Campagne de la FAO contre le criquet pèlerin: la recrudescence en Afrique de l’Est est endiguée et le Kenya est libéré de la présence du ravageur

Entretien avec Cyril Ferrand, chef de l’équipe de la FAO chargée de la résilience en Afrique de l’Est, et Carla Mucavi, Représentante de la FAO au Kenya

© FAO/ Luis Tato

Le sergent Brian Odhiambo donne une leçon sur l'utilisation des outils de pulvérisation aux agents du Service national de la jeunesse lors d'une formation sur la lutte contre le criquet pèlerin à Gilgil, au Kenya.

©FAO/Luis Tato

15/06/2022

 

- Actuellement, quelle est la situation concernant le criquet pèlerin en Afrique de l’Est/au Kenya?

Cyril Ferrand:

La situation acridienne actuelle est très calme. Nous avons déclaré la fin de la recrudescence dans l’ensemble de la région pour deux raisons principales: premièrement, nous avons mené une campagne de lutte énergique et de grande ampleur en coopération étroite avec les gouvernements et, deuxièmement, la région fait face à une grave sécheresse, ce qui signifie que les conditions ne sont plus favorables à la reproduction du criquet pèlerin. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a plus dans la région; la FAO continue de surveiller leur présence. Nous sommes à nouveau dans une situation de récession du criquet pèlerin, c’est-à-dire qu’il est toujours présent mais maîtrisé et ne pose pas de menace pour la région – aucune menace au Kenya ni en Somalie ni en Éthiopie.

Carla Mucavi:

Le Kenya est actuellement exempt de criquets pèlerins, après avoir connu deux invasions consécutives en 2019 et en 2020. Nous avons su unir nos forces et maîtriser les invasions, survenues après 70 ans d’absence du ravageur dans le pays. Personne n’était préparé à une invasion d’une telle ampleur. La FAO était le seul organisme du système des Nations Unies à avoir les compétences et les connaissances nécessaires pour répondre aux défis posés par le criquet pèlerin. Nous avons été en mesure de mobiliser les compétences et les ressources nécessaires et d’établir en temps voulu des prévisions qui ont aidé le Kenya pour les activités de formation, de surveillance, de lutte et de pulvérisation de pesticides dans les zones touchées, tout en réduisant le plus possible le risque pour les communautés et leurs cultures.

Bien que le Kenya soit actuellement exempt de criquets pèlerins, nous ne pouvons pas nous permettre de baisser la garde. Nous savons bien que le criquet pèlerin est un migrateur nuisible qui ne connait pas de frontières; nous devons donc rester vigilants et poursuivre la surveillance et la lutte.

Comment les criquets ont-ils pu être maîtrisés? Quel a été le rôle de la FAO?

Cyril Ferrand:

Le problème auquel se sont heurtés de nombreux pays, en particulier ceux qui ne font pas partie des pays de la ligne de front, comme le Kenya, c’est qu’ils n’avaient pas les capacités adéquates pour répondre à la menace. Comme vous pouvez l’imaginer, dans n’importe quel pays du monde, il est très difficile de maintenir les moyens de répondre à un choc qui se produit seulement tous les 70 ans, comme dans le cas du Kenya. Il en a été de même avec la pandémie de covid-19: le monde n’y était pas préparé car c’était exceptionnel et sans précédent. Le cas présent est comparable: quand une invasion ne se produit pas pendant de longues périodes, il y a un déficit générationnel de compétences et il est difficile d’investir des ressources dans la préparation d’un événement improbable, surtout si vous avez d’autres priorités, comme les sécheresses, les inondations et d’autres chocs.

La FAO a mis en place des capacités minimales pour permettre aux gouvernements de mener des prospections et des opérations de lutte. Nous avons formé 3 800 personnes dans l’ensemble de la région à l’utilisation d’applications innovantes, comme eLocust3, pour identifier le criquet pèlerin et signaler sa présence. Nous avons aidé le Gouvernement à créer un bureau national d’information sur le criquet pour gérer les données aux fins d’opérations quotidiennes sur le terrain. Nous avons également acheté des véhicules, y compris des motos, afin que les agents gouvernementaux puissent se déplacer plus facilement. Nous avons acheté des pesticides et fourni des trousses de protection comprenant des masques, des gants, des lunettes et des vêtements de protection. Enfin, nous avons loué un certain nombre d’aéronefs, dont des hélicoptères, pour augmenter les capacités de surveillance et de lutte.

Carla Mucavi:

Ce résultat est le fruit d’importants efforts et d’un travail d’équipe, bien coordonnés par la FAO, sous la direction rigoureuse du Gouvernement. La lutte contre le criquet pèlerin a été une tâche complexe, qui a nécessité beaucoup de ressources en raison de l’ampleur de l’invasion. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec le Gouvernement national, les comtés au niveau sous-national, ainsi que les communautés et la presse pour sensibiliser à la situation. La FAO a dû former des personnes, en particulier des jeunes, à l’utilisation de nouvelles technologies, comme eLocust3, pour leur permettre de communiquer des informations relatives à la recrudescence du criquet.

Avec l’aide de la FAO, le Gouvernement kényan a géré les première et deuxième vagues de l’invasion de criquets pèlerins. La FAO a réuni quelque 24 millions d’USD provenant de 18 donateurs, et ces ressources ont servi à acheter des insecticides, des véhicules et du matériel de pulvérisation et à mobiliser des ressources humaines. Pour ce qui est des opérations, les ressources ont permis de mener des activités de prospection et de lutte, ainsi qu’à appuyer la reconstitution des moyens d’existence. À la fin des deux vagues, sur les 19 millions d’hectares prospectés, 212 000 hectares avaient été traités par pulvérisation. Cette opération a permis de protéger 320 000 hectares de terres contre l’invasion. Ces données montrent que la FAO a contribué à sauver des cultures et des vies. Les activités de lutte antiacridienne ont permis d’éviter la perte de plus de 11 000 hectares de cultures, ce qui représente environ 3,4 millions d’USD. Ainsi, plus de 75 000 personnes ont été en mesure de satisfaire leurs besoins annuels en céréales et près de 5 500 ménages ont pu nourrir leurs animaux d’élevage et produire du lait pour diversifier l’alimentation et améliorer la nutrition. 

L’intervention en Afrique de l’Est visait-elle également à protéger les moyens d’existence?

Cyril Ferrand:

Oui, nous avions passé en revue les enseignements tirés de la recrudescence survenue en Afrique de l’Ouest en 2003-2005, et l’une des recommandations était de ne pas se concentrer uniquement sur la surveillance et la lutte, mais d’investir également dans la protection des moyens d’existence. Par le passé, ces opérations étaient faites de manière successive, mais nous avons appris qu’il fallait les effectuer simultanément. Moins de zones de pâturage pour les animaux d’élevage signifie moins de viande et de lait pour les enfants de moins de 5 ans, notamment. Il y avait un risque de malnutrition, que nous avons évité en intervenant sur les moyens d’existence, en distribuant des aliments pour animaux et des semences et en effectuant des transferts d’espèces à destination des personnes touchées. L’apport monétaire a été très important pour stabiliser les moyens d’existence, car il a permis aux personnes, notamment celles qui avaient perdu leur récolte, d’acheter des aliments.

Les recrudescences de criquets pèlerins se produisent-elles régulièrement? Sera-t-il possible de les prévenir à l’avenir?

Cyril Ferrand:

En dépit de ce que beaucoup de gens pensent, les recrudescences ne sont pas cycliques, mais le criquet pèlerin peut toujours revenir. Par conséquent, les systèmes de surveillance et l’action immédiate sont extrêmement importants. Si les conditions climatiques sont favorables au criquet pèlerin et que les pays ne contrôlent pas les zones concernées, le criquet risque de se reproduire et de proliférer. Plus on effectue de prospections, plus on réduit le risque que la multiplication du criquet passe inaperçue. Actuellement, des moyens de surveillance sont en place. En définitive, oui, les criquets pèlerins pourraient revenir s’ils se reproduisaient dans des zones qui ne pourraient être ni surveillées ni contrôlées, non pas à cause d’un manque de moyens de surveillance mais plutôt pour des raisons de sécurité, dans des pays comme le Yémen et certaines régions de la Somalie.

Comment l’approche par anticipation de la FAO aide-t-elle à éviter de graves crises acridiennes et d’autres chocs?

Cyril Ferrand:

L’Afrique de l’Est, en particulier, n’est pas à l’abri de chocs, qu’ils soient anthropiques ou d’origine naturelle – il y a des conflits et des déplacements, des sécheresses en Éthiopie, au Kenya et en Somalie et des inondations au Soudan du Sud. Les prix des produits alimentaires augmentent de manière considérable, comme partout dans le monde bien sûr. Nous faisons face à des facteurs concomitants qui rendent primordial le renforcement de la résilience. Pour les populations rurales, en particulier, un choc n’est jamais loin. En moyenne, sur les dix dernières années, aucune ne s’est écoulée sans que ces populations connaissent un choc. Cela veut dire que si l’on n’est pas en mesure de travailler par anticipation en suivant un programme clair en matière de résilience, la probabilité que les personnes soient touchées par des chocs est élevée.

Par exemple, si l’on ne protège pas les éleveurs pastoraux contre le criquet pèlerin ou la sécheresse, les terrains de parcours seront ravagés et les animaux périront. Quand un éleveur ou une éleveuse pastoral(e) perd ses moyens de production, la probabilité qu’il ou elle reprenne son activité est quasiment nulle. Il faut au moins cinq ans pour se doter à nouveau de ces moyens et, au cours de cette période, un autre choc peut frapper. L’action anticipée a justement pour but de protéger les moyens d’existence et d’éviter la perte importante de moyens de production.

Carla Mucavi:

La FAO a aidé le Gouvernement kényan à acquérir les capacités dont il dispose actuellement pour lutter contre de nouvelles invasions de ce type, si elles devaient se produire. En étroite collaboration avec le Gouvernement, la FAO a pu créer des structures et des capacités, constituer des équipes de terrain, mobiliser des ressources et mettre en place une formation continue et des procédures de notification. Nous devons faire face à des effets du changement climatique d’une gravité et d’une intensité grandissantes. La seule façon de les atténuer est d’utiliser des systèmes d’alerte rapide pour détecter les catastrophes à l’avance et agir le plus tôt possible.

Quelle est la situation actuelle concernant la sécheresse dans la Corne de l’Afrique?

Cyril Ferrand:

La sécheresse est terrible dans la région, qui a déjà été touchée par le passé. En 2011, la Corne de l’Afrique avait connu l’une de ses plus graves sécheresses et la Somalie à elle seule avait déploré 260 000 victimes. À l’époque, nous disions que l’alerte rapide ne fonctionnait pas et nous en avons tiré la leçon. La sécheresse suivante s’est produite en 2016-2017, alors que la communauté internationale était encore sous le choc de l’échec précédent. Tout le monde a réagi rapidement: les priorités de tous les programmes de développement ont été revues et les donateurs ont répondu de manière proportionnée. Nous avons ainsi évité la catastrophe.

Cette fois-ci, tous les systèmes d’alerte ont été activés et ont bien fonctionné. Le Kenya a déclaré la situation d’urgence en septembre 2021 et la Somalie en avril 2021, c’est-à-dire il y a plus d’un an. Cependant, les fonds n’ont pas suffi face à une crise de cette ampleur.

Les effets sont considérables. Déjà 15 millions de personnes ont été touchées par la sécheresse en Éthiopie, au Kenya et en Somalie. Alors que 85 pour cent de la saison des grandes pluies s’est écoulée, seulement 50 pour cent de la pluie attendue est tombée dans la région. On peut d’ores et déjà affirmer que la région connaît, pour la quatrième fois consécutive, une saison des pluies en dessous des moyennes. De plus, nous ne subissons pas encore tous les effets de la crise en Ukraine, lesquels se matérialiseront au cours de la seconde moitié de l’année et affecteront les prix ainsi que l’approvisionnement en aliments et en engrais. Le pire est à venir et d’ici la fin de l’année, la région sera dans une situation alarmante en raison des effets cumulés de tous les chocs.

Carla Mucavi:

La sécheresse a frappé les comtés et les zones qui avaient déjà été touchés par le criquet pèlerin. La situation a été aggravée par les effets de la covid-19, qui a sévi dans le pays. Actuellement, 17 des 23 comtés du Kenya sont touchés. Nous voyons la souffrance des communautés rurales. La plupart des éleveurs pastoraux et des communautés agropastorales ont perdu leurs biens, leurs animaux et leurs moyens d’existence. C’est une rude sécheresse, qui est aggravée par les effets du changement climatique. Quelque 3,5 millions de personnes sont touchées et ce chiffre va augmenter si la situation ne s’améliore pas. La FAO, conjointement avec d’autres organismes des Nations Unies, répond à cette situation d’urgence.

La FAO met à disposition des compétences pour sauver les animaux d’élevage, qui constituent la seule source d’aliments et de revenus de nombreuses communautés rurales. Nous fournissons des cubes alimentaires et des vaccins pour les animaux et rétablissons les points d’eau. À ces mesures s’ajoutent des transferts d’espèces non conditionnels effectués dans le but de donner des ressources aux communautés et de diversifier leur alimentation. Mais ce n’est pas facile; le financement n’est pas suffisant pour répondre efficacement à cette situation d’urgence due à la sécheresse, malgré plusieurs appels lancés par l’Organisation des Nations Unies en faveur du Kenya.

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La FAO et le criquet pèlerin

 

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