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Pour que les forêts redeviennent sacrées...

LE SERVICE FORESTIER ITALIEN vient de recevoir le rapport d'une commission nommée par le gouvernement pour étudier une révision de la loi actuelle sur les zones de montagne, promulguée en 1952 et qui cessera d'être applicable cette année.

La législation italienne relative à l'économie de la forêt et de la montagne a des origines anciennes qui remontent aux premiers temps de l'époque romaine.

Dans l'ancien paganisme, les bois et les forêts avaient un caractère sacré. On leur vouait un respect traditionnel et les cérémonies religieuses ainsi que la célébration d'événements particulièrement importants se déroulaient dans un bois ou sous l'ombrage d'un arbre vénéré. Les premiers «gardes forestiers» avaient un caractère sacerdotal. Ils veillaient sur les bois sacrés, ils entretenaient les arbres et au besoin les replantaient. Endommager les bois était un sacrilège puni de mort.

Avec l'extension de l'empire de Rome, l'importance religieuse de la forêt céda devant les besoins de la marine de guerre et de commerce. La nécessité d'un domaine forestier bien réglementé s'imposa et comme les Romains étaient de grands législateurs et qu'ils disposaient d'une vaste organisation civile et militaire, ils constituèrent graduellement un service efficace de gardes forestiers. Ces hommes ne furent tout d'abord que des surveillants, sans fonctions techniques. Leur tâche était assez dangereuse car les forêts étaient des repaires de bêtes sauvages et de brigands.

Progressivement, l'administration forestière eut aussi la charge d'entretenir et d'administrer les forêts: elle contrôlait les abattages et les prélèvements de bois, et veillait à la protection des versants de montagne. Des gardes forestiers faisaient respecter les contrats, contrôlaient l'exploitation et le pâturage et accomplissaient beaucoup des fonctions qui appartiennent à nos services forestiers actuels.

Cette organisation remarquable, fondée sur le respect de la loi se désagrégea au IVe siècle de notre ère quand les grandes invasions déferlèrent sur la péninsule italique. Dans les siècles troublés qui suivirent, la loi fut faite par les grands propriétaires, agissant exclusivement dans leur propre intérêt et sur leurs propres domaines. Les forêts étant pour les seigneurs des réserves de chasse, le droit d'abattage et de pacage fut retiré aux populations locales. On pense même que le mot «forêt» est issu à cette époque de l'expression latine «foris stare» c'est-à-dire «rester en dehors»

Les communes libres et les républiques qui se constituèrent après le XIe siècle dans le nord et le centre de l'Italie réattribuèrent les droits de pacage et de coupe, et firent appliquer la loi par leurs propres gardes forestiers, assimilés aux forces de police.

Au cours des siècles suivants, l'entretien des forêts se fit sporadiquement, selon que les divers petits Etats de la péninsule étaient en guerre ou non. Les troupes d'envahisseurs et des gouvernements instables mettaient au pillage le patrimoine forestier, tandis que les populations se souciaient peu de lois que personne n'était capable de faire appliquer sérieusement. Seule la République de Venise, qui avait de puissants intérêts navals et commerciaux, se distinguait par une politique forestière éclairée et conséquente.

L'Etat italien actuel s'est constitué en 1870. L'unification des lois et des services forestiers des nombreux petits Etats qui s'étaient partagé la péninsule, chacun desquels avait constitué sa propre administration, était une tâche formidable. D'ailleurs, comme en témoignent les recommandations de la commission actuelle, en vue d'une loi nouvelle, le processus est encore en cours.

Les désastreuses inondations de 1966, qui ont gravement endommagé en Italie des lieux historiques chers à tout le monde civilisé, ont mis plus clairement que jamais en lumière les dangers du déboisement et de l'abandon des bassins hydrographiques, et n'ont fait que souligner la nécessité d'un service forestier bien organisé et doté de tous les moyens voulus - personnel, crédits, matériel, appareil législatif - pour pouvoir mener à bien son travail. Il est à souhaiter que l'Italie se donne sans perdre de temps une nouvelle loi forestière fondée sur les recommandations récemment formulées.

FIGURE 1. - Forêt de bouleaux (Betula utilis) avec sous-étage de Rhododendron acuminatum sur le versant nord de la crête de Thyangboche. L'altitude est d'environ 3 650 mètres et les arbres n'ont pas encore formé leurs feuilles en mai. la montagne au fond est l'Ama Dablam (6700 m), littéralement «le coffret magique de la Mère», par allusion sans doute à l'imposante masse de glace que l'on aperçoit au-dessous du sommet.


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