Le soutien aux moyens de subsistance dans les situations de crise est la réponse la plus efficace et la plus respectueuse que nous puissions apporter, affirme le Directeur du Bureau des urgences et de la résilience

Entretien avec Rein Paulsen, Directeur du Bureau des urgences et de la résilience de la FAO

©FAO

Dans un contexte de crise alimentaire, plus de 70 pour cent des personnes touchées vivent dans des communautés rurales, et pourtant seulement 4 pour cent de tout le financement de l'intervention humanitaire qui va dans ces situations d'urgence prolongées soutient l'agriculture.

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17/04/2023

Rome - Ces dernières années, la pandémie de covid-19, la crise climatique, la dégradation de l’environnement, l’appauvrissement de la biodiversité et les conflits sont à l’origine de problèmes ayant d’importantes répercussions sur la sécurité alimentaire au niveau planétaire. Actuellement, des millions de personnes vivant dans plus de 45 pays ont besoin d’une aide d’urgence. 

Fournir une aide alimentaire ne suffit pas pour lutter contre la crise alimentaire grandissante, explique Rein Paulsen, Directeur du Bureau des urgences et de la résilience de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). 

Rein Paulsen a échangé avec le service de presse de la FAO au sujet de préoccupations majeures sur le plan humanitaire au niveau mondial et a souligné l’importance de prendre des mesures préventives et d’investir en amont pour soutenir la production alimentaire locale et renforcer la résilience agricole dans les points névralgiques de la faim. 

Vous avez géré nombre des plus grands programmes humanitaires et d’aide d’urgence dans le monde. Comment la situation humanitaire a-t-elle évolué au cours des dernières décennies? 

L’une des évolutions les plus notables est certainement l’explosion, la multiplication et l’envolée du nombre de personnes ayant besoin d’une aide d’urgence.  

L’Aperçu de la situation humanitaire mondiale, appel commun coordonné par l’ONU avec ses partenaires, dont la FAO, portait en fin d’année dernière sur l’aide à apporter à quelque 230 millions de personnes. Ce chiffre absolument colossal nous incite à faire non seulement plus, mais mieux. 

Quel est le principal enseignement que vous avez tiré de votre travail dans le cadre de situations de crise au niveau mondial? 

J’ai appris plusieurs choses importantes, mais je voudrais mettre l’accent sur la résilience aux niveaux familial et local, ainsi que l’aptitude remarquable des populations, même dans les situations les plus dramatiques, à faire face, à survivre et à s’adapter.  

La FAO veut faire passer un message important à tout le monde: la plupart des personnes ayant besoin d’une aide humanitaire vivent en milieu rural. Il s’agit de producteurs. Ces personnes vivent de la terre ou de la pêche. Nos interventions d’urgence doivent s’articuler autour de ce constat. 

En quoi consiste l’aide d’urgence apportée aux cultivateurs ou aux pêcheurs?  

Le principe est d’apporter des ressources aux producteurs qui en ont besoin.  

Il peut s’agir de semences, d’outils ou d’assistance technique, afin qu’ils puissent continuer à travailler. Il peut s’agir d’assurer la survie des bêtes, lors d’une sécheresse ou pendant l’hiver, en fournissant du fourrage pour répondre à cette situation d’urgence, et même une aide vétérinaire. Souvent, il peut simplement s’agir de fournir des liquidités aux personnes.  

Voilà ce dont ont généralement besoin les petits producteurs pour traverser une période difficile. 

Par exemple, je me suis rendu en Afghanistan début février. Rien que l’année dernière, la FAO et quelques 21 partenaires opérationnels sont venus en aide à plus de 6 millions de ruraux dans le cadre d’interventions d’urgence. Nous avons fait en sorte que les bêtes passent l’hiver et nous avons apporté un soutien financier à des foyers dirigés par des femmes et à des familles marginalisées qui n’ont accès qu’à un petit terrain. 

Nous axons notre action sur les légumes qu’il est possible de cultiver et les animaux qu’il est possible d’élever dans une cour, par exemple des poulets, afin d’avoir un apport en protéines. Ces activités très concrètes ont une réelle utilité dans cette situation d’insécurité alimentaire aiguë en milieu rural. 

Pour 220 USD, nous pouvons aussi fournir suffisamment de semences de blé pour une production couvrant les besoins annuels. Nous livrons des semences qui sont de meilleure qualité pour les années à venir. Il ne s’agit pas seulement d’apporter de l’aide, mais d’avoir un impact bien plus durable. 

Comment éviter de potentielles crises alimentaires en adoptant une approche préventive? 

Voici un exemple. La FAO a joué un rôle décisif auprès de plusieurs États, en aidant ceux-ci à adopter des mesures de prévention et de lutte face à l’invasion massive de criquets pèlerins qui a touché une grande partie de la Corne de l’Afrique, de l’Afrique de l’Est, ainsi que d’autres régions. 

Les opérations de détection précoce nous ont permis d’apporter une réponse proportionnée. Cette intervention s’est étalée sur plus de deux ans, a coûté environ 230 millions d’USD et a permis de sauver au moins 1,8 milliard d’USD de récoltes. Les chiffres parlent d’eux-mêmes.  

Pourquoi attendre la catastrophe pour agir? Qui préférerait devoir dépendre de l’aide après un sinistre plutôt qu’agir de manière anticipée et protéger les siens?  

Les points forts de la FAO sur le plan humanitaire viennent de son expérience en matière de développement. Nous sommes présents aux côtés des populations et des pays. Nous avons des relations de longue date avec les ministères de l’agriculture. Si nous distribuons une semence dans un pays, nous savons qu’il s’agit de la bonne semence car nous l’avons améliorée au fil des années.  

Les populations souhaitent toujours avoir les moyens de se prendre en charge. Il est absolument indispensable de tenir compte des moyens de subsistance dans les situations de crise. Cette démarche présente un bon rapport efficacité-coût. C’est une manière d’aider respectueusement les personnes frappées par des catastrophes. N’oublions pas que nous ne donnons pas seulement aux familles les ressources pour se nourrir dans les semaines et les mois à venir, mais que nous renforçons également leur résilience face à de futures catastrophes. 

Suffisamment de financements sont-ils affectés à l’aide agricole dans le cadre de situations de crise?  

Dans les situations de crise alimentaire, plus de 70 pour cent des personnes concernées vivent dans des zones rurales. Les agriculteurs et les pêcheurs sont en première ligne et, pourtant, seulement 4 pour cent de l’ensemble des financements affectés aux opérations humanitaires dans des situations de crise prolongée sont consacrés à l’agriculture.  

Vous avez donc une majorité de la population qui vit de l’agriculture et pourtant le secteur ne bénéficie que d’une partie minime des financements. C’est tout simplement absurde. Il est indispensable de tenir compte des moyens de subsistance dans les situations de crise. Cette démarche présente un bon rapport efficacité-coût. C’est une manière d’aider respectueusement les personnes frappées par des catastrophes. 

Nous intervenons également après ce que nous appelons des événements soudains. Par exemple, la tragédie que nous avons connue avec le tremblement de terre ayant secoué la Türkiye et la Syrie. Ces événements demandent une réponse rapide, ce qui fait aussi partie de notre travail. 

Néanmoins, la majorité des interventions de la FAO en réaction à une situation d’urgence sont organisées d’année en année. Voilà le sillon que nous devons creuser, c’est pourquoi nous devons travailler différemment

D’après une étude récente de l’ONU, quelque 43 000 personnes seraient mortes l’année dernière en Somalie des suites de la sécheresse. Comment l’aide agricole sauve-t-elle à la fois des moyens de subsistance et des vies? 

Fin 2021, la FAO et d’autres partenaires du système des Nations Unies demandaient plus de moyens pour la région en raison du manque de précipitations et des difficultés rencontrées par les populations et les foyers vulnérables.  

Je pense malheureusement que la situation actuelle dans la corne de l’Afrique illustre ce qu’il se passe quand les signaux d’alerte précoce et les demandes d’intervention préventive sont ignorés. En Somalie, une aide agricole rapide aurait permis aux familles de rester sur leur terre et de ne pas être contraintes de rejoindre un camp en périphérie urbaine.  

Notre expérience en Somalie et dans d’autres contextes nous a appris que, bien souvent, si la population peut garder en vie ses bêtes, a des champs à cultiver et les a semés, et qu’elle a des perspectives, elle n’est pas obligée de partir ailleurs.  

C’est la réponse la plus efficace et la plus respectueuse que nous puissions apporter. 

Comment la FAO vient-elle en aide aux populations dans les situations de crise dues à des conflits? 

La FAO est une institution spécialisée dotée d’un mandat unique dans le système des Nations Unies. La manière dont nous travaillons dans des situations de conflit repose sur nos compétences techniques. Chaque contexte national et chaque situation sont particuliers. 

Prenons l’exemple du Tigré. L’année dernière, le spectre de la famine planait sur la région. Bien entendu, la FAO était déjà présente au Tigré, et en Éthiopie en général, avant le déclenchement du conflit et des combats.  

Malgré le conflit, la population s’est révélée être toujours en mesure de cultiver la terre. Avec le soutien de la FAO et d’autres entités, les agriculteurs du Tigré ont produit 900 000 tonnes de denrées alimentaires, soit 6 à 7 mois des besoins de cette région du monde. 

Même dans les conditions les plus difficiles, nous sommes donc toujours en mesure de permettre aux populations de subvenir à leurs besoins grâce à des interventions rapides. 

Comment la FAO aide-t-elle les pays en cas d’épidémies planétaires telles que la pandémie de covid-19? 

J’espère que nous avons tous tiré des enseignements très importants au sujet de l’interface homme-animal-environnement. 

Les maladies qui peuvent être transmises entre l’animal et l’homme peuvent perturber les filières agro-alimentaires, mais aussi avoir des répercussions directes sur les êtres humains. La FAO travaille jour après jour avec d’autres entités des Nations Unies et d’autres partenaires sur la question de la santé animale.  

Ces 12 derniers mois, la FAO a évité et combattu quelque 990 flambées épidémiques notables de zoonoses(1). Si vous n’en avez pas vraiment entendu parler, c’est parce que la FAO a bien travaillé. Prévenir la prochaine covid est très important. 

Cet entretien a été édité à des fins de concision et de facilité de lecture.

Note: 

(1) Entre octobre 2021 et septembre 2022, le Centre d’urgence de la FAO pour la lutte contre les maladies animales transfrontières est intervenu sur 990 foyers épidémiques en Asie, en Afrique et au Proche-Orient.

Contacts

Laura Quinones [email protected]

FAO Newsroom (+39) 06 570 53625 [email protected]