L’agent pathogène Fusarium Race Tropicale 4 (RT4) est l’une des principales menaces pour la production de bananes, dont dépendent plus de 400 millions de personnes dans le monde pour leurs revenus et leur sécurité alimentaire. ©FAO/Eduardo Soteras
La bananeraie devient rapidement le théâtre d’une activité frénétique. Le responsable de l’exploitation passe un appel d’urgence à l’Organisation nationale de la protection des végétaux (ONPV) pour l’informer que certains bananiers présentent des symptômes du Fusarium Race Tropicale 4 (RT4), champignon extrêmement destructeur.
L’organisation envoie rapidement du personnel sur place. À leur arrivée, les membres de l’équipe de l’ONPV endossent un équipement de protection individuelle, désinfectent leurs chaussures et leurs outils et suivent les autres protocoles de biosécurité nécessaires pour commencer à identifier les arbres qui posent problème. Ils établissent ensuite une zone de quarantaine dont ils interdisent l’accès au personnel de l’exploitation. Si on laisse circuler l’agent pathogène, la bananeraie est menacée d’une catastrophe certaine.
Heureusement, il ne s’agit pour l’instant que d’un scénario purement hypothétique imaginé dans le cadre d’un exercice de simulation qui a été organisé dans différents pays, y compris au Kenya, dernier exemple en date. Mais cet exercice présente une forte utilité selon Moses Njorah Kibuthu, qui travaille comme ouvrier agricole dans la bananeraie de Bendor, située à 50 kilomètres de Nairobi, capitale du pays.
«Maintenant, nous savons ce que nous devons faire pour protéger nos plantations et nos revenus par tous les moyens possibles», explique-t-il.
Les participants à l’exercice de simulation ont appris à prévenir et à circonscrire les menaces émergentes comme le Fusarium TR4 et ont œuvré à l’élaboration d’un plan d’intervention dans le cas où le scénario deviendrait réalité.
Le Service d’inspection de la santé des plantes du Kenya, qui est l’ONPV du pays, était aux commandes de l’exercice de simulation sur le Fusarium TR4. Le Secrétariat de la Convention internationale pour la protection des végétaux (CIPV), qui coordonne l’action menée à l’échelle mondiale pour lutter contre la TR4 sous les auspices de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), a joué un rôle moteur en tant qu’organisateur.
L’exercice s’inscrit dans le cadre du projet de facilitation des échanges du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), financé par la Commission européenne et mis en œuvre avec la participation de pays membres du COMESA.
L’exercice de simulation organisé au Kenya (et pour la première fois en Afrique) a été mené en collaboration avec des membres de la FAO venus de la région Amérique latine et Caraïbes, qui a une longue expérience de la lutte contre le pathogène. À gauche/en haut ©FAO CIPV/Preet Parmar; à droite/en bas ©FAO-CIPV/Preet Parmar
Des experts venus de l’autre côté de l’océan
Dans la lutte contre les organismes nuisibles agricoles, les exercices de simulation sont devenus un élément essentiel des stratégies globales de protection des végétaux. Ils peuvent être utilisés dans la mise en œuvre des activités de préparation concernant tous les nouveaux risques phytosanitaires.
Ce qui a rendu cet exercice spécial, c’est qu’il s’agissait du premier à avoir été mené en Afrique, avec la collaboration d’experts de la FAO venus de l’Amérique latine et des Caraïbes, région qui possède des années d’expérience dans la lutte contre cet agent pathogène.
«Si l’on veut empêcher que la TR4 ne s’implante dans d’autres régions, dont l’Afrique, et ne détruise d’innombrables moyens de subsistance, il est essentiel de transférer les connaissances que nous avons acquises en Amérique latine», explique Raixa Llauger, fonctionnaire agricole de la FAO pour la région Amérique latine et Caraïbes.
Au cours de l’exercice de simulation mené sur le terrain, des experts techniques de la FAO ont montré comment prélever des échantillons de plants infectés et les détruire pour enrayer la propagation de l’agent pathogène dans une plantation.
Une simulation a également été organisée au laboratoire de la station de quarantaine végétale et de biosécurité de Muguga, dans le comté de Kiambu, où les participants ont été formés à la réception d’échantillons prioritaires, au respect des mesures de biosécurité et à la transmission des résultats d’analyse aux exploitations agricoles et à d’autres acteurs concernés. Les chefs locaux ont également été invités à faire en sorte que la population comprenne qu’il s’agissait d’une simulation et non d’une situation réelle.
Dans le cadre de la préparation de l’exercice, les organisateurs ont également visité l’aéroport international Jomo Kenyatta de Nairobi pour avoir une connaissance directe de l’une des portes d’entrée potentielles des plantes et des produits végétaux infectés au Kenya.
Les simulations font partie intégrante des activités de préparation, non seulement dans la lutte contre le Fusarium TR4, mais aussi contre nombre d’autres maladies et organismes nuisibles. © FAO-CIPV/Preet Parmar
Des enjeux majeurs
Les enjeux sont considérables. Les bananes et les bananes plantains sont cultivées dans 135 pays à travers le monde. Plus de 400 millions de personnes dépendent de la banane pour leur sécurité alimentaire, et le commerce bananier représente 10 milliards d’USD annuels au niveau mondial.
Jusqu’à présent, seuls trois pays africains ont déclaré des cas d’infections liées au champignon. Mais le Fusarium TR4 est une menace particulièrement insidieuse en raison de sa persistance dans le sol et de sa capacité à se propager par l’intermédiaire d’outils contaminés, de l’eau et du matériel végétal. À l’heure actuelle, il n’existe aucun moyen d’éliminer le Fusarium TR4 une fois qu’il est présent dans le sol, d’où l’importance des mesures de prévention, de préparation et d’intervention rapide pour enrayer sa propagation.
Bien que l’agent pathogène ait été repéré pour la première fois en 2019 en Amérique latine, des exercices de simulation avaient été menés avant son apparition et se poursuivent dans les pays suivants: Bolivie, Belize, Colombie, Costa Rica, El Salvador, Équateur, Guatemala, Honduras, Mexique, Nicaragua, Panama et République dominicaine.
Grâce à cette stratégie, les pays ont renforcé leur action préventive et la biosécurité dans tous les aspects de la production, du transport et du commerce international de bananes, et ont procédé à un examen approfondi de leurs systèmes de suivi de la santé des végétaux, indique Raixa Llauger.
Parmi les exemples de réussite, on peut citer la Colombie. Le pays est parvenu à ralentir la progression de la maladie et à augmenter sa production et ses exportations de bananes de 2019 à la fin de 2023, malgré la présence du Fusarium TR4.
L’intérêt de ce type d’activités de préparation est évident pour ce qui est d’améliorer la sécurité alimentaire et de protéger les moyens de subsistance d’innombrables familles vivant dans des pays qui cultivent la banane et la banane plantain. Ces efforts peuvent jouer un rôle crucial, non seulement dans la lutte contre le Fusarium TR4, mais aussi contre nombre d’autres maladies et d’organismes nuisibles, qui augmentent en raison du changement climatique.
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