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La préparation des inventaires forestiers


B. HUSCH

B. HUSCH est le chef de la Section des études sur les ressources forestières à la Division des forêts et des produits forestiers de la FAO.

Cet article est extrait d'un discours prononcé devant la Division de dendrométrie, Assemblée nationale de la Société des forestiers américains, 27-30 septembre 1964 Denver, Colorado.

ON SE REND maintenant bien compte qu'en matière d'inventaires, les forestiers, dans leur hâte de se mettre au travail, de faire de l'interprétation photographique, de sortir sur le terrain pour mesurer des arbres et recueillir des données, n'ont pas attribué toute l'importance nécessaire au travail de préparation. Je dirai tout d'abord que la phase la plus difficile et essentielle d'un inventaire a lieu avant même que l'on ait mesuré un seul arbre. Elle se passe dans le cerveau du forestier ou de l'équipe qui conçoit l'entreprise dans tous ses détails. (3e que nous disons ici ne s'adresse pas particulièrement aux spécialistes des inventaires forestiers qui sont certainement au courant de la question, mais plutôt aux forestiers que leurs diverses fonctions appellent aussi à effectuer des inventaires. J'espère cependant que les idées exposées ci-après présenteront de l'intérêt aussi pour les spécialistes, ne serait-ce que parce que nous nous efforçons de résumer et de souligner ce qu'ils disent eux-mêmes depuis bien des années.

On peut effectuer un inventaire pour bien des raisons; cependant, la préparation et l'exécution présentent toujours un même caractère commun quelles que soient les fins auxquelles les renseignements sont recueillis. Ainsi, on peut effectuer un inventaire pour recueillir des données soit à l'échelle nationale en vue de la planification générale et du développement de la foresterie et des industries forestières, soit parce que l'on a besoin de données détaillées sur une forêt privée. Mais, dans tous les cas, ce que l'on veut ce sont des renseignements sur les ressources forestières. Pour utiliser rationnellement et aménager les ressources que représente une forêt quelle qu'en soit l'importance, il faut avoir des renseignements sur l'emplacement des massifs, estimer la quantité, la qualité et les disponibilités de bois, ainsi que le taux d'accroissement et la production. Voilà ce que l'on demande à un inventaire forestier.

Recueillir judicieusement ces renseignements et les présenter sous une forme utilisable est loin d'être facile. La préparation d'un programme qui produira les renseignements voulus demande beaucoup de réflexion et un plan. Je vais résumer brièvement les points importants qu'il faut toujours considérer à ce stade de préparation. Notez que j'emploie à dessein ce terme de considérer, au lieu d'inclure, car les points envisagés n'ont pas toujours la même importance et ne doivent pas entrer obligatoirement dans tous les inventaires. Quoi qu'il en soit, dans le travail de préparation, il faudra toujours les considérer, quitte à éliminer ceux que l'on jugera inutiles. Bref, l'énumération ci-après doit être prise comme aide-mémoire pour la préparation d'un inventaire forestier. L'ordre que nous avons adopté n'a rien d'absolu et pourrait être un peu différent, mais il me semble logique pour la plupart des cas.

1. On commencera par rassembler et étudier toutes les informations disponibles sur le périmètre forestier en question, à savoir tout ce qui existe déjà comme études, rapports, cartes ou photographies. Si on en a la possibilité, des reconnaissances sur le terrain permettront de recueillir des renseignements utiles sur les types forestiers; elles sont en tout cas indispensables pour l'interprétation photographique. Il serait utile aussi d'avoir une idée au moins approximative des caractéristiques du bois, des valeurs extrêmes du volume par unité de surface et de l'ordre de variation de ce volume. Les voies de communication existantes - voies ferrées, routes, rivières, pistes - sont importantes à connaître pour le choix du mode de déplacement et la distribution des placettes d'échantillonnage. Le mode de déplacement (avion, hélicoptère, bateau, véhicule, chevaux ou simplement la marche) dépendra aussi de ces voies de communication. Au cours des reconnaissances, on songera aussi aux bases d'opération à préparer sur le terrain. Par bases d'opération, j'entends ici tout ce qu'il faut pour assurer le logement, la nourriture et tout le matériel nécessaire aux équipes travaillant sur le terrain.

2. La deuxième phase de la préparation consiste à décider quels sont les renseignements à recueillir. Il s'agit là d'un point extrêmement important qui a été trop souvent négligé ou laissé un peu au second plan, sans en comprendre toute la nécessité. Je me permets d'insister sur ce point: il faut qu'à cette phase de la préparation on soit bien fixé sur le genre d'informations qui devront apparaître dans les résultats définitifs de l'inventaire. Il est essentiel que tous ceux qui participeront à l'inventaire ou qui devront utiliser le rapport final étudient bien la question ou se mettent d'accord avant de passer aux phases suivantes de la préparation. Il est important de définir les paramètres relatifs aux peuplements, les unités et le degré de précision des estimations à effectuer. J'insiste ici sur le fait qu'il - est extrêmement important, quand on prépare un inventaire; de décider dés le début quelle sera l'erreur acceptable et le degré de probabilité adoptés. On le fera en considérant l'utilisation que l'on veut faire des informations et le degré de précision qu'elles devront avoir. Il n'est pas nécessaire d'accepter aveuglément les coefficients d'erreur ou de probabilité communément admis. Bien au contraire, on choisira un degré de précision suffisant pour l'usage que l'on veut faire des informations. Une plus grande précision serait un gaspillage d'argent. Je recommanderais, en outre, de préparer dès cette phase du travail le modèle des tableaux qui apparaîtront dans le rapport final. Ces modèles comporteront tous les titres, les têtes de colonne, les limites de classes et les unités de mesure. Cela peut paraître fastidieux et l'on pourrait être tenté de remettre ce travail à plus tard, lorsque toutes les données auront été recueillies. Or, il est extrêmement important de le faire à ce moment-là car tout le reste du travail d'inventaire dépend des décisions prises à ce moment-là.

Trop souvent, on a entièrement négligé cette phase préliminaire dans la préparation des inventaires. Trop souvent aussi on se borne à fixer le nombre et la distribution des photos et des placettes correspondantes sur le terrain et à effectuer les mesures requises. On recueille une quantité de données et on pense ensuite aux informations qu'on pourra en tirer et à la manière de les présenter. Souvent, ceux qui veulent utiliser les données d'inventaires se plaignent de leur présentation, de leurs lacunes ou même des informations superflues qu'elles contiennent.

C'est exactement le contraire qu'il faudrait faire: choisir d'abord la nature et la présentation des résultats définitifs, et ensuite adopter la méthode d'inventaire appropriée. Dans cette phase préliminaire, il faut décider aussi quelles sont les informations auxiliaires à présenter telles que cartes, transparents, informations pédologiques, modes d'utilisation des terres, voies de communication, etc.

3. Je vais passer maintenant à un aspect très important de la préparation des inventaires. C'est la question du temps et des crédits disponibles. Dans le travail de préparation, cette question ne surgit pas subitement comme un élément distinct mais elle est continuellement présente. Si j'en parle ici, c'est donc uniquement pour en faire ressortir l'importance, non qu'elle se pose uniquement à cette phase du travail.

La somme disponible pour l'inventaire peut être fixée et dans ce cas il faut adapter l'ensemble du projet à ces limites. Par contre, les crédits peuvent être accordés avec une certaine latitude et il faudra alors estimer le coût des opérations et savoir si la dépense peut être couverte ou sera approuvée. Dans les deux cas, la préparation de l'inventaire devra comporter des prévisions de dépenses pour chacune de ses phases. Cela est d'autant plus important que toutes les phases de l'inventaire en seront affectées. Pour n'en citer que quelques-unes, l'effectif et la compétence du personnel, la nature de l'équipement et des instruments, le choix entre l'utilisation des photographies aériennes déjà disponibles et la prise de nouvelles vues, le nombre et la distribution des échantillons seront tous fonction des dépenses entraînées.

Il faut tenir compte aussi du délai disponible pour réaliser l'inventaire car l'incidence en est très semblable à ce que nous venons de dire au sujet des dépenses. Dans certains cas, il peut être nécessaire d'avoir rapidement des estimations plus approximatives au lieu de sacrifier davantage de temps pour obtenir une précision plus grande.

4. Après avoir franchi cette étape décisive et bien établi ce que l'inventaire devra faire apparaître, nous pourrons passer aux détails du programme. En général, dans un inventaire, quelle qu'en soit l'importance, on utilise toujours une méthode de sondage. Il y a cependant des cas où un inventaire complet à cent pour cent est préférable. Ils sont rares mais il faut néanmoins les envisager. Nous supposerons ici l'emploi du sondage.

5. Imaginons alors que l'on pense utiliser des photographies aériennes pour l'inventaire. S'il en existe déjà de la région, elles ne pourront servir que si elles possèdent les qualités nécessaires. Comme des photographies déjà prises ne sauraient être modifiées, il faut trouver le moyen d'en tirer parti telles qu'elles sont. S'il faut en faire prendre de nouvelles, on précisera par écrit les caractéristiques qu'elles doivent avoir pour l'inventaire à effectuer. En tout cas, il y a intérêt à utiliser la photographie aérienne pour les inventaires chaque fois que cela est possible. Dans la plupart des méthodes d'inventaire, la photographie aérienne sert surtout à délimiter les différents groupements végétaux du massif forestier. Il faut donc un travail d'interprétation qui exige la connaissance des conditions de la forêt et l'aptitude à identifier les différences sur les photos aériennes. Ainsi faut-il prévoir dans la préparation de l'inventaire une période de stage pour habituer les interprétateurs à reconnaître sur les photographies aériennes les différentes strates adoptées pour la subdivision du massif forestier. Si ces techniciens ont déjà travaillé longtemps dans le secteur, leur expérience permet d'éliminer cette phase de formation. Mais s'il s'agit d'une région nouvelle pour l'interprétateur ou peu connue de lui, il faudra prévoir une période de stage avec vérification sur le terrain. On donnera des instructions détaillées sur le mode de classification adopté pour l'interprétation photographique, la distribution des placettes photographiques et les mesures à prendre sur les photographies.

6. Le dispositif de sondage doit être établi de telle manière que l'on puisse effectuer au sol toutes les mesures nécessaires pour que l'inventaire donne les informations désirées sur la forêt, la topographie - et 'les conditions locales. Il faut aussi que ce dispositif soit statistiquement valable pour fournir les renseignements voulus dans des limites d'erreur acceptables et avec une probabilité suffisante avec les moyens alloués et le temps donné. Il serait bon aussi que l'on abandonne enfin cette habitude surannée, mais encore trop fréquente, qui consiste à commencer par choisir a priori une certaine intensité de sondage; il est bien préférable de décider tout d'abord les limites: d'erreur acceptables et estimer ensuite l'intensité de sondage nécessaire pour rester dans ces limites.

C'est dans la préparation du projet que l'ingéniosité du technicien chargé de préparer l'inventaire a toute son importance Aucune méthode particulière ne saurait être recommandée car différents dispositifs pourront être préparés selon l'habileté, l'intelligence et l'expérience du technicien. Je me bornerai à indiquer quelques points dont le dispositif de sondage doit tenir compte; ce sont:

a) Préparation d'un système de stratification;

b) Choix d'une méthode de sondage aléatoire ou de sondage systématique;

c) Evaluation nombre de photos et d'échantillon sur le terrain nécessaires pour assurer à l'estimation la précision souhaitée;

d) Taille et forme des placettes échantillons;

e) Répartition des échantillons photographiques et des placettes échantillons aux fins de la stratification

Nous avons évoqué précédemment les facteurs qui affectent les détails du dispositif de sondage; pour plus de clarté, nous allons les résumer brièvement; ce sont:

a) La nature et la précision des informations souhaitées;

b) Le temps et les crédits disponibles ou nécessaires;

c) L'existence de photographies aériennes ou la possibilité d'en utiliser;

d) Les moyens de transport et de communication ainsi que les bases d'opération sur le terrain.

7. Dès le début du travail de préparation, on se préoccupera des tables de cubage et des rapports de volume ou des autres unités de quantité qui pourraient être utilisées aux fins de l'inventaire. La plupart du temps, on utilise dans les inventaires des tables de cubage tandis que l'on pourrait imaginer aussi d'autres méthodes qui permettraient de traduire directement en volumes certaines caractéristiques mesurables des arbres. Il ne faut pas oublier non plus que l'on peut effectuer aussi un inventaire pour recueillir des données sur d'autres caractéristiques d'un peuplement, par exemple le poids du matériel sur pied. Si l'on veut utiliser des tables de cubage, il faut s'assurer qu'il en existe qui répondent à l'usage que l'on veut en faire, sinon, il faudra préparer des tables spéciales. Quant aux tables existantes, il faut trouver le moyen de vérifier si elles permettent le classement des arbres par catégories de grandeur, selon les caractéristiques marchandes et les qualités de forme de la bille.

8. On préparera des instructions détaillées indiquant les effectifs et le nombre des équipes, leur distribution sur le périmètre d'inventaire et leur plan de travail. On donnera aussi des instructions individuelles à tous les membres des équipes pour qu'ils accomplissent leur travail de façon uniforme. Il faudra organiser de façon satisfaisante les transports et les communications. Les transports pourront se faire par avion, par hélicoptère, en jeep, à cheval, par bateau ou simplement à pied, mais de toute façon il faudra les étudier en détail. Les communications sont importantes, et dans les régions écartées on pourra être obligé d'utiliser des postes radio émetteurs et récepteurs.

Si l'on emploie du personnel sans expérience, il faut prévoir une période de formation sur le terrain avec vérification répétée du travail accompli pour être sûr que les mesures seront effectuées correctement.

9. Des instructions détaillées indiqueront les méthodes à suivre pour la localisation sur le terrain des placettes échantillons, la mise en place de ces placettes et les mesures à effectuer dans chacune d'elles. Il faut qu'il y ait concordance entre les spécifications prévues pour les arbres dans les placettes, les tables de cubage ou les rapports utilisés et les tableaux préparés pour consigner les résultats de l'inventaire. Il importe donc, comme on le voit, de préparer dès le début les modèles des tableaux définitifs pour que les mesures sur le terrain leur correspondent.

Il faudra préparer aussi les instructions nécessaires pour toutes les autres mesures spéciales à effectuer en ce qui concerne la croissance et la qualité des arbres, et les informations supplémentaires à recueillir par exemple sur le sol, la végétation secondaire et la reproduction. On fera de même en ce qui concerne l'utilisation des photographies sur le terrain.

Il est important de choisir à l'avance les instruments à utiliser et de s'assurer que toutes les équipes en connaissent le fonctionnement. Le cas échéant, on enseignera au personnel à se servir de ces instruments pour que tout le travail effectué soit de même qualité.

10. On préparera des fiches spéciales pour la notation des mesures sur le terrain afin de faciliter le travail et d'obtenir une plus grande précision. Ces fiches devront être aussi simples que possible et éventuellement leur disposition devra faciliter les calculs ultérieurs ou les transcriptions de données. Si les données doivent être exploitées mécaniquement, il faut envisager la possibilité de les noter directement sur cartes perforées plutôt que d'avoir à les transcrire au bureau sur cartes perforées à partir des fiches ordinaires. L'expérience a montré qu'il est utile de faire l'essai du modèle de fiche sur le terrain avant de l'adopter et de la reproduire en un grand nombre d'exemplaires. Sur le terrain, on voit en effet qu'il faut apporter aux fiches des modifications qu'il serait impossible de concevoir dans un bureau.

11. Un autre point important à considérer avant de se mettre au travail est de fixer les méthodes de compilation et de calcul, et notamment le système adopté pour l'exploitation des données, que ce soit par une simple machine à calculer de bureau ou par des ordinateurs électroniques. Il est préférable d'utiliser autant que possible l'exploitation mécanique des données qui est plus rapide et permet des calculs qu'il serait trop difficile d'effectuer avec des machines ordinaires de bureau. Rappelons que l'exploitation mécanique des données peut se faire même pour les petits inventaires. On peut souvent envoyer les données à des centres d'exploitation, sans avoir ces machines spéciales au bureau. Maintenant que les forestiers sont au courant de la programmation et que les programmes de base se multiplient, il est facile de prévoir que tous les calculs d'inventaire se feront un jour de cette manière. C'est maintenant qu'il faut établir des formules pour le calcul des totaux, des moyennes et des erreurs de sondage. Il faut en tout cas choisir, pour la compilation et le calcul des données, des méthodes qui permettent d'aboutir aux valeurs recherchées, correspondant aux modèles de tableaux préparés à cet effet.

Ces quelques notes sur la préparation des inventaires pourront paraître détaillées et compliquées à l'excès, mais je suis convaincu, et l'expérience le confirme, qu'un inventaire mené de la sorte sera plus profitable car il fournira une moindre perte de temps et un moindre effort, une information plus exploitable qu'un inventaire mené au hasard Evidemment, la préparation demandera plus de temps et de travail selon la quantité d'informations et les détails que l'on voudra obtenir.


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