Amélioration de la production: en Türkiye, la réduction de l’utilisation de pesticides transforme la production de pommes et protège l’environnement local


M. Raimund Jehle, Chef de programme régional pour l’Europe et l’Asie centrale

Récolte de pommes en Turquie. © Institut de recherche sur les fruits du Ministère de l’agriculture et des forêts

20/08/2024

Vieille comme le monde, la production de pommes prospère à l’heure actuelle en Türkiye. Certes, le marché est dominé par unepoignée de variétés à forte valeur marchande, mais le pays compte 460 variétés de pommes locales, dont chacune a une couleur, un goût, une odeur et même une forme qui lui sont propres.

Le pays est un important producteur de pommes à l’échelle mondiale et a fourni environ 5 pour cent des 95 millions de tonnes de pommes cultivées dans le monde en 2022. Selon l’Institut turc de la statistique, près de 4,8 millions de tonnes de pommes ont été produites en Türkiye cette année-là, et près d’une pomme sur quatre (presque 25 pour cent) provenait de la province d’Isparta.

Mais une production d’une telle ampleur n’est pas sans inconvénient.

La production de pommes s’effectue sur 95 pour cent d’une zone de vergers de 3 500 hectares dans la région d’Egirdir (province d’Isparta). La plupart de ces vergers se trouvent au bord du lac d’Egirdir, le deuxième plus grand lac de Türkiye, qui est ainsi particulièrement exposé au risque de contamination à cause de l’utilisation excessive et inappropriée de pesticides. Des experts estiment que les pesticides et les autres produits chimiques toxiques qui se déposent au fond du lac altèrent l’écosystème local, ainsi que la qualité des sols et de l’eau. En raison du recours intensif aux pesticides, ces pommes produites en monoculture peuvent développer une forte résistance aux pesticides.

Compte tenu de l’importance que revêt la production de pommes dans cette zone réduite, et des risques relativement élevés résultant de l’utilisation de pesticides, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et ses partenaires nationaux et locaux se sont penchés sur les impacts environnementaux préjudiciables de l’utilisation intensive de produits chimiques dans la production de pommes.

En 2020, la FAO a lancé une série d’essais de gestion intégrée des organismes nuisibles dans la région, afin d’encourager les producteurs de pommes à promouvoir des solutions plus respectueuses de l’environnement pour remplacer les pratiques agricoles traditionnelles, tout en réduisant l’utilisation des pesticides et les risques y afférents. La gestion intégrée des organismes nuisibles est une stratégie globale, qui prend en compte toutes les techniques de lutte existantes, et qui consiste à mettre en place des mesures visant à endiguer la propagation des organismes nuisibles, tout en maintenant l’utilisation des pesticides à des niveaux économiquement justifiés, et en réduisant le plus possible les risques pour la santé humaine et l’environnement. La gestion intégrée des organismes nuisibles met l’accent sur les mécanismes naturels de lutte et recommande l’utilisation responsable de pesticides en dernier recours.

En haut à gauche: Séance ordinaire de conseil en matière de surveillance et de gestion intégrée des organismes nuisibles avec un agriculteur. En bas à droite: Pose de diffuseurs de phéromones pour piéger les organismes nuisibles et bouleverser leur cycle d’accouplement, et ainsi réduire le besoin de pesticides. © Institut de recherche sur les fruits du Ministère de l’agriculture et des forêts

Tout au long de ces essais réalisés en Türkiye, qui auront duré quatre ans, l’objectif de la FAO a été de comprendre comment la gestion intégrée des organismes nuisibles et les autres méthodes de lutte peuvent améliorer la qualité et la valeur marchande des produits, tout en réduisant le recours aux pesticides. Ces essais ont été effectués en collaboration avec le Ministère de l’agriculture et des forêts, la Direction de l’Institut de recherche sur les fruits d’Egirdir, l’Université des sciences appliquées d’Isparta et l’Association des jeunes entrepreneurs d’Isparta.

Mise au point avec les partenaires nationaux de la FAO, la méthodologie d’essai a permis d’expérimenter et d’adopter de nouvelles techniques de lutte contre les principaux organismes nuisibles à la pomme, tels que les carpocapses (Cydia pomonella), les mites (Panonychus ulmi et Tetranychus urticae) et la tavelure du pommier (Venturia inaequalis).

Durant la première année, l’utilisation d’outils biotechniques pour lutter contre les organismes nuisibles et le recours à la gestion intégrée de ces organismes ont permis de réduire de 70 pour cent l’utilisation de pesticides dans la lutte contre le carpocapse, par rapport à l’approche traditionnelle consistant à utiliser plus de 30 traitements chimiques par pomiculteur à chaque campagne agricole, et ce sans diminuer le bénéfice net par hectare. En outre, les résultats ont montré que les pratiques de gestion intégrée des organismes nuisibles avaient permis de réduire les résidus de pesticides dans les produits finaux.

Sur la base de ces résultats encourageants, le périmètre des essais a été étendu à 30 producteurs de pommes cultivant près de 70 hectares dans la région d’Isparta en 2021, puis à 46 pomiculteurs cultivant près de 90 hectares en 2022. Le projet a consisté à distribuer 165 000 diffuseurs de phéromones pour piéger les organismes nuisibles et bouleverser leur cycle d’accouplement, réduisant ainsi le besoin de pesticides. En outre, les producteurs ont bénéficié d’un suivi et de conseils tout au long de la campagne. Là aussi, les résultats ont montré que les diffuseurs de phéromones pouvaient permettre de réduire l’utilisation de pesticides de plus de 70 pour cent en moyenne. Certains producteurs se sont même totalement passés de ces produits.

La FAO a également réalisé des essais de lutte contre la tavelure du pommier en 2022, mais il n’y a pas eu d’épidémie de tavelure cette année-là grâce à un temps sec.

Tri des pommes après la récolte, dans une installation de stockage. © Institut de recherche sur les fruits du Ministère de l’agriculture et des forêts

Les essais de 2021 et 2022 ont mis en évidence que la gestion intégrée des organismes nuisibles nécessite un travail et des efforts moindres et coûte moins cher en intrants que l’utilisation de pesticides conventionnels. Il a été possible de produire des pommes sans risques liés aux résidus, non nocives pour l’environnement et sans résistance accrue aux pesticides.

Durant la dernière année, des essais selon une approche plus globale ont été réalisés dans les champs expérimentaux de l’Institut de recherche d’Egirdir. En plus des efforts visant à lutter contre le carpocapse et la tavelure du pommier, 740 000 insectes auxiliaires (Phytoseilus persimilis) ont été disséminés pour lutter contre le tétranyque à deux points (Tetranychus urticae), sans qu’il soit nécessaire de recourir aux pesticides. Cette expérience a confirmé l’efficacité de l’approche globale appliquée dans les champs d’essai.

Une réunion organisée en 2023 avec des agriculteurs ayant bénéficié de l’initiative a nourri l’espoir que les interventions de la FAO aient un impact pérenne. Conscients des risques sanitaires liés à l’utilisation de pesticides, les agriculteurs ont continué à pratiquer activement la gestion intégrée des organismes nuisibles. Ils expliquent que les diffuseurs de phéromones, qu’ils ont payés de leur poche, sont plus efficaces que les traitements chimiques pour les grands arbres, en raison de la difficulté à atteindre la cime lors de l’épandage. Par ailleurs, les femmes participent bien davantage à la pose des diffuseurs, ce qui accroît leur présence dans l’agriculture en général.


Tout au long de ces essais, qui auront duré quatre ans, près de 300 pomiculteurs (en plus des producteurs ayant bénéficié de l’initiative) ont été formés dans la région. Les anciens bénéficiaires estiment que 150 confrères et consœurs ont adopté les nouvelles pratiques après avoir vu les résultats positifs des essais.

En outre, les partenaires locaux continuent de faire connaître les résultats probants des essais dans le but de sensibiliser les producteurs aux risques liés aux pesticides, et aux solutions plus respectueuses de l’environnement. La FAO mène également des études pour comprendre le degré de résistance aux organismes nuisibles et la façon dont il est géré grâce aux stratégies de gestion intégrée des organismes nuisibles dans la production de pommes en Türkiye, afin d’améliorer les méthodes de production.

Je suis fier des efforts entrepris par la FAO en Türkiye pour transformer la façon dont les agriculteurs produisent les pommes que nous aimons tous déguster. Rendre la production plus saine et plus salubre constitue une amélioration de la production. Les essais de la FAO en Türkiye ont permis de montrer que l’Organisation, avec le concours d’agriculteurs locaux et d’autres partenaires, peut contribuer à bâtir des systèmes agroalimentaires résilients et durables qui profitent aux populations locales et à l’humanité toute entière.

3. Good health and well-being, 12. Responsible consumption and production, 13. Climate action