Maroc

Les gardien(e)s de ruches d’Er-rich

©Hassan Chabbi
16/05/2022

Il est de ces endroits, où toutes les abeilles sont reines. Lors d’une formation organisée un lundi après-midi du mois de mars, le bruit de fonds est particulièrement révélateur. Des chuchotements et des rires résonnent alors que des femmes et des hommes s’installent dans une salle comble. Au cours de cette journée, des apiculteurs et apicultrices de tout âge seront formés au développement et la valorisation de d’une race d’abeille jaune appelée « saharienne » Apis Mellifica sahariensis, qui est rustique, douce, non agressive et bien adaptée aux conditions climatiques locales et d’élevage.

Alors que la salle se remplit-comptant d’abord 3 participants, ensuite 10, puis presque 25- M’hamed Aboulal, le formateur, nous fait un signe de la main pour nous inviter à voir de près « l’insecte» avant le démarrage de l’atelier. «N’ayez pas peur. C’est la race la plus douce. C’est pour ça qu’elle rend « jaune » de jalousie sa voisine du nord, l’abeille noire ». Dit-il le sourire aux lèvres. En plus d’être belle vêtue d’une longue robe jaune, elle est docile ; produit un miel de qualité et est aussi meilleure butineuse puisqu’elle peut parcourir jusqu’à 8 km contre 3 à 6 km  pour la tellienne ».

A Er-rich, dans la province de Midelt au Maroc, les apiculteurs et apicultrices savent que l’abeille jaune saharienne est menacée de disparition en raison des sécheresses successives qui ont sévi dans la région, des effets négatifs de la lutte antiacridienne, du savoir et savoir-faire en matière des techniques apicoles modernes des jeunes très limités et des impacts de la transhumance apicole menant d’autres races dans la zone. Négliger cette race pourrait entraîner des conséquences dramatiques sur le cheptel. M’hamed, comme les autres participant.e.s en sont parfaitement conscients.

Pendant qu’il présente l’incroyable histoire du centre dans lequel ils/elles se trouvent, les participant.es s’impatientent de lui poser leurs questions. Dans la salle de discussion, des dizaines de voix s’élèvent. « comment produire plus de reines? » se demande Fatima, « quelles sont les techniques d’insémination artificielle ? » « comment promouvoir la multiplication des reines de l’abeille jaune saharienne ? » s’exprime Abdellah. La réponse aux questions est donnée par le formateur lui-même. Pour certaines, la réponse est facile tandis que d’autres questions prennent davantage de temps. Par-dessus tout, les participant.es veulent sauver des vies – celles des abeilles, qui d’autre part et pour certain.es, étaient leur gagne-pain.

À la fin de la formation théorique, des murmures d'appréciation envahissent la salle : « Bien expliqué » « Beaucoup de détails, merci » « Merci pour cette présentation riche et importante ». « ce n’est que la théorie. La pratique est d’autant plus intéressante. Venez voir les abeilles » leur lance M’hamed, fier de leur avoir transmis une partie de son savoir-faire.

 

L’apiculture : quand la passion dévore

 

En l’écoutant parler de sa passion d’apiculture, on comprend que les butineuses, les porteuses ou encore la reine des abeilles ont aussi le goût des valeurs qui animent l’homme qui les élève. Des odeurs de cire au vol des abeilles, cette communion avec la nature lui a toujours donné envie de revivre les mêmes émotions qu’il a connues étant petit car l’élevage des abeilles a depuis toujours piqué la curiosité de M’hamed Aboulal.

Ce natif de la région du sud du Royaume du Maroc n’était qu’un enfant lorsqu’il en a eu la piqure.

M’hamed se rappelle du temps où son père, qui fut quelques années plus tôt apiculteur, lui faisait gouter ainsi qu’à ses frères et sœurs, le miel à peine sorti des ruches dans les murs en pisé ou en bois sur lequel ils s’assoyaient, pendant qu’il vaquait à ses occupations. Il devait avoir 7 ans, tout au plus. Aujourd’hui, il est Président de la Coopérative Apicole Chifae à Errachidia (COPAC) et de la Fédération interprofessionnelle Marocaine de l’Apiculture (FIMAP) et renforce les capacités des apiculteurs et apicultrices de la région par des formations théoriques et pratiques portant sur la sauvegarde, le développement et la valorisation de l’abeille jaune saharienne.

Chaque matin, M’hamed se rend sur les hauteurs d’Er-rich dans la région de Drâa-Tafilalet entre Midelt et Errachidia et au carrefour des routes menant à Meknès, Tafilalet et Tinghir pour inspecter le rucher et ses colonies d’abeilles et évaluer leur état de santé. Les abeilles et lui le savent : ce sont la patience et les montagnes qui font les fleurs à butiner. Et Er-Rich et ses sommets avoisinants offrent une flore riche et diversifiée.

C’est là dans ce lieu isolé, non loin du centre, qu’il retrouve ses milliers d’abeilles jaune saharienne. « Je les connais presque toutes » dit-il en rigolant. Une dizaine de ruches y est installée. Et lorsqu’on s’y approche, un bourdonnement signale la présence des faiseuses de miel. L'homme, modeste, ne se pique pas d’être le roi des abeilles.

« Pour elles et grâce à elles, j’ai la chance de mettre en valeur et perpétuer le savoir-faire de mes ancêtres et faire un métier que j’aime et qui me donne l’envie de me lever aux aurores chaque matin pour faire avancer les choses ».

 

Un centre de renommé national qui s’apprête à devenir une référence régionale

 

Après avoir accompli ses fonctions professionnelles, M’hamed se rend régulièrement dans le centre dans lequel se tiennent les formations théoriques et pratiques et qui est le fruit d’une collaboration multipartite fructueuse.

Pour rappel, la FAO travaille main dans la main avec ses partenaires pour la sauvegarde et le développement de cette race particulièrement intéressante et adaptée aux zones oasiennes. Les efforts conjugués ont permis la création d’un centre technique apicole de sélection, de multiplication et de diffusion des reines qui a également pour mission l’amélioration des compétences en apiculture.

Il est hébergé dans les locaux de l’Office Régional de Mise en Valeur Agricole du Tafilalet (OMRVATF) qui les ont mis à la disposition de la Coopérative Apicole Chifae à Errachidia (COPAC) dont M’hamed Aboulal est le fondateur et se trouve dans l’un des cinq sites du projet OASIL « Revitaliser les agroécosystèmes oasiens à travers une approche durable, intégrée et paysagère dans la région de Draâ-Tafilalet », qui a pour objectif global de revitaliser les agroécosystèmes oasiens de la région de Drâa-Tafilalet pour qu’ils soient productifs, attrayants et sains, et pour soutenir et rendre plus résistants les moyens de subsistance des communautés locales.

Ainsi, la sauvegarde, la préservation et le développement de l’abeille jaune saharienne s’intègrent dans les objectifs visés par le projet OASIL en termes de préservation et valorisation de l’agro biodiversité locale, de contribution à la protection de la biodiversité à travers la pollinisation, d’amélioration des revenus des petits exploitants, d’emploi des femmes et des jeunes et de promotion de l’auto-emploi.

Plusieurs activités y sont organisées dont : la sélection de cette race, la production des reines à travers les techniques d’insémination artificielle, la promotion de la multiplication des reines par des apiculteurs partenaires organisés, la diffusion de reines et la reconstitution du cheptel apicole par la race, la mise en place d’un réseau de professionnels apiculteurs (trices) constitué d’unités pépinières (UP) pour la multiplication et la diffusion de l’abeille jaune saharienne ou encore la formation des apiculteurs et apicultrices à la création et à la gestion des coopératives et des micro entreprises ainsi qu’à l’auto-emploi.

 

L’écosystème mondial face à un nouveau risque, les abeilles désertent

 

Récemment, les populations d’abeilles ont subi des pertes spectaculaires, jamais observées auparavant. Un phénomène connu sous l’appellation "Syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles" a été constaté dans des pays en Europe, en Amérique et en Afrique. Les apiculteurs ont signalé la disparition soudaine et inexpliquée de colonies d’abeilles, suivie de la mort des ouvrières, la survie de la seule reine et par conséquent la perte des ruches.

Le phénomène suscite une inquiétude croissante aussi bien chez les éleveurs que chez les spécialistes de ce domaine comme M’hamed Aboulal qui dit « si cela se perpétue, les conséquences de cette disparition inopinée seraient lourdes vu l’importance des ruchers et des abeilles dans l’équilibre écologique et agricole et le développement économique, ainsi que de l’importance du secteur en termes d’emplois ». Selon M’Hamed, l’abeille jaune saharienne semble relativement moins impactée par ce phénomène d’effondrement des colonies.

Bien que plusieurs raisons figurent au premier rang des coupables présumés comme l’insuffisance de la pluviométrie, à la mauvaise nutrition des abeilles résultant du manque de pâturages, à l’état sanitaire des ruches et de pratiques de l’élevage des abeilles, tous les gouvernements concernés sont à pied d’œuvre pour approfondir les recherches pour en connaître les véritables causes et les facteurs qui en sont responsables.