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Comment résoudre le conflit entre les diverses utilisations des terres - Critères économiques


K. F. S. KING

K. F. S. KING est actuellement chargé de cours en matière de politique et de législation forestières au Département des forêts de l'Université d'Ibadan, Nigeria pour le compte de la FAO (Fonds spécial des Nations Unies).

ON RECONNAÎT généralement que l'aménagement du territoire doit reposer sur une bonne classification des possibilités d'utilisation des terres; or, une telle classification revêt certains aspects fondamentalement négatifs. Par exemple, une catégorie de terre peut être classée improductive par suite d'un climat défavorable, une autre convenant seulement aux forêts, soit parce que toute autre culture l'exposerait à l'érosion, soit parce que son sol est pauvre. Néanmoins, la majeure partie des terres du globe conviennent à la foresterie aussi bien qu'à l'élevage ou à l'agriculture. La présente étude est consacrée justement à ces terres qui peuvent être utilisées de diverses façons, par opposition à celles que les impératifs de la protection ou de la conservation vouent exclusivement à la forêt.

Considérations économiques

De quels facteurs faut-il tenir compte pour prendre une décision rationnelle au sujet des terres qui se prêtent à diverses utilisations? Selon quels critères faut-il répartir les capitaux entre les différents secteurs d'utilisation pour assurer la protection et le développement des richesses nationales? Selon nous, les considérations fondamentales doivent être d'ordre économique, mais le terme économique ne s'entend pas ici dans le sens de la pure rentabilité, mais dans un sens plus large qui englobe, outre la rentabilité, le nombre d'individus qui y trouvent un emploi, la contribution éventuelle à la balance des paiements et la possibilité d'utiliser le produit du sol pour l'industrialisation.

De nombreux forestiers semblent incapables d'admettre cette thèse. Très peu sont disposés à concéder que les considérations économiques doivent l'emporter lorsqu'il y a concurrence pour l'utilisation de la terre ou pour les ressources qui permettent de la mettre en valeur. Cette intransigeance semble avoir trois raisons. La première est l'attitude «naturaliste» qui consiste à se révolter devant tout ce qui risque de détruire la nature (et par nature on entend la forêt); la deuxième est que les forestiers craignent bien que la foresterie ne puisse rivaliser avec l'agriculture sur le plan économique; la troisième vient de ce que dans toutes les comparaisons entre la foresterie et l'agriculture, on favorise injustement cette dernière. Notre but, ici, n'est pas d'essayer de démontrer aux partisans de l'inviolabilité de la nature que leur thèse ne favorise pas toujours l'intérêt de la collectivité, même à long terme. Mais nous essaierons d'étudier point par point les facteurs économiques à analyser lorsque l'on doit choisir entre diverses options rivales, dans l'espoir de pouvoir démontrer que l'emploi de critères économiques permet d'atteindre des solutions conformes à l'intérêt général.

Critères non économiques

Nous commencerons cependant par exposer la thèse des partisans de critères non économiques. Eggeling (4) la défendait avec énergie quand il écrivait: «L'utilisation des terres ne saurait être décidée sur la base de critères purement économiques. Il ne s'agit pas seulement de déterminer si c'est la forêt, l'agriculture ou le pâturage qui ´ donne le plus haut rendement financier; chaque cas aura un contexte différent et devra être jugé sur ses mérites. On peut imaginer une situation telle que, pour avoir une chance quelconque de faire pousser des arbres, il faille consacrer à la forêt les meilleurs sols disponibles et non les pires. Cela risque surtout d'être le cas dans une région de pâturages découverte, où il ne s'agit évidemment pas uniquement de comparer le rendement financier de la forêt à celui du bétail ou des cultures sur le même terrain, mais de considérer que seuls les arbres permettent d'assurer un approvisionnement constant en combustible et en poteaux de construction. Sans poteaux de construction il est difficile de fixer une population errante, et s'il n'y a pas de bois pour faire la cuisine on peut être forcé de brûler la bouse de vache, ce qui est inadmissible, car dans tout régime équilibré d'utilisation des terres le fumier doit être rendu à la terre pour restaurer et maintenir la fertilité.»

Ces arguments sont-ils valables? Prouvent-ils réellement que les facteurs économiques ne sont pas primordiaux? Etudions le cas hypothétique qu'il propose: un terrain convient au pâturage mais manque d'arbres pour produire les poteaux et le bois de feu. Admettons que l'élevage produise des bénéfices plus élevés que la culture des arbres. Comme il n'y a pas de bois, notre forestier affirme catégoriquement qu'il faut boiser la zone non seulement, il est vrai, pour produire du bois, mais aussi parce que cette double utilisation de la terre permettrait de maintenir la fertilité du sol. A notre avis, il faut envisager le problème d'une autre manière, en estimant la marge de bénéfice dont le cultivateur disposerait en consacrant sa terre à la pâture au lieu d'arbres et en évaluant les besoins de la population pastorale en poteaux et bois de feu. Si la marge suffit à financer l'achat de poteaux et de bois de feu tout en laissant un excédent, on optera pour le pâturage. La fertilité du sol sera sauvegardée, car la bouse de vache ne sera plus nécessaire comme combustible. Mais il se peut aussi que même une bonne marge de bénéfices ne permette pas aux éleveurs de se procurer du bois dans des conditions économiques, le transport jusqu'à la zone en question coûtant trop cher pour être rentable. Dans ce cas, la valeur des différents produits étant calculable, on pourra appliquer la technique d'analyse de la courbe d'indifférence pour déterminer la combinaison optimum de bois et de bétail à produire (7). De cette façon, la méthode reste à tout moment rationnelle et tend à mesurer, sous l'angle économique, les résultats obtenus avec les différents types d'utilisation des terres.

Facteurs du choix d'utilisation des terres

Quels sont les facteurs à prendre en considération pour choisir entre les diverses options d'utilisation des terres? Au départ, il faut souligner la difficulté que présentent les projections économiques. Etant donné le nombre et la variété des relations dont il faut tenir compte, il est presque impossible de construire un modèle entièrement quantitatif. En fait, certaines des variables essentielles ne sont même pas mesurables et les qualités des hommes, des institutions et des techniques devront être évaluées à la lumière de nos connaissances du substrat sociologique et historique du pays ou de la région en cause.

Les facteurs qui influencent la décision sont les suivants:

a) Le rapport coûts/bénéfices des différentes options;
b) L'économie géographique des cultures; l'offre et la demande des produits en concurrence;
c) Les différentes échelles de temps; les besoins de main-d'œuvre;
d) La possibilité de faire servir les produits à l'industrialisation;
e) Les avantages comparés des divers produits pour le commerce international;
f) La contribution qu'ils peuvent apporter à la balance des paiements.

Si le propriétaire d'une ressource quelconque estime pouvoir en tirer plus de profit dans une autre utilisation, il peut la transférer à cet emploi plus avantageux, ce dernier terme englobant ici les bénéfices financiers et les bénéfices immatériels. En économie libérale, la répartition des ressources économiques évolue presque quotidiennement, car l'équilibre est un idéal rarement

atteint sauf dans un système simple à l'extrême. L'aménagement du territoire a pour objet de répartir les terres de façon à assurer les deux types de bénéfices et à tendre vers un état d'équilibre.

RENTABILITÉ COMPARATIVE

Les bénéfices non financiers pourront être partiellement réalisés si l'on classe les terres selon leur potentiel physique, tandis que pour les bénéfices financiers il faut analyser point par point l'économie des diverses options. Le premier stade consistera à calculer la rentabilité comparative. Le calcul de la rentabilité de diverses cultures agricoles en concurrence sur une superficie donnée s'opère selon une méthode simple. Les forestiers utilisent des procédés légèrement différents pour comparer la rentabilité des différentes exploitations forestières, mais la formule généralement employée est celle de Faustmann. Mais lorsque l'on veut comparer le produit agricole au produit forestier, d'obscures raisons viennent compliquer la situation.

McFarquhar (11), étudiant les avantages que pourrait apporter au Nigeria occidental l'affectation de 12 000 hectares de réserves forestières à de grandes plantations de palmiers à huile, a suivi notamment la procédure suivante:

a) Il calcule la valeur de la terre boisée au moment de l'exploitation selon la formule de Faustmann;

b) Il estime le prix unitaire du bois en grumes, sans considération des bénéfices possibles résultant d'une transformation quelconque;

c) D'autre part, il calcule les bénéfices éventuels des palmiers à huile en fonction de la valeur des produits finis;

d) Il capitalise les frais de mise en production des palmiers à huile jusqu'à la fin de la période de mise en production et les affecte d'un intérêt simple, en supposant que l'investissement s'opère par tranches égales pendant toute la période d'établissement.

Deux points méritent examen: tout d'abord, pour comparer la rentabilité de différentes utilisations du sol, les calculs ne doivent-ils pas porter sur les produits finis: sciages ou bois manufacturés contre café, huile, noix, après traitement, etc.? Ce qui est difficile, c'est de décider où arrêter le calcul: pour citer le cas extrême du bois d'œuvre faut-il calculer les frais de production de l'arbre, de sciage, et de construction de la maison, et les bénéfices résultant de la vente de la maison? Faut-il estimer d'une part le coût de la culture des cacaoyers, du traitement des fèves, de la mise en boîte du cacao et, de l'autre, le prix du cacao en boîte? Cette méthode risque de choquer votre sens des proportions et de se révéler inutilement compliquée dans la pratique; mais la méthode de McFarquhar prête aussi à de sérieuses critiques. Une comparaison entre un produit semi-fini et un produit brut n'est pas valable.

A notre avis, on peut recourir à d'autres méthodes. Tout d'abord, on peut comparer directement la rentabilité des produits bruts, ce qui a l'avantage non seulement de les confronter sur le même plan, mais aussi d'indiquer les bénéfices dont jouissent le petit agriculteur et le petit bûcheron qui utilisent la terre, produisent la récolte mais ne s'occupent pas des traitements industriels ultérieurs. On peut aussi envisager le produit fini, auquel cas, pour comparer les rendements de différentes cultures, nous recommandons de décompter les frais et les recettes depuis la première opération jusqu'à celle qui rend le produit utilisable aux fins prévues. Ainsi, pour une plantation de bois de feu, le calcul doit commencer à la plantation et s'achever après débit de la coupe aux dimensions utilisables. Pour une plantation de bois de sciage, les comptes s'arrêteront au sortir de la scierie. Si l'on veut produire du papier, le calcul doit s'achever après la transformation en pâte. De même, en agriculture, si l'on veut produire du riz, le calcul doit s'arrêter après le mondage. Répétons que le stade où s'arrête le calcul dépend du but de la culture, ce qui est facile à déterminer pour des cultures agricoles mais souvent plus difficile lorsqu'il s'agit de bois.

Si l'exploitation forestière a des objectifs aussi variables, c'est parce qu'elle est une entreprise à long terme et parce que le bois a de multiples usages. Dans le cas d'une forêt naturelle, l'objet est généralement d'accroître la productivité des essences intéressantes, mais l'usage qui en sera fait est rarement précisé. Dans les forêts artificielles, le but, sans être aussi vague, est souvent encore loin d'être précis. Le planificateur doit avoir à l'esprit les utilisations possibles, il doit parfois admettre divers produits finals et estimer la rentabilité de chacun; mais il serait erroné de considérer la valeur de l'arbre à peine abattu et non transformé comme son rapport potentiel, puisque le traitement le plus élémentaire va souvent en rehausser considérablement la valeur.

Le deuxième point des calculs de rentabilité à considérer a un double aspect. Le premier, c'est le taux d'intérêt à imputer. Bien qu'il faille, dans tous ces calculs, employer un éventail de taux d'intérêt pour donner un tableau aussi large que possible, il n'en faut pas moins en choisir finalement un, ne serait-ce qu'à des prix de comparaison. D'après Grayson (6), la British Forestry Commission a adopté un taux de 3 ½ pour cent, en partie basé sur les taux théoriques appliqués aux avances de fonds, mais Duerr (3) a démontré que le taux ne dépend pas seulement des charges de la dette mais aussi des divers modes d'investissement ou de dépense. Les charges de la dette ne semblent correspondre qu'à un taux minimum car peu d'hommes d'affaires se contenteraient d'un rapport qui ne dépasse pas le coût de l'argent emprunté. Grant et al. (5) conseillent d'adopter, pour les travaux publics, un «taux minimum attrayant» qui serait applicable à toutes les utilisations des terres. Ce taux serait normalement supérieur au taux de l'emprunt pour les raisons suivantes:

a) Même si les activités de l'Etat offrent de bonnes possibilités d'investissement productif, les disponibilités de fonds peuvent être restreintes. Dans ce cas, le taux d'escompte doit être égal au taux marginal d'intéressement (rapport supposé des divers modes d'investissement), lequel est supérieur au taux d'emprunt;

b) Pour établir le taux minimum de rapport attrayant, il faut considérer les autres possibilités d'investir des contribuables. Hirshleifer et al. (8) soutiennent la thèse de Grant.

L'autre aspect est relatif aux comparaisons entre le produit de l'agriculture et celui de la forêt. Comme nous l'avons vu, McFarquhar (11) a utilisé la formule de Faustmann dans ses calculs sur les forêts, mais en capitalisant les coûts en fin de période de mise en production des palmiers à huile et en les affectant d'un taux d'intérêt simple, en supposant que ces coûts de capital sont répartis en versements égaux sur toute la période de mise en production. Quand la concurrence entre foresterie et agriculture pour l'emploi de la terre porte sur des produits forestiers ou agricoles qui exigent une période de mise en production pendant laquelle le revenu est nul et dès que cette période dépasse un an, il faut dans les deux cas affecter l'investissement d'un taux composé ou d'un escompte.

ECHELLES DE TEMPS

Souvent, malgré la rentabilité apparente d'une forme donnée d'utilisation des terres, les planificateurs recommandent d'investir dans des projets à rendement moins élevé mais beaucoup plus rapide. Il importe donc de tenir compte de l'échelle de temps dans les plans d'utilisation des terres. Bien évidemment, un investissement qui commence à rapporter plus tôt est objectivement préférable, toutes choses égales d'ailleurs, à un investissement pour lequel la période de gestation est plus longue. En effet, les bénéfices des investissements à court terme peuvent être réinvestis et produire à leur tour un accroissement de la production avant que les investissements à long terme ne commencent à rapporter sans que la consommation ait à en souffrir entre temps. Cela peut se vérifier même si l'investissement à long terme donne un rapport plus élevé.

¹ On a prouvé qu'il est possible d'emprunter de l'argent à un taux de 6 pour cent et que si on l'investit dans des plantations de pins, le rapport serait de 8 pour cent.

Bien entendu la période de mise en production est plus longue pour le bois que pour les cultures agricoles, et c'est ce qui a fait rejeter des modes d'utilisation des terres apparemment très prometteurs. Ainsi, le rapport annuel du Service des forêts du Honduras britannique pour l'année 1959 (2) cite les mots d'un économiste de passage, M. J. Downie: «Je reconnais qu'en définitive la foresterie a un rapport très élevé; mais a priori il semble imprudent pour un pays pauvre d'investir une grosse part de son capital dans un projet dont le rendement ne doit se matérialiser que si tard.. Je ne crois pas que le Honduras britannique puisse se permettre d'attendre 40 à 100 ans avant que son argent ne commence à rapporter. La foresterie étant en concurrence avec d'autres investissements urgents dont beaucoup rapportent bien plus vite, ce n'est pas le taux d'intérêt auquel on peut emprunter des sommes limitées qui compter, car selon ce critère la sylviculture n'est pas payante, surtout s'il s'agit de feuillus, pour lesquels la période de maturation des investissements, est beaucoup plus longue et le rapport financier moins élevé par conséquent.»

En dépit des arguments de Downie, nous dirons que si un projet a un rendement qui suffise à compenser la longueur de l'attente, il faut l'envisager. En d'autres termes, si le rapport d'un projet à plus faible rendement, même une fois réinvesti, ne donne pas un bénéfice cumulé au moins égal à celui du projet à rendement élevé, c'est ce dernier qui doit être choisi. Pour déterminer le rendement qui suffit à compenser l'attente, on peut utiliser des coefficients de pondération traduisant l'incertitude beaucoup plus grande d'un rapport à long terme, en ayant recours, pour ce faire, à la procédure bien connue qui consiste à admettre un taux d'intérêt ou une série de taux et à évaluer la période de maturation des projets. En termes économiques, ces taux représentent le taux de rendement marginal que l'on peut escompter pour la durée de rotation de la plantation, par exemple.

Ce taux de rendement marginal des investissements peut servir à mesurer le coût de l'attente et s'exprime sous forme d'escompte sur tous les coûts et rendements futurs. Sur cette base, on peut calculer les valeurs actuelles des utilisations concurrentes du sol (après escompte) et les comparer.

Un autre procédé consiste à étaler les investissements, c'est-à-dire à fractionner les capitaux disponibles de façon que ceux qui sont destinés aux investissements à long terme et à fort rendement ne soient investis que par étapes, les capitaux ainsi libérés provisoirement pouvant être consacrés au projet à rendement faible mais rapide.

ECONOMIE GÉOGRAPHIQUE DES CULTURES

L'emplacement des cultures affecte aussi leur rentabilité. Il est inutile d'insister sur ce point. Les facteurs à prendre en considération sont les suivants: loyer unitaire de la terre, rendement unitaire de la terre, prix unitaire du produit sur le marché, distance du marché, coût du transport par unité de distance, et développement de l'infrastructure du pays ou de la région. Ce facteur géographique ne saurait être traité isolément. Il fait, au contraire, partie intégrante du calcul de rentabilité et c'est la résultante des facteurs mentionnés ci-dessus qui déterminera l'emplacement d'une forme donnée d'utilisation des terres.

OFFRE ET DEMANDE

Comme l'agriculture et l'élevage, l'exploitation forestière est évidemment une entreprise commerciale. Il faut donc considérer la situation relative de l'offre et de la demande des diverses cultures envisagées. Il est superflu de s'étendre ici sur les principes de base, mais nous examinerons certains aspects relativement peu étudiés de la consommation du bois et de ses produits telle qu'elle se présente dans les pays en voie de développement. Il semble généralement admis que l'augmentation de la population et celle du revenu par habitant provoquent un accroissement de la consommation de bois par habitant. Hummel et Grayson (9) affirment à propos de la Grande-Bretagne que toute prévision de la demande future est incomplète si elle ne tient pas compte de l'effet du prix. Mais, en fait, rares sont les prévisions de la demande qui soient établies compte tenu de cet aspect, surtout pour les tropiques. Outre la difficulté de prévoir l'évolution des prix, cette lacune s'explique par l'absence apparente de corrélation entre la demande de bois et les fluctuations des prix dans les pays en voie de développement. Les variations de la demande semblent en effet liées à l'évolution du revenu, indépendamment des prix. Dans ce champ de recherche très fertile, on a déjà relevé certaines tendances qui démontrent que l'augmentation du revenu par habitant (même à un niveau relativement bas), s'accompagne d'une baisse de la demande de bois de feu (10). L'expérience des Etats-Unis et de l'Australie, par exemple, suggère que lorsque les revenus continuent à augmenter (mais à des niveaux très supérieurs à ceux de la plupart des pays en voie de développement), la demande de bois d'œuvre peut diminuer. D'une part l'augmentation de la consommation de papier, de panneaux de fibres ou de particules et de contre-plaqués semble suivre de près celle du revenu par habitant, et d'autre part l'accroissement de la consommation de ces produits complexes est plus rapide que la réduction de la demande des produits classiques. A certains niveaux de revenu, la demande de bois de feu et de bois d'œuvre est souvent inversement proportionnelle à la demande des produits qui se substituent au bois de feu (mazout par exemple) ou aux sciages (ciment par exemple). Pour prévoir la demande, il faut donc toujours envisager l'éventail des produits et rapporter aux possibilités de substitution de l'un à l'autre toutes les tendances que l'on pourra discerner. C'est là un point important. Il ne faut pas croire que l'augmentation des revenus par habitant implique automatiquement un accroissement de la demande de tous les types de bois. Lorsque les revenus augmentent - et aussi lorsque les connaissances se développent - les consommateurs deviennent plus difficiles. Il se peut donc fort bien que la demande de produits plus modernes se manifeste dans les pays peu développés à un niveau de revenu moins élevé que cela n'a jusqu'ici été le cas dans le monde en développement. Ces aspects de la prévision de la demande valent aussi pour les produits de l'agriculture, à cela près qu'en foresterie la prévision porte nécessairement sur des périodes plus longues, ce qui la rend d'autant plus importante, encore que plus aléatoire.

BESOINS DE MAIN-D'ŒUVRE

Le chômage et le sous-emploi, qui prévalent dans les pays en voie de développement, compliquent encore la conciliation des diverses utilisations du sol. Si plusieurs options donnent des bénéfices approximativement égaux, il convient donc d'évaluer les besoins de main-d'œuvre de chacune, car en l'absence de tout avantage financier, il faut recommander celle qui absorbe le plus de main-d'œuvre. Le choix n'est malheureusement pas toujours aussi simple; il faut élaborer un système de pondération pour les cas qui assurent une rentabilité élevée mais absorbent relativement peu de main-d'œuvre. Selon certains, bien entendu, c'est l'absence d'un «excédent économique» qui freine le plus le progrès des pays en voie de développement (13 et il faudrait donc diriger l'argent vers les entreprises susceptibles de produire l'excédent indispensable. De leur côté, les économistes sociaux (12) accorderaient sans doute une certaine importance à l'emploi. Il n'est peut-être pas exagéré de dire que c'est là l'une des questions de politique qui dépendent en dernière analyse des options philosophiques et idéologiques des responsables politiques. A ce propos, Zivnuska (13) fait remarquer que d'après les ouvrages économiques et politiques actuels, l'objectif final de la politique intérieure des Etats-Unis serait, de l'avis général, une économie stable caractérisée par le plein emploi et un niveau élevé de production. Dans le monde entier, les hommes politiques expriment des sentiments analogues.

POSSIBILITÉS INDUSTRIELLES DE LA RÉCOLTE

Il s'agit maintenant de savoir si la planification de l'utilisation des terres ne s'effectue pas dans l'absolu. L'aménagement du territoire doit, en effet, s'insérer dans un plan de développement plus vaste qui englobe toute la zone envisagée. La planification économique des pays en voie de développement doit avoir pour postulat une transformation fondamentale des structures, impliquant au moins un certain développement industriel. Par conséquent, dans les plans de développement nationaux, le secteur industriel présente un intérêt spécial. Mais les plans d'utilisation des terres font très peu de place au potentiel qu'offrent les forêts tropicales pour l'industrialisation. Dans la plupart des plans que l'on a étudiés, l'accent porte surtout sur le secteur agricole. Dans les rares cas où l'on ait tenté des comparaisons économiques, le calcul s'est arrêté à la production des matières premières, ignorant les bénéfices qu'en tirent les industries du bois existantes et la possibilité de créer une économie industrielle à partir d'un produit du sol. Or, non seulement les forêts tropicales du monde offrent un potentiel considérable, mais le besoin de produits industriels existe déjà et semble croître rapidement, comme l'indique clairement Westoby (14). Il importe donc, lorsqu'on doit opérer un choix entre plusieurs options, d'évaluer les possibilités d'industrialisation qu'offrent les diverses formes d'utilisation des terres et leur effet multiplicateur.

CONTRIBUTION A LA BALANCE DES PAIEMENTS

Parmi les facteurs dont il faut tenir compte dans les plans d'utilisation des terres figurent encore les avantages comparatifs que présente pour un pays telle ou telle forme d'utilisation des terres, et la contribution qu'apportent à la balance des paiements les produits qu'on y cultive. Dans cet ordre d'idées, il faut examiner l'offre internationale de produits qui permettrait de cultiver plus profitablement un autre végétal sur le sol national ainsi que le prix à payer pour importer ces produits. Cela comporte le calcul du profit résultant de l'abandon d'une culture au profit d'une autre et - ce point importe peut-être plus encore - les effets possibles de ce choix sur la balance des paiements. Dans les pays en voie de développement, l'établissement de l'infrastructure est fortement tributaire, et le sera encore longtemps, de l'importation d'équipement et de matériel qui ne peuvent être produits sur leur territoire. Il y a donc lieu d'encourager les productions qui réduisent les sorties et augmentent les rentrées de devises.

La conciliation des conflits entre demandes de ressources est un des problèmes cruciaux des pays en voie de développement. Des terres réservées jusqu'à présent à la forêt sont souvent dévolues à l'agriculture, des capitaux d'Etat sont refusés à un secteur d'utilisation des terres et accordés à un autre, et les décisions sont prises sur la base de données incomplètes et d'avis mal fondés. Le forestier répugne, en general, à se servir des outils des économistes et la cause de la sylviculture en serait perdue d'avance. Le principal objet du présent article est donc de persuader les forestiers qu'une étude plus détaillée de l'économie de la production de bois et des autres utilisations des terres aboutirait à une répartition plus rationnelle des ressources.

Bibliographie

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