Centre d'investissement de la FAO

Financement des systèmes agroalimentaires:

Discussion avec le Directeur du Centre d'investissement de la FAO
14/10/2022

La crise alimentaire, énergétique et financière pousse un plus grand nombre de personnes dans l'extrême pauvreté et à la faim. Même avant la pandémie et la guerre en Ukraine, le monde n'était pas sur la voie de mettre fin à la faim et à la malnutrition d'ici 2030. Dans le cadre de la préparation du tout premier Forum de l’investissement de la FAO consacré à l’Initiative Main dans la main, Mohamed Manssouri, Directeur du Centre d'investissement de la FAO, a parlé de ces défis et de l'importance d'investir dans des systèmes agroalimentaires durables.

Question: Les derniers chiffres du rapport sur l'état de la sécurité alimentaire et de la nutrition montrent que le nombre de personnes affamées a augmenté de 150 millions depuis le début de la pandémie pour atteindre 828 millions. Comment repenser l'agriculture pour améliorer la sécurité alimentaire mondiale et atteindre les autres objectifs de développement durable?

Manssouri: Tout d'abord, nous devons considérer les systèmes agroalimentaires dans leur ensemble, de la production et de la transformation primaires à la consommation et aux déchets. Et nous avons besoin d'une vision à plus long terme. Cela signifie trouver la bonne combinaison de politiques, d'innovations et d'investissements publics et privés qui favorisent une croissance économique inclusive grâce à de bons emplois, en particulier pour les jeunes, une meilleure nutrition et une meilleure santé, la gestion durable des ressources naturelles, une plus grande équité et la résilience climatique.

Les systèmes agroalimentaires mondiaux subissent de multiples chocs – conflits, sécheresses, inondations, crises de santé publique – souvent en même temps. Ces chocs deviennent la nouvelle normalité. Nous devons être mieux préparés à gérer tous ces risques. Nous travaillons en étroite collaboration avec les pays et les partenaires pour trouver des solutions d'investissement et de financement pour des systèmes agroalimentaires plus durables et résilients qui peuvent fournir ce que nous appelons les quatre meilleurs: une meilleure production, une meilleure nutrition, un meilleur environnement et une vie meilleure sans laisser personne de côté.

Question: Quels sont les domaines d'investissement prioritaires qui peuvent accélérer la transformation des systèmes agroalimentaires?

Manssouri: La pandémie et la guerre en Ukraine ont exposé les vulnérabilités de nos systèmes agroalimentaires aux perturbations de la chaîne d'approvisionnement, aux politiques commerciales, à la concentration du pouvoir du marché pour les matières premières et les intrants clés.

Les systèmes agroalimentaires doivent trouver un meilleur équilibre entre le mondial et le local, en examinant des questions telles que les économies d'échelle, la diversification, les coûts de transaction et l'empreinte carbone.

Nous commençons à entendre des appels à la «démondialisation», tandis que les gouvernements et les entreprises réévaluent les risques d'exposition au système commercial actuel. Mais plutôt que de démondialiser ou de regarder vers l'intérieur, je pense que nous devons nous efforcer d'être plus intelligents localement et globalement. Nous devons promouvoir une production locale compétitive et durable, des accords commerciaux régionaux, une «gestion des stocks» stratégique et efficace, ainsi que des sources alimentaires et des partenaires commerciaux diversifiés. De nombreux pays continueront de dépendre fortement des importations pour nourrir leur population. Mais quand ils importent de différents partenaires commerciaux et non plus un ou deux, ils sont moins vulnérables aux chocs.

Étant donné que les investissements réalisés aujourd'hui façonnent les impacts de demain, nous devons trouver les bons points d'entrée pour transformer positivement les systèmes agroalimentaires, en travaillant dans tous les secteurs avec la même vision et le même engagement. Cela signifie, par exemple, investir dans l’approche «Une seule santé» dans les secteurs de l'agriculture, de la santé et de l'environnement, et dans «One Water» dans les secteurs de l'agriculture, de la santé, de l'approvisionnement en eau et de l'assainissement, des infrastructures, de la résilience climatique, etc.

Nous devons également investir dans le développement des capacités des systèmes agroalimentaires, notamment en donnant aux consommateurs les moyens de faire des choix alimentaires plus sains et plus respectueux de l'environnement – et de gaspiller moins. Les consommateurs sont des décideurs majeurs dans les systèmes agroalimentaires, mais ils ont généralement peu d'influence sur la façon dont les systèmes fonctionnent en termes de production, de transport, de commerce.

Je vois également d'importantes opportunités d'investissement autour de la transformation des réseaux de distribution alimentaire, notamment pour nourrir les pauvres ruraux et urbains, par exemple, et du renforcement de la gouvernance pour garantir que les gens aient accès à des aliments sûrs, sains, nutritifs et abordables où qu'ils vivent.

Les systèmes agroalimentaires seront de plus en plus numérisés dans les années à venir. Les technologies numériques ont le pouvoir d'aider les petits exploitants à améliorer la production et la productivité, à accéder aux marchés, à financer et à protéger les cultures. Elles peuvent également aider les réseaux de distribution alimentaire à réduire les pertes et le gaspillage alimentaires et à améliorer la sécurité alimentaire. Mais nous devons être conscients de la fracture numérique potentielle afin que des personnes, des secteurs et des économies ne soient pas laissés de côté par inadvertance. Cela nécessite des cadres réglementaires et incitatifs favorables et des conditions propices telles que l’alphabétisation numérique, la connectivité rurale et la gouvernance des données.

Et bien sûr, nous devons d'urgence décarboner nos systèmes agroalimentaires, qui émettent actuellement beaucoup plus de gaz à effet de serre qu'ils n’en captent et n’en stockent. Cela signifie promouvoir des voies à faible émission de carbone et introduire une gamme plus large de cultures de base tolérantes à la sécheresse, nutritives et moins gourmandes en eau. Cela, à son tour, peut avoir des répercussions sur les ODD – l'autonomisation des femmes, l'amélioration de la nutrition, la promotion d'une meilleure gestion des ressources naturelles et la réduction de la pollution. Un autre domaine intéressant est celui des marchés volontaires du carbone, qui peuvent orienter l'action du secteur privé dans le domaine du changement climatique.

Question: Comment un financement public et privé durable peut-il faire partie de la solution?

Manssouri: Nous savons que le financement public ne suffit pas à lui seul pour que les pays remplissent leurs ODD et leurs engagements nationaux d'ici 2030. Il est essentiel d'attirer des investissements privés plus importants et plus responsables dans le secteur agroalimentaire.

Ces dernières années, les investisseurs publics et privés ont lancé des fonds et des facilités mixtes pour financer – par le biais de la dette ou de capitaux propres – des projets du secteur privé qui ont des incidences sur le développement durable tout en assurant un retour sur investissement positif.

Le secteur agroalimentaire est marqué par l'incertitude et la volatilité. Notre rôle premier en tant que Centre d'investissement de la FAO est d'aider à réduire les risques liés aux investissements, publics ou privés, grâce à une information, à une analyse et à une expertise solides.

Lier notre appui politique à l'investissement est la façon dont nous pouvons obtenir un impact à grande échelle, mais pour transformer les systèmes agroalimentaires, nous devons les comprendre dans toutes leurs différentes dimensions. L'Initiative Main dans la main de la FAO et l'analyse tirée des évaluations à grande échelle des systèmes alimentaires réalisées dans plus de 50 pays l'année dernière constituent une base précieuse pour les politiques et les investissements. Nous devons également mieux comprendre comment les systèmes agroalimentaires sont financés. Cela permettra aux pays, aux institutions de financement et au secteur privé de faire les bons investissements, de promouvoir les bonnes politiques et de développer les bonnes solutions financières telles que la finance mixte, les technologies financières et les instruments de gestion des risques qui peuvent vraiment faire une différence.

Le Forum de l'investissement de la FAO consacré à l’Initiative Main dans la main, axé sur 20 pays et trois initiatives régionales, sera une excellente occasion d'aider les gouvernements à s’engager et à nouer des partenariats avec des banques multilatérales de développement, des donateurs et des investisseurs, et à mobiliser un appui à leurs stratégies agricoles et leurs plans d'investissement.

En savoir plus sur le Forum de l'investissement de la FAO consacré à l’Initiative Main dans la main, le 18 et 19 octobre 2022

Photo credit Sonia Malpeso