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2. MORPHOLOGIE DES PLAINES INONDABLES

2.1 Morphologie générale

Une plaine inondable est une surface de terrain, relativement en contre-bas, saisonnièrement noyée par les débordements d'un cours d'eau, d'un lac ou d'un marais adjacent (Fig. 1). Les plaines inondables de bordure représentent un caractère normal de l'évolution longitudinale d'un cours d'eau; habituellement longues et étroites, elles sont directement accolées au lit principal du fleuve. Toutefois, en n'importe quelle section de son cours, il peut arriver qu'un accident du relief provoque la formation de plaines inondées. D'une superficie souvent considérable et aux contours imprécis, elles constituent, soit ce que l'on appelle le “delta central” du Niger et les Kafué Flats (Fig. 3), soit de véritables deltas d'embouchure comme pour l'Ouémé et le fleuve Sénégal.

Une plaine inondable-type, selon Leopold, Wolman et Miller (1964), comprend les caractéristiques suivantes:

  1. le lit du cours d'eau

  2. des bras-morts, partie du méandre recoupé

  3. des bancs de pointe - atterrissement d'alluvions sur la partie convexe du méandre

  4. des ondulations de laisses - séries de crêtes et de dépressions sur le sol, dans la partie convexe du méandre, résultat des divagations latérales du fleuve en aval

  5. des laissées - eaux mortes qui se forment à la fois dans les dépressions des ondulations reliques, ainsi que le long des parois du thalweg, affouillées par la crue quand elle se déplace en aval

  6. des bourrelets de berge - talus ou banquettes naturels, surélevés au dessus de la surface de la plaine inondable mitoyenne du fleuve, qui contiennent habituellement des matériaux grossiers déposés par la crue quand elle déborde par dessus les berges. C'est dans la partie concave de celles-ci qu'on les trouve le plus souvent. Quand les matériaux de transport sont surtout constitués d'alluvions à grain fin, les bourrelets naturels peuvent être absents ou presque imperceptibles

  7. des laisses de marais - alluvions plus fines, que la crue, en passant par dessus la berge, dépose dans les mares d'eau stagnante, entre les bourrelets de berge et la paroi du thalweg ou sur les banquettes en terrasse du fleuve

  8. des sables d'ébrasement - sédiments de crue généralement constitués de particules de sable grossier, sous forme de matériaux détritiques épars ou résiduels.

Au vu de ces auteurs, les plaines inondables sont des formations alluvionnaires caractéristiques de la vallée d'un fleuve, qui y emmagasine temporairement ses sédiments. Un équilibre moyen se réalise sur un certain nombre d'années, où les apports balancent les décharges, bien qu'il puisse se produire des modifications locales dans la morphologie de la plaine inondable, par suite du colmatage de vieux lits secondaires et de la percée de nouveaux chenaux.

On peut observer la plupart des structures précédentes dans tous les grands cours d'eau, alors qu'elles seront parfois plus difficiles à distinguer dans les plus petits qui se modifient très rapidement.

Figure 1

Figure 1. Vue en coupe de trois systèmes de fleuve/plaine inondable (l'échelle verticale est exagérée)

A = le Kafué (PNUD/FAO, 1968)Lit principal du fleuve
B = le Niger à Onitsha (NEDECO, 1959)Marais permanents
C = l'Ouémé à ZiniréBras ou lit secondaire Lagune
Figure 2

Figure 2. Bief du Niger en Nigeria. On voit la plaine inondable, en bordure du fleuve, avec ses marigots, marais et lagunes

Figure 3

Figure 3. Vue d'une partie des Kafué Flats, avec leurs marigots, bras, marais et lagunes

Les structures de la plaine inondable les plus importantes pour les poissons, du point de vue écologique, sont les suivantes:

Le lit principal, qui, en général, retient l'eau à toutes les époques de l'année et peut être simple ou anastamosé. Dans ce dernier cas (Fig. 4), il s'agit de bras anastamosés, qui sinuent au milieu de bancs de sable et d'îlôts recouverts de végétation, découverts aux basses eaux et submergés au moment de la crue. Ces bras sont typiques de certains biefs du Zambèze, du Niger et du Congo et, là où on les trouve, la plaine inondable latérale est souvent très réduite en largeur. Il semble prouvé (Svensson, 1933; Gosse, 1963) que, écologiquement parlant, ces îles sont analogues à la plaine inondable latérale et remplissent un rôle équivalent dans la biologie du poisson.

Figure 4

Figure 4. Lit du Niger, composé de bras anastamosés

En noir:plan d'eau permanent
En traits discontinus:les bancs
Hachuré:le plateau

La plaine inondable, submergée pendant la crue et découverte aux basses eaux. La majorité des plaines inondables sont associées aux fleuves de type “soudanais”, c'est-àdire à végétation herbacée et à sauvanes, bien que quelques uns du type “guinéen” aient des plaines inondables recouvertes de forêts, qui donnent à beaucoup de cours d'eau du Zaïre cette allure caractéristique de forêt inondée.

Les marais et mares (lagunes), situés dans les dépressions de la plaine inondable qui peuvent être soit permanents, persistant d'une crue à l'autre, soit temporaires, s'asséchant progressivement avec la baisse des eaux (Fig. 2, 3 et 7). La distinction entre marais et mares dépend surtout de la végétation, qui peut être plus ou moins abondante au cours de l'année. Les mares permanentes ont tendance à se transformer en marais quand le niveau d'eau y baisse. A leur développement maximum, ces accidents topographiques s'étendent sur une surface considérable de la plaine inondable: des systèmes comme ceux de la Luapula et de la Pongola consistent en chaînes de vastes lacs, permanents comme l'immense marais de l'Eléphant dans la plaine inondable du Shiré. Des mares peuvent se former dans de simples dépressions de la plaine, qui se remplissent au fur et à mesure de l'extension de la crue et qui retiennent l'eau quand l'inondation se retire. Ces mares isolées perdent leur eau par évaporation, à moins que leur niveau ne soit au dessous de celui de la nappe. On trouve aussi dans les plaines inondables des types de mares plus complexes, rattachées au lit principal du fleuve par des chenaux et marigots. Elles peuvent aussi constituer des systèmes discontinus, sauf à l'époque des hautes eaux (Fig. 7).

Les chenaux et marigots, qui relient les unes aux autres les dépressions de la plaine inondable, formant avec le fleuve un réseau qui recouvre celle-ci. Certains d'entre eux arrivent à percer le bourrelet et servent de cheminement principal aux mouvements des eaux, dans les débuts de leur montée ou vers la fin de la décrue (Fig. 2 et 3).

Les bourrelets de berge ou les remblais naturels, en bordure du lit principal, qui peuvent prendre de l'importance dans la mesure où ils orientent ou dévient le flot, retardant ainsi tant la submersion de la plaine que son assèchement lors de l'évacuation des eaux.

Les populations autochtones qui habitent sur ces systèmes fluviaux reconnaissent fréquemment l'importance de ces accidents du terrain, qu'elles savent désigner d'un nom particulier dans leurs langues et dialectes (Holden, 1963; Hurault, 1965; CTFT, 1972; Rzoska, 1974). Par exemple, au Sénégal, le bourrelet de berge se nomme fondé; les dépressions de la plaine, ou oualo, alimentées par des tiangol (marigots), retiennent dans leur partie la plus basse une mare permanente, le vindou.

2.2 Classification des plaines inondables

Indépendamment de la classification de base (2.1) en plaines inondables de bordure ou deltaîque, basée sur leur géomorphologie, d'autres catégories ont été proposées.

Svensson (1933) distingue trois types de plaine marécageuse, d'après leur mode d'inondation. Dans le type 1, les marais sont le résultat des précipitations ou du ruissellement local, uniquement, et se relient au fleuve ou à d'autres marais situés en contrebas par un seul chenal ou marigot. De telles formations ne sont jamais influencées par les variations du niveau des eaux dans le fleuve, mais les poissons peuvent y émigrer en remontant le chenal de liaison. Dans le type 2, la plaine inondable est immédiatement adjacente au fleuve, qui la submerge directement. Les marais du type 3, intermédiaires entre les deux premiers, se recontrent dans les faibles dépressions de la plaine inondable, séparées du fleuve par les bourrelets de berge, la communication se faisant par le chenal. Leur inondation se produit en premier lieu à la suite des pluies locales et du drainage de ruissellement, plus tard par la hausse du niveau de l'eau dans le fleuve.

On peut aussi distinguer entre les plaines inondables d'après les dimensions et la permanence du plan d'eau auquel elles sont associées. Il est vraisemblable, en effet, que la dynamique de la faune ichtyologique des systèmes fleuve/plaine inondable, en communication avec de grands lacs (tels que les Yaérés du Chari et du Logone (Durand 1970), ou les plaines inondables des rivières du Kenya qui se déversent dans le lac Victoria), diffère profondément de celle des poissons que l'on trouve dans les cours d'eau qui se résolvent à la saison sèche en une série de mares isolées, ne serait-ce que par leur capacité de charge disponible pendant les basses eaux (Van Someren, 1961).

Mais ce sont aussi les cours d'eau dont la nature diffère en Afrique selon la région. Daget et Iltis (1965) classent ceux d'Afrique occidentale selon les types guinéen et soudanais:

  1. les cours d'eau guinéens sont ceux qui drainent les zones forestières de l'Ouest africain. Circulant à travers des galeries-forêts, ils ont des plaines inondables dont l'aire de submersion peut recouvrir de très vastes étendues forestières. Ils sont réputés pour être moins productifs que les suivants;

  2. les cours d'eau soudanais drainent les régions de savane, avec peu ou pas degaleries-forêts. La plaine inondable est habituellement très étendue et couverte de végétation herbacée.

Il est toutefois difficile d'établir une classification absolue des plaines inondables basée sur leur morphologie, car les variantes revêtent trop de formes intermédiaires. Il sera néanmoins utile d'avoir ces différences présentes à l'esprit quand on interprétera le comportement des diverses régions.

2.3 Distribution et superficie

On peut considérer les plaines inondables riveraines comme des accidents normaux de l'évolution des cours d'eau, plus ou moins répandus dans la plupart des bassins africains. Les grandes plaines inondables provoquées par des anomalies locales du relief sont plus rares et restent limitées à quelques systèmes fluviaux. Le Tableau 1 indique les superficies submergées et découvertes de quelques plaines inondables représentatives.

TABLEAU 1

Caractéristiques de quelques plaines inondables d'Afrique

 Plaine inondableA1
Superficie à la crue maximum
(ha)
A2
Superficie à l'étiage
(ha)
 
Auteur de référence
Barotsé (Zambèze)
512 000 32 915   6MacDonald 1
Bénoué * (Nigeria)
310 000 129 000  42FAO/ONU 1970
Kafué Flats
434 000145 560  34Kapetsky 1
Massilli *
  1 500    20013Barry 1
Niger (Delta central)
2 000 000    400 000  20Konare; Raimondo
Niger * (Niger)
 90 70427 00030FAO/ONU 1971
Niger * (Dahomey)
 27 440  3 20012FAO/ONU 1971
Niger * (Nigeria)
480 000180 000  38FAO/ONU 1970
Okavango
1 600 000   312 000  20Cross 1
Ogun *
    4 250  2 50059Dada 1
Oshun *
   3 740  2 00053Dada 1
Ouémé
 100 000  5 1705Observ.pers.
Pongolo *
  10 416  2 92728Coke 1
Sénégal *
1 295 000     78 700   6Lessent, Fall, Sere 1
Marais de l'Eléphant et de Ndindé (Shiré)2
   67 300  46 04968Hastings 1
Sudd (Nil)
9 200 000  1 000 000  11Rzóka, 1974
Volta * (Volta Blanche)2
 85 324  10 22112Vanderpuye 1
Yaérés (Logone)2
700 000  Ali Garam 1

* Plaines inondables riveraines de bordure
1 Réponses au questionnaire du groupe de travail du CPCA
2 Partie d'un plus grand système

Il y a moins de données disponibles sur la composition des éléments du système à l'étiage (Tableau II), bien que les chiffres ci-dessous indiquent une contribution relativement faible du lit principal à la superficie totale d'inondation.

TABLEAU II

Composition en saison sèche des systèmes de plaines inondables

Plaine inondableCours d'eau  plus marigotsMaraisLagunes/lacsTotalSuperficie asséchée
(ha)
Kafué5 380(  4)138 000(89)10 180(  7)145 560288 440  
Shiré724(  2)15 500(84)6 000(14)46 049 21 251
Pongolo427(15)-   2 500(85)2 927  7 489
Sénégal28 100(36)-   50 600(64)78 7001 216 300   
Ouémé1 402(27)-   3 768(73)5 170  94 830

- Superficie négligeable. Entre parenthèses: pourcentage du total


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