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Les fonctions protectrices et écologiques des forêts

A. Gottle et E.-H. Sène

Le professeur Albert Gottle est Ministre de la Bavière pour le développement et les affaires de l'environnement (Allemagne).

El-Hadji M. Sène est chef du Service de la conservation des forêts. de la recherche et de l'enseignement forestiers à la Division des ressources forestières. FAO. Rome.

Cet article est une adaptation du mémoire général présenté pour le XIe Congrès forestier mondial, «Fonctions protectrice et environnementale des forêts».

Forêt de savane au Sénégal

Généralités sur le rôle protecteur et écologique des forêts

La forêt est en mesure d'assurer les fonctions de protection et de conservation que l'on en attend seulement si elle est dans son état naturel et dans de bonnes conditions écologiques. ou si elle est exploitée et gérée de façon durable. Dans ces conditions, la santé et la vitalité des forêts sont essentielles. C'est leur vitalité qui permet aux forêts de pousser avec suffisamment de force et de vigueur pour lutter contre les forces physiques affectant les sols à travers l'érosion par les eaux. C'est également cette vigueur qui garantit une architecture bien structurée et un feuillage fourni pouvant résister à l'érosion éolienne. La santé des forêts est fondamentale pour beaucoup de leurs fonctions écologiques. Cependant. elles sont souvent affectées par des insectes et autres nuisibles. Elles peuvent aussi souffrir de diverses altérations physiologiques. liées aux variations climatiques. et notamment aux sécheresses. En bon état de santé, de vitalité et de conservation. et avec un aménagement et un développement assurés, les forêts remplissent notamment les importantes fonctions écologiques et protectrices suivantes:

Protection des ressources en eau. Grâce au feuillage. aux écorces anfractueuses et à la litière abondante. les arbres et les forêts ralentissent la dispersion de l'eau et favorisent une infiltration lente mais complète de l'eau de pluie; la capacité des arbres. surtout en zones sèches. de retenir d'autres types de précipitations comme le brouillard. qui peuvent ensuite être recueillies et stockées pour utilisation, est aussi remarquable.

Protection du sol. Le couvert forestier ralentit le vent, tandis que son dense réseau de racines maintient le sol en place. ces caractéristiques, ajoutées à la fonction de ralentissement du ruissellement de l'eau. limitent l'érosion par l'eau et le vent, les mouvements de terrain (glissements de terrain et chutes de pierres) et, dans les climats froids, les risques d'avalanche. En combinant le ralentissement de la dispersion et la filtration de l'eau et pour les nappes phréatiques et intermédiaires. les forêts assurent un effet tampon significatif, qui réduit les phénomènes de crue ou les importants arrachements de berges des cours d'eau.

Atténuation des excès du climat local et réduction des retombées des émissions de gaz. En contrôlant la vitesse du vent et les flux d'air. la forêt a une incidence sur la circulation locale de l'air et peut ainsi retenir les suspensions solides et les éléments gazeux; elle peut également filtrer les masses d'air et piéger les polluants. La forêt assure un effet protecteur indéniable pour les populations voisines, et surtout pour les cultures. Cette capacité est utilisée dans la protection des zones habitées, souvent à proximité des zones industrielles. et plus généralement en foresterie urbaine.

Conservation de l'habitat naturel et de la diversité biologique. La forêt abrite flore et faune, et assure, en fonction de sa santé, de sa vitalité et de la façon dont elle est gérée ou protégée, sa propre perpétuation, et ce grâce au fonctionnement des processus écologiques forestiers. En Europe, environ la moitié des fougères et des plantes à fleurs poussent en forêt. En raison de sa taille et de sa diversité structurelle, la forêt abrite un plus grand nombre d'espèces animales que ne le font les autres écosystèmes.

La fonction récréative et les autres fonctions sociales des forêts. Outre ces fonctions physiques et biologiques de protection, les forêts ont en général acquis au cours des cinq dernières décennies une fonction récréative de plus en plus importante. Des stations touristiques et climatiques jouissant d'un environnement forestier ont prospéré à proximité des villes; les résidences secondaires situées dans les régions boisées des pays développés, mais aussi des pays en développement. rapprochent de nouveau les hommes de la forêt.

Protection de la dimension culturelle. Alors même que les communautés urbaines, en particulier dans les pays industrialisés, essaient de retourner à la nature, l'évolution de l'économie forestière locale et mondiale fait peser des menaces sur d'autres fonctions protectrices des forêts naturelles dans les régions en développement, c'est-à-dire là où les forêts ont gardé leurs fonctions culturelles et religieuses. Le maintien de la dimension culturelle des fonctions protectrices des forêts constitue un défi pour la foresterie du XXIe siècle, qui ne peut ignorer ces besoins.

Les fonctions protectrices et écologiques des forêts dans les milieux fragiles sélectionnés

Les forêts de montagne et le développement durable des montagnes. Les écosystèmes montagnards font partie des écosystèmes fragiles concernés par le programme Action 21 de la CNUED, où il est question de ce problème au chapitre 13, «Développement durable des montagnes». Pendant les cinq années qui ont suivi le Sommet de la Terre. les actions nombreuses et intensives qui ont été menées ont abouti à une réelle prise de conscience des multiples fonctions assurées par les montagnes. Ces dernières sont le sanctuaire d'une riche et rare diversité biologique animale et végétale. Elles offrent une richesse génétique unique qui, dans ce cas précis. sous-tend l'agriculture et l'élevage, ainsi que les systèmes agraires prévalant dans les hautes vallées et sur les plateaux. Elles fournissent un flux régulier de ressources en eau, avec tout le potentiel d'énergie renouvelable qui y est associé. Elles abritent et protègent une grande diversité de races et de cultures humaines.

En haute montagne, les forêts protègent les zones habitées et les systèmes de communication contre les avalanches, les chutes de pierres et les glissements de terrain. Dans les Alpes européennes, une partie des forêts de protection est gérée selon des pratiques établies depuis longtemps, et qui ont permis le maintien d'un mélange approprié de conifères et de feuillus. Cependant, les tendances en cours poussent à des changements inquiétants. Les peuplements mixtes laissent la place à des forêts monospécifiques, et beaucoup de forêts de protection se sont affaiblies et ont vieilli. Elles poussent de façon plus clairsemée. Souvent, la présence de gibier entrave la régénération naturelle à cause du broutage, accélère la dégradation de l'écosystème forestier et réduit sa capacité protectrice. Pour mettre un terme à cette évolution négative. ou pour restaurer l'écosystème forestier. des mesures sont prises, notamment des mesures biologiques comme la reforestation. les travaux d'ingénierie et les pratiques actives de sylviculture qui encouragent et favorisent la régénération naturelle.

Un déclin identique peut être observé dans d'autres parties du monde, mais les dégradations sont essentiellement dues aux tentatives que les populations rurales pauvres font pour parvenir à subsister, surtout dans des régions marginales. En Afrique du Nord sur les hauts plateaux africains -, dans les Andes et dans l'Himalaya, la récolte de bois de feu, le pâturage des animaux. surtout des chèvres, particulièrement bien adaptées et résistantes, et enfin l'agriculture marginale, sont au nombre des facteurs majeurs du morcellement, de la dégradation et du recul des forêts de montagne. Dans beaucoup de cas. les mines bouleversent l'écologie montagnarde et dégradent ou détruisent notamment l'exceptionnelle diversité biologique, allant parfois jusqu'à affecter des espèces endémiques et les processus au sein desquels elles sont intégrées. Les mines illégales dans les bassins versants peuvent également être à l'origine de la pollution de cours d'eau importants (Hernandez, 1997)

Plusieurs groupes écologiques ont attiré l attention sur les possibles incidences négatives des lignes de communication et des routes, dans la mesure où leur construction signifie souvent la déforestation de larges surfaces. ce qui affecte les habitats d'espèces dont l'importance biologique est considérable. Toutefois, comme le remarque Hernandez (1997), en Amérique latine les causes fondamentales majeures de la déforestation sont les suivantes: i) fragilité inhérente aux montagnes jeunes; ii) extrême pauvreté des populations et manque de vigueur et de résolution face à ces conditions sociales misérables, et qui continuent de se dégrader rapidement; iii) approches segmentées du développement, absence de cohésion institutionnelle et de cohérence, et carences en termes de vulgarisation appropriée et participative.

Le problème des fonctions protectrices des forêts de montagne confrontées aux modifications climatiques requiert une attention spéciale. Ce sujet a été largement étudié partout dans le monde. Gottle (1997. communication personnelle) résume les résultats des recherches du Bureau gouvernemental bavarois de gestion de l'eau sur les possibles conséquences que des changements climatiques auront sur la façon dont les forêts montagnardes européennes assurent leur habituelle fonction de tampon. à savoir:

· le réchauffement de la planète provoquera le recul en altitude de la ligne des neiges éternelles et des glaces. entraînant des conditions plus favorables pour la végétation mais aussi une «érodibilité» plus importante. ainsi que le déplacement de la frontière du permafrost, conduisant ainsi à davantage d'instabilité dans les zones qui attendent d'être colonisées par la végétation;

· les alternances fréquentes du gel et du dégel provoqueront la désagrégation d une plus grosse quantité de matériau et augmenteront les risques de chutes de pierres et de glissements de terrain, rendant ainsi l'établissement de la végétation plus difficile;

· des précipitations et surtout des pluies plus abondantes satureront les sols. qui pourront éventuellement perdre leur résistance au cisaillement et leur stabilité, autant de conditions défavorables pour la fixation de la végétation. Un lessivage plus important pourra aussi se produire tout au long de l'année. conduisant à une érosion plus intense.

Des changements similaires. en intensité et non en orientation. pourront être observés en montagne. avec toutefois plus d'ampleur que dans les plaines. Cela signifie que les changements seront plus spectaculaires dans les écosystèmes forestiers de montagne, en raison de la concentration sur une courte distance horizontale de phénomènes qui se produisent en plaine de façon différenciée et sur de longues étendues.

Attention spéciale aux forêts de montagne et à l'aménagement des bassins versants. Le Programme d'action pour les montagnes extrêmement actif dans le cadre du chapitre 13. et la création du Forum mondial de la montagne, avec ses chapitres régionaux. ont insisté sur le besoin de rééquilibrer le flux unidirectionnel des ressources - y compris des ressources et des services forestiers qui descend de la montagne jusqu'au pied de celle-ci. La nécessité de trouver des mécanismes innovateurs de financement, ainsi que de nouvelles options politiques pour rétablir l'égalité entre les économies montagnardes et les sociétés des plaines, a été préconisée avec force. Dans ce cas, les efforts visant à la conservation des forêts de montagne ne devront plus être supportés seulement par les communautés montagnardes.

Hernandez (1997) délivre le même message pour les forêts montagnardes tropicales. en soulignant que les sociétés intéressées sont de plus en plus conscientes de l'importance des forêts de brouillard pour la production d'eau de grande qualité dans les bassins versants des montagnes tropicales. Par conséquent. pour mieux comprendre les exigences de la gestion forestière durable et du développement, il faut considérer le bassin versant dans son intégralité, surtout si l'on veut préserver les montagnes forestières et, au-delà, les systèmes naturels et socioéconomiques de montagne, non seulement au profit des communautés montagnardes et nationales, mais aussi par solidarité régionale. Dans ce contexte, beaucoup de voix se sont élevées pour demander un aménagement des bassins versants qui, d'une part, visera à restaurer physiquement les bons processus d'écoulement des ressources en eau et des matériaux solides, et qui, d'autre part, recherchera le développement durable des systèmes de montagne. Cela sera possible grâce, entre autres, aux facteurs suivants: i) stabilisation des systèmes de subsistance; ii) amélioration des conditions de vie dans les zones de montagne; iii) identification et promotion d'activités innovatrices, génératrices de revenus et d'emplois alternatifs; et iv) restauration de l'égalité et de la solidarité entre les communautés de l'amont et de l'aval.

Pépinière gouvernementale à Manoufya (Egypte). Les jeunes plants seront abrités par des brise-vent pour protéger les canaux d'irrigation et de drainage

Sans leur couvert forestier protecteur, ces hautes terres du Malawi sont très exposées à l'érosion

Le rôle des forêts dans la conservation et le développement durable des zones sèches

Les arbres et les forêts remplissent réellement de multiples fonctions dans les régions sèches. Ils assurent bon nombre de services qui tamponnent un peu des conditions pénibles et les processus prévalant dans les régions sèches, surtout dans les tropiques. Dans des conditions de sécheresse. les fonctions écologiques des arbres et des forêts se rapportent à de nombreux aspects, notamment au bien être des humains et des animaux. à la productivité des terres de culture, à la protection générale des terres et des ressources hydriques, et à la conservation de la diversité biologique. Berthe (1997) identifie, en donnant l'exemple du Mali et des leçons d'une valeur universelle, les multiples rôles de la foresterie en zones sèches. tout comme il met en relief les préalables et les résultats des activités liées à une foresterie bien pensée, en termes de réhabilitation des ressources naturelles et plus particulièrement de lutte contre la désertification. Il évoque la va leur de la formation. de l'assistance technique et de la vulgarisation pour les populations rurales. l'importance de l'approfondissement des connaissances de base sur les ressources, ainsi que la nécessité de promouvoir de nouvelles technologies en impliquant véritablement les populations intéressées et en donnant des responsabilités à leurs organisations.

Des chaleurs excessives. des tempêtes de sable et des vents chauds sont des facteurs qui défient le confort et la survie dans ces régions. Les populations ont utilisé les arbres et les forêts pour se protéger de ces éléments. et en ont imaginé quelques adaptations. La végétation naturelle a été préservée dans la majorité des nouvelles colonies d'implantation. Dans beaucoup de systèmes à forêts claires, depuis les forêts sèches humides jusqu'aux formations steppiques, de larges bandes de terres boisées ont été laissées intactes et sont protégées pour la conservation de zones vivantes. Aux alentours des zones habitées. lorsque celles-ci se sont transformées en grandes villes ou en agglomérations, il a souvent été difficile de conserver et de maintenir durablement les formations naturelles mais, dans beaucoup de régions sèches, des efforts ont été déployés pour la plantation de forêts périurbaines et d'arbres urbains. Les pays sahéliens. par exemple, dès le début des années 70, se sont efforcés d'installer des forêts périurbaines qui. à l'heure actuelle, continuent de pousser aux alentours de toutes les villes sahéliennes. Dans les pays du Maghreb et dans tout le Proche-Orient jusqu'en Iran, le rôle des arbres et des arbustes pour la protection de l'environnement immédiat des habitants et pour l'ornement des villes a été bien reconnu.

Pour les terres à culture. les modèles agricoles ont développé des systèmes de forêts-parcs, non seulement pour assurer le maintien de la fertilité des sols, mais également pour protéger les hommes et les animaux. Ces types de formation prévalent dans toutes les régions sèches à subhumides, depuis les formations du type campo de l'Europe ibérique jusqu'aux forêts-parcs dominées par les légumineuses des zones subhumides à sèches de l'Afrique de l'Ouest et australe. Les légumineuses et d'autres espèces fixatrices d'azote jouent un rôle clé dans le maintien de la fertilité des sols. C'est une fonction d'une importance énorme dans les zones où les populations, confrontées à des conditions économiques toujours plus difficiles, peuvent de moins en moins acquérir des engrais chimiques. L'exemple le mieux documenté est l'arbre panafricain Acacia (Faidherbia) albida des zones sèches et sèches subhumides du sud du Sahara; il fournit de l'ombre et du fourrage aux animaux, ainsi que des nutriments naturels aux cultures. Le système des forêts-parcs mentionné ci-dessus contribue efficacement au maintien de ces communautés arborées résiduelles; toutefois, bon nombre des rapides développements socioéconomiques récents ont entraîné la coupe et l'utilisation, comme bois de feu ou comme poteaux, d'espèces d'arbres qui n'avaient jusqu'alors jamais été utilisées pour ces usages. Ces mutations sociales ont modifié le rapport être humain/arbre: la foresterie sociale et communautaire devra s'efforcer de relever le défi de bloquer ce processus et de restaurer les pratiques de protection qui réussissaient à préserver les arbres revêtant une importance particulière pour les communautés des régions sèches. La nouvelle génération de programmes d'agroforesterie devra mieux comprendre ces systèmes et encourager leur conservation, leur amélioration et leur diffusion.

Dans beaucoup d'endroits du monde, la déforestation provoquée par l'utilisation des ressources de la forêt et des arbres a été aggravée par la dégradation des conditions climatiques. Les pays les plus touchés ont été identifiés par les Nations Unies en Afrique, et priorité leur a été donnée dans les négociations et la mise en œuvre de la Convention des Nations Unies de lutte contre la désertification et la sécheresse. Dans les zones menacées de désertification, la plantation forestière et l'aménagement de formations arborées sèches contribuent à protéger les sols et à restaurer la capacité productive des terres. Les actions les plus spectaculaires de lutte contre la désertification concernent la fixation des dunes de sable. Celle-ci a été réalisée avec succès en Afrique de l'Ouest (Mauritanie, Niger et Sénégal), en Afrique du Nord (Maroc. Algérie avec une initiative de grande ampleur, la ceinture verte, qui est passée des plantations en masse à une approche vers un développement rural intégré - Tunisie et Jamahiriya arabe libyenne), en Asie (notamment Inde, Iran et Pakistan).

La plantation forestière est de plus en plus souvent associée à des techniques telles que la récupération de l'eau, le fagotage et la construction de terrasses. l'établissement de petits bassins versants et de talus en forme de croissants, afin de collecter toutes les ressources disponibles en eau. Beaucoup des projets de ce secteur mettent en œuvre un large éventail d'approches, depuis la mécanisation lourde jusqu'au travail manuel. en combinant les diverses options à un degré variable.

Les Programmes nationaux d'action pour la mise en œuvre de la Convention des Nations Unies de lutte contre la désertification et la sécheresse se font les promoteurs de ce type d'actions. en les intégrant dans des initiatives nationales de plus grande envergure en vue de lutter contre la dégradation des terres, l'insécurité alimentaire et la pauvreté. La plantation forestière, d'abord présentée comme l'outil le meilleur et le plus efficace pour lutter contre la désertification, a vu son rôle et sa position réévalués, suite à des considérations sociales, économiques et écologiques. Les Programmes nationaux d'action ont tenu compte de cette mise au point en faisant appel à une plus large gamme d'activités intégrées. Cependant, même lorsqu'elle est ramenée au rang de puissant outil multifonctionnel parmi d'autres, la plantation d'arbres, d'arbustes et d'herbe constitue, dans la lutte contre la dégradation des terres, un complexe efficace en matière de conservation de l'eau, de lutte contre l'érosion, de récupération des sols épuisés, de diversification des paysages villageois pour y inclure des arbres assurant des fonctions et des services de toutes sortes, et de stabilisation et réhabilitation des terres. Ainsi, la foresterie, l'agroforesterie et les plantations forestières urbaines restent des outils précieux dans l'agenda des Programmes nationaux d'action pour la lutte contre la désertification. Il est certain que l'on attend de ce Congrès, et de la conférence annexe qui l'a précédé et qui portait sur le rôle de la foresterie dans la lutte contre la désertification. qu'ils dégagent des idées et des recommandations d'action susceptibles de renforcer la contribution des forestiers à une mise en œuvre effective des dispositions de la Convention.

Cette essence (Bauhinca rupescens) est particulièrement prisée par le bétail dans les terres arides du Niger

Un singe de Yala Park, aire protégée du Sri Lanka

La diversité biologique des zones sèches est souvent ignorée. Pourtant, leurs systèmes arborés et forestiers et leurs étendues herbeuses sont des sanctuaires précieux de diversité biologique, dont les espèces constituantes ont dû s'adapter pour survivre dans les conditions les plus dures des écosystèmes déficitaires en eau. Les pacages et les cultures alimentaires. comme le teff en Ethiopie, les palmiers dattiers et les diverses espèces de cactus et d'agaves, ne sont que quelques exemples de la contribution des écosystèmes secs à la protection des écosystèmes et à l'alimentation humaine et animale.

Dans les Andes sèches, le Sahara, les parties arides du Sahel et tous les déserts, en particulier les déserts asiatiques, les espèces animales sont d'une extraordinaire beauté et d'une grande utilité pour le genre humain. Les formations autour des oasis évoluent aussi très rapidement, car ces écosystèmes sont soumis à des conditions plus rudes.

Des menaces similaires pèsent sur les ressources génétiques des écosystèmes des zones sèches. Or leurs essences, notamment celles du genre Acacia et Prosopis, présentent, si les précautions indispensables sont prises, un potentiel élevé pour contribuer aux mesures de lutte contre la désertification. Il faut protéger les écosystèmes arborés et forestiers de ces régions pour, éventuellement, conserver ces richesses au profit des générations actuelles et futures. Le savoir et les technologies traditionnels développés au niveau local devraient également être étudiés à fond, réhabilités et encouragés.

Protection des forêts dans les systèmes côtiers et les marécages, pour leurs fonctions productives, protectrices et écologiques

Les systèmes côtiers, les marécages et les rivières ont en commun les liens spécifiques qui les rattachent aux ressources en eau douce. saumâtre ou salée. Ils bénéficient de la présence de l'eau. mais peuvent aussi en être affectés directement ou indirectement. Les forêts profitent en général de la disponibilité permanente de l'eau. et les formations associées ont souvent élaboré des fonctions physiologiques adaptées ou des variations biologiques qui leur permettent de survivre et de se développer. Toutefois. étant donné que les caractéristiques de l'eau varient au gré des sécheresses et des apports excessifs liés aux pluies ou autres processus relatifs à des conditions exceptionnelles de lessivage, les systèmes peuvent être altérés et leurs fonctions menacées. La fragilité des forêts et des formations de marécages, des côtes et des rivières, s'explique par ces phénomènes.

Kabii et Bacon (1997), Choudhury, Zheng Songfa et al. (1997), comme beaucoup d'autres auteurs de documents dans le cadre du XIe Congrès forestier mondial. ont décrit les différents aspects inhérents à ces écosystèmes et aux forêts qui y prospèrent; cependant. la série de travaux la plus importante se rapporte aux formations des marécages. et plus spécialement aux mangroves. Comme défini par la Convention de Ramsar sur les marécages d'importance internationale, spécialement en tant qu'habitats des oiseaux aquatiques. et comme le rappelle Kabii, ces marécages sont «des zones de marais. de tourbe ou d'eau. naturelles ou artificielles, permanentes ou temporaires. avec de l'eau stagnante ou en mouvement, douce, saumâtre ou salée, y compris les zones d'eau de mer dont la profondeur ne dépasse pas 6 m à marée basse». Kabii inclut dans ces zones «un large éventail de terres marécageuses, telles que les zones sous couvert forestier, et particulièrement les forêts de mangrove, les forêts de plaines inondables, les forêts de tourbières, les forêts de marais, les forêts marécageuses de Melaleuca et les forêts de palmiers».

L'utilisation rationnelle de ces systèmes naturels, telle qu'elle a été définie par la Convention. implique: i) la formulation et la mise en œuvre de politiques nationales complètes sur les marécages, et leur intégration dans les processus nationaux de planification; ii) l'application des critères de la Convention pour identifier et déterminer les sites marécageux d'importance internationale, en vue de leur conservation; iii) la mise en œuvre des nombreux outils et mécanismes proposés par la Convention (méthodologies de planification de l'aménagement, suivi des marécages subissant des changements à la suite d'initiatives de développement, mesures permettant d'obtenir ou de fournir une assistance spécifique pour résoudre les problèmes soulevés par les sites menacés, mentionnés plus haut; et iv) en bref, la contribution à la mise en œuvre des huit objectifs du Plan stratégique 1997-2002 adopté par la Convention, le septième de ces objectifs étant la mobilisation de «la coopération et de l'assistance financière internationales pour la conservation et l'utilisation rationnelle des marécages, dans le cadre d'autres conventions et en collaboration avec d'autres institutions, gouvernementales ou non». Cette disposition est donc le lieu de passage obligé vers la conservation, l'aménagement et le développement durable des forêts marécageuses, y compris des forêts de mangrove.

Par ailleurs, les efforts internationaux visant à établir le diagnostic des forêts marécageuses devront être particulièrement importants pour ne pas en rester à la simple évaluation de ce type de forêts, mais pour parvenir également à mieux estimer leur diversité biologique. Lors de la prochaine série d'évaluations des ressources forestières mondiales, les efforts particuliers consentis pour les zones protégées par la FAO et par le Centre mondial de surveillance de la conservation permettront certainement d'approfondir les connaissances sur les forêts protégées des marécages.

Les forêts de mangrove font partie des forêts les plus intensivement et les plus diversement exploitées dans le monde. Elles fournissent des ressources en terres pour l'agriculture, surtout pour l'essor des champs de riz; elles sont extrêmement poissonneuses; certains de leurs fruits sont directement consommés, et elles constituent, dans de nombreux pays, la ressource principale en bois de feu pour les villes côtières qui continuent de s'agrandir. La sylviculture et l'aménagement des forêts de mangrove ont accompli beaucoup de progrès et ont débouché sur de nombreuses réalisations. Nombre d'initiatives de plantation ont réussi, malgré la persistance de nombreux problèmes techniques dus à la biologie des espèces, à la formation du personnel et à certaines contraintes locales telles que la pollution, comme le notent Zheng Songfa et al., (1997). Les futurs efforts qui devront être déployés en matière de conservation, d'aménagement et de développement des mangroves, engloberont: i) des efforts pour accroître les initiatives d'aménagement et de sylviculture, y compris la reforestation, dans les mangroves africaines; ii) un nouvel approfondissement des connaissances sur les ressources, spécialement en Afrique; iii) la diffusion majeure, grâce aux réseaux, des technologies concernant les forêts de mangrove, compte tenu des écarts énormes qui existent entre les pays, notamment entre les pays asiatiques et le reste du monde; et iv) une recherche plus intense sur ces écosystèmes.

Nombreux sont les autres systèmes côtiers totalement dénudés, suite à la dégradation des formations d'herbes et d'arbrisseaux, qui poussent habituellement sur les couches géologiques, généralement sableuses, des côtes. En conséquence, les dépôts de sable sur le rivage sont déplacés par le vent et transportés à l'intérieur des terres, ou vont alimenter les dunes de sable côtières, allant parfois jusqu'à envahir et stériliser d'excellentes terres de culture. Pour bloquer ce phénomène, bon nombre de pays ont mis au point des techniques de stabilisation des dunes sableuses dans les zones côtières. Beaucoup de forêts ont été implantées et sont maintenant gérées de façon durable. Aujourd'hui, en France, de gigantesques plantations de pins (Pinus maritima) supportent une industrie des fibres en pleine expansion et stabilisent des côtes à l'abord accueillant. En Afrique du Nord et de l'Ouest, les dunes côtières sableuses ont été stabilisées avec des techniques semblables, mais en utilisant des peuplements d'acacias et de casuarinas; là encore, ces forêts côtières, tout en embellissant les côtes et en augmentant par conséquent leur potentiel de développement touristique, stabilisent les dunes, protègent et mettent en valeur de riches terres de culture où se développent l'arboriculture fruitière et la production de légumes.

Les forêts de rivière sont des formations biologiques importantes qui contribuent à la conservation des vallées fluviales et à la diminution des arrachements de berges; sur les pentes des bassins versants couvertes de formations arborées et herbacées, elles garantissent l'écoulement d'une eau claire et réduisent l'alluvionnement. En Afrique, les forêts-galeries protègent les fonds de vallée de nombreuses rivières et de cours d'eau temporaires; elles abritent également une riche diversité biologique animale et végétale en servant de refuge à des espèces menacées ailleurs. Il faut également observer qu'en Afrique les forêts inondables ont particulièrement souffert au cours des deux dernières décennies. La formation ripicole d'Acacia nilotica, par exemple, a disparu de beaucoup des vallées basses les plus importantes, ce qui signifie que bon nombre de plaines inondables dénudées vont être soumises à de gros problèmes d'érosion éolienne, ou vont être réutilisées de façon inappropriée. Or, dans les pays en développement, les ressources nécessaires pour assurer la conservation de ces systèmes ne sont pas disponibles dans l'immédiat, ce qui implique forcément des efforts plus importants en matière de planification de l'occupation des terres et de stratégie de conservation. Toutefois, dès lors que des investissements importants seront réalisés ou projetés, il sera nécessaire de donner la priorité à la conservation des vallées fluviales les plus importantes.

Conclusions

Au XXIe siècle, le problème des ressources en eau constituera un élément particulièrement critique. Compte tenu de l'accroissement de la population mondiale, et de l'augmentation des besoins par habitant, qui va de pair avec l'évolution du développement, l'eau va devenir l'objet de demandes plus importantes. Les écosystèmes de montagne étant la source originelle de l'eau douce et propre, il apparaît clairement que le développement durable des montagnes sera l'un des problèmes les plus difficiles à résoudre par les communautés humaines. Si on veut relever le défi de l'eau propre pour tous, et en particulier pour les 800 millions de personnes qui n'ont pas encore accès à ce service, il faudra tenir compte de la nécessité incontournable de s'attacher avec davantage de conviction à la conservation des écosystèmes de montagne et à la promotion des approches d'aménagement intégré des bassins versants. Tous les efforts devront donc être déployés pour arriver à ce résultat, afin de maintenir et de renforcer les fonctions de protection, de conservation et écologiques des forêts des écosystèmes de montagne.

Ce continuum, qui va des écosystèmes de montagne jusqu'aux zones concernées par la convention de Ramsar sur les marécages, en passant par les rivières et les eaux souterraines, devra être reconnu, et des mesures politiques de grande ampleur devront être prises, en vue de parvenir à un système cohérent de conservation des ressources en eau. C'est ainsi qu'on pourra reconnaître la contribution multiple que les forêts apportent à la protection, à la conservation et à l'utilisation durable des ressources en eau. Il faudra donc s'efforcer d'édicter des lois, des règlements et des programmes de développement qui seront en rapport avec l'ampleur des problèmes à traiter. Les liens entre les politiques pour la conservation de la diversité biologique et les politiques pour la conservation et la gestion des ressources en eau devront être établis de façon claire et concrète. puisqu'il s'agit de deux thèmes qui s'interpénètrent. D'où l'exigence logique d'une approche coordonnée pour la mise en œuvre des deux conventions, celle des marécages et celle de la diversité biologique.

Les forêts jouent un rôle important dans la restauration et l'augmentation de la productivité des écosystèmes fragiles dégradés des zones sèches. Dans la ligne cohérente des activités recommandées par la Convention sur la désertification viennent s'insérer diverses actions lices à la foresterie, telles que l'aménagement des forêts naturelles - de préférence avec la participation des populations -, le boisement et la reforestation et, enfin, des pratiques d'agroforesterie en vue de renforcer la productivité des terres de culture et le développement sylvopastoral. Nombre d'autres objectifs écologiques et de protection y ont également été inclus et passés en revue, tant lors des discussions liées au Groupe intergouvernemental sur la foresterie que lors de la Consultation sur le rôle de la foresterie dans la lutte contre la désertification. Or, pour passer des recommandations à la pratique, il ne manque plus que le soutien continu destiné à la mise en œuvre de ces objectifs.

Il est clair que les actions exigées par l'ensemble complexe que forment les systèmes naturels présentés dans ce texte ne verront jamais le jour, si on ne s'efforce pas de réaliser un certain nombre de préalables, et notamment: i) . des connaissances sur les ressources concernées et l'évaluation de leur état; ii) le développement de programmes de recherche cohérents pour consolider ou améliorer les technologies; iii) la promotion de la coopération régionale et internationale pour échanger les technologies éprouvées et créer des réseaux d'experts; et iv) le développement des ressources humaines au moyen de programmes ciblés de déploiement des capacités. Dans ce contexte, les conventions internationales qui ont été proclamées avant ou après le Sommet de Rio de Janeiro fournissent une série complète d'approches et de méthodologies, qui devraient favoriser au plan régional et international, et de façon cohérente, la promotion de la contribution de la foresterie au développement durable et au maintien d'un environnement sain.

Bibliographie

Mémoires spéciaux préparés pour le XIe Congrès forestier mondial auxquels il est fait référence dans cet article:

Choudhury, J. 1997. Aménagement durable des forêts côtières de mangrove: Développement et besoins sociaux.

Hernandez, B.E. 1997. Stratégies pour le renforcement de l'aménagement des bassins versants de montagne en zone tropicale.

Berthe, Y. 1997. Le rôle de la foresterie dans la lutte contre la désertification.

Kabil, T. & Bacon, P. 1997. Protection des zones humides, des régions côtières et de leurs habitats.

Zheng Songfa, Zheng Dezhang, Lino Baowen & Li Yun. 1997. Situation actuelle et perspectives d'avenir du boisement des mangroves en Chine.


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