Mieux connaître l’eau: vers un accès plus équitable et plus durable aux ressources naturelles - KnoWat

Histoires du terrain : « Pekaan » et projet pour la paix

Le bassin du fleuve Sénégal abrite de nombreux agriculteurs et joue un rôle essentiel dans la sécurité alimentaire du pays, mais les agriculteurs sont confrontés à des difficultés d'accès et de gestion des ressources en eau. Le projet de la FAO "Mieux connaître l’eau : vers un accès plus équitable et plus durable aux ressources naturelles" (KnoWat) a réalisé une évaluation de la tenure de l'eau dans le bassin afin d'améliorer l'allocation équitable des ressources en eau.

Au nord du Sénégal se trouve un village de pêcheurs appelé Ngaolé, situé au bord du fleuve Sénégal. Le fleuve marque en partie la frontière entre le Sénégal et la Mauritanie et n'est qu'à un jet de pierre du Sahara - le plus grand désert chaud du monde. On peut souvent voir des canoës en bois poussés par des pêcheurs sur les rives rouges du fleuve, où vivent également des crocodiles. Mais les pêcheurs peuvent se sentir en sécurité : ils connaissent non seulement le fleuve mais aussi les esprits de l'eau. Lors des cérémonies locales, des "pekaans", de longs poèmes, sont chantés aux esprits de l'eau pour protéger les pêcheurs et la communauté des accidents.

Cette protection est nécessaire aujourd'hui, car les communautés sont confrontées à de nouveaux défis : le changement climatique et les sécheresses prolongées, la croissance démographique, la surexploitation des eaux souterraines et la pollution ont entraîné une pénurie d'eau. Cela a rendu la vie déjà difficile pour beaucoup de personnes dans les zones rurales du nord encore plus pénible. La pauvreté et l'insécurité alimentaire y sont répandues et la plupart des gens pratiquent la pêche, l’élevage ou l'agriculture de subsistance.

Associée à un manque de clarté des droits d'accès et de gestion de l’eau, la situation dégénère souvent en conflits entre, par exemple, les éleveurs et les agriculteurs. Lorsqu'ils se déplacent d'un endroit à l'autre, les pasteurs ont besoin d'eau pour leur bétail, mais les agriculteurs ne veulent pas toujours partager leurs ressources en eau déjà limité

Mr Samba BA, appelé "Ngary cérémonies traditionnelles Ngaolé" Chante lors des "Pekaans" pour glorifier les rappeler les exploits de leurs acteurs, les encourager et les ancêtres.

Ousmane Ly, originaire du village de Guia dans la commune de Guède-village, département de Podor, région de Saint Louis au Sénégal est un producteur qui pratique le pastoralisme. En effet, selon lui à cause des changements climatiques, leur cheptel s’est réduit de manière considérable et est géré dans des zones d’aménagements hydro-agricoles où l’espace de pâturage s’est rétrécit. Il affirme qu’à cause de la rareté du fourrage et des points d’eau, la transhumance précoce et prolongée reste la seule alternative pour eux. Selon M. Ly : « La réduction des zones de pâturage et l’éloignement des points d’eau sont dus, d’une part à la démographie galopante avec comme conséquences l’extension des villages et des petites villes (Taredji, Ndioum) sur les parcours de bétail ou aux zones de pâturage ; d’autre part aux aménagements hydroagricoles (Ngallenka, casier de Nianga, etc.). »

Cette situation entraine fréquemment des tensions et même des conflits entre les différents acteurs notamment les agriculteurs et les éleveurs. D’après lui, le projet KnoWat de la FAO a apporté une solution concrète à ce problème à travers l’évaluation de la tenure de l’eau. Cette évaluation doit-être répandue sur l’ensemble du Sénégal et même au-delà dans les pays du bassin du fleuve Sénégal pour consolider la cohésion sociale et la paix entre les différents usagers de l’eau.

Troupeau de moutons au bord du fleuve.

Le travail de la FAO pour un accès et une utilisation équitable de l'eau

Le projet KnoWat a travaillé dans deux zones du bassin du fleuve Sénégal, Podor (le village de Ngaolé est voisin) et l’axe Gorom-Lampsar à Saint-Louis, pour soutenir l'allocation équitable de l'eau aux utilisateurs de ces zones en réalisant une évaluation de la tenure de l'eau. Outre ce travail, une base de données WaPOR sur la consommation et la productivité de l'eau a été constituée et l'équipe du projet a mené des activités de renforcement des capacités en matière d'évaluation des ressources en eau pour le personnel technique du pays de 2019 à 2022.

Les lois officielles accordent des droits légaux aux personnes pour l'utilisation et l'accès à l'eau, mais ces droits sont souvent déterminés par les habitudes et les coutumes des pays en développement. Le problème est que ces coutumes ne garantissent pas le droit des personnes à utiliser l'eau et à y accéder.

« Au cours de l'évaluation, nous avons découvert que certains cours d’eau du bassin du fleuve Sénégal sont considérés comme sacrés par la population locale et n'ont pas été utilisés depuis des générations. Mais il n'existe aucun document qui leur confère ce droit. Imaginez que ces rivières soient soudainement utilisées, par exemple pour l'irrigation, par quelqu'un qui a acquis un droit légal sur elles. Ce serait terrible pour les populations locales. C'est pourquoi nous devons étudier ces différentes tenures, afin de protéger l'accès et l'utilisation de l'eau par les populations locales », explique Sofia Espinosa, spécialiste des régimes fonciers et eaux à la FAO et l’un des superviseurs de l'évaluation de la tenure de l’eau au Sénégal.

Comme l'évaluation de la tenure l'eau, est novateur, le projet KnoWat a d'abord développé une méthodologie pour ce travail. En pratique, la méthodologie prévoit un équilibre entre la recherche documentaire, le travail de terrain pour la collecte de données, les formations et les consultations participatives avec les populations locales qui dépendent de l'eau pour leur subsistance, les décideurs et les parties prenantes nationales. Elle examine les lois et politiques officielles, leur mise en œuvre et l'application des règles.

Au Sénégal, l'évaluation a révélé qu'il existe de nombreux autres types de tenures de l'eau qui sont légitimes par la coutume ou la religion, mais non pas par le cadre juridique du pays.

« Outre cet exemple d'utilisation des ressources en eau à des fins coutumières, les gens ont l'habitude de pêcher dans le fleuve Sénégal, mais le cadre juridique ne reconnaît pas ce type de coutume, et les pêcheurs ne le savent pas encore. De même, certains agriculteurs de la région pratiquent la culture de décrue, mais s’il y a des barrages dans certaines zones, ce type d’agriculture sera menacé et réduit au minimum », poursuit Mme Espinosa.

Ainsi, protéger et sécuriser les pratiques locales en les intégrant dans le cadre juridique, ou trouver une solution alternative à ces défis, apporterait la sécurité aux habitants : les cultures seraient alimentées à l'avenir, apportant de la nourriture sur la table, et les pratiques coutumières pourraient perdurer, apportant de la nourriture pour le cœur.

Babacar Diop, agropasteur - CNCR.

« L'avantage de ce projet est que nous avons interrogé les dispositifs traditionnels et juridiques de la gouvernance de l'eau et nous avons constaté qu’il y a beaucoup de difficultés liées à la gestion de l'eau dans le bassin du fleuve Sénégal. Une connaissance approfondie de ces difficultés a donc été possible grâce à l'étude d'évaluation de la tenure de l'eau et notre objectif est maintenant de faire en sorte que cette approche et les résultats obtenus soient diffusés et connus du public, en particulier des décideurs aux niveaux national et local », confirme Babacar Diop, agropasteur à Ross Bethio et administrateur du Conseil national de concertation des ruraux (CNCR).

Un timing parfait

Le projet tombe à point nommé : actuellement, le Sénégal travaille sur un processus de révision de son code de l'eau. L'évaluation complète du projet, assortie de recommandations, devrait contribuer à ce travail et à la manière dont le code pourrait être révisé et inclure ces droits coutumiers et informels identifiés à travers l'évaluation de la tenure de l'eau.

« Le projet a organisé des ateliers de validation aussi bien au niveau local et national avec les parties prenantes, dont certaines participent également déjà à la révision du code de l'eau. A l'issue de ces ateliers, le rapport d'évaluation a été validé en mai 2022 à Dakar par l’ensemble des acteurs impliqués, ce qui est prometteur », raconte Lamine Samaké, coordinateur national du projet KnoWat.

Younoussa Mballo, Atelier de validation de l'évaluation de la tenure de l'eau.

Younoussa Mballo, conseiller technique au ministère sénégalais de l'Agriculture, de l'Equipement rural et de la souveraineté alimentaire a jugé utile le travail du projet.

« Nous pensons que le projet KnoWat a permis d'affiner nos politiques, programmes et stratégies de gouvernance de l'eau et de les orienter vers une utilisation plus efficace et efficiente des ressources en eau. Le Sénégal est doté d'une grande quantité de ressources en eau et ces ressources seront encore mieux gérées en considérant les résultats obtenus tout au long du projet KnoWat. Nous pensons, en fin, que s'il reste des questions à éclaircir dans ce processus, nous devrions voir comment poursuivre ce travail et surtout le mettre à l'échelle. »

Au niveau mondial, la situation est alarmante

Plus de 733 millions de personnes vivent actuellement dans des zones de stress hydrique élevé ou critique, et la demande mondiale en eau devrait augmenter de 30 % d'ici à 2050. L'agriculture est de loin le plus gros utilisateur, puisqu'elle représente 72 % des prélèvements d'eau dans le monde. La question est de savoir comment résoudre ce casse-tête pour un développement durable pour les populations et la planète ?

« Nous pensons que la gouvernance responsable de l'eau, y compris le travail sur la tenure de l'eau, constitue un outil important pour relever le défi de la décennie », conclut Benjamin Kiersch, coordinateur global du projet.

De retour dans le village de « Ngaolé », alors que les pêcheurs et les agriculteurs vaquent à leurs occupations, le « Pekaan » continue de chanter – il chante les éloges des braves hommes et femmes du village mais il fait surtout un rappel des exploits, de la force et du courage des ancêtres et fondateurs du village. Aujourd'hui et à l'avenir, espérons que les mots d'encouragement se répandent dans le bassin, au Sénégal et dans le monde entier, pour un avenir où l'eau serait équitablement partagée en ne laissant personne de côté.

Partagez