©FAO/Alessandra Benedetti
Dans l’un des nombreux camps de déplacés internes autour de la ville de Goma, dans une zone déchirée par la guerre dans l’est de la République démocratique du Congo, 32 500 personnes vivent dans des abris temporaires. Une mer de tentes blanches ondule sous l’azur. À seulement 18 kilomètres de la ligne de front, on entend toujours les tirs et les explosions, surtout la nuit. Pour les populations déplacées, ces bruits ravivent le souvenir des foyers qu’elles ont dû abandonner.
Elles vivent désormais dans le camp de déplacés de Rusayo 2, où adultes et enfants ont trouvé refuge, fuyant un conflit qui s’enlise dans la région, avec l’espoir de recommencer, un jour, une nouvelle vie.
Rusayo 2 a atteint sa capacité maximale, ce qui oblige les nouveaux arrivants à s’installer dans une extension spontanée du camp. Cette surpopulation met non seulement à rude épreuve les ressources limitées du camp, mais accroît également les risques pour la sécurité des personnes, car les résidents restent vulnérables aux attaques de groupes armés.
Plus le camp s’agrandit, plus le risque d’insécurité alimentaire augmente. Ce constat ne peut échapper à aucun observateur extérieur, en particulier aux experts de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
«Dans beaucoup de camps, la situation est extrêmement alarmante sur le plan de l’accès aux services les plus élémentaires, qu’il s’agisse de l’assainissement ou du logement. Le camp de personnes déplacées de Rusayo 2 est déjà saturé, mais 30 000 personnes supplémentaires vont arriver et il n’y a pas assez de place pour les accueillir. La situation en matière de sécurité alimentaire est extrêmement critique ici, en particulier pour les nouveaux arrivants, mais aussi pour les résidents de plus longue date», a déclaré Mme Beth Bechdol, Directrice générale adjointe de la FAO, lors de sa visite à Rusayo 2.
La République démocratique du Congo traverse une crise humanitaire prolongée, alimentée par le conflit armé en cours et par des épisodes météorologiques extrêmes et récurrents, qui provoquent de vastes déplacements internes de population et précipitent des millions de personnes au bord de la famine.
Pour la seule période comprise entre janvier et juillet 2024, ce conflit a contraint plus de 1,4 million de personnes à quitter leur foyer. Au total, les camps accueillent sept millions de personnes déplacées, dont 89 pour cent se trouvent dans les provinces de l’est.
Sur le plan de l’insécurité alimentaire, la plupart des camps de déplacés internes sont classés au niveau d’urgence (phase 4 du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire [IPC]), ce qui correspond à des niveaux critiques d’insécurité alimentaire aigüe pour la population, qui traverse de longues périodes sans nourriture et connaît des niveaux élevés de malnutrition. Pour la première partie de l’année 2025, les projections laissent entrevoir une situation similaire.
Face à l’aggravation de ces conditions, la FAO a lancé un appel à débloquer 330 millions d’USD pour l’année prochaine, afin de financer des interventions d’urgence en matière d’agriculture et de renforcement de la résilience.
«L’agriculture d’urgence est un moyen respectueux, efficace et économiquement justifié de soutenir les populations les plus vulnérables de la République démocratique du Congo. Mais notre action ne doit pas se contenter d’améliorer l’efficacité des interventions humanitaires, il faut se servir des interventions agricoles pour renforcer la résilience face aux crises à venir», a expliqué M. Rein Paulsen, Directeur du Bureau des urgences et de la résilience de la FAO.
Mme Bechdol, M. Paulsen et M. Abebe Haile-Gabriel, Sous-Directeur général et Représentant régional de la FAO pour l’Afrique, ont visité le camp Rusayo 2 et d’autres sites de projets de l’Organisation afin d’évaluer les besoins sur le terrain et de trouver des solutions permettant de porter son action à l’échelle supérieure.
©FAO/Alessandra Benedetti
À l’heure actuelle, la FAO prête assistance à 25 000 ménages vulnérables, soit environ 150 000 personnes dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, dont le camp de Rusayo fait partie, à qui elle fournit des transferts en espèces non assortis de conditions et distribue des kits de micro-horticulture et des intrants destinés à l’élevage. Cette assistance permet aux personnes déplacées de satisfaire leurs besoins alimentaires et autres besoins essentiels immédiats.
Tout n’est pas réglé pour autant.
«Dans ce camp, la FAO ne se limite pas à la défense des droits humains fondamentaux, en particulier du droit à l’alimentation: elle met aussi la priorité sur le renforcement de la résilience des ménages les plus vulnérables. Il est très encourageant de voir que ces deux volets essentiels font partie des projets de la FAO. On voit qu’il y a des besoins urgents, certes, mais on observe aussi de l’optimisme, de l’envie et de l’enthousiasme, qui émanent de ces camps, des personnes déplacées elles-mêmes», précise Mme Bechdol.
Il faut dire que les kits de micro-horticulture fournis par l’Organisation ont bien aidé les familles: on peut faire pousser, même sur un terrain de quelques mètres carrés, divers légumes, comme des aubergines, des tomates, des choux, des arachides, des épinards et de l’amarante.
«Nous avons visité des camps de déplacés et nous avons pu observer combien la micro-horticulture et les interventions du même ordre permettaient de sauver des vies puisqu’ils sont une source d’alimentation nutritive au beau milieu des camps», explique M. Paulsen.
Beaucoup de familles associent la micro-horticulture et l’élevage de poules et de lapins. En effet, les déjections animales sont valorisées puisqu’elles servent à fertiliser le sol et améliorent ainsi la productivité.
Les semences maraîchères de qualité et les petits animaux fournis par la FAO sont, pour les populations, la garantie d’une alimentation quotidienne nutritive et d’un revenu tiré de la vente de produits animaux et végétaux.
À propos de sa visite chez Riziki Ange, mère de 10 enfants du camp de déplacés internes, Mme Bechdol explique: «Il y a quelque temps, elle a reçu plusieurs lapins de la FAO. Il y avait un mâle et trois femelles, qui se sont rapidement multipliés. Aujourd’hui, elle a 32 lapins.»
«Elle était très heureuse de pouvoir compter sur ce petit soutien pour démarrer et développer son activité. On sent qu’elle a appris à la gérer de manière quasiment professionnelle», explique Mme Bechdol.
L’autonomisation des femmes rurales
À l’autre extrémité du lac Kivu, à Bukavu, des centaines de femmes se réunissent dans le cadre des clubs Dimitra pour parler des défis locaux et des moyens de les relever. Les clubs Dimitra sont une initiative phare, soutenue par la FAO, qui permet aux populations rurales, en particulier aux femmes et aux jeunes, de mettre sur pied des transformations sociales, environnementales et économiques au sein de leurs communautés.
La FAO a organisé pour les membres des clubs une série de formations sur l’optimisation de la productivité agricole grâce aux pratiques agricoles durables. Les femmes ont également reçu des semences de qualité et une aide à l’élevage afin de produire plus de nourriture, ce qui leur permet de vendre les excédents sur les marchés dans la perspective de lancer un jour leur propre activité.
«C’est très encourageant d’entendre ces femmes témoigner des changements de vie qu’elles ont connus depuis le début du projet et expliquer leur désir de voir la FAO se mobiliser davantage. Nous devons travailler beaucoup plus pour renforcer l’autonomisation économique des femmes rurales, développer les activités génératrices de revenus et améliorer leur accès aux ressources et aux marchés», affirme Mme Bechdol.
©FAO/Alessandra Benedetti
Utiliser tout le potentiel de l’innovation
Dans cette même région du Sud-Kivu, des rangées nettes et verdoyantes de cultures destinées à la multiplication des semences attirent l’attention. Ces sites bénéficient du soutien de l’Institut national pour l’étude et la recherche agronomiques (INERA), avec lequel la FAO a établi un solide partenariat.
L’Organisation a fourni à l’INERA des semences de qualité et du matériel, notamment des compteurs de graines, des humidimètres et des équipements de stockage des semences, afin d’améliorer l’évaluation et la conservation des semences. Ces avancées sont indispensables à l’amélioration des rendements des cultures et à l’augmentation de la production agricole dans son ensemble.
«Nous avons grandement besoin de centres de recherche tels que celui-ci. Il aide énormément les agriculteurs locaux à faire pousser eux-mêmes suffisamment de fruits et légumes nutritifs. Nous devons nous servir de l’innovation, des technologies et des outils de données dans nos interventions d’urgence», ajoute Mme Bechdol.
Les techniques de multiplication des semences sont une révolution agricole. Mais ce n’est pas le seul domaine dans lequel l’innovation joue un rôle important dans cette région. À quelques kilomètres de là, deux installations de pointe, une écloserie et une usine d’aliments du bétail, sont la traduction concrète d’une initiative majeure de la FAO.
L’usine d’aliments est une installation moderne qui assure une production d’alimentation animale de haute qualité en utilisant des matières premières d’origine locale. Comme elle apporte aux animaux d’élevage une alimentation nutritive, l’usine améliore considérablement leur santé et leur productivité.
En complément de cette installation, l’écloserie s’occupe de la reproduction et de l’élevage d’alevins, en particulier de tilapias et de poissons-chats. Cette écloserie n’est pas seulement une source durable de protéines pour la région, elle sert aussi à fournir des alevins aux paysans locaux.
Tandis qu’elle observe les installations, Mme Bechdol remarque: «Le potentiel inexploité d’avoir une forte productivité et rentabilité agricoles est énorme. La valeur ajoutée que la FAO peut vraiment apporter, c’est d’aider à renforcer la résilience agricole du pays».
Le soutien accru apporté aux projets qui associent des interventions agricoles d’urgence et des actions de renforcement de la résilience, comme ceux qui ont cours en République démocratique du Congo, permet non seulement aux populations de préserver leurs moyens de subsistance, mais aussi de poser des fondements solides pour se relever, même en période de crise.
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