La presque entière totalité de leau, sur la planète, se présente sous forme deau salée dans les océans. Les deux-tiers des 3 pour cent de ressources mondiales en eau douce se trouvent dans les régions polaires et montagneuses sous forme de neige et de glace. Leau douce liquide ne constitue par conséquent quenviron 1 pour cent des ressources mondiales en eau, et se trouve pour lessentiel, et en permanence, sous forme deau souterraine puisque leau des rivières et des lacs représente moins de 2 pour cent de ces eaux douces liquides. Sous les climats tempérés humides, environ 40 pour cent des précipitations rejoignent les eaux souterraines, alors que dans les climats de type méditerranéen, ce pourcentage est de 10-20 pour cent. Pour les climats vraiment secs, cette valeur peut se réduire quasiment à zéro (Bouwer, 2002). Seule une partie de leau des rivières et lacs et des eaux souterraines est accessible ou utilisable parce quune proportion importante deau sécoule dans des rivières inaccessibles ou est absorbée par les inondations saisonnières et ne peut être captée avant davoir atteint locéan. Il ne resterait donc que 9 000 à 14 000 km3 par an deau économiquement viables pour la consommation humaine, ce qui représente, au maximum, 0,001 pour cent de la quantité totale deau estimée à léchelle mondiale. A lheure actuelle, les prélèvements annuels en eau pour la consommation humaine sélèvent à environ 3 600 km3. Ces chiffres pourraient donner limpression que notre monde dispose de réserves abondantes deau pour lutilisation humaine. Il faut toutefois laisser une partie des eaux de surface dans les rivières et les fleuves pour assurer la dilution des effluents et préserver lintégrité des écosystèmes aquatiques. Le volume de la part quil faut laisser sécouler est encore mal connu, puisquil varie selon le moment de lannée, et que chaque bassin fluvial possède ses propres limites écologiques précises en dessous desquelles le système pourrait se dégrader. A léchelle mondiale, il a été évalué à 2 350 km3/an. En ajoutant ce chiffre à la quantité deau prélevée annuellement pour la consommation humaine, on parvient à un total dapproximativement 6 000 km3 de ressources accessibles de manière économique mais déjà utilisées (FAO, 2002b). Cela montre à quel point, globalement, la marge est faible. En effet, leau et les populations étant inégalement réparties sur notre planète, la situation est déjà critique en matière deau pour divers pays et régions, et risque de le devenir dans plusieurs autres.
Lagriculture est le principal utilisateur deau, toutes ressources confondues, soit les précipitations (appelées eaux vertes) et leau des rivières, lacs et nappes souterraines (ou eaux bleues). Elle absorbe environ 70 pour cent des prélèvements mondiaux, la consommation domestique totalisant approximativement 10 pour cent et lindustrie 21 pour cent (figure 2).
Il est important de faire la distinction entre leau prélevée pour lutilisation et leau réellement consommée. Dans lagriculture irriguée, environ la moitié de leau prélevée (mais cette proportion peut varier considérablement) est consommée par évaporation et évapotranspiration des plantes et à la surface des sols humides. Certaines espèces participant à ce processus dévapotranspiration sont des plantes et mauvaises herbes improductives qui poussent sur des terres incultes. Leau prélevée mais non consommée sinfiltre dans le sol pour être stockée sous forme deaux souterraines, ou retourne aux rivières par les systèmes de drainage. Toutefois, leau de drainage est généralement de moins bonne qualité que leau prélevée initialement à cause de la contamination des produits agrochimiques et des sels lessivés dans le profil pédologique. Le débit récupéré des eaux prélevées pour lagriculture sélève à 50 pour cent, contre 90 pour cent de leau prélevée pour les collectivités qui retournent aux rivières et aux nappes souterraines sous forme deaux usées, et jusquà 95 pour cent des eaux utilisées par lindustrie. Les débits recyclés de mauvaise qualité évacués par les zones urbaines et industrielles sont parfois traités avant dêtre rejetés dans les rivières, mais la nature diffuse de la pollution agricole rend le traitement difficile. Cest pourquoi il vaut peut-être mieux faire face à la pollution des eaux agricoles en contrôlant les quantités utilisées et les rejets des terres agricoles.
Figure 2 Prélèvements en eau par région et secteur
Source: Eau et agriculture. FAO, 2002
Les précipitations alimentent en eau la production végétale des régions les plus humides du monde, où poussent quelque 60 pour cent des cultures vivrières de la planète. Lagriculture pluviale exploite environ 80 pour cent des terres arables, et lagriculture irriguée produit 40 pour cent des cultures vivrières sur les 20 pour cent restants. Pour faire face à la future demande alimentaire, il faudra en principe augmenter la proportion relative de cultures qui poussent sur les terres irriguées par rapport à celles des terres exploitées en sec, de manière à ce que les deux types de culture produisent à peu près les mêmes quantités. Etant donné limportance de la production céréalière en sec, on ne sest pas suffisamment intéressé à la croissance potentielle de la production dans les zones non irriguées. En général, laccent est plutôt mis sur lexpansion possible des surfaces irriguées. Toutefois, laugmentation des rendements céréaliers dans les pays tempérés dagriculture pluviale, conjuguée à une amélioration de la protection des végétaux et des techniques de fertilisation et à lutilisation de lirrigation dappoint dans les pays plus arides, fait apparaître le potentiel manifeste du perfectionnement de lagriculture pluviale.
Planche 2 Prise deau dun canal et gabions protégeant les berges, construits dans le cadre dun programme de réparation dun système dirrigation (Afghanistan)
FAO/18048/M. GRIFFIN
Dans les régions arides, la pénurie deau est la conséquence de linsuffisance des précipitations. Les régions semi-arides peuvent recevoir des précipitations suffisantes sur lannée pour la croissance des cultures, mais leur répartition est si irrégulière dans lespace et le temps quil est tout juste possible dy pratiquer lagriculture pluviale. Laugmentation de la variabilité des précipitations se manifeste généralement par une diminution des volumes annuels, et les pays sahéliens sont particulièrement touchés par ce phénomène. Ces régions sont connues pour leurs sécheresses périodiques qui durent parfois plusieurs années. Dans les régions semi-arides, la pluie a également tendance à se présenter sous la forme de quelques fortes averses, ce qui rend le captage pour les usages agricoles difficile. Dans ces conditions, des quantités importantes deaux de ruissellement aboutissent dans les systèmes de drainage et sinfiltrent éventuellement jusquaux eaux souterraines ou aux rivières. Lorsque le débit fluvial est fort et difficile à maîtriser, une méthode de captage du débit consiste à pratiquer lirrigation de crue qui détourne les eaux dun cours deau, partiellement ou en totalité, jusquà des champs entourés de digues. Cette technique, en une seule irrigation pouvant atteindre 50 cm, peut humidifier suffisamment le sol pour permettre une récolte de blé, même dans les sols squelettiques du Yémen. La récupération des eaux de crue se pratique dans le lit dun cours deau dont on bloque lécoulement, ce qui provoque une concentration des eaux dans le lit. Lorsque la saison des crues prend fin, on cultive la partie du lit du cours deau où les eaux ont été collectées. Un autre système de terrasses ménagées sur les oueds (cours deau éphémères) permet de récupérer les eaux de crue. Il sagit de construire une série de petits barrages de retenue en travers de loued et de cultiver son lit. Un débit trop important ouvrira des brèches dans les barrages de retenue ou les digues de dérivation édifiés pour lirrigation de crue. La validité de ces méthodes dépend aussi des conditions pédologiques et de la profondeur du lit de loued. La collecte des eaux de pluie, qui consiste à récupérer et stocker les eaux de ruissellement, sest aussi avérée utile dans les régions semi-arides où les précipitations ne sont pas fréquentes (chapitre 3).
Bien quil existe un large éventail de technologies de récupération des eaux de pluie, la généralisation de leur utilisation nest pas toujours évidente, en particulier pour les agriculteurs pauvres. Les coûts de construction et dentretien dun système de récupération de leau sont des facteurs essentiels lorsque les agriculteurs décident dadopter ou non ces techniques. Les systèmes de récupération de leau ont souvent, par le passé, été installés avec laide financière dorganismes externes tels que les ONG et les agences de financement internationales. Un grand nombre dentre eux nont pas donné de bons résultats à cause du manque dengagement des bénéficiaires et de leur incapacité à organiser et financer lentretien. Selon Rosegrant et al. (2001), les coûts de construction des systèmes de récupération de leau au Turkana, au Kenya, varient de 625 à 1 015 $E.U./ha. Ce sont la main doeuvre et la construction qui représentent lessentiel de ces frais, car les coûts doption pour lutilisation des terres sont quasiment nuls. Le coût élevé de la main doeuvre au démarrage de la construction dun système de récupération de leau constitue souvent un élément dissuasif pour ladoption de cette technique. En outre, les agriculteurs des zones arides ou semi-arides ne disposent souvent pas des ressources humaines nécessaires pour déplacer les gros volumes de terre quexigent les systèmes importants. Cest pourquoi les techniques de mise en valeur des eaux et des sols à petite échelle, qui peuvent sappliquer au niveau du champ, sont souvent adoptées plus facilement. Les investissements à plus grande échelle exigent lexistence ou la création dorganisations communautaires, à la fois pour payer le capital et lentretien nécessaires et pour gérer les bénéfices générés par les infrastructures de récupération de leau. Les travaux dentretien doivent parfois être effectués à la saison des pluies lorsque la main doeuvre est relativement rare et par conséquent coûteuse en raison de la concurrence avec lagriculture classique (Tabor, 1995). Malgré ces réserves quant aux possibilités de généraliser lapplication des systèmes de récupération de leau, les études sur modèle révèlent des perspectives importantes pour laugmentation de la production pluviale, à condition que soient décidés des investissements et des changements dorientations appropriés (Rosegrant et al., 2002). Lamélioration génétique des cultures destinées aux milieux dagriculture pluviale est cruciale. Le chapitre 3 étudie lintégration de la gestion des cultures et des ressources en eau.
Lutilisation des eaux souterraines pour lirrigation présente un paradoxe: les régions où les ressources en eau ont été surexploitées coexistent avec celles possédant un potentiel considérable dutilisation des eaux souterraines pour lagriculture irriguée (encadré 1). Le corollaire en est la soit-disant erreur dagrégation: sur un plan global, à léchelle mondiale ou même nationale, les disponibilités en eaux souterraines semblent dépasser largement les quantités utilisées actuellement, estimées, pour lensemble de la planète, à 750-800 km3 par an (Shah et al., 2000). Ce chiffre peut sembler modeste par rapport aux réserves en eaux souterraines du monde, mais seule une partie de ces réserves est économiquement utilisable pour lagriculture. Selon les estimations, environ 30 pour cent de lapprovisionnement en eau dirrigation sont extraits des eaux souterraines dans le monde, mais cet apport est à lorigine de quelques-uns des rendements les plus élevés et des cultures à plus fort rapport économique (FAO, 2003).
Encadré 1 Surexploitation et viabilité: une théorie complexe, des pratiques simples
Il existe une confusion entre les termes «surexploitation» et «exploitation de ressources fossile». Ce dernier terme désigne uniquement le tarissement dun stock deaux souterraines non renouvelables, qui laisse la nappe définitivement appauvrie. Lexploitation des réserves fossile est un choix de gestion stratégique des ressources en eau qui nécessite que lon en comprenne bien toutes les répercussions physiques, sociales et économiques et que lon en tienne compte sur la durée. La recharge des nappes phréatiques par la percolation vers le bas des eaux de pluie indique une forte variabilité interannuelle et constitue un phénomène physique complexe qui reste difficile à évaluer. Labaissement de la surface dune nappe phréatique ne signifie pas nécessairement quil y a surexploitation des ressources en eaux souterraines. La surexploitation ne devrait pas se définir en fonction du bilan annuel de la recharge et du captage, mais nécessite une évaluation sur plusieurs années, puisquen général on ne connaît pas la limite entre le stock non renouvelable et celui qui se reconstitue par la récente recharge de la percolation de surface. Limportant, pour les décideurs et les utilisateurs des puits, est de connaître la fiabilité et la productivité globales dun puits (sur le plan des niveaux deau, des volumes et de la qualité de leau) sur une période donnée. Ainsi, pour un puits exploitant les eaux dune nappe particulière, ils voudront savoir quel est le coefficient dexploitation durable, en tenant compte de la variabilité des périodes de recharge et de léventualité des sécheresses. La réponse à cette question nest pas sans intérêt, et nécessite un certain niveau de précision dans la compréhension de la dynamique du système. Si lon comprend celle-ci, il est possible de calculer le rabattement maximal disponible au moyen dune équation non linéaire. Cette équation peut être résolue par lapproche analytique ou par lapplication de modèles numériques. Si la formation aquifère est suffisamment bien connue, il est aussi possible dinclure dans la valeur convenue pour le rabattement maximal disponible lexploitation dune partie des ressources en eaux souterraines non renouvelables. Ces méthodes, parce quelles donnent aux utilisateurs une idée des coefficients dexploitation durable, peuvent constituer une bonne base pour anticiper la dégradation dune nappe avant lapparition de dommages physiques et socio-économiques. |
Le nombre de forages alimentant en eau les terres irriguées a rapidement augmenté au cours des 40 dernières années en Inde, en Chine, au Pakistan, au Mexique et dans de nombreux autres pays. Par exemple, en Inde, environ 60 pour cent de la production céréalière irriguée est basée sur leau dirrigation pompée dans les nappes souterraines. Cela a entraîné une surexploitation massive et non réglementée de la ressource et la création dun «emballement économique spéculatif» sur les eaux souterraines (Roy et Shah, 2002). Au Yémen, le captage dépasserait la recharge de 400 pour cent (encadré 2). Le captage et la recharge des eaux souterraines ont rarement été précisément quantifiés. Cela devrait donc constituer la première étape de lévaluation du potentiel dexploitation de la ressource et de lélaboration de méthodes de gestion (encadré 2). Lorsque lagriculture irriguée dépend en partie du pompage des eaux souterraines, de nombreux périmètres irrigués utilisent plusieurs méthodes dirrigation, qui peuvent varier de lirrigation entièrement assurée par leau amenée par les canaux à lirrigation totalement approvisionnée par le pompage des eaux souterraines, la plupart des champs associant plus ou moins les deux. Cest pourquoi lirrigation, par définition, est une activité multiforme, mais il y a peu dexemples de gestion multiforme.
En Chine, 52 pour cent des terres irriguées sont, au moins en partie, alimentées par des forages. Du fait de la surexploitation des eaux souterraines, la surface des nappes a baissé de jusquà 50 m au cours des 30 dernières années. Dans le bassin de la rivière Fuyang, par exemple, dans le nord de la Chine, laccès aux eaux de surface a été considérablement restreint pour répondre à la demande industrielle, et les agriculteurs ont recouru aux eaux souterraines pour lirrigation. La crise asiatique des eaux souterraines à laquelle Shah et al. (2000) font allusion, et qui menace des millions de communautés rurales pauvres, procède de la nature facilement accessible de la ressource. Paradoxalement, cest précisément le fait que les eaux souterraines se situent dans des nappes peu profondes qui en ont fait un outil très efficace pour lutter contre la pauvreté (Moench, 2002), en ce que toute personne qui peut se permettre dinstaller une pompe accède librement à leau. Lirrigation par les eaux souterraines est généralement plus productive que lirrigation par leau des canaux parce que les eaux souterraines sont extraites près du lieu dutilisation et que les pertes dues au transport sont presque inexistantes. En outre, les agriculteurs contrôlent la durée du captage et les quantités extraites. Il a été observé en Inde que le rendement des cultures par mètre cube deau avait tendance à être de 1,2 à 3 fois plus important sur les exploitations agricoles irriguées par les eaux souterraines que sur celles qui étaient irriguées par les eaux de surface (Shah et al., 2000).
Encadré 2 Modernisation participatoire de la gestion de leau pour réduire la surexploitation des eaux souterraines au Yémen
La conséquence immédiate de lappauvrissement permanent des ressources en eau au Yémen est linsécurité alimentaire des ménages, et en particulier des familles pauvres vivant dans des zones rurales vulnérables. La seule option viable est lamélioration de la gestion des ressources disponibles par ladoption de technologies et doutils de gestion appropriés. En 1995, le gouvernement du Yémen a pris conscience de ces problèmes et lancé un programme damélioration de lefficacité générale de lirrigation par les eaux souterraines, dans lequel figure le projet de mise en valeur des terres et des eaux (financé par la Banque mondiale), qui repose sur le partage des coûts, la participation des agriculteurs et ladoption de technologies modernes dirrigation. Les économies réalisées sur leau à léchelle des exploitations agricoles varient de 10 à 50 pour cent. Au niveau régional, les économies sur lutilisation de leau se sont en moyenne élevées à au moins 20 pour cent et ont pu atteindre 35 pour cent dans certains cas, en particulier dans le nord-ouest du Yémen où la plupart des exploitations sont équipées de systèmes dirrigation par ajutage. Etant donné les coûts actuels dexploitation dont doivent sacquitter les agriculteurs pour pomper leau (même si lénergie est relativement bon marché), les coûts dinvestissement des nouveaux équipements sont amortis en deux à quatre ans, juste par les économies réalisées sur leau. Les nouvelles technologies ont par ailleurs dautres retombées positives, dont une amélioration appréciable des rendements et de la qualité des produits, qui découlent de la modification des systèmes de culture et de laugmentation des superficies irriguées. |
Partout dans le monde, lexploitation des eaux souterraines est essentiellement le fruit dinitiatives individuelles. A la différence des projets dirrigation de surface ou dapprovisionnement en eau potable, auxquels les organismes gouvernementaux sont généralement associés en participant à leur conception, à leur financement et à leur mise en oeuvre, la plupart des initiatives dexploitation des eaux souterraines ont été prises par des agriculteurs individuels qui ont décidé de forer des puits et dacheter des pompes. Si les gouvernements facilitent souvent ces entreprises par des aides financières et lélectrification des zones rurales, il est rare quils disposent de services importants pour la mise en oeuvre de tels projets. Par conséquent, très peu dorganismes gouvernementaux sont en contact direct et fréquent avec les utilisateurs des eaux souterraines. En outre, lexploitation des eaux de surface nécessite généralement le détournement du débit ou la construction de retenues sur des cours ou masses dclairement définis. Ces aménagements ont habituellement des répercussions évidentes sur les utilisateurs daval, au moins dun point de vue conceptuel. De ce fait, de nombreuses règles de droit coutumier et conventionnel ont été créées au cours de la longue histoire de lexploitation des eaux de surface, ainsi que les systèmes de contrôle et dapplication nécessaires pour les faire respecter. En général, lexploitation des eaux souterraines nest pas aussi structurée, car il sagit dun phénomène récent, dont les détournements ont un impact beaucoup moins facilement repérable sur les autres utilisateurs. Elle reste ainsi très «individualiste» et sorganise plutôt en dehors du cadre des institutions reconnues pour ce qui est de lattribution, de la surveillance et de la gestion de la ressource. En Inde, par exemple, dix millions dindividus possèdent et exploitent des puits, situés pour la plupart sur des terrains privés. Souvent, seuls les utilisateurs et la communauté environnante sont courant de lemplacement, de lutilisation et même de lexistence de ces puits. Aucune base institutionnelle de gestion na par conséquent été mise en place.
Planche 3 Terres agricoles inondées par une crue éclair (Bangladesh)
FAO/9367/T. PAGE
Les indicateurs mondiaux de la pénurie deau ont tendance à ne pas tenir compte des variations de limportance de lagriculture irriguée pour la sécurité alimentaire des pays. Ils ne prennent pas non plus en considération les différences saisonnières de lapprovisionnement. En Inde, par exemple, plus de 70 pour cent de lapprovisionnement total sont récupérés pendant les trois mois de la mousson, en juin, juillet et août, et la plus grande partie de cette eau sécoule à la mer en inondant les terres sur son passage. De plus, les données nationales ne font aucun cas des différences dapprovisionnement et de prélèvement entre les régions dun même pays, ce qui constitue un autre exemple derreur dagrégation. Malgré ces réserves, la plupart des observateurs constatent que de nombreux pays ne disposent pas de surplus deau pour lirrigation. En fait, beaucoup de pays ont des prélèvements annuels insuffisants pour irriguer leur potentiel de superficies irrigables globales, même avec une efficacité dirrigation élevée à léchelle du bassin. Lefficacité dirrigation par bassin tient compte de toutes les eaux de drainage réutilisées. Elle est beaucoup plus élevée que lefficacité dirrigation par système qui considère les débits de drainage dun système réutilisés pour lirrigation dans un autre système situé en aval. Quel que soit lindicateur de pénurie deau employé, la plupart des analyses indiquent que plus de la moitié de la population mondiale vit dans des pays connaissant un certain niveau de pénurie deau. Il peut sagir dune pénurie physique (il ny a plus deau), économique (le pays na pas les moyens de mettre de nouvelles ressources en eau en exploitation), ou provoquée par une incapacité adaptative au niveau social. On peut donner, comme exemples de capacité adaptative, laptitude à obtenir une production de plus grande valeur par unité deau consommée, et limportation d«eau virtuelle», cest-à-dire leau utilisée pour produire les denrées agricoles obtenues sur le marché mondial (Allan, 1995) (chapitre 3, encadré 5).
Le fait que la pénurie deau risque de se traduire par une augmentation du nombre de personnes touchées par linsécurité alimentaire est extrêmement préoccupant. La concurrence pour les mêmes ressources, à laquelle sajoute la pollution croissante des eaux, exacerbe ce problème. Par ailleurs, les répercussions encore mal connues du changement climatique pourraient aggraver la pénurie deau dans certains pays. Plusieurs études laissent entendre quavec les modifications climatiques, les récoltes de riz vont vraisemblablement augmenter dans les latitudes plus hautes et diminuer dans les latitudes plus basses. Il y a tout lieu de craindre que les pays les plus pauvres (et les personnes les plus pauvres qui y vivent) souffriront exagérément de ces phénomènes dans la mesure où ils auront plus de mal à sadapter aux changements de conditions. Les projections de lIFPRI pour lavenir (réalisées à partir de leurs études sur modèles) indiquent que les prélèvements en eau vont progresser denviron 22 pour cent entre 1995 et 2025. Il est prévu que les prélèvements augmenteront de 27 pour cent sur ces trente années dans les pays en développement, contre 11 pour cent dans les pays développés (Rosegrant et al., 2002). On nattend quune très faible augmentation des superficies irriguées, qui sera plus que compensée par laugmentation en efficacité des bassins fluviaux.
La FAO prévoit toutefois que lensemble des prélèvements deau pour lirrigation, dans tous les pays en développement, augmentera de 2 128 km3 pour la période repère de 1997/99 à 2 420 km3 en 2030, soit une augmentation de près de 14 pour cent. La FAO estime en outre que lensemble des superficies irriguées, toujours dans les pays en développement, passera de 202 millions dhectares en 1997/99 à 242 millions dhectares en 2030, cest-à-dire une augmentation de près de 20 pour cent. Lextension la plus importante est prévue en Afrique subsaharienne (44 pour cent), et la plus faible en Asie orientale (6 pour cent). On prévoit également des augmentations de 32 pour cent en Amérique latine, denviron 10 pour cent au Proche-Orient et en Afrique du Nord et de 14 pour cent en Asie méridionale (FAO, 2002c; Faurès et al., 2002). La superficie irriguée et effectivement cultivée devrait saccroître de 34 pour cent au cours de la période considérée, grâce à de meilleurs rendements des cultures. La différence dans les pourcentages daugmentation des prélèvements en eau et des superficies irriguées sexplique pour beaucoup par laccroissement de la productivité de leau en agriculture irriguée, censé se produire dici 2030, et aussi en partie par le remplacement de la culture du riz, grosse consommatrice deau, par celle du blé, en particulier en Chine.
Planche 4 Section de canal principal en construction (Rwanda)
FAO/20232/FAO
Pour lensemble des 93 pays, les prélèvements en eau dirrigation, exprimés en pourcentage des ressources en eau annuellement renouvelables, augmenteraient de 8 pour cent en 1998 à 9 pour cent en 2030. Cette statistique a une valeur pratique limitée dans les régions où les précipitations et le débit des rivières sont très variables. Cest encore un autre exemple derreur dagrégation. Les prélèvements pour lirrigation devraient augmenter de 40 à 53 pour cent des ressources renouvelables dans la région du Proche-Orient et de lAfrique du Nord, et de 44 à 49 pour cent en Asie méridionale, par comparaison avec 1 à 2 pour cent en Amérique latine. Les régions dont les prélèvements pour lirrigation dépassent 40 pour cent de leurs ressources renouvelables sont confrontés aux problèmes les plus ardus, dautant plus que les différences sont plus importantes à léchelle des pays. De ces 93 pays, 10 (dont lEgypte et le Pakistan) prélèvent plus de 40 pour cent de leurs ressources en eau renouvelables pour lirrigation, alors que 8 (dont lInde et la Chine) extraient plus de 20 pour cent deaux renouvelables pour lirrigation.
Bien que les prévisions de lIFPRI et de la FAO diffèrent dans les détails, elles concordent sur lorientation générale des changements attendus. Elles ne peuvent guère converger davantage dans la mesure où les résultats des modèles reposent sur des hypothèses tendancielles, dont lune des plus cruciales est celle qui présume de la mesure dans laquelle la productivité de leau en agriculture peut être augmentée entre maintenant et 2025 ou 2030.
Il nexiste pas de compte rendu global des tendances en matière dinvestissement pour lirrigation, mais certaines approximations peuvent aider à dégager ces tendances. On a par exemple pu observer une forte diminution des crédits accordés par la Banque mondiale pour les nouveaux projets dirrigation (Jones, 1995). Le financement des nouveaux aménagements dirrigation a pour une large part été interrompu et laccent a été mis sur la viabilité et lefficience des systèmes existants. Selon Thompson (2001), let le drainage sont encore au coeur des activités dinvestissement des programmes de la Banque mondiale pour le développement rural, mais il sagit maintenant essentiellement dappuyer la réhabilitation et le transfert des responsabilités aux syndicats dirrigants (SI). Le nombre de projets dirrigation et de drainage devrait toutefois baisser bien en dessous des niveaux des années quatre-vingts. On considère que linvestissement dans les systèmes dirrigation na pas su répondre à lévolution des besoins des services dirrigation parce que la réhabilitation des systèmes existants visait essentiellement à rétablir les objectifs des projets initiaux. Ce type de réhabilitation est souvent inapproprié car il ne tient pas compte des changements quil faudrait apporter aux systèmes de culture et aux techniques dirrigation et fait ainsi perdurer lutilisation de méthodes donnant une faible productivité de leau. Les retards et les dépassements de coûts des projets dirrigation, ainsi que lhostilité publique aux projets de construction de grands barrages, ont encore davantage jeté le discrédit sur linvestissement en irrigation dans lesprit des organismes de financement. Etant donné les aspects négatifs de lagriculture irriguée (ex.: salinité, engorgement, risques pour la santé et exploitation des eaux souterraines), il nest plus possible de tenir pour acquis que lirrigation est le procédé de prédilection garanti dont les effets externes néfastes sont acceptés sans réserves. Il importe néanmoins que le développement de lirrigation et la construction de barrages continuent, au moins pour actualiser les installations existantes et remplacer les barrages et réservoirs qui ont perdu lessentiel de leur capacité de stockage à cause de la sédimentation. La perte de capacité effective des réservoirs méditerranéens varie actuellement entre 0,5 et 1 pour cent par an, avec des pointes à 3 pour cent dans certaines régions (Algérie). Au Maroc, la réduction de la capacité de régulation attribuable à lenvasement des réservoirs équivaut à une perte de 6 000-8 000 ha/an du potentiel dirrigation (FAO, 2002d). Lamélioration de la lutte contre lérosion dans les zones de captage permettra peut-être de prolonger la longévité des réservoirs et barrages.
Planche 5 Agriculteur vérifiant sa culture au cours dessais de production associée de riz et de poisson (Zambie)
FAO/17218/A. JENSEN
La réduction du niveau dinvestissement dans lirrigation peut avoir du bon. La construction de nombreux systèmes dirrigation a souvent par le passé découlé de loffre, puisquelle sintégrait dans laide au développement sur des fonds internationaux, sans que les futurs utilisateurs de laménagement aient vraiment leur mot à dire et parfois même contre leur volonté exprimée. Le potentiel dirrigation était et est toujours considéré comme un indicateur important pour évaluer le développement futur de lirrigation. Ce paramètre exprime le potentiel dexpansion des superficies irriguées dun pays en fonction des critères dutilisation des sols et de disponibilité de leau. Il sensuit que sa valeur change selon la période, léconomie du pays et la concurrence sur leau. Cela étant, cette notion de potentiel dirrigation a souvent été utilisée comme seul critère pour définir les politiques dun pays en matière dagriculture et de ressources en eau, sans que soit effectuée en parallèle une analyse des contraintes économiques, sociales, institutionnelles et écologiques et sans analyse approfondie du marché. Léchec de certains projets dirrigation est imputable à leur concentration excessive sur linfrastructure dirrigation et la distribution de leau, ainsi quà un intérêt insuffisant pour la productivité des systèmes agricoles et leur capacité dajustement aux marchés agricoles (Burke, 2002).
La politique publique en faveur dun développement de lirrigation mené par loffre, auquel adhèrent de nombreux gouvernements et organismes donateurs, peut se justifier par limportance constatée du rôle de lagriculture irriguée en matière de sécurité alimentaire (voir ci-après). Toutefois, le rôle du secteur privé en faveur du développement de lirrigation est souvent sous-estimé ou méconnu. Les nombreuses décisions dinvestissement des petits exploitants et agriculteurs commerciaux pourraient dépasser linvestissement public, comme par exemple en Zambie (FAO, 2002e), et en Inde (Moench, 1994). Ainsi, lorsque la production irriguée paraît comparativement profitable pour fournir les marchés locaux et internationaux, par exemple en légumes et en fleurs coupées plutôt quen cultures vivrières classiques, il semble que de considérables investissements privés suivent pour développer lirrigation.
Depuis 1960, la croissance des rendements céréaliers moyens a en général progressé au même rythme que la population mondiale, et il est communément admis que cela va se poursuivre jusquà ce que la croissance démographique commence à se stabiliser. Laugmentation de la production céréalière découle essentiellement de laccroissement des rendements plutôt que de lexpansion des superficies cultivées. Les projections de la FAO, de lIFPRI et de la Banque mondiale partent du principe que les augmentations futures de la production céréalière procéderont dun accroissement suivi des rendements. Les données rassemblées par la FAO sur les rendements dégagent toutefois des tendances indiquant que les rendements céréaliers moyens, à léchelle de la planète, devraient atteindre au moins 4 tonnes/ha pour nourrir une population mondiale de 8 000 millions de personnes, alors quils sélèvent actuellement à environ 3 tonnes/ha (Evans, 1998). Jusquà présent, les pays développés pris dans leur ensemble nont jamais atteint un rendement céréalier moyen de 4 tonnes/an. Cest là tout le défi qui se présente.
La participation de lagriculture irriguée à la satisfaction de ces objectifs va être cruciale, car lirrigation constitue un outil de gestion efficace contre les caprices des chutes de pluie. Grâce à lirrigation, la culture de variétés à fort rendement, ainsi que lapplication adaptée des engrais et produits phytosanitaires nécessaires pour permettre à ces variétés modernes datteindre la pleine mesure de leur capacité de production, peuvent devenir économiquement intéressantes. Selon lIFPRI, la production alimentaire, qui va pourtant augmenter beaucoup plus rapidement dans les pays en développement que dans les pays développés, se laissera distancer par la demande, ce qui nécessitera laugmentation des importations alimentaires. En 1999/2000, les pays en développement ont produit 1 030 millions de tonnes de céréales, soit 55 pour cent de la production mondiale, mais contribuaient pour 61 pour cent à la consommation mondiale de céréales. Pour combler lécart entre demande et production, les pays en développement ont importé 231 millions de tonnes de céréales, léquivalent de 72 pour cent des importations mondiales. Ces statistiques montrent que les pays en développement jouent un rôle essentiel dans le commerce international des produits agricoles, et quils sont extrêmement sensibles aux variations des marchés agricoles mondiaux sur le plan de la sécurité alimentaire. Pour les pays les plus pauvres, laugmentation de la production agricole nationale est déterminante pour lamélioration de la sécurité alimentaire. Cela explique pourquoi lon continue destimer que lagriculture irriguée joue un rôle vital pour garantir la sécurité alimentaire (encadré 3).
Encadré 3 Eau et sécurité alimentaire en Chine
La Chine peut-elle produire suffisamment de nourriture pour sa population en expansion? Voilà une question qui est sujette à controverse, et à laquelle Brown (1995) a donné une réponse négative. A lencontre de cette position, il a été dit que la Chine compte plus de terres agricoles que le gouvernement ne le reconnaît officiellement, et aussi que les données officielles sous-estiment de jusquà 50 pour cent les rendements des cultures des régions vallonnées de lintérieur. Les données sont probablement relativement fiables pour le riz des provinces centrales et orientales. La pénurie deau est probablement le plus grave problème de lagriculture chinoise aujourdhui. Il est prévu quen Chine, lutilisation en eau va augmenter de 60 pour cent dici 2050, au fur et à mesure de laccroissement du pourcentage de citadins. Le déficit hydrique pourrait toucher 36 pour cent de la production céréalière de la Chine, qui est cultivée dans des zones qui dépendent totalement de lirrigation ou dont la production est considérablement plus élevée lorsquelle sont irriguées. Néanmoins, cela signifie aussi que 64 pour cent de la production végétale nest pas systématiquement menacée par les pénuries deau, soit parce quelle provient de terres situées dans des régions humides, ou que les précipitations suffisent à assurer une certaine production pluviale. Il nen reste pas moins que ce niveau de production risque de ne pas pouvoir être atteint tous les ans en raison des problèmes de sécheresses. Sans irrigation ni gestion de leau, les rizières du sud humide ne peuvent sans doute pas produire les deux à trois récoltes quelles permettent aujourdhui, mais seulement une ou deux. Dans une vaste partie du sud et du sud-est de la Chine, la pénurie deau nest pas un problème mais un défi. Les plus importantes améliorations que la Chine pourrait apporter à son agriculture irriguée sont une utilisation plus efficace de leau et des engrais et une baisse des pertes après récolte. La création des syndicats dirrigants a déjà permis dassurer un approvisionnement deau garanti et plus régulier aux agriculteurs, qui peuvent alors distribuer leau équitablement par le biais de ces syndicats. Dautres progrès possibles sont lamélioration de la production de viande de porc, le recours à la production de poulets à griller pour satisfaire lessentiel des besoins supplémentaires en viande, laccroissement de la production de poissons délevage et laugmentation de la consommation de produits laitiers. Cet assortiment de mesures pourrait assurer une bonne partie des futurs besoins nutritionnels du pays, sans quil soit nécessaire de recourir à des importations massives de céréales étrangères. |
Le développement agricole basé sur la mise en valeur des eaux et lirrigation est souvent considéré comme une voie prometteuse pour atténuer la pauvreté dans les zones rurales. Par exemple, la possibilité de disposer de leau nécessaire à la culture dune petite parcelle domestique, souvent gérée par les femmes, peut considérablement modifier le régime alimentaire dun ménage et par conséquent participer à lamélioration de ses moyens dexistence. La récupération de leau peut permettre ce genre dinitiatives (FAO, 2002d). Ce sont toutefois des entreprises à petite échelle et lagriculture irriguée, grâce à ses rendements élevés, est censée avoir une plus grande incidence sur les problèmes de pauvreté et de malnutrition. Des résultats positifs sont attendus, quil sagisse de projets dirrigation à grande ou petite échelle. Toutefois, des études récentes ont montré que pour que le développement de lirrigation se traduise par une atténuation de la pauvreté, il faut que les projets cherchent à répondre aux besoins des populations pauvres (van Koppen et al., 2002). Parmi ceux-ci, la possibilité de se former aux aspects techniques de lirrigation, à lorganisation communautaire et à la commercialisation tient une place importante. Lun des problèmes récurrents est limpossibilité daccéder au crédit, au capital ou à la terre. Même le microcrédit ne connaît pas de délai de grâce; les remboursements doivent le plus souvent commencer après quelques semaines, ce qui noffre pas grande aide pour lachat de technologies bon marché, comme les pompes à pédales et les systèmes de micro-irrigation par goutteurs. Daucuns disent que ces technologies permettent des bénéfices à court terme et ne nécessitent pas de prix subventionnés pour les personnes démunies ni de mesures particulières pour la lutte contre la pauvreté (FAO, 2002d). Le crédit nest pas un problème propre au développement de lirrigation et des solutions plus globales devront être trouvées pour permettre la réussite du développement rural des régions pauvres.
Lexpansion des superficies irriguées, lamélioration de la maîtrise de leau et lapplication de technologies à rendements élevés dans lagriculture irriguée ont permis aux revenus agricoles daugmenter considérablement, en particulier en Asie. Cette augmentation a bénéficié de manière anormalement importante aux plus gros fermiers. Ce ne sont pas les plus pauvres parmi les pauvres, mais laugmentation de leurs modes de dépenses les a conduits à employer davantage ceux qui sont les plus pauvres. Ceux-ci npas de terres ou très peu, et ne tirent guère profit des programmes de production agricole mis en place dans leur intérêt. Ils bénéficient toutefois du prix peu élevé des denrées alimentaires, dune augmentation des salaires et de laccroissement de la demande de biens et de services ruraux non agricoles (FAO, 2002d; Mellor, 2001; Briscoe, 2001). A linverse, les modes de consommation à forte intensité de capitaux et dimportations des propriétaires des exploitations à grande échelle, et surtout des exploitants absentéistes, participent beaucoup moins à la réduction de la pauvreté. Cest un phénomène plus typique des pays dAmérique latine que de ceux dAsie ou dAfrique.
Le recouvrement des coûts dexploitation et dentretien des systèmes dirrigation auprès des agriculteurs pauvres prête à controverse. Il est financièrement impossible de maintenir le subventionnement de ces services et de fournir leau dirrigation à un tarif inférieur à son prix coûtant. On peut utiliser des tarifs par paliers permettant de satisfaire gratuitement les besoins fondamentaux des personnes pauvres pour leau potable, mais cela risque dêtre difficile à mettre en oeuvre pour leau dirrigation. La surveillance de lefficacité de lutilisation deau en agriculture, quand de nombreux petits exploitants utilisent chacun une quantité deau limitée, est coûteuse, mais la fourniture de leau dirrigation à un tarif inférieur à son prix coûtant se solde par un gaspillage de leau (FAO, 2002d).
Dans les pays en développement, lagriculture produit généralement de nombreux biens non échangeables, tels que les produits alimentaires de moins bonne qualité et les biens dont les coûts de transaction sont anormalement élevés. Ce phénomène permet à lagriculture de participer de façon appréciable à la lutte contre la pauvreté, et protège aussi les économies nationales contre les chocs que subissent les marchés internationaux de produits agricoles. Laugmentation des possibilités demploi permet aux ruraux pauvres des pays à faible revenu déchapper à la pauvreté et à la faim. Parce quils sont généralement peu qualifiés, les ruraux pauvres ont davantage de chances de trouver à semployer dans la production de biens et de services qui ne peuvent pas être commercialisés sur les marchés internationaux. Il peut par exemple sagir demplois dans lentretien des structures dirrigation et de drainage, dans la gestion des bassins versants, dans le boisement, et, dans les zones où il y a un réservoir de retenue important, dans la pêche, lécotourisme et la navigation. Laugmentation de lemploi et par conséquent la réduction de la pauvreté dépendent ainsi de laccroissement de la demande nationale en biens et services non agricoles et non échangeables. Lagriculture est la principale source de cette demande: cest donc seulement en augmentant les revenus agricoles que la pauvreté peut diminuer et la sécurité alimentaire saméliorer (FAO, 2001c).
Planche 6 Femmes arrosant des choux dans un jardin potager avec leau extraite dun puits profond (Mali)
FAO/13710/J. ISAAC
Il sensuit que linvestissement dans le développement de lirrigation peut remplir des objectifs auxiliaires tels que lamélioration de la croissance économique et latténuation de la pauvreté dans les zones rurales. Lon peut toutefois se demander si un investissement dans dautres aspects de linfrastructure naurait pas plus de chances de remplir ces objectifs. En Inde, par exemple, le recul soutenu de la pauvreté du milieu des années soixante au début des années quatre-vingts a été étroitement lié à la croissance agricole, et en particulier à la révolution verte, qui a coïncidé avec un investissement massif dans lagriculture et linfrastructure rurale (Fan et al., 1999). Selon les études menées en Inde par lIFPRI, les répercussions de linvestissement supplémentaire dans lirrigation sur la réduction de la pauvreté se classent en troisième position derrière les routes rurales et la recherche et la vulgarisation agricoles. Les dépenses publiques supplémentaires pour lirrigation ont eu un impact considérable sur la croissance de la productivité, mais aucun impact perceptible sur la réduction de la pauvreté. Bien que les dépenses pour lirrigation et lénergie aient été essentielles par le passé pour soutenir la croissance agricole, lirrigation est maintenant peut-être suffisamment développée pour quil soit plus utile dentretenir les systèmes existants que den créer de nouveaux. Les études de lIFPRI ont également montré quen Inde, les revenus marginaux de plusieurs investissements dinfrastructure sont maintenant plus élevés dans de nombreuses zones dagriculture pluviale. Ils ont également un impact potentiellement plus important sur la réduction de la pauvreté rurale (Bhalla et al., 1999).
Selon une analyse globale du rapport entre les systèmes de production et la pauvreté, les perspectives datténuation de la pauvreté dans les zones agricoles du Proche-Orient et dAfrique du Nord sont favorables (Dixon et al., 2001). Néanmoins, pour lensemble de la région, la meilleure stratégie dun ménage pour améliorer sa situation est dabandonner lagriculture, loption suivante étant daugmenter les revenus extra-agricoles. Létude indique que les rôles que lEtat doit assumer en priorité sont lappui au développement des infrastructures vitales, routes, alimentation en eau, services et fourniture dénergie, et la réglementation de lutilisation et de la tarification de la ressource en eau et en énergie. Par comparaison, il a été constaté en Asie méridionale que les mesures soutenant les ménages dans la diversification des petites exploitations et favorisant la croissance des possibilités demploi dans léconomie extra-agricole sont celles qui paraissent pouvoir contribuer le plus à la réduction de la pauvreté.
Il importe, lorsque lon pèse le pour et le contre de nouveaux investissements en irrigation en comparaison des avantages dautres investissements, de tenir compte de tous les bienfaits supplémentaires potentiels de lirrigation, comme par exemple les retombées sur la santé procédant de lamélioration de la nutrition (davantage de calories et un régime alimentaire plus équilibré) et laugmentation des possibilités demploi rural. Ces retombées sont souvent propres à une zone, ce qui rend toute généralisation impossible. Il est en outre impossible, sans les techniques adéquates pour contrôler la performance réelle des systèmes dirrigation, dévaluer les avantages potentiels qui pourraient se dégager si lon prolongeait linvestissement pour les améliorer. Il nen reste pas moins, malgré ces réserves, que la question fondamentale qui se pose sur lutilité économique dinvestissements supplémentaires dans le développement de lirrigation, pour favoriser le développement rural et la diminution de la pauvreté, est essentielle. Au moins deux conclusions simposent après létude du rôle de leau dans la production alimentaire durable, latténuation de la pauvreté et le développement rural. La première est que le choix est difficile pour les organismes donateurs et les gouvernements lorsquil leur faut investir pour réduire la pauvreté et développer les zones rurales. Leur décision ne doit pas automatiquement se porter sur lagriculture ou leau. La seconde est quun ensemble judicieux de mesures gouvernementales peut améliorer considérablement la production alimentaire, la réduction de la pauvreté et le développement rural.