Page précédente Table des matières Page suivante


ANNEXE 3

Discours inaugural par

M. Kenneth C. Lucas
Sous-Directeur général,
Département des pêches
FAO

LES PECHES CONTINENTALES
Redécouverte d'une richesse

Permettez-moi de vous le dire: cette réunion sur la répartition des ressources des pêches continentales me donne une nette impression de déjà vu. Même après seize mois de service à la FAO, les problèmes de la pêche dans les pays industrialisés, et singulièrement les questions figurant à votre ordre du jour, n'éveillent en moi rien que de très familier. En fait, si je n'avais pas parfaitement dormi la nuit dernière, j'aurais fort bien pu, par inadvertance, vous parler de l'amélioration du saumon en Colombie britannique, de l'interdiction de la pêche au saumon dans l'Est canadien ou de tant d'autres aspects dont j'avais la charge dans mon ancien poste.

Avant toutefois d'aborder le sujet, je voudrais vous transmettre les meilleurs voeux de M. Edouard Saouma, Directeur général de l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture, que je représente ici aujourd'hui. Et je voudrais également, au nom de tous les participants, exprimer notre gratitude au Gouvernement français, qui nous réserve un accueil si généreux. Notre reconnaissance va tout particulièrement au Conseil supérieur de la pêche, à la Fédération de pêche de l'Allier et au National Angling Club (Club national de la pêche), qui n'ont certes pas ménagé leur peine pour aboutir à une telle efficacité dans l'organisation.

Merci enfin à vous tous, les représentants des organismes nationaux et internationaux de pêche sportive et de pêche commerciale, qui êtes venus des diverses régions françaises et d'autres pays européens, d'Amérique du Nord, quand ce n'est pas d'Amérique latine. Votre participation à cette rencontre est indispensable à son succès. Nous avons besoin de vous.

Je pense également que nous devons être spécialement reconnaissants à qui a choisi Vichy pour y tenir cette réunion. Si l'on cherchait un lieu où soient visibles tous les symboles, tous les exemples des défis, des possibilités et des problèmes liés à l'aménagement des pêches continentales, on ne pouvait mieux trouver.

La première leçon nous vient de la géographie. A des centaines de kilomètres de la mer, nous sommes en effet en présence d'un important élément des pêches maritimes. En cette saison, me dit-on, on trouve dans l'Allier un poisson qui a passé une très grande partie de sa vie dans l'océan, le saumon de l'Atlantique. En l'occurrence, la géographie nous transmet un message que non seulement les profanes, mais aussi les spécialistes de l'aménagement des pêches feraient bien de ne pas ignorer. Pêches maritimes et pêches continentales il n'y a pas là deux mondes distincts.

Ce fleuve est en outre le vivant exemple des possibilités qu'offrent les pêches continentales de par le monde, mais aussi, hélas, des nombreux problèmes qui les assaillent. Avant de venir à Vichy, la chance a mis entre mes mains une très intéressante étude préparée sur l'Allier et sur ses saumons par l'un des directeurs de vos groupes de discussion, M. Robin Cuinat, du Conseil Supérieur de la Pêche, courageux et efficace champion du saumon dans la région. Ce que nous dit M. Cuinat ne peut pas laisser indifférent quiconque, de ce côté de l'Atlantique ou de l'autre, eut pour profession la défense des pêches continentales. Il y a un siècle, la migration annuelle des saumons dans le système Loire-Allier s'élevait à quelque 100 000 individus, aujourd'hui réduits à un ou deux milliers. Et, malgré les généreux efforts du Conseil Supérieur de la Pêche, le saumon reste dans ces eaux une espèce assiégée, une espèce sur la défensive.

La raréfaction du saumon dans ces fleuves est due à des raisons de deux ordres, les unes nationales, les autres internationales.

En France, comme aux Etats-Unis, comme au Canada, comme dans tant d'autres pays industrialisés, non seulement le saumon mais les pêches continentales en général ont été victimes de ce que certains appellent la concurrence entre les différents usagers de l'eau.

Une autre raison du recul du saumon dans l'Allier est la surexploitation, et non pas seulement celle des rivières et des fleuves de France, ou des nouvelles zones économiques exclusives françaises, mais aussi, comme M. Cuinat le démontre dans son étude, celle des eaux atlantiques au large du Groënland occidental. Et dans ces eaux, faut-il le dire, les problèmes de l'Allier rejoignent et recoupent littéralement ceux du saumon dans l'Est canadien et le nord-est des Etats-Unis. Ce sont là de redoutables défis, mais peut-être aurontils l'utilité de nous forcer à regarder au-delà des frontières traditionnelles - qu'elles soient d'Etats, de provinces ou de départements - au-delà des autres démarcations artificielles gênantes qui furent naguère établies entre pêche océaniques et pêches intérieures.

Très récemment, comme vous le savez sans doute tous, la FAO a porté son attention sur la situation totalement neuve qui s'est créée dans les pêches maritimes mondiales avec l'institution de zones de pêche de 200 milles, adoptées par plus de 90 Etats au cours des deux dernières années. Désormais, une superficie équivalant aux deux tiers de celle de toutes les terres émergées a cessé d'être “internationale” pour devenir “nationale”, en ce qui concerne la propriété du poisson et, aspect extrêmement important, la responsabilité de gérer cette ressource. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des pêches océaniques mondiales, quatre-vingt-dix-neuf pour cent des stocks de poisson actuellement exploités se trouvent dans ces nouvelles zones sous juridiction nationale.

Quiconque s'intéresse à l'avenir des pêches continentales se doit de garder présentes à l'esprit les conséquences de cette extension vers le large de la souveraineté nationale en matière de pêche. Cette révolution dans la juridiction des pêches mondiales est issue du consensus réalisé à la Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer actuellement en cours. N'oublions pas toutefois que ce qui rend acceptable, pour ne pas dire respectable, cet élargissement du droit exclusif de pêche est la nécessité critique et démontrée d'aménager les ressources de ces eaux. Il n'y a pas eu un coup de main spectaculaire perpétré sur ces richesses par quelques impérialistes qui auraient jugé le moment propice. Si telle en effet avait été la justification, il est fort improbable, étant donné l'équilibre des forces en présence, que la zone de 200 milles aurait rallié de si nombreux partisans. L'élargissement de la juridiction sur les pêches résulte de la crise provoquée par l'effet convergent d'une forte demande de poisson et d'une technologie de pêche moderne et extrêmement efficace. Devant la puissance d'impact des flottes de pêche actuelles, devant leur capacité d'anéantir les peuplements, aussi abondants et aussi vivaces soient-ils, il est apparu clairement que les ressources des pêches seraient condamnées si le soin de leur aménagement était laissé au seul hasard. Les Etats se sont éveillés; ils ont compris qu'une ressource précieuse, une ressource finie était en train de se dissiper. Ils ont pris conscience de la valeur de cette ressource. Et ils ont entrepris - ce que certains n'avaient jamais encore fait - une réflexion sur les incidences économiques et sociales que pourrait avoir la disparition éventuelle de la pêche.

Mais, direz-vous, en quoi tout cela concerne-t-il les pêches continentales? A bien des égards.

M'adressant non seulement à un auditoire aussi spécialisé et aussi ouvert que le vôtre, mais au bien plus vaste public des décideurs et de l'opinion des pays représentés ici, je crois le moment opportun pour souligner un aspect important. La logique qui commande d'évaluer les pêches maritimes, le raisonnement qui justifie leur protection contre la surexploitation ou la destruction des habitats valent également pour les pêches d'eaux douces du monde entier. Les unes et les autres font partie des patrimoines nationaux. Les unes et les autres ont besoin d'intendants. Avec certaines différences de détail, les problèmes de la pêche en mer et de la pêche en eaux douces sont fondamentalement les mêmes - ce sont des problèmes d'aménagement défectueux ou, pour parler plus clair, de négligence. Il est raisonnable d'espérer que les gouvernments, les opinions publiques et tous ceux qui modèlent les aspirations nationales comprendront que, non seulement les pêches de la zone des 200 milles, mais également celles des lacs, des fleuves et des torrents, ont besoin d'urgence et méritent de toute évidence d'être reclassées dans la hiérarchie des priorités nationales.

Enfin, la révolution provoquée par l'extension des zones de pêche n'est pas sans incidences pour les théoriciens de l'aménagement. Jusqu'à très récemment, on ne s'était guère occupé sérieusement d'intégrer les analyses de la pêche commerciale et de la pêche sportive et, ainsi, de constituer la base théorique commune dont nous avons besoin pour rationaliser deux activités fondées sur une même base de ressources. Désormais, alors que les pêches commerciales maritimes sont devenues un capital national considérablement accru et, de ce fait, prennent la plupart des caractéristiques et la plupart des paramètres des pêches continentales, les modèles théoriques que vous élaborez s'appliqueront de plus en plus aux problèmes d'aménagement des pêches maritimes. Ces similitudes croissantes aboutiront à une intégration plus soigneuse de la base théorique sur laquelle reposera l'aménagement des deux secteurs. L'expérience acquise, parfois péniblement, dans le domaine des pêches continentales, pourra fort bien servir aux pays qui vont entreprendre la difficile tâche d'aménager leur nouvelle zone de 200 milles, en particulier lorsqu'ils devront faire les choix et prendre les décisions multiples qu'exige un aménagement des ressources visant à procurer des avantages économiques et sociaux optimaux. Les responsables des pêches maritimes de ces pays devront résoudre des problèmes de répartition non seulement entre les diverses pêches, mais également à l'intérieur de chacune. Ils devront également formuler les principes au niveau desquels se résoudra - pour le plus grand bien de la société - la concurrence que se livrent la pêche et les autres secteurs pour l'utilisation des habitats aquatiques. Autant de questions qui, dans le domaine des pêches continentales, constituent la préoccupation de bien des spécialistes des disciplines ici représentées.

L'évolution récente de part et d'autre de l'Atlantique nous autorise à espérer qu'au moment même où surviennent des changements si radicaux au large des côtes, nous créerons le ressort nécessaire à un aménagement complet des pêches continentales. Alors que la Conférence sur le droit de la mer semble finalement en vue du port, il existe une réelle possibilité de conclure une convention internationale protégeant le saumon contre la pêche en haute mer. La France, le Canada et les Etats-Unis envisagent pour le saumon de vastes programmes de promotion, qui constituent des projets ambitieux certes, mais néanmoins parfaitement réalistes, fondés sur un examen soigneux des coûts, des avantages et des possibilités. Dans ces pays et dans d'autres, on discerne dans l'opinion une perception plus vive de la valeur de ces richesses naturelles et de la nécessité d'agir afin de les protéger.

On assiste également à une amélioration de la communication entre tous ceux qui sont appelés à coopérer à la mise en valeur et à l'aménagement des pêches continentales - gouvernants, scientifiques, pêcheurs, consommateurs et autres. Notre réunion elle-même révèle cette très saine tendance. Elle peut contribuer à maintenir l'élan déjà imprimé et, ce qui compte plus, à l'orienter de façon plus précise et plus scientifique.

Pour terminer, laissez-moi vous dire ce que la FAO et la CECPI sont venues chercher ici. Cette réunion, espérons-nous, apportera la réponse à certaines questions critiques, dont voici quelques unes:

-    Comment recueillir des renseignements valables, sûrs et comparables, sur lesquels fonder les décisions en matière de pêches continentales?

-    Comment élaborer un modèle pratique des facteurs économiques et sociaux, qui puisse servir de base à des décisions correctes pour l'utilisation optimale des ressources hydriques et ichtyologiques continentales?

-    Quand et comment les gestionnaires des pêches pourront-ils élaborer des politiques rationnelles d'aménagement et de développement intégrés de la pêche sportive et de la pêche commerciale?

-    Enfin, quels programmes précis peut-on proposer afin de s'assurer cette information et d'atteindre ces objectifs.

Nous attendons beaucoup de vous et votre temps vous est compté: je n'en abuserai donc pas davantage et me bornerai à former des voeux pour le plain succès de vos travaux.


Page précédente Début de page Page suivante