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3. Pourquoi la productivité de l’eau en agriculture est importante pour le défi mondial de l’eau


La productivité est le rapport entre unité de produit et unité de facteur de production. Dans le contexte de cette étude, l’expression productivité de l’eau est employée exclusivement pour désigner la quantité ou la valeur du produit par rapport au volume ou à la valeur d’eau prélevée ou détournée. La valeur du produit peut s’exprimer sous différentes formes (biomasse, céréales, argent). Par exemple, la perspective «produire plus avec moins d’eau» est axée sur la quantité de produit obtenue par unité d’eau. Une autre perspective prend en considération les différences de valeur nutritionnelle entre diverses cultures, ou le fait qu’une quantité donnée d’une culture nourrit davantage de personnes que la même quantité d’une autre culture. Il est important, dès lors que la sécurité alimentaire est évoquée, de préciser ces critères (Renault et Wallender, 2000). Il faudrait également définir comment les retombées sociales de la productivité de l’eau en agriculture peuvent être exprimées. Toutes les définitions proposées peuvent se résumer aux expressions «nutriments par mètre cube d’eau», «nombre de bénéficiaires par mètre cube d’eau», «emplois par mètre cube d’eau» et «moyens d’existence par mètre cube d’eau». Il n’existe pas de définition unique de la productivité et la valeur considérée pour le numérateur peut dépendre de l’objectif envisagé et des données disponibles. La productivité de l’eau en kilogrammes par unité d’eau est tout de même un concept utile lorsqu’il faut comparer la productivité de l’eau dans les différentes parties d’un même système ou bassin fluvial, ou encore la productivité de l’eau en agriculture avec d’autres utilisations possibles de l’eau.

La production d’eau des cultures est régie par la transpiration. Parce qu’il est difficile de séparer la transpiration de l’évaporation à partir de la surface du sol entre les cultures (qui ne participe pas directement à la production agricole), il peut être judicieux de définir la productivité de l’eau pour les cultures, au niveau du champ et du système, à partir de l’évapotranspiration plutôt que de la transpiration. Dans le cas de l’agriculture irriguée dans les zones salines, il faudrait également inclure la fraction de lessivage, c’est-à-dire la quantité d’eau qui doit percoler à travers la zone racinaire pour maintenir la salinité à un niveau satisfaisant, ainsi que l’évapotranspiration dans la quantité d’eau nécessairement utilisée au cours de la croissance des plantes. D’autres utilisations improductives mais utiles pourraient aussi être incluses, comme par exemple l’évapotranspiration par les plantations brise-vent et par les plantes de couverture et l’eau utilisée pour humidifier les lits de semence et renforcer la germination.

Il n’y a pas non plus de réponse unique à une autre question, celle de savoir s’il faut considérer les pertes en eau par infiltration et percolation in situ comme de la consommation. Si cette eau ne sert à rien en aval ou qu’elle génère davantage de pollution, telle celle qui découle du lessivage des sels géologiques (ex.: San Joaquin Valley, Californie, Etats-Unis), elle doit compter pour de la consommation. Les solutions trouvées pour minimiser ces pertes, comme le revêtement des canaux ou les techniques d’amélioration des eaux, peuvent alors avoir un effet positif sur la productivité. Il peut toutefois être important, d’un point de vue écologique plus général, d’étudier l’impact des eaux évacuées par un système d’irrigation sur la productivité globale d’un écosystème.

Planche 7 Agriculteur au travail sur un canal d’irrigation (Mexique)

FAO/18609/G. BIZZARRI

Tout comme pour le numérateur, le choix du dénominateur (quelle eau inclure) est fonction de l’échelle, du point de vue et des objectifs. A l’échelle du bassin, les options peuvent être l’eau détournée de la source et la même valeur de laquelle on retranche l’eau restituée, alors qu’au niveau de la parcelle, les pluies utiles, l’eau d’irrigation et l’irrigation d’appoint pourraient être prises en considération.

Variabilité spatiale de la productivité de l’eau

Les données collectées sur la productivité de l’eau en fonction de l’évapotranspiration (PEET) indiquent des variations considérables (ex.: blé, 0,6-1,9 kg/m3; maïs, 1,2-2,3 kg/m3; riz, 0,5-1,1 kg/m3; sorgho fourrager, 7-8 kg/m3; et tubercules de pomme de terre, 6,2-11,6 kg/m3), ainsi que quelques aberrations fortuites obtenues dans des conditions expérimentales. Les données sur la productivité de l’eau par unité d’eau appliquée (Peirrig) à l’échelle de la parcelle, sont, selon les documents consultés, inférieures à celles de PEET et montrent des écarts de variation encore plus importants. Par exemple, PEirrig pour les céréales varie de 0,05 à 0,6 kg/m3 pour le riz, de 0,05 à 0,3 kg/m3 pour le sorgho et de 0,2 à 0,8 kg/m3 pour le maïs. Cette variabilité s’explique par le fait que les données ont été collectées dans des milieux différents et dans des conditions de conduite culturale également différentes, des facteurs qui ont influencé les rendements et la quantité d’eau fournie (Kijne et al., à paraître). Par ailleurs, il est souvent difficile de déterminer le véritable rendement d’une culture sur une vaste superficie, et par exemple sur la surface d’un système d’irrigation important. Les agriculteurs, lorsqu’ils sont interrogés sur leur rendement, ont tendance à donner un chiffre variable selon la situation. S’il s’agit d’une demande de crédit, ils risquent d’exagérer la valeur de leur rendement, alors que pour rembourser une dette ou fixer un tarif, ils sous-estimeront probablement la récolte obtenue. Les rendements des produits maraîchers peuvent varier d’un jour à l’autre et nul ne peut dire exactement l’ampleur d’une récolte sur la totalité de la période de récolte si des registres précis ne sont pas tenus. Les rendements exprimés en numéraire sont moins fiables car les prix des marchés locaux fluctuent considérablement sur la durée (FAO, 2002d).

Il n’en demeure pas moins que les données de la productivité de l’eau portant sur plusieurs échelles sont utiles pour évaluer si l’eau drainée en amont est réutilisée efficacement en aval. On trouve toutefois rarement des données fiables sur la productivité de l’eau à différents niveaux d’un même système. Une étude utilisant les techniques de la téléobservation et du SIG a évalué la PEET pour les cultures du bassin de l’Indus, au Pakistan, à diverses échelles de systèmes d’irrigation (Bastiaanssen et al., 2003). Il a été constaté que la productivité de l’eau utilisée pour les cultures variait considérablement à l’échelle des petits périmètres irrigués par des canaux. Lorsque les valeurs de la productivité de l’eau ont été agrégées pour les périmètres irrigués, les valeurs les plus élevées de la productivité de l’eau ont progressivement diminué. Leur variabilité a également diminué jusqu’à ce qu’à une échelle d’environ 6 millions d’hectares, la productivité de l’eau approche une valeur faible d’environ 0,6 kg/m3. Cela découle du fait qu’à la plus grande échelle, les périmètres irrigués dont les sols sont moins fertiles ou salins, qui reçoivent moins d’eau d’irrigation et qui exploitent des eaux souterraines de moins bonne qualité sont inclus dans la moyenne.

L’encadré 4 présente des données illustrant la productivité de l’eau sur le plan économique.

Encadré 4 La productivité de l’eau sur le plan économique

Source: Merrett, 1997; Molden et al., 2001

Les données de la productivité de l’eau en agriculture sont disponibles sur le plan économique pour la Jordanie. La productivité de l’eau varie de 0,3 $E.U./m3 pour les pommes de terre à 0,03 $E.U./m3 pour le blé. On a constaté une valeur moyenne de 0,19 $E.U./m3 pour les produits agricoles et de 7,5 $E.U./m3 pour les produits industriels. L’IWMI a analysé les données économiques de la productivité de l’eau pour deux systèmes d’irrigation en Asie méridionale. Les valeurs de la production de blé varient de 0,07 à 0,17 $E.U./m3. A l’échelle des systèmes, des valeurs moyennes de 0,10 et 0,15 $E.U./m3 ont été observées pour la productivité de l’eau de deux autres systèmes en Asie méridionale. Toujours à l’échelle des systèmes, les valeurs relevées pour un total de 23 systèmes d’irrigation dans 11 pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine varient de 0,03 $E.U./m3 (pour un système situé en Inde) à 0,91 $E.U./m3 (pour un système situé au Burkina Faso), avec une moyenne pour l’ensemble de 0,25 $E.U./m3. La comparaison avec la valeur la plus récente du coût de l’eau de mer dessalée, qui s’élève à environ 0,50 $E.U./m3, montre que cette source est trop coûteuse pour pratiquement toute la production agricole. Toutefois, le coût de cette eau a baissé puisqu’il représente environ un dixième de ce qu’il était il y a 20 ans. La technologie du dessalement des eaux de mer va probablement encore s’améliorer, et son coût devrait continuer à baisser, à condition que celui de l’énergie n’augmente pas.

L’augmentation appréciable de la productivité de l’eau en agriculture

Malgré les inquiétudes concernant l’inefficacité technique de l’utilisation de l’eau en agriculture, la productivité de l’eau a augmenté d’au moins 100 pour cent entre 1961 et 2001. Cette croissance s’explique essentiellement par l’augmentation des rendements. Pour de nombreuses cultures, l’augmentation des rendements s’est produite sans que la consommation en eau n’augmente, et parfois même avec moins d’eau, étant donné l’augmentation de l’indice de récolte. Les cultures pour lesquelles on a constaté peu de variations, voire aucune, dans la consommation en eau pendant ces années sont par exemple le riz (essentiellement irrigué) et le blé (essentiellement cultivé en sec), pour lesquels les augmentations mondiales constatées s’élèvent respectivement à 100 et 160 pour cent. A l’échelle mondiale, la consommation d’eau pour l’agriculture au cours des 40 dernières années a augmenté de 800 km3 (Shiklomanov, 2000), alors que la population mondiale a doublé pour atteindre 6 000 millions. Etant donné que la superficie arable cultivée en sec ne s’est pas accrue, on peut conclure qu’avec 800 km3 d’eau supplémentaires, le monde a pu nourrir 3 000 millions de personnes en plus. Cela donne une estimation approximative de 0,720 m3/j/habitant. Ce chiffre est peu élevé en comparaison de l’estimation mondiale moyenne de 2,4 m3/j/habitant pour 2000, qui prend en considération l’eau utilisée pour l’alimentation à l’échelle de la parcelle, sans compter les pertes en eau. C’est un bon indicateur de l’augmentation considérable de productivité qu’a connue l’agriculture, une augmentation qui a permis au monde de faire face à la multiplication par deux de sa population, et aussi d’augmenter les rations.

Dans l’ensemble, on peut considérer que les besoins en eau par habitant, pour l’alimentation, ont diminué de moitié entre 1961 et 2001, puisqu’ils sont passés d’environ 6 m3/j à moins de 3 m3/j (Renault, 2003).

Etant donné l’importance des besoins en eau pour l’alimentation, toute économie dans ce secteur, même modeste, équivaut à une augmentation considérable pour d’autres utilisations. Par exemple, si l’on considère les besoins en eau par habitant pour 2000, une augmentation de un pour cent de la productivité de l’eau pour la production alimentaire libère un potentiel d’utilisation de l’eau de 24 litres/j/habitant. Il faudrait, pour dégager l’équivalent de l’approvisionnement en eau des collectivités, augmenter de 10 pour cent la productivité de l’eau en agriculture, ce qui est l’affaire de quelques années. C’est pourquoi il est possible d’affirmer que l’investissement dans l’agriculture et l’eau pour l’agriculture est la meilleure voie pour libérer des volumes d’eau en vue d’autres utilisations.

Les futurs gains en eau ainsi dégagés par l’agriculture devront toutefois être répartis sur plusieurs activités: (i) compenser la réduction des superficies de production agricole procédant de la prolifération urbaine, de la dégradation des sols et de l’appauvrissement des ressources en eau ou des difficultés croissantes d’accès à ces ressources (eaux souterraines); (ii) augmenter les possibilités d’accès à l’eau des ruraux pauvres et des groupes vulnérables; (iii) rendre les systèmes de production plus rentables; (iv) bloquer des volumes d’eau pour d’autres utilisations, y compris l’environnement.

Principes clés pour l’amélioration de la productivité de l’eau

Les principes clés pour l’amélioration de la productivité de l’eau à l’échelle de la parcelle, de l’exploitation et du bassin, applicables quelles que soient les conditions de culture, en sec ou sous irrigation, sont: (i) l’augmentation des rendements de valeur marchande d’une culture pour chaque unité d’eau qu’elle produit par transpiration; (ii) la réduction de tous les volumes évacués (ex.: drainage, infiltration et percolation), dont ceux évacués par évaporation autres que la transpiration stomatique des cultures; et (iii) l’augmentation de l’efficacité d’utilisation des précipitations, des eaux stockées et des eaux de qualité marginale.

Le premier principe a trait à la nécessité d’augmenter le rendement ou la valeur des cultures. Le deuxième vise à diminuer toutes les pertes, à l’exception de la transpiration des cultures. Sa formulation ne signifie pas qu’il sera impossible d’augmenter la productivité de l’eau en réduisant la transpiration stomatique. Il est concevable que la sélection des plantes trouve un jour le moyen de surmonter cette difficulté. Le troisième principe cherche à utiliser des ressources en eau de substitution. Les deuxième et troisième principes devraient s’inscrire dans la gestion intégrée des ressources en eau (IWRM) d’un bassin aux fins de l’amélioration de la productivité de l’eau. Ce type de gestion tient compte du rôle essentiel des institutions et des politiques pour ce qui est de veiller à ce que les interventions en amont d’un bassin ne s’effectuent pas au détriment des utilisateurs d’eau en aval.

Ces trois principes peuvent s’appliquer à toutes les échelles, de la plante à la parcelle en passant par le niveau agroécologique, mais les options et pratiques associées à ces principes nécessitent l’adoption de diverses méthodes et technologies à différentes échelles spatiales.

Planche 8 Le transfert d’aliments peut être considéré comme équivalant au transfert d’«eau virtuelle» (Somalie)

FAO/20430/A. PROTO

Valorisation de la productivité de l’eau a l’échelle de la plante

A l’échelle de la plante, les possibilités de valorisation reposent essentiellement sur l’amélioration du matériel génétique, par exemple par l’amélioration de la vigueur des semis à la levée, l’augmentation de la profondeur de l’enracinement, l’augmentation de l’indice de récolte (la part commercialisable de la plante par rapport à sa biomasse totale) et l’amélioration du rendement photosynthétique. Les améliorations les plus intéressantes pour la stabilité des rendements ont généralement procédé de programmes de sélection cherchant à mettre au point un cycle de croissance approprié, de manière à ce que la durée des périodes végétatives et reproductives correspondent bien aux prévisions d’approvisionnement en eau ou d’absence de risques pour les cultures. Les dates de plantation, de floraison et de maturation sont importantes pour faire correspondre la période de croissance maximale des cultures avec le moment où le déficit de la pression d’équilibre de la vapeur est faible. Il est possible d’optimiser les périodes de croissance maximale d’une culture grâce aux technologies de sélection. Les variétés améliorées à système racinaire plus profond permettent d’éviter en partie les effets négatifs des sécheresses et d’utiliser plus efficacement l’eau stockée dans le profil du sol. Les stratégies d’échappement à la sécheresse et d’augmentation de la tolérance à la sécheresse participent également de manière appréciable à l’augmentation de la productivité de l’eau (encadré 5). Les variétés insensibles à la longueur du jour, de courte ou moyenne durée (90-120 j), permettent aux cultures comme les variétés de blé, de riz et de maïs mises au point dans le cadre de la révolution verte d’augmenter la productivité de l’eau en échappant aux sécheresses de fin de saison qui altèrent la floraison et le développement des grains. La productivité de l’eau, pour les variétés modernes de riz, est à peu près trois fois plus importante que celle des variétés traditionnelles (Tuong, 1999). Les progrès réalisés pour étendre ces résultats à d’autres cultures sont considérables et vont probablement s’accélérer suite à l’identification récente des gènes sous-jacents (Bennett, 2003). Le génie génétique, s’il est bien intégré aux programmes de sélection et appliqué en toute sécurité, peut contribuer encore davantage au développement de variétés tolérantes à la sécheresse et par là même augmenter l’efficacité de l’utilisation de l’eau.

Encadré 5 Impact réel de l’eau virtuelle sur les économies en eau

Source: Renault, 2003; Zimmer et Renault, 2003

Les échanges d’eau virtuelle réalisés par l’intermédiaire du commerce des produits alimentaires a d’abord attiré l’attention des experts au Proche-Orient, où l’eau est rare (Allan, 1999) et où les importations représentent de considérables économies d’eau. La valeur en eau virtuelle d’un produit alimentaire est l’inverse de la productivité en eau. Elle se définit comme la quantité d’eau par unité de produit alimentaire qui est ou serait consommée pendant sa production.

L’échange des eaux virtuelles permet aux pays importateurs de réaliser des économies d’eau. Il entraîne également des économies d’eau réelle à l’échelle mondiale en raison de l’écart dans la productivité de l’eau qui existe entre les pays producteurs et exportateurs. Par exemple, le transport d’un kg de maïs de la France (représentant ici un pays exportant du maïs, considéré du point de vue de la productivité de l’eau) à l’Egypte transforme une quantité d’eau d’environ 0,6 m3 en 1,12 m3, soit une économie globale d’eau réelle de 0,52 m3 par kilogramme échangé. En 2000, les importations de maïs en Egypte et le transfert d’eau virtuelle qui lui est associé ont permis de réaliser une économie d’eau d’environ 2 700 millions de m3 à l’échelle mondiale. L’économie d’eau réelle réalisée globalement est appréciable: selon une première estimation, les économies d’eau procédant du transfert de l’eau virtuelle réalisé par l’intermédiaire de l’échange des produits alimentaires s’élèverait à 385 000 millions de m3 (Oki et al., 2003).

Le stockage des produits alimentaires engendre également des économies d’eau réelle. Par exemple, dans la République arabe syrienne, 1988 a été une bonne année pour la production céréalière, avec des rendements de 1,6 tonne/ha qui ont entraîné des surplus. C’est ainsi que 1,9 million de tonnes de céréales ont été stockées au cours de cette année. L’année suivante a été très sèche, et le rendement céréalier a chuté à 0,4 tonne/ha. On a alors prélevé environ 1,2 million de tonnes de céréales sur les quantités stockées pour compléter la production interne et les importations. Compte tenu de la productivité de l’eau enregistrée pour ces deux années (Oweis, 1997), la valeur estimée de l’eau virtuelle équivaut respectivement à 1 et 3,33 m3/kg. Par conséquent, l’utilisation en 1989 de 1,2 million de tonnes de céréales stockées équivaut à 4 000 millions de m3 d’eau virtuelle. Pour la période des deux années de référence (1988-1989), quelque 2 800 millions de m3 d’eau ont pu être économisés grâce à la capacité de stockage des produits alimentaires.

Le commerce de l’eau virtuelle augmente rapidement à l’échelle mondiale. En valeur absolue, il a augmenté d’environ 450 km3 en 1961 à 1 340 km3 en 2000, atteignant 26 pour cent de la totalité de l’eau nécessaire pour l’alimentation, dont des équivalents pour les produits et poissons de mer. Cette valeur est équitablement répartie entre les produits énergétiques, lipidiques et protéiques.

Renforcement de la productivité de l’eau a l’échelle de la parcelle

A l’échelle de la parcelle, l’amélioration des pratiques va de pair avec une modification de la gestion des cultures, des sols et de l’eau. Elle porte sur: la sélection de cultures et de cultivars appropriés; les méthodes de plantation (ex.: sur des plates-bandes surélevées); le travail minimal du sol; une irrigation opportune qui synchronise l’application d’eau avec les périodes de croissance les plus délicates; la gestion des éléments nutritifs; les systèmes d’irrigation goutte à goutte; et l’amélioration du drainage pour contrôler le niveau des nappes d’eau.

Planche 9 Modèle de ferme piscicole intégrée, associant des étangs d’élevage et des canards (République démocratique populaire lao)

FAO/20906/K. PRATT

Lorsque l’eau s’évapore du sol humide, de flaques stagnant entre les lignes de semis et avant l’implantation des cultures, cela participe à l’épuisement des ressources en eau. Toutes les pratiques culturales et agronomiques qui permettent de réduire ces pertes, comme la modification de l’espacement des lignes et l’application de paillis, améliorent la productivité de l’eau. La méthode d’irrigation agit également sur ces pertes par évaporation. Les systèmes d’irrigation goutte à goutte humidifient beaucoup moins le sol que l’irrigation par aspersion. L’importance de l’amélioration du sol pour augmenter la productivité de l’eau n’est souvent pas prise en considération. Néanmoins, les pratiques de gestion intégrée des cultures et des ressources, telle la gestion améliorée des nutriments, peuvent augmenter la productivité de l’eau en élevant proportionnellement le rendement plus qu’il n’augmente l’évapotranspiration. Ce principe s’applique à la fois à l’agriculture irriguée et pluviale. La lutte intégrée contre les adventices et les ravageurs a également pris efficacement part à l’accroissement des rendements.

L’une des méthodes employées au niveau des parcelles pour accroître la productivité de l’eau est l’irrigation déficitaire, qui consiste à appliquer délibérément moins d’eau que la quantité nécessaire pour répondre aux besoins en eau totaux d’une culture. Le déficit hydrique décidé devrait se traduire par une légère réduction des rendements, moins importante que la réduction concomitante de la transpiration. Il entraînera ainsi une augmentation de la productivité de l’eau par unité d’eau transpirée. En outre, il pourrait diminuer les coûts de production s’il permettait de supprimer une ou plusieurs irrigations. Pour que l’irrigation déficitaire réussisse, il faut que les agriculteurs connaissent le déficit qu’ils peuvent permettre à chacune des étapes de la croissance des plantes, ainsi que le niveau de stress hydrique déjà présent dans la rhizosphère. Il importe surtout qu’ils disposent d’un contrôle total des horaires et des quantités d’eau d’irrigation. L’irrigation déficitaire peut être extrêmement risquée pour les exploitants dont l’approvisionnement est incertain, comme c’est le cas lorsqu’ils sont alimentés par les précipitations ou par des ressources en eau d’irrigation peu fiables. Si les disponibilités en eau s’abaissent en dessous d’un certain niveau, les cultures peuvent perdre toute valeur, soit parce qu’elles meurent, soit parce que le produit est de tellement faible qualité qu’il en devient invendable. Lorsque l’eau est rare, les agriculteurs peuvent, s’ils disposent d’un contrôle total des horaires et des quantités d’eau d’irrigation, réduire l’irrigation selon les besoins pour maximiser les retours d’eau. C’est le degré de flexibilité que permettent généralement les systèmes d’irrigation goutte à goutte et par aspersion, ainsi que les installations de pompage des eaux souterraines, à condition que l’agriculteur soit propriétaire de la pompe. Un système de distribution entièrement flexible pour l’irrigation de surface est coûteux dans les grands systèmes d’irrigation en raison de la surcapacité requise dans le système de transport.

Avant de recommander l’irrigation déficitaire (et d’autres systèmes d’irrigation permettant d’économiser l’eau dans la production rizicole), il importe de quantifier sur le plan économique les avantages et les inconvénients de la réduction du rendement et de l’augmentation de la productivité de l’eau.

Encadré 6 Technologies d’irrigation permettant une économie maximale de l’eau dans la production rizicole

Source: IRRI, 2002

La sécurité alimentaire en Asie exige que soient explorées les techniques grâce auxquelles davantage de riz pourrait être produit avec moins d’eau. L’Institut international de recherche sur le riz (IRRI) a étudié diverses technologies permettant d’économiser l’eau à l’échelle de la parcelle, dont: l’alternance des périodes humides et sèches; la SRI; la culture dans des sols saturés; le riz aérobique; et les sytèmes de couverture végétale. Chacune de ces techniques agit sur un ou plusieurs des phénomènes improductifs d’évacuation des eaux (ex.: infiltration, percolation et évaporation) et accroît ainsi la productivité de l’eau. Elles supposent toutefois qu’à certains moments les sols ne soient pas submergés ni même saturés, ce qui en général provoque une diminution des rendements. Des résultats récents provenant du nord de la Chine et des Philippines indiquent qu’avec les technologies actuelles d’amélioration du matériel génétique et de gestion, les rendements du riz aérobique sont environ 40 pour cent plus faibles et réduisent les besoins en eau d’approximativement 60 pour cent par comparaison avec le riz aquatique.

Le passage de systèmes submergés à des conditions partiellement aérobiques (non saturées) a aussi des effets marqués sur le renouvellement de la matière organique du sol, la dynamique des nutriments, le piégeage du carbone, l’écologie des adventices et les émissions de gaz à effet de serre. Certains de ces changements sont positifs, mais d’autres, comme les émissions d’oxyde nitreux et la diminution de la matière organique, sont perçus comme des effets négatifs. La difficulté est d’équilibrer les effets négatifs et positifs par le développement de technologies permettant d’économiser l’eau qui soient intégrées et efficaces et qui garantissent la viabilité des écosystèmes rizicoles et des bénéfices écologiques.

Dans la culture du riz, la faible productivité de l’eau par unité d’eau fournie, qui a souvent été évoquée, découle du fait que la percolation due à la couche d’eau qui repose à la surface du champ est considérée comme une perte. Néanmoins, cette eau est souvent recyclée, et la productivité de l’eau dans la culture du riz est souvent comparable à celle d’une céréale sèche. Il n’en reste pas moins que des techniques d’irrigation permettant une économie maximale de l’eau, comme la culture dans des sols saturés d’eau et l’alternance des périodes humides et sèches, peuvent diminuer considérablement les quantités d’eaux évacuées et improductives et augmenter la productivité de l’eau. Ces techniques provoquent généralement une diminution des rendements dans les variétés actuelles de riz aquatique à haut rendement (encadré 6), mais certaines expériences rendent compte d’augmentations appréciables des rendements de variétés locales (Deichert et Saing Koma, 2002), grâce à une technique appelée intensification des systèmes de production rizicole (SRI), mise au point à Madagascar (de Laulanié H., 1992). Là non plus il n’y a pas de réponse unique, l’adaptation aux ressources et capacités locales constituant le facteur le plus important. Sans anticiper le résultat des expériences menées dans de nombreux pays à l’heure actuelle, il semble que le potentiel de la technique de la SRI soit intéressante pour permettre aux ruraux pauvres d’augmenter la productivité de terres rares et d’eaux peu abondantes, à condition qu’ils disposent d’une main d’oeuvre familiale suffisante. D’autres méthodes sont étudiées dans le cadre des initiatives entreprises pour accroître la productivité de l’eau sans sacrifier la récolte. L’une d’entre elles repose sur le développement du riz dit aérobique qui permet de cultiver du riz sans submersion. Le développement de ces nouvelles variétés est essentiel si le riz doit être cultivé comme les autres cultures irriguées de hautes terres et qu’il faille éviter la percolation profonde associée aux rizières.

Planche 10 Membres du comité villageois d’Ankofafa protégeant un champ de maïs (Madagascar)

FAO/17418/H. WAGNER

Les problèmes liés à l’eau en agriculture pluviale sont souvent causés par une importante variabilité spatiale et temporelle des précipitations plutôt que par de faibles volumes cumulatifs de pluie. Le résultat global de l’imprévisibilité des précipitations est un risque élevé de sécheresses météorologiques et de périodes de sécheresse intrasaisonnières (Rockström et al., 2003). L’irrigation d’appoint, en assurant la soudure pendant les périodes de sécheresse, par une compensation des déficits hydriques des cultures, stabilise la production et augmente considérablement à la fois la production et la productivité de l’eau si elle est appliquée pendant les étapes de la croissance des plantes où elles sont sensibles à l’humidité.

La récupération de l’eau pour l’agriculture suppose l’existence d’un réservoir de stockage, alors que dans le cas de l’utilisation des eaux de ruissellement pour l’agriculture, l’eau collectée est directement appliquée à la zone cultivée. Un investissement relativement modeste suffit pour le creusage des rigoles transportant l’eau de ruissellement jusqu’au réservoir de stockage et la construction du réservoir lui-même. L’entretien de ces structures peut s’avérer difficile dans les endroits où de fortes pluies les emportent régulièrement. De nombreux facteurs entrent en jeu pour que la récupération de l’eau donne de bons résultats, dont: la méthode employée pour collecter et stocker les eaux de ruissellement; la topographie; la nature du sol (et en particulier la vitesse d’infiltration); le choix des cultures qui seront implantées; l’accès aux engrais; et l’efficacité de la croûte du sol dans le bassin versant. Néanmoins, un autre élément, plus important que ces paramètres physiques, est la participation des bénéficiaires à la conception et à la mise en oeuvre des structures de récupération de l’eau (encadré 7).

Il existe peu d’évaluations socio-économiques des techniques de récupération de l’eau et d’irrigation d’appoint. Il est entendu que la récupération de l’eau ne peut entraîner d’augmentations appréciables de la productivité de l’eau qu’à la condition de lui associer des initiatives en matière de formation des agriculteurs, de mise en valeur des eaux, d’irrigation d’appoint, de sélection améliorée des cultures, d’amélioration des pratiques agronomiques et d’interventions politiques et institutionnelles. Toute planification (et évaluation économique) devrait expressément prendre en considération les effets à court terme et les répercussions à long terme des changements hydrologiques que provoque la récupération de l’eau pour les utilisateurs d’eau en aval.

Encadré 7 Projet de mise en valeur des sols et des eaux au Burkina Faso

Source: Oweis et al., 1999

Jusqu’au début des années quatre-vingts, la plupart des projets de mise en valeur des terres et des eaux mis en train au Burkina Faso ont échoué lamentablement. De 1962 à 1965, des équipements lourds ont été employés pour installer des digues en terre sur l’ensemble des bassins versants de la région du Yatenga, sur le plateau central. Bien que ce projet, qui a traité 120 000 ha sur 2,5 saisons sèches, ait été bien conçu sur le plan technique, les utilisateurs de ces terres n’avaient pas été consultés et ne se sont pas du tout intéressés à ce qui avait été construit. De 1972 à 1986, plusieurs organismes donateurs ont financé un projet de mise en valeur des terres et des eaux qui était davantage élaboré dans un esprit participatif. De nouveau les bénéficiaires n’ont pas voulu entretenir les digues de terre parce qu’ils estimaient l’entretien trop lourd et les bénéfices insuffisants, et pour d’autres raisons. Cela s’est soldé par la disparition quasi totale des digues en quelques années (3-5 ans).

Un projet agroforestier soutenu par des ONG (1979-1981) et basé dans la région du Yatenga a essayé plusieurs techniques simples de mise en valeur des terres et des eaux et de récupération de l’eau, en demandant aux villageois d’évaluer ces techniques. Ils ont exprimé une préférene pour les diguettes de pierre en courbe de niveau. Le projet a également organisé des programmes de formation dans les villages pour apprendre aux agriculteurs à utiliser un niveau d’eau à flexible, de manière à ce qu’ils puissent déterminer plus précisément les courbes de niveau. Dans le Yatenga et dans d’autres zones du plateau central, des diguettes de pierre en courbe de niveau ont été installées sur des dizaines de milliers d’hectares.

La principale raison pour laquelle les agriculteurs ont adopté ces diguettes de pierre en courbe de niveau et amélioré la technique traditionnelle de plantation en rigoles (une technique mise au point par un agriculteur local qui permet de mélanger l’eau et les engrais) est qu’elles entraînent une augmentation immédiate et appréciable des rendements. Sur des terres déjà cultivées, la construction des diguettes de pierre en courbe de niveau augmenterait les rendements de 40 pour cent.

Le présent document cite un certain nombre de pratiques susceptibles d’améliorer la productivité de l’eau. Il s’agit maintenant de déterminer comment faire adopter ces techniques et les adapter aux conditions locales. L’importance de la participation et de la responsabilisation des agriculteurs que permettent l’organisation des syndicats d’irrigants en matière de gestion de l’irrigation est généralement admise et il en existe un peu partout. Toutefois, l’on sait moins s’il est réalisable et avantageux d’utiliser les mêmes types d’associations d’agriculteurs pour faire adopter collectivement des pratiques culturales améliorées telles que le travail minimal du sol ou les plates-bandes surélevées. Il faudrait, pour favoriser l’adoption par un grand nombre d’individus d’une gamme de pratiques d’amélioration de la productivité de l’eau, organiser des interventions à l’échelle de la communauté pour garantir que l’on ne passe pas à côté d’occasions d’affecter des ressources en eau non allouées à d’autres utilisations productives.

Gestion responsable de la productivité de l’eau a l’échelle du système et du bassin

Le passage de l’échelle de la parcelle à celle du système et du bassin fluvial modifie l’importance relative des divers processus de gestion de l’eau. Lorsque la perspective s’élargit, les conséquences de l’agriculture sur les autres utilisateurs, sur la santé humaine et sur l’environnement deviennent au moins aussi importantes que les enjeux de production.

Les possibilités d’améliorer la productivité de l’eau au niveau agroécologique ou à celui du bassin fluvial reposent sur: une meilleure planification de l’utilisation des sols; une meilleure utilisation des prévisions météorologiques à moyen terme; l’amélioration des calendriers d’irrigation de manière à prendre en considération la variabilité des précipitations; et la gestion concertée des diverses ressources en eau, y compris, au besoin, les eaux de moins bonne qualité. Par conséquent, l’amélioration du matériel génétique et de la gestion des ressources est cruciale pour l’amélioration de la productivité de l’eau au niveau de la parcelle et à plus grande échelle.

Il est possible d’accroître la productivité de l’eau par la fiabilisation de l’approvisionnement de l’irrigation, par exemple en utilisant une technologie de précision et en instaurant la distribution à la demande de l’eau d’irrigation (chapitre 6). Il n’en reste pas moins que l’augmentation de la productivité de l’eau ne se traduit pas nécessairement par un accroissement des retombées économiques ou sociales. Par retombées sociales, on entend celles qui profitent à la société par l’effet des mesures prises pour améliorer la productivité de l’eau. Dans les zones rurales des pays en développement, les utilisations de l’eau sont multiples. L’eau est ainsi à la fois un bien public et social, ce qui rend le calcul des avantages complexe. Ces nombreuses utilisations de l’eau comprennent la production de bois d’oeuvre, de bois de chauffage et de fibres, la production piscicole et l’élevage. Parmi les utilisations non agricoles de l’eau, on peut citer les utilisations domestiques (eau potable et bains) et écologiques.

Une étude de l’IWMI portant sur un système d’irrigation situé à Kirindi Oya, dans le sud du Sri Lanka, illustre l’importance des rôles multiples de l’eau en agriculture (Renault et al., 2000). Cette étude a constaté qu’à l’échelle du système, les plantes ne consommaient que 23 pour cent de l’approvisionnement total en eau, y compris les précipitations et l’eau d’irrigation externe. Des 77 pour cent restants, 8 pour cent étaient utilisés pour les pâturages, 6 pour cent s’évaporaient du réservoir, 16 pour cent se perdaient dans la mer, 3 pour cent étaient drainés dans les lagons, et 44 pour cent de l’approvisionnement en eau profitaient à la végétation pérenne qui s’était développée depuis l’installation du périmètre, à la faveur des infiltrations d’eau d’irrigarion et de la reconstitution de la nappe souterraine de faible profondeur. La croissance des arbres est importante pour les personnes qui vivent dans la zone car ils leur donnent de l’ombre et améliorent ainsi leur environnement. Dans ce projet, comme dans beaucoup d’autres régions du sud de l’Inde, les arbres constituent aussi une source de revenus (noix de coco et matériaux de construction: poutres et cordages). D’autres arbres sont importants pour la valeur nutritive supplémentaire qu’ils apportent (fruits) et certains sont primordiaux pour leurs propriétés médicinales. Des modifications qui permettraient de contrôler entièrement les eaux évacuées par les systèmes d’irrigation pour améliorer la productivité de l’eau provoqueraient l’effondrement de l’ensemble du système agroforestier local (FAO, 2002d).

Encadré 8 Retombées de l’agriculture de décrue traditionnelle par comparaison avec l’agriculture irriguée à grande échelle

Source: IUCN, 2000

L’estimation de la valeur produite par l’utilisation de la plaine d’inondation de Hadejia-Jama’ara, dans le nord du Nigéria, indique que les pratiques traditionnelles sont plus profitables que les cultures exploitées sur le projet d’irrigation de Kano. Les profits procédant du bois de chauffage, de l’agriculture de décrue, de la pêche et du pastoralisme ont été estimés à 12 $E.U./litre d’eau, par comparaison avec 0,04 $E.U./litre d’eau pour les profits dégagés du projet d’irrigation. Cette évaluation est importante pour la région qui a perdu plus de la moitié de ses plaines d’inondation à cause de la sécheresse et des réservoirs construits en amont.

Même sans prendre en considération les bénéfices que représente l’habitat de la faune sauvage, les zones humides sont plus profitables à davantage de personnes dans leur état actuel qu’après leur conversion à l’agriculture irriguée à grande échelle.

Un autre exemple des retombées économiques et sociales de l’agroforesterie est offert par un projet situé sur les rives du fleuve Niger au Mali. Dans cette zone, des arbres ont été plantés sur les diguettes séparant les rizières, et aussi au milieu de celles-ci, sans effets négatifs sur les rendements rizicoles. Dans cette partie aride et reculée du Mali, la valeur des perches de bois fournies par les eucalyptus vieux de sept années a été suffisamment élevée pour permettre aux agriculteurs de payer les frais d’exploitation et d’entretien du système d’irrigation par la vente des arbres. Dans un autre système d’irrigation situé au sud-ouest du Burkina Faso, les palmiers à huile et les arbres fruitiers ont été associés avec succès aux cultures irriguées (essentiellement du maïs, des arachides et des tomates à destination industrielle). Les arbres ont été plantés sur des crêtes ou sur les zones séparant les parcelles. Sur les sols sableux traversés par les eaux de percolation du système d’irrigation, les arbres ont produit une quantité importante de nourriture et de revenus supplémentaires, et les répercussions sur la principale culture sont restées minimales (FAO, 2002d). L’encadré 8 présente un cas où l’agriculture traditionnelle a eu des retombées plus importantes pour la société que l’irrigation à grand échelle.

Ces exemples rappellent que toutes les mesures destinées à améliorer la productivité de l’eau ne sont pas toujours appropriées et ne conviennent pas à toutes les circonstances. Il est essentiel de considérer les diverses utilisations de l’eau dans l’agriculture avant de mettre en oeuvre des mesures susceptibles d’accroître la productivité de l’eau au détriment d’autres profits découlant de la même ressource en eau, et en particulier ceux qui bénéficient aux populations pauvres locales et aux paysans sans terre.

Moyens d’action pour favoriser l’augmentation de la productivité de l’eau

L’utilisation de politiques des prix pour favoriser la productivité économique de l’eau exige une intervention importante des gouvernements pour garantir que les questions d’égalité d’accès et de bien collectif sont traitées avec toute l’attention qui convient (Barker et al., 2003; Rogers et al., 2002). Certaines études menées dans le sous-continent indien et ailleurs ont suggéré que le prix de l’eau qu’il faudrait exiger pour influencer notablement la demande devrait équivaloir à environ dix fois le tarif d’exploitation et d’entretien du système d’irrigation. Un tarif qui suffirait simplement à couvrir les frais d’EE n’aurait qu’un effet négligeable sur la demande en eau. Par ailleurs, il est difficile de mettre en place une tarification volumétrique pour l’eau d’irrigation car l’installation de structures de mesure et de dispositifs de prévention des fraudes est très coûteuse (Perry, 2001). Enfin, dans la plupart des systèmes d’irrigation du riz d’Asie, la tarification volumétrique au niveau de l’utilisateur ou même du groupe ne peut convenir étant donné la submersion et les débits d’eaux recyclés permanents dans l’ensemble du périmètre irrigué.

Le marché des eaux souterraines en Inde illustre l’impact peut-être non intentionnel des politiques gouvernementales sur les quantités d’eau mises à la disposition des agriculteurs et des autres utilisateurs. Les agriculteurs du Gujarat ont payé environ quatre fois plus cher les eaux souterraines pompées que les exploitants du Punjab et de l’Uttar Pradesh. Cette différence a été attribuée: (i) aux différences de tarification de l’énergie nécessaire aux pompes des agriculteurs (tarif forfaitaire ou montant à l’unité consommée); (ii) aux dispositions régissant l’espacement des forages au Gujarat, qui accorde à chaque propriétaire de forage un monopole s’étendant sur environ 203 ha; et (iii) à la rareté des forages publics au Gujarat, qui a également diminué la concurrence parmi les fournisseurs d’eaux souterraines. Le prix élevé de l’eau extraite des forages au Gujarat s’est traduit par une discrimination au désavantage des petits exploitants et des agriculteurs pauvres. Toutefois, quelques modifications simples de la réglementation des eaux, qui porteraient sur le prix de l’énergie, l’espacement des forages et les forages publics, pourraient faire du marché des eaux souterraines au Gujarat un instrument efficace en faveur du développement des petits exploitants (Shah, 1985).

Il se peut que l’objectif de la productivité économique maximale de l’eau en agriculture fasse obstacle au désir politique d’assurer la sécurité alimentaire nationale. Le plus souvent, la productivité économique de l’eau pour les cultures de base est inférieure à celle de la culture de légumes ou de fleurs à destination des marchés étrangers. La substitution des cultures implique le remplacement des cultures qui consomment beaucoup d’eau par des cultures consommant moins d’eau ou dont la productivité économique est supérieure. Cette stratégie pourrait permettre d’augmenter la productivité de l’eau en agriculture au niveau agroécologique aussi bien qu’à l’échelle mondiale (encadré 5).

Les politiques et mesures d’incitation sont importantes pour favoriser l’adoption de pratiques agronomiques et culturales s’éloignant des pratiques traditionnelles (FAO, 2001a). Il est toutefois essentiel de définir les types de politiques et de mesures dqui donneront les meilleurs résultats. Les expériences d’agriculture écologique montrent que les intérêts à court terme des agriculteurs diffèrent souvent des intérêts à long terme de la société et que les bénéfices financiers dérivant de la modification des pratiques culturales mettent longtemps à se matérialiser. Par ailleurs, bien qu’il existe de grandes différences entre les exploitations, les facteurs externes jouent aussi un rôle, telle la transmission de l’information (par des activités liées à l’action politique ou par les processus sociaux). Un autre fait particulièrement important est le résultat inconsistant et parfois contradictoire des études sur l’adoption de nouvelles pratiques, qui semble suggérer que les processus décisionnels sont extrêmement variables. Il faudrait donc les comprendre plus complètement puisqu’ils ont un retentissement important sur les délais d’application entre l’étude et la mise en oeuvre sur le terrain. Ces délais sont souvent inacceptablement longs étant donné la nature urgente des problèmes de pénurie d’eau. L’expérience tirée de la recherche participative et de la vulgarisation pourrait contribuer à réduire ces délais.


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