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Sauver des vies grâce à des données tombées du ciel (littéralement)


Une équipe chargée de la surveillance des maladies s’emploie à prévenir les zoonoses avant leur apparition

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Des scientifiques de la FAO et de l’Institut Pasteur du Cambodge entrent dans une grotte située à Kampot, au Cambodge, afin de prélever dans l’air des échantillons d’ADN d’animaux au moyen d’un drone et d’un échantillonneur d’air. ©FAO/Rindu Putri

30/07/2024

Dans la campagne cambodgienne, à deux heures de la capitale, Phnom Penh, des scientifiques se frayent un chemin au pied d’une falaise. Les feuilles des tecks, qui se balancent doucement, brillent et forment une voûte au-dessus d’eux. La chaleur est étouffante. Le sentier étroit est jonché de poivriers de Kampot, qui bloquent presque le passage.

Les scientifiques qui dirigent cette expédition, Filip Claes et Erik Karlsson, marchent 20 minutes avant de pénétrer dans une grotte, dont l’entrée, à peine visible, doit mesurer un mètre et demi de diamètre. Elle est entourée d’arbustes et de plantes grimpantes.

Cette exploration dans l’une des grottes perdues du Cambodge fait partie d’une initiative novatrice de surveillance des maladies menée dans le cadre d’un projet conjoint mis en œuvre par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), par l’intermédiaire de son Centre d’urgence pour la lutte contre les maladies animales transfrontières (ECTAD), en collaboration avec l’Institut Pasteur du Cambodge (IPC).

Aujourd’hui, l’objectif est de prélever des échantillons d’ADN de chauves-souris. Employant une technique non invasive, l’équipe utilise des drones pour collecter de l’ADN environnemental (ADNe) – des traces de matériel génétique provenant de poils, de plumes, de salive et même de pollen – présent dans l’air. 

L’équipe utilise des drones pour collecter des échantillons d’air sur une cartouche. Munis d’appareils PCR portables et de séquenceurs d’ADN, les scientifiques peuvent détecter des agents pathogènes connus ou nouveaux en l’espace de quelques heures ou jours. À gauche: ©FAO/Rindu Putri. À droite: ©Institut Pasteur du Cambodge/Erik Karlsson

Le Gouvernement du Cambodge joue un rôle de premier plan dans la mise en œuvre de cette approche visionnaire qui vise à protéger à la fois les animaux et les êtres humains contre les maladies. L’équipe intervient dans tous les lieux d’interfaces possibles entre humains et animaux ou entre animaux sauvages et animaux domestiques, y compris les exploitations avicoles et les marchés animaliers. L’objectif est de créer un mécanisme d’alerte rapide afin de prévenir la transmission de maladies entre animaux sauvages et animaux domestiques, de préserver la santé des animaux d’élevage dans tout le pays et de stopper la transmission de zoonoses de l’animal à l’homme.

En Asie, les exploitations avicoles et porcines sont souvent situées à proximité de zones de faune sauvage. En conséquence, le risque que des zoonoses se propagent à des populations plus larges est devenu un sujet de préoccupation. «Chaque année, trois à quatre nouvelles zoonoses apparaissent dans le monde», indique M. Karlsson. «Et à l’heure actuelle, deux maladies humaines sur trois sont d’origine zoonotique».

Dans le contexte des récentes épidémies mondiales telles que la peste porcine africaine et la grippe aviaire, ce projet est plus qu’une initiative scientifique: il constitue une étape cruciale dans la préparation mondiale. Les technologies permettent de mener les activés de surveillance de manière plus rapide, plus sécurisée et moins coûteuse par rapport aux méthodes traditionnelles.

«Nous vivons dans un monde où les frontières entre la faune sauvage, les êtres humains et les animaux d’élevage sont de plus en plus floues», explique le Directeur du Bureau de l’innovation de la FAO, Vincent Martin, lui-même épidémiologiste. «En plus de résoudre un problème, cette nouvelle stratégie de détection précoce des zoonoses contribue à prévenir la survenue d’épidémies, aussi bien chez les humains que chez les animaux.»

La FAO soutient ces efforts dans le cadre de l’initiative ELEVATE, programme incubateur mené par son Bureau de l’innovation afin d’examiner et de développer des idées novatrices dans le domaine agricole. Le programme accompagne une douzaine de groupes différents et leur offre une plateforme afin d’expérimenter de nouvelles idées ayant trait aux systèmes agroalimentaires. «Le principe de l’incubateur est d’encourager la mise en œuvre de solutions nouvelles afin de promouvoir l’innovation et l’intraprenariat», explique M. Martin.

Le projet, dans le cadre duquel des échantillons sont prélevés au fil du temps, vise à mieux comprendre quelles maladies sont présentes dans l’environnement et à quel moment elles apparaissent, afin d’aider les pays à surveiller de près les menaces sanitaires émergentes. ©Institut Pasteur du Cambodge/ Erik Karlsson

Des drones en quête d’ADN

De retour dans la grotte, les membres de l’équipe sortent les drones des mallettes qu’ils portent sur leurs épaules. Chaque drone est muni d’un échantillonneur d’air qui lui est raccordé.

Normalement, dans une mission d’échantillonnage de ce type, l’équipe doit capturer un grand nombre d’animaux sauvages, effectuer des prélèvements sur écouvillons ou des prélèvements sanguins et les rapporter dans un laboratoire pour les analyser. Cependant, avec ce nouveau système, les chercheurs peuvent collecter n’importe quel virus qui serait propagé dans l’air par les animaux.

«Dans ces environnements, nous recherchons toute maladie qui pourrait se transmettre de la chauve-souris au porc et de la volaille à l’homme», indique M. Claes.

Les membres de l’équipe s’emploient également à accélérer le processus d’identification des agents pathogènes. À l’aide d’appareils PCR portables et de séquenceurs d’ADN, ils peuvent notamment détecter la présence de la grippe aviaire, du zika, de nouvelles souches du coronavirus, de la peste porcine africaine, de la rage, du virus Nipah ou même de nouveaux agents pathogènes inconnus.

Les maladies connues peuvent être diagnostiquées en quelques heures, directement sur le terrain. Le séquençage requiert un peu plus de temps, mais le séquençage de terrain a permis d’accélérer le processus et de le faire passer de quelques semaines à quelques jours.

Les données recueillies peuvent contribuer à dresser un tableau complet du contexte sanitaire. Le projet, dans le cadre duquel des échantillons sont prélevés au fil du temps, vise à mieux comprendre quelles maladies sont présentes dans l’environnement et à quel moment elles apparaissent.

Le temps de réaction est essentiel: plus il sera court, plus grande sera la capacité d’enrayer la propagation d’un agent pathogène mortel. Les implications du projet ne se limitent pas aux questions d’élevage et de santé humaine. Les prélèvements d’air et les analyses d’échantillons d’ADN environnemental réalisées à distance peuvent également être utilisés pour surveiller les espèces sauvages dans des écosystèmes fragiles et offrent d’importantes possibilités d’application dans les domaines de l’écologie et de la gestion de la biodiversité.

Étant donné que le monde est de plus en plus vulnérable aux zoonoses en raison des changements climatiques, de l’urbanisation et de la déforestation, cette initiative aide les pays à surveiller de près les menaces sanitaires émergentes et leurs vastes répercussions.

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