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PRESENCE EN FRANCE D'ESPECES EXOTIQUES D'ECREVISSES PROVENANT D'INTRODUCTIONS RECENTES

P.J. Laurent
Institut National de la Recherche Agronomique
Thonon les Bains, France

et

D. Vigneux et E. Vigneux
Conseil Supérieur de la Pêche
Boves, France

RESUME

Les résultats d'un inventaire national terminé en 1979 permettent de montrer l'existence, sur le territoire français de quelques points d'apparition d'écrevisses exotiques.

Quelques informations plus récentes révèlent l'acclimatation certaine ou très probable d'écrevisses totalement étrangères à la faune française jusqu'à ces derniers temps.

ABSTRACT

The national inventory completed in 1979 has shown that exotic crayfish species have appeared within French territory.

Recent information shows that certain crayfish foreign to the French fauna have either certainly or very probably become acclimatized.

1. INTRODUCTION

Deux enquêtes réalisées sur tout le territoire français, l'une en 1959–60 (2) et l'autre en 1977 (5) ont montré que la faune astacicole s'était profondément modifiée par rapport à ce qu'on pouvait en savoir à la lumière de travaux plus anciens (1).

Les traits essentiels de cette évolution concernent la régression des écrevisses autochtones et au contraire l'extension, à pratiquement toutes les régions du territoire français, de l'écrevisse américaine Orconectes limosus Rafinssque introduite en Europe à la fin du siècle dernier et en France à partir de 1911 (1).

L'écrevisse à pied rouge Astacus astacus L. naguère largement répandue subsiste sur une trentaine de sites notamment dans le Centre Est, l'Est et le Nord Est du pays (5).

L'écrevisse à pied blanc Austropotamobius pallipes Lereboullet reste l'espèce indigène la plus fréquente mais son aire d'extension est en constante diminution. Elle subsiste le plus souvent en tête des réseaux hydrographiques mais sa rareté a amené l'Administration à instaurer des périodes prolongées d'interdiction de capture qui peuvent atteindre cinq ans.

L'écrevisses de torrent Astacus torrentium pourtant mentionne dans les faunes anciennes n'a pas été retrouvée ni en 1959–60 ni en 1977.

Alors que les écrevisses se raréfient en France, à l'exclusion de l'américaine qui pullule mais qui ne jouit ni d'une bonne réputation gastronomique ni d'une cotation commerciale élevée, un nombre de plus en plus élevé d'amateurs souhaite assurer à notre pays une production nationale capable de remplacer les importations dont nous sommes tributaires en totalité et pour une quantité de l'ordre de 2 000 t/an.

Des tentatives de repeuplement sont faites avec des juvéniles d'écrevisses à pied rouge, offertes aux amateurs par un nombre restreint d'astaciculteurs. Aucune publication ne rend compts, pour l'instant, des résultats obtenus par cette méthode.

Des transplantations d'adultes d'écrevisses à pied blanc et à pied rouge ont été également réalisées soit avec des animaux récoltés en France, soit avec des sujets importés, sans qu'on connaisse encore les suties de ces opérations.

La production ou l'importation de juvéniles et d'adultes d'espèces non autochtones ont conduit à des acclimatations parfois volontaires mais le plus souvent accidentelles dont nous allons tenter de faire brièvement le point.

2. EVOLUTION DE LA LEGISLATION FRANCAISE EN MATIERE D'ACCLIMATATION

La loi française interdit la propagation, dans les eaux libres, d'espèces étrangères à notre faune.

Par contre dans les eaux closes, tout propriétaire peut légalement procéder à des immersions d'espèces nouvelles. La seule condition requise pour qu'une eau soit close et qu'elle soit totalement isolée du réseau hydrographique.

Cette législation a permis la dissémination incontrôlée d'écrevisses étrangères à notre faune en de nombreux points du territoire français. Les résultats des enquêtes n'ont permis de déceler d'éventuelles acclimatations que là où les animaux introduits ont franchi les limites de la propriété privés et ont commencé à coloniser les eaux libres, ou là où les propriétaires ont consenti à donner des informations.

De nouvelles dispositions plus restrictives sont à l'étude et seront sans doute adoptées prochainement.

Les eaux continentales seront sans doute mieux protégées que par le passé des introductions intempestives, mais tant que le commerce alimentaire des écrevisses se fera à partir d'animaux vivants, il sera loisible à quiconque de libérer dans la nature n'importe quel animal importé. Certes un tel acte serait répréhensible, mais quel contrôle pourra être assez efficace pour démasquer à temps tous les délinquants et éviter des acclimations préjudiciables à l'avenir astacicole de notre pays?

Devant un tel risque la seuie solution envisageable semble résider dans l'interdicition de livrer à la consommation des écrevisses autrement que cuites ou congelées. Cette réglementation peut être contraignante sur le plan économique et commercial est appliqués avec succès par des pays comme la Suède. La France devrait rapidement se doter de dispositions réglementaires similaires de façon à pouvoir arrêter, quand il en est encore temps, une propagation anarchique d'écrevisses indésirables ou malades et jouant alors le rôle de vecteurs d'épizooties aussi dangereuses que l'aphanomycose.

Ces mesures ne viseraient pas à interdire à tout jamais les acclimatations, mais à assurer un meilleur contrôle quant à la nature des espèces introduites, à leur état de santé et aux lieux où les immersions seraient faites.

3. LES ECREVISSES EN COURS D'ACCLIMATATION EN FRANCE

La France n'a adopté aucun plan officiel d'acclimatation d'écrevisses étrangères. Les organismes responsables de la pêche ont simplement entrepris des observations ou des expérimentations limitées dont les conclusions, quand elles seront tirées, permettront de définir en connaissance de cause une politique astacicole rationnelle.

A côté de la prudence des organismes officiels, de nombreux particuliers intéressés aux écrevisses se sont procuré des juvéniles ou des adultes d'espèces étrangères et ont procédé à des essais totalement incontrôlés. Il est résulté de cette activité des acclimatations occules, illégales pour la plupart.

Trois espèces sont en cours d'acclimatation actuellement en France, nous les énumérerons en fonction de la probabilité décroissante de leur installation sur notre territoire.

3.1 Ecrevisse à pattes grêles (Astacus leptodactylus Escholtz)

Plusieurs astaciculteurs de l'ouest de la France se sont spécialisés dans la production de juvéniles de cette espèce. D'autre part cet animal fournit plus de 90 pourcent des importations d'écrevisses de consommation, de sorte que de très nombreuses tentatives illicites d'acclimatations ont pu être réalisées à partir d'adultes achetés dans des magasins de comestibles.

L'écrevisse à pattes grêles est un crustacé d'eaux stagnantes et sa rencontre en France se limite, pour l'instant, à des lacs naturels ou artificiels. Elle existe sans doute en de nombreux points du territoire français mais elle est notablement plus fréquente dans le sud-ouest et le Languedoc (Fig. 1).

Un lac collinaire d'une dizaine d'hectares de département du Gers s'est trouvé peuplé depuis une dizaine d'années par migration d'adultes d'un ruisseau amont où elles avalent été déposées dans l'espoir de les acclimater.

Outre le plan d'eau de 10 ha de Barbotan les Bains dans les Landes, l'écrevisse à pattes grêles serait implantée dans plusieurs barrages collinaires du Gers et du Tarn et Garonne et des Pyrénées Atlantiques ainsi que dans le Volp, cours d'eau ariégeois.

Ce nouveau crustacé pour le sud-ouest jouit déjà d'une excellente réputation auprès des bordelais qui le pêchent pour en garnir leurs congélateurs. Il ne fait aucun doute que l'aire de répartition d'A. leptodactylus va s'étendre dans le sud-ouest.

Des informations plus précises indiquent que deux plans d'eau languedociens du système hydrographique du Vidourle ont été peuplés à titre expérimental, et avec les autorisations administratives officielles, l'un en 1975 et 1978 avec 13 400 adultes de 10 à 12 centimètres et l'autre en 1979 avec 4 500 juvéniles élevés par un astaciculteur français.

Des acclimatations vérifiées ont également été signalées dans l'est. La plus ancienne concerne une ballastière peuplée vers 1945–46 de quelques sujets techécoslovaques ramenés par des troupes américaines et qui ont laissé une descendance assez abondante pour permettre une pêche régulière depuis 1967. En Meurthe et Moselle, 50 adults lachés dans une eau close en 1970 se sont multipllés et ont donné naissance à une population abondant en 1980.

Dans le Léman enfin, en août 1979 nous avons observé la première écrevisse à pattes grêles qui était capturée au filet par des pêcheurs professionnels dans les environs de Thonon. L'hiver suivant, plusieurs sujets se faisaient prendre par 80 m de fond avec des ombles chevaliers (Salvelinus alpinus) occupés à frayer. Le peuplement du Léman résulte sans aucun doute de la fuite d'écrevisses entreposées dans des viviers de stockage par des riverains grossistes en poissons.

3.2 Ecrevisse de Californie (Pacifastacus leniusculus Dana)

L'importation de cette écrevisse adulte reste exceptionnelle, par contre, il est possible de se procurer des juvéniles auprès de producteurs étrangers, suédois notamment, ou même français.

Il est impossible de connaître le détail des achats de juvéniles mais il y a certainement eu de nombreuses tentatives d'acclimatations illégales dont le résultat reste encore inconnu.

Des informations précises sont toutefois disponibles dans deux régions: l'Indre et la Savoie.

Dans le sud du département de l'Indre, un peuplement limité à 50 juvéniles a été déposé dans trois ruisseaux à faune piscicole salmonicole dominante. Ce déversement pourtant très réduit a été le point de départ d'une population qui est devenue apparente trois ans plus tard et qui semble se développer sans avoir encore migré à plus de 500 m de son point de déversement. Les plus gros sujets, trois ans après leur introduction, atteignaient le poids de 110 g.

Plusieurs publications ont déjà rendu compte des résultats de tentatives expérimentales d'acclimatation de Pacifastacus leniusculus dans des plans d'eau close de Savoie (3–4).

Le résultat le plus remarquable a été obtenu sur un gravière de 43 ha alimentée par de l'eau de nappe phréatique. Du déversement de 1 500 juvéniles en 1973 et de 1 000 nouveaux juvéniles en 1976 est née une population florissante qui fait l'objet d'une exploitation intéressante.

La pêche dans le plan d'eau dont il s'agit est soumise à un règlement particulier établi par la Société détentrice du droit de pêche. L'exploitation des écrevisses n'a été autorisée qu'en 1980, sept ans après leur introduction. Des sondages avaient montré que la population était florissante et qu'elle supporterait un prélèvement raisonnable. Il fut donc décidé de n'ouvrir la pêche aux écrevisses que 15 jours, de limiter les prises à 10 sujets par jour, de fixer la taille légale de capture à 13 cm et surtout d'en autoriser que la ligne pour exercer cette pêche, redevable d'une taxe spéciale. Le succès fut total, il fut vendu plusieurs centaines de permis de pêche aux écrevisses et des ressources affluèrent dans les caisses de la Société.

En 1981, l'état de la population semblant inchangé malgré la pression de capture, la durée de la pêche fut portée à deux mois, la taille légale des écrevisses fut abaissée à 12 cm, les autres conditions d'exploitation restant identiques.

Un nombre encore plus grand de permis fut vendu tandis que la réputation des écrevisses s'affirmait. Par précaution, chaque pêcheur reçut un permis sur lequel il est indiqué sans ambiguité, que la transplantation des écrevisses de Californie est illégale et peut être nocive. Il semble que ce rappel n'ait pas été bien compris puisque la rumeur publique donne pour probable le déversement de Pacifastacus leniusculus dans le Léman par des pêcheurs d'écrevisses.

Sur un autre plan d'eau close peuplé en 1975 de 500 juvéniles et en 1976 de 600 juvéniles une population très dense s'est également développée sans que son exploitation soit encore autorisée. La pêche va être ouverte dans des conditions analogues à celles du cas précédent.

Il existe actuellement en Savoie (5) eaux closes occupées par des écrevisses de Californie, ce sont les résultats d'introduction expérimentales qui se sont révélées jusqu'à présent favorables. Sans aucun doute, Pacifastacus leniusculus doit exister en d'autres points du territoire français mais sa présence n'est pas connue de manière officielle.

3.3 L'écrevisse rouge de Louisiane (Procambarus clarkii)

La France a reçu des écrevisses rouges de Louisiane des U.S.A., en faible quantité du Kenya à partir de 1976, et plus récemment d'Espagne. La couleur de cette écrevisse et surtout l'appellation commune de “patte rouge” sous laquelle elle est présentée au public, risquent d'inciter des amateurs à l'introduire en France.

Nous n'avons encore vu aucun exemplaire de ce crustacé sur notre territoire, cependant son acclimatation peut être considérée comme hautement probable en divers points.

Dans l'ouest tout d'abord, où elle a fait l'objet de tentatives privées d'élevage, elle s'est échappée, suivant son habitude, des plans d'eau où elle avait été consignée. Sa présence serait signalée dans la région de Redon.

Un peuplement existerait également dans une gravière close de la Crau non loin de Marseille.

Enfin des pisciculteurs de Charente et de l'Hérault ont stocké des animaux avant de les vendre et il n'est pas impossible de penser que des sujets échappés sont en train de s'acclimater.

Un plan de développement astacicole était envisagé en Camargue avec Procambarus clarkii pour tenter d'apporter à la riziculture française en détresse une ressource nouvelle. Ce projet semble avoir été abandonné avant que les premières implantations n'aient donné à Procambarus clarkii l'occasion d'envahir le delta du Rhône comme elle l'a déjà fait sur la Guadalquivir en Espagne.

En l'absence de précautions particulières que nous recommandions plus haut, il y a tout lieu de craindre que l'écrevisse rouge de Louisiane libérée inconsidérément s'installe et compromette toute tentative ultérieure d'acclimatation d'espèces plus intéressantes.

4. REFERENCES

Andre, M., 1960 Les écrevisses françaises. Paris, Lechevalier, 293 p.

Laurent, P.J., 1979 Premiers résultats des introductions expérimentales en eaux closes de Pacifastacus leniusculus Dana. Piscicult.Fr., (56):51–7

Laurent, P.J., 1980 Stocking of lakes with American signal crayfish. In The two lakes twelfth fishery management training course report. Chislehurst, Kent, Janssen Services, pp. 139–48

Laurent, P.J. et M. Suscillon, 1962 Les écrevisses en France. Ann.St.Cent.Hydrobiol.Appl., 9:335–95

Vigneux, D., 1980 Enquête sur les écrevisses en France. Paris, Conseil Supérieur de la Pêche, 152 p.

Fig. 1

Fig. 1 Département où ont été repérés des espèces nouvelles d'écrevisses:
A. 1. = Astacus leptodactylus, P. 1. = Pacifastacus leniusculus, P. c. = Procambarus clarkii


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