments à prendre en compte, citons:

Exclusion

38. Trois dynamiques d'exclusion pourraient s'avérer importantes et méritent qu'on s'y intéresse. Les obstacles à l'accès à un marché mondialisé peuvent empêcher les petits exploitants de tirer profit d'un marché plus lucratif. Ensuite, une dynamique plus lourde de conséquences pour la pauvreté est la contraction des marchés traditionnels devant le développement du marché mondialisé, qui peut déboucher sur une situation dans laquelle ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas s'intégrer dans un marché mondialisé vont perdre leurs moyens de subsistance. Enfin, l'entrée en vigueur de nouvelles réglementations et normes sur des chaînes commerciales déjà mondialisées risque de forcer certains intervenants à s'en retirer.

39. Parmi les défis les plus courants figurent le manque d'informations ou de formation; l'absence de capitaux à investir dans l'amélioration des logements ou des infrastructures de transport; le sexe, dans la mesure où celui-ci est une condition d’accès à une activité commerciale; le refus ou l'impossibilité d'assumer des risques nouveaux. L'étude des situations d'exclusion doit nécessairement:

Selon les décisions qui seront prises, on pourra assister à une diminution de la diversité des marchés nationaux et au relèvement des barrières commerciales pour les pauvres ou, à l’inverse, au développement de créneaux rentables parallèlement aux produits du commerce mondial, ce qui représente un changement structurel qui préserve toutefois une large diversité.

Risques

40. L’élément déterminant est sans doute l’équilibre à trouver entre la possibilité d'accroissement des bénéfices par la participation à une chaîne mondiale et les risques pouvant résulter de contrats précaires, ou d'une moindre diversification des entreprises, ou encore de la dépendance vis-à-vis d’un seul fournisseur pour lequel les pratiques de gestion ont peut-être été modifiées de telle sorte que le produit obtenu n'est plus adapté à d'autres marchés. Pour donner un exemple, il arrive que des exploitants sous contrat fassent partie d'un marché intégré verticalement, que ce soit avec un investissement international ou extérieur. Parfois, des exploitants ou des travailleurs contractuels ne bénéficient pas d’un traitement satisfaisant, mais parfois aussi le fait d'appartenir à une chaîne intégrée verticalement met les exploitants à l'abri d'un échec commercial.

41. Pour évaluer les risques, il faut :

Effets externes

42. Les effets externes sur des acteurs d'autres chaînes commerciales sont complexes parce qu'ils peuvent être très dynamiques. À titre d'exemple, la concurrence des excédents des marchés mondialisés peut être saisonnière ou subir à tout moment l'influence d'un changement des goûts des consommateurs. Les foyers de maladie qui affectent les échanges commerciaux sont rarement prévisibles alors qu'ils peuvent avoir des effets dévastateurs à court terme, ce qui montre qu’il est nécessaire d'analyser des scénarios et d'évaluer le risque de manière créative.

43. On sait que les grands élevages commerciaux produisent des effluents. Or, dans beaucoup de pays, les effets externes sur l’environnement sont mal réglementés et posent des problèmes d'équité, parce qu'ils sont souvent le résultat d'une absence de réglementation de l'activité de grandes entreprises privées qui ont des répercussions sur des particuliers défavorisés. Des solutions existent, mais elles nécessitent peut-être des changements radicaux au niveau de la gestion et ne seront appliquées que si la pollution est lourdement pénalisée. S'agissant de la gestion des déchets de l’élevage, il n'existe aucun cadre international et les orientations sont plus fréquentes que les réglementations. Le besoin le plus urgent dans ce domaine est le dialogue au niveau des politiques générales car les études de cas et les outils d'aide à la décision existent déjà9. Les politiques nationales peuvent par exemple déterminer la réinstallation de grandes unités loin des villes et des sources d'approvisionnement en eau.

44. Les effets externes sur les espèces sauvages ont été largement évoqués dans des cas où un marché mondial nécessite l'installation de clôtures. Ici encore, les répercussions sont parfaitement connues, mais le défi consiste à concevoir et appliquer des politiques qui prennent en compte les besoins de nombreux intervenants et la problématique de la gestion d'une ressource ayant une dimension à la fois nationale et mondiale.

45. Les effets externes sur la santé humaine sont particulièrement évidents lorsque des marchés intensifiés et interconnectés créent les conditions propices à l'apparition de zoonoses. Il existe aussi des situations tout aussi sérieuses, quoique moins bien connues, d'êtres humains vivant à proximité immédiate, ce qui aggrave le problème de zoonoses connues mais négligées comme les parasites endodermes. Un problème particulièrement pressant à ce propos, et qui mérite qu'on s'y intéresse, est celui de la structure des services officiels nationaux et régionaux. D'une part, le développement et le renforcement de structures régionales permettent des initiatives régionales qui profitent d'économies de gamme et d'échelle (par exemple pour la surveillance et le suivi des maladies animales transfrontières); de l'autre, la décentralisation de l'administration nationale (en matière de santé animale, de production animale et de financement) à la recherche de solutions adaptées au niveau local signifie que beaucoup plus d'acteurs interviennent dans l'élaboration des politiques et leur mise en œuvre.

46. L'incidence sur la biodiversité doit également être prise en considération. La mondialisation a, entre autres, permis d'introduire dans des pays en développement du matériel génétique, sous forme de semence ou d'animaux en provenance de pays développés. Par ailleurs, la biodiversité a pu être préservée, par le biais de banques de gènes, mais rarement dans son milieu naturel.

Propositions pour l'utilisation du cadre

47. Certains principaux Produits du PMT 2002-2007 permettent déjà d’obtenir des informations pertinentes pour ce cadre et il devrait en aller de même dans le PMT 2006-201110. Il est proposé d'entreprendre un exercice destiné à:

48. La FAO dispose d'une série de publications sur le développement des marchés, certaines provenant d'activités antérieures de l’Organisation, d'autres d'institutions apparentées et d'autres encore de données non officielles. Il s'agit là d'une ressource précieuse. Le secteur de l'élevage peut tirer des enseignements de l’expérience d'autres secteurs comme l'horticulture et les pêches et d'une comparaison de l’expérience de pays confrontés à des problèmes similaires.

49. D'une manière générale, l'analyse historique et la description serviront à situer le contexte, mais l'accent devra être mis sur les idées concrètes destinées à gérer et surveiller le changement à l'avenir. Les pays touchés par la mondialisation sont souvent confrontés à des transitions extrêmement rapides. Il faudra revoir et répéter l'analyse à mesure que les marchés évoluent et que les participants apprennent et s'adaptent; des données de qualité ne seront pas toujours disponibles pour étayer l'analyse. Par conséquent, les procédures analytiques doivent pouvoir être répétées et se satisfaire de données limitées. Il y aura lieu de faire appel à un large éventail de démarches dans l'analyse de l'impact et de prendre un échantillonnage large pour pouvoir rendre compte des effets quantitatifs et non quantifiables ainsi que des effets externes.

50. Un soutien accru sera nécessaire afin de préparer le matériel pour les études de cas là où il fait défaut, pour faire la synthèse du matériel disponible et pour s'atteler au renforcement des capacités des pays en développement. Le but sera de stimuler la réflexion, de soulever les questions pertinentes et de fournir des exemples de pratiques ayant cours en évitant d'être trop dirigiste.

V. Opinion et recommandations du Comité de l’agriculture

51. Le Comité de l’agriculture est invité à donner son avis sur la présente communication, sur le cadre proposé et sur le processus suggéré en vue de son utilisation pour aider des pays et des groupes vulnérables à faire face aux conséquences imprévues de la mondialisation des marchés du bétail. Il pourra en particulier:

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1 Rapport de la vingt-neuvième session du Comité de la sécurité alimentaire mondiale, 12-16 mai 2003, Rome, CL 124/10.

2 Rapport de la dix-septième session du Comité de l'agriculture, 31 mars-4 avril 2003, Rome, CL 124/9.

3 FAOSTAT, chiffres de 2002.

4 Depuis le Cycle d'Uruguay, les niveaux et calendriers convenus pour l'abaissement des barrières douanières sont différents pour les pays en développement et les pays développés, les premiers pouvant réduire leurs tarifs douaniers plus lentement et dans des proportions moindres.

5 La « tarification » est un processus consistant à convertir les barrières non tarifaires en tarifs douaniers, considérés plus transparents que les barrières non tarifaires et pouvant faire l'objet de négociations à la baisse. Elle ne s'applique pas à la production agricole primaire, en dehors des produits désignés comme faisant l'objet de conditions particulières.

6 Rapport de la dix-huitième session du Comité de l'agriculture, 9-10 février 2004, Rome, CL 127/9, en particulier les paragraphes 11-12 et 48-49.

7 Code sanitaire pour les animaux terrestres de l'OIE (2004), chapitre 1.3.5: « La compartimentation et le zonage sont des procédures mises en œuvre par un pays … en vue de définir sur son territoire des sous-populations de statuts zoosanitaires différents, lui permettant de participer aux échanges internationaux … La compartimentation s’applique à une sous-population lorsque l’on a recours à des critères de gestion, tandis que le zonage s’applique lorsqu’une sous-population est définie sur une base géographique. »

8 Il n'existe pas de cadre réglementaire international pour les normes de qualité, dont le bien-être des animaux, bien que l'OIE ait commencé à s'intéresser à certains aspects de la question. Le secteur privé a pris des initiatives d'harmonisation des normes qui pourraient jouer un grand rôle dans la réduction des coûts de mise en conformité.

9 PMT: 213A8 001 Élevage, Environnement et Développement (LEAD).

10 Le PMT 2006-2011 indique les réalisations pertinentes que devront assurer AGA, ESC, ESA, ESN et AGS.