Plateforme des Connaissances Pastorales

Conversations pastorales | Dans les yeux d'un pasteur sénégalais

"Pourtant, les agriculteurs ont besoin des éleveurs"


20/06/2023 -

La Plateforme des Connaissances Pastorales est une initiative qui cherche à apporter la voix des éleveurs pastoraux à l’agenda global. Cette nouvelle section, « Conversations Pastorales » contient des éléments de discussion avec des pasteurs de différentes régions. Elle vise à mettre en lumière les spécificités des systèmes de production pastoraux, la transhumance, les défis qu’ils expérimentent et ainsi apporter des informations fiables aux décideurs quant aux solutions pour mieux soutenir le pastoralisme.

Nous avons rencontré Ilo Ba chez lui, dans son village de Toumbé Loumbé, dans le département de Mbacké de la région de Diourbel au Sénégal, en marge d’un atelier de partage sur les bonnes pratiques liées à la gouvernance des terres pastorales, où il participait en tant que représentant de son organisation pastorale, en mai 2023.

Quel est votre nom et où vivez-vous?

Je m’appelle Ilo Ba et je vis à Touba Loumbé, dans le département de Mbacké dans la région de Diourbel, au Sénégal.

Quel type d’animaux gardez-vous? Appartiennent-ils à vous et votre famille, ou bien les gardez-vous pour d’autres personnes?

Je possède des bovins, des ovins, des caprins, des chevaux, des ânes, ainsi que des poules et des oies. Ils appartiennent à la famille. Mais vous ne les verrez pas tous car la plupart sont partis en transhumance. Les veaux et quelques vaches allaitantes sont restés, ainsi que des moutons destinés à la Tabaski[1].

Ilo Ba avec ses jeunes veaux restés au village. Touba Loumbé, région de Diourbel, Sénégal, 2023. @FAO/Ivana Mardesic.  

Depuis combien de temps êtes-vous éleveur?

Depuis que je suis né.

A qui appartiennent le foncier et l’eau que vous utilisez pour le bétail?

La zone de Touba où nous habitons est un peu spéciale en raison de la présence du marabout[2] qui contrôle le territoire. Les terres que nous utilisons ici nous appartiennent car nous étions là avant même la famille du marabout. L’eau est gratuite ici mais elle ne l’est plus lorsque nous partons en transhumance.

Comment décririez-vous la transhumance dans votre région?

La transhumance dure de décembre à septembre de l’année suivante. Selon les saisons, nous partons jusque Kedougou [à 300km du village] ou jusque Tambacounda [à 500 km du village, au Sud-Est du Sénégal]. C’est nécessaire de transhumer pendant la saison sèche pour chercher l’herbe mais aussi pour provoquer les naissances. Mes animaux sont partis avec mon petit frère et ses deux fils. Ils sont bien équipés, ils ont deux charrettes, un cheval et des bœufs. Parfois, certaines personnes nous accompagnent car nous avons un taureau de race, et ils espèrent améliorer leur troupeau grâce à lui. Partir en groupe nous permet aussi de mutualiser les forces et sécuriser le cheptel. Sur la route, nous fertilisons le sol des agriculteurs, c’est gagnant-gagnant. La fertilisation permet de ne pas avoir besoin d’utiliser d’engrais chimique, ça peut tenir jusqu’à 2-3 ans. Mais les agriculteurs ne s’en souviennent pas toujours à la fin de la saison des pluies, c’est dommage... Les agriculteurs ont pourtant besoin des éleveurs. Je cultive moi-même un peu de plante fourragère pour mes animaux restés au village.

Avez-vous constaté des changements durant la dernière décennie lors de votre transhumance?

J’ai du mal à répondre à cette question car cela dépend beaucoup des saisons. Il y a des saisons où tout se passe bien et d’autres où l’hivernage[3]  tarde et dans ce cas, nous avons beaucoup de morts d’animaux.

Comment décririez-vous le fait d’être éleveur pastoral aujourd’hui?

Je suis heureux d’être éleveur. Rentrer et voir toute ma famille en bonne santé, c’est tout ce dont j’ai besoin.

Quels sont les principales difficultés pour les éleveurs pastoraux dans votre région?

Il y en a beaucoup. Il y a une forte progression des zones de culture ou bien des constructions sur les zones de pâture. Particulièrement pendant l’hivernage, il n’y a plus de passage pour accéder à l’eau et aux pâturages, donc nous sommes obligés de travers les champs et c’est une source de conflits. Il y avait un grand couloir de passage à côté mais maintenant les agriculteurs ont tout envahi.

Ilo Ba et un de ses fils. Touba Loumbé, région de Diourbel, Sénégal, 2023. @FAO/Ivana Mardesic.

Les jeunes sont-ils intéressés pour devenir éleveurs pastoraux?

J’avais un fils qui étudiait mais à un mois de la fin de ses études, il a laissé tomber pour se lancer dans l’élevage. Les petits sont très intéressés par l’élevage. Les femmes de ma famille, elles aussi ont étudié, mais elles sont revenues à la maison et vendent le lait caillé. Lorsqu’on est né dans une famille d’éleveurs, souvent, on le reste.

Comment les politiques et interventions publiques pourraient-elles mieux aider les éleveurs pastoraux?

Je regrette que les politiciens ne s’intéressent à nous qu’en période électorale. Ils viennent, font des promesses en échange de notre vote, puis disparaissent. Nous avons aussi besoin de bourses, de projets pour que les enfants puissent trouver du travail avec leur diplôme. Nous aimerions avoir davantage accès à des financements pour investir et faire proliférer nos activités.

Nous avons également besoin d’un système judiciaire plus juste. Nous avons souvent des cas d’empoisonnement de nos animaux, mais rien ne se passe, cela reste impuni et nous n’avons pas le droit de régler nos comptes nous-mêmes. Dans ce cas, il faudrait pouvoir compter sur les autorités pour régler les conflits. Souvent, lorsque nous traversons les champs de manière non autorisées, nous devons payer un montant mais celui-ci n’est noté nulle part dans les textes. Nous aimerions mieux connaître nos droits et nos devoirs.

Enfin, il est nécessaire d’électrifier la zone. Cela permettrait d’éloigner les voleurs qui viennent prendre possession de nos animaux lorsque nous les voyons pas, et de sécuriser les déplacements de la famille.

Heureusement, il y a de la solidarité dans le village.

 

Ilo Ba contact - +222 775742467 


[1] Importante fête musulmane

[2] Au Sénégal, maître d'une confrérie islamique

[3] La saison des pluies