Cette étude analyse limpact de linsécurité alimentaire massive sur le système urbain de distribution des vivres au Zaïre, et plus particulièrement dans la capitale. La sécurité alimentaire peut être définie comme laccès pour tout le monde et à tout moment, à une nourriture suffisante afin de mener une vie active et saine. Un consommateur urbain en insécurité alimentaire adapte ses habitudes alimentaires (voir chapitre 3) et se lance souvent dans le petit commerce des vivres (voir chapitre 4). Lhypothèse de base de cette étude repose sur lexistence dune relation ambiguë entre une situation dinsécurité alimentaire et le fonctionnement dun système de distribution urbain des vivres. Dune part, le secteur de distribution contribue à une meilleure sécurité alimentaire, parce quil est souvent la seule source demploi à laquelle les personnes en insécurité alimentaire ont accès. Ces dernières ne disposent généralement que de leur capital humain, cest-à-dire la main-doeuvre familiale et une certaine expérience dans le petit commerce des vivres. Dautre part, la présence massive des pauvres dans les systèmes de distribution empêche une compétition efficace et conduit à une hausse des marges de distribution et des prix. Ce fonctionnement inefficace aboutit parfois à un niveau de prix élevé, au moment où les plus pauvres font leurs achats de vivres, ce qui diminue leur pouvoir dachat et leur sécurité alimentaire. A lexception du commerce, lagriculture et lhorticulture périurbaines et urbaines sont une autre source demploi à basses barrières à lentrée (voir chapitre 5).
Au chapitre deux, la situation générale au Zaïre et à Kinshasa en particulier est décrite. Le pays est actuellement caractérisé par une situation socio-économique catastrophique avec une insécurité alimentaire massive, surtout en milieu urbain. En même temps, la croissance des centres urbains, qui est de 5 à 7% par an depuis des décennies, donne lieu à une pression énorme sur le système de commercialisation et de distribution des vivres. Les systèmes formels de collecte, de transport et de distribution des vivres disparaissent en raison du cadre macroéconomique incertain qui empêche les investissements: entretien des routes et des ponts inexistant, manque de carburant, de pièces de rechange, de crédits, dune infrastructure de télécommunication, dune administration efficace et fiable, et dun système judiciaire fiable. Le secteur formel est remplacé par une multitude de petites entreprises informelles.
Le chapitre trois décrit le comportement du consommateur vis-à-vis de sa nouvelle situation dinsécurité alimentaire. Celui-ci essaie de maximiser son niveau de consommation par ladoption dautres habitudes alimentaires, en développant certaines activités économiques, surtout dans le commerce, et en minimisant les risques par lorganisation de systèmes de solidarité, généralement des tontines, des groupes dépargne et de crédits. Dans la ville de Kinshasa, le repas de base dune personne en insécurité alimentaire comprend de la pâte de manioc, préparée à base de tubercules séchés, consommée avec des légumes-feuilles, et parfois, dans la mesure du possible, avec une sauce à base dhuile de palme (ou darachide), doignon, de tomate et de pili-pili. Rarement, on ajoute du poisson frais de mer ou de la volaille. Chacun des ingrédients du repas de base est le meilleur marché dans sa catégorie, délivré avec un minimum de services. Le manioc et les légumes-feuilles sont devenus plus importants. Le régime alimentaire est extrêmement monotone et la qualité nutritionnelle est pauvre. Il existe une demande spécifique des consommateurs les plus pauvres pour des achats de vivres en petites quantités, qui se font nécessairement au niveau du détail ou du micro-détail. Ces consommateurs nont pas de requêtes spécifiques en matière de services du marché, ou de valeur ajoutée, et leur demande en vivres (surtout de manioc) excède loffre au moment du paiement des salaires. Il en résulte que les plus pauvres paient souvent un prix qui est plus élevé que celui payé par le consommateur moyen.
Au chapitre quatre, limpact de la situation dinsécurité alimentaire massive sur le circuit de commercialisation des vivres est analysé. Il existe de très nombreuses activités informelles à basses barrières à lentrée telles que le commerce de détail et de micro-détail des vivres et le commerce par les colporteurs. Les marchés de détail sapprochent du modèle du marché libre tel que décrit dans la littérature économique: un grand nombre de vendeurs et dacheteurs, une atomicité, une absence de barrières à lentrée, une certaine transparence, une absence de monopoles, etc. Malheureusement, il y a peu de compétition entre les commerçants qui évitent les risques et préfèrent la solidarité entre eux, provoquant ainsi une hausse des marges de distribution. Le rôle social des marchés, cest-à-dire la création demplois à basses barrières à lentrée, la distribution des revenus, la création des systèmes dassurance, de solidarité et de crédits entre les petits commerçants, etc., devient relativement plus important que le rôle économique, à savoir la distribution efficace des vivres. Les marges de distribution augmentent au fur et à mesure que le rôle social dun système devient plus important. Les plus pauvres, pour qui les barrières à lentrée au commerce de détail sont encore trop élevées, en sont les victimes. Ceux-ci ne profitent pas des avantages, mais payent souvent un prix plus élevé pour la nourriture.
Le chapitre cinq commente la structure des entreprises agricoles en général et le développement rapide des activités agricoles en milieu urbain et périurbain. Lhorticulture disparaît en milieu rural. Celui-ci nest plus compétitif pour les produits périssables vis-à-vis du milieu (péri)urbain en raison des problèmes dévacuation des produits agricoles et dachat des intrants. Ce développement a plusieurs avantages. Premièrement, lhorticulture urbaine et périurbaine offre des opportunités aux familles en insécurité alimentaire: les barrières à lentrée sont souvent basses, à condition que la terre soit disponible. Les pauvres disposent du capital nécessaire: la main-doeuvre familiale et une certaine expérience de base en agriculture et en horticulture. Ce genre de travail a toujours été méprisé et était, autrefois, réservé aux plus démunis et aux étrangers. Deuxièmement, la production des légumes contribue à une amélioration de la situation nutritionnelle des pauvres. Troisièmement, la création demploi dans lhorticulture urbaine pour les plus démunis contribue à une diminution de la pression sur les systèmes de distribution des vivres.
Au chapitre six, lévolution future du système de distribution des vivres à Kinshasa est commentée. En cas damélioration de la situation socio-économique, il y aurait évidemment une amélioration de la sécurité alimentaire de la population, avec moins de pression sur les systèmes de distribution urbains et moins de commerçants, une compétition plus saine et une diminution des marges de distribution, et une distribution des vivres plus efficace. De plus, un cadre macroéconomique sain et stable pourrait davantage améliorer la performance du secteur vivrier par une croissance économique durable, une stimulation de lépargne et de linvestissement, et la maintenance et lextension des infrastructures économiques essentielles. Dans le cas contraire, à savoir une stabilisation ou une détérioration de la situation macroéconomique, les marchés de détail et lagriculture urbaine continueraient à jouer aussi bien leur rôle économique que social avec une moindre efficacité ainsi que des marges et des prix élevés.
En conclusion, un système de distribution offre des opportunités aux pauvres dune métropole africaine: là, ils peuvent utiliser leur capital humain. Malheureusement, leur présence massive empêche une compétition saine et mène à une hausse des marges et des prix. Ceci aboutit à une diminution du pouvoir dachat des consommateurs et est très désavantageux pour les plus démunis pour qui les barrières à lentrée sont encore trop élevées.