Plateforme mondiale des Champs-Écoles des Producteurs

Histoires du leadership des femmes dans la gestion des pesticides aux Caraïbes

11/05/2022

Le 8 mars 2022. "Des avions avec des pesticides pulvérisaient les champs où mon père peinait pour assurer la production de bananes dans les années 70".

Carmen se souvient de son enfance, passée dans une plantation de bananes, dans le district côtier de Saramacca au Suriname.

D'abord professeur d'agriculture, puis l'un des cadres de l'entreprise, le père de Carmen passait de longues heures dans les champs, à planter et à soigner les cultures. C'est de là qu'est née la passion de Carmen pour l'agriculture et, dès son plus jeune âge, elle s'est également impliquée dans la plantation. Bien que l'industrie de la banane ait assuré la subsistance de Carmen et de sa famille, elle a entraîné un lourd fardeau de pertes familiales et une détermination à voir une meilleure gestion des pesticides au Suriname.

L'agriculture occupe une place importante dans la culture du Suriname, la région côtière offrant des terres fertiles pour la production de riz et l'intérieur du pays pour les légumes tels que les tomates, la laitue, les choux et les aubergines. Le Suriname importe tous ses pesticides et bien que les polluants organiques persistants (POP) et certains pesticides hautement dangereux (PHD) ne soient pas autorisés au Suriname, une vision renouvelée et la classification des PHD comme le souhaite Carmen, verraient certains produits utilisés ajoutés à cette liste.

"Le défi le plus difficile que je rencontre en ce moment est de changer la façon de penser. Lors de la sensibilisation, nous entendons souvent des personnes dire que leurs ancêtres ont utilisé des pesticides pendant de nombreuses années sans utiliser d'équipement de protection et qu'ils ont vécu pendant de nombreuses années, alors pourquoi devrions-nous dépenser de l'argent pour des équipements de protection ou ne pas mélanger des pesticides ?"

Pour Carmen, la réponse à cette question est à la fois pratique et profondément personnelle. Après des années d'exposition aux pesticides dans les champs, du début des années 60 au début des années 90, le père de Carmen a développé plusieurs problèmes de santé. Les médecins ont expliqué que ses organes avaient été endommagés par une exposition chronique, ce qui a conduit à sa mort. Cette expérience la motive à aller de l'avant, à remettre en question les modes de pensée actuels et, surtout, à préserver la santé de son peuple et le paysage du Suriname.

"J'ai vu des agriculteurs utiliser des herbicides sans gants et ils ont des déformations dans les ongles. Je vois les défauts mais il est tabou d'en parler. Bien que des études doivent être menées pour le prouver, on dit que l'un des plus gros problèmes au Suriname est l'impuissance masculine due à une exposition prolongée aux pesticides. Sans en comprendre les causes, les hommes battent leurs femmes, ce qui entraîne un risque élevé de suicide chez les femmes dans certains districts, car après avoir été battues, elles boivent le contenu des bouteilles de pesticides. Les risques liés à l'exposition aux pesticides et à leur utilisation abusive tournent en boucle", notamment pour les personnes victimes de violences familiales.

Dans les zones côtières, les hommes sont exposés directement aux pesticides lors de l'application sur les cultures, tandis que les femmes et les enfants sont exposés par contact avec des vêtements et des équipements contaminés par des pesticides, et parfois lors de la récolte. L'un des principaux problèmes est que les personnes ne tiennent pas compte de la période de réentrée ou du délai avant récolte après l'application des pesticides.

En revanche, à l'intérieur des terres, ce sont surtout les femmes et les enfants qui sont exposés aux pesticides, car ce sont elles qui plantent et s'occupent des cultures, et donc qui appliquent les pesticides. Il s'agit d'une différence notable pour Carmen, qui encourage les approches qui tiennent compte des réalités vécues par les femmes, les hommes et les enfants. Pour y remédier, les programmes de sensibilisation, les ateliers et les visites de terrain constituent une grande partie du travail de Carmen. Avec le soutien de la FAO, elle constate des résultats positifs.

"Grâce à nos sessions de sensibilisation, les gens prennent conscience des dangers d'une utilisation irresponsable des pesticides. Nous recevons plusieurs appels téléphoniques demandant plus d'informations sur les endroits où acheter des équipements de protection. Les gens prennent des initiatives pour porter des vêtements de protection, même s'ils n'ont pas encore l'équipement approprié, ils font une amélioration notable par rapport à la pulvérisation pieds nus ou en pantalon court. De même, dans le secteur de la banane, grâce à la nouvelle gestion et aux directives strictes de la certification, de grands changements et améliorations ont été apportés à la façon dont les plantes sont cultivées."

Grâce au projet de gestion des pesticides de la FAO dans les Caraïbes, Carmen a constaté une sensibilisation accrue aux systèmes appropriés de gestion des pesticides, y compris aux risques sexospécifiques de l'utilisation et de l'exposition aux pesticides.
"Le projet a porté la gestion des pesticides à un autre niveau. Le ministère de l'agriculture, de l'élevage et de la pêche du Suriname ne se contente plus d'en parler, il agit et prend des mesures concrètes pour améliorer ses systèmes et faire en sorte que les informations parviennent à ceux qui en ont besoin. Plus important encore, grâce à la mise à jour de la législation soutenue par le projet, nous disposerons d'un suivi approprié."

Ces succès ne sont toutefois pas allés sans difficultés.

"Dans un domaine dominé par les hommes, une femme qui vient dire aux hommes comment se protéger n'est pas toujours bien accueillie par les agriculteurs masculins. Cependant, je crois que ce travail est une question de collaboration et d'échange de connaissances. C'est ma passion et je suis reconnaissante au projet de m'avoir fourni l'espace nécessaire pour développer mes compétences, montrer l'exemple à d'autres et contribuer à guider une nouvelle génération d'agents de la division des pesticides pour obtenir de meilleurs résultats en matière d'utilisation responsable des pesticides".

Les défis liés au genre sont réels. Ils sont multiples et se croisent. L'âge, la source de revenus, l'éducation et l'accès à l'information peuvent tous jouer un rôle. Les normes culturelles du secteur agricole peuvent également influencer les attitudes et les pratiques. Carmen les affronte tous et nous célébrons ses efforts et son leadership et nous l'encourageons à continuer et à encourager d'autres personnes à se joindre à cet effort.

Carmen Van Dijk est directrice adjointe au ministère de l'Agriculture, de l'Élevage et de la Pêche et ancienne présidente du groupe de coordination des conseils de contrôle des pesticides dans les Caraïbes.

Pour plus d'informations, veuillez contacter :

Firhaana Bulbulia
Communications de la FAO, Barbade
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