Page précédente Table des matières Page suivante


Chapitre 4: COMMERCIALISATION ET DISTRIBUTION URBAINE DES VIVRES


4.1 - Le circuit de distribution
4.2 - Les détaillants
4.3 - Les par-colis
4.4 - Les semi-grossistes
4.5 - Les grossistes
4.6 - La sécurité alimentaire et le commerce
4.7 - Conclusion: Une faible performance du circuit de distribution
4.8 - Questions

4.1 - Le circuit de distribution

La collecte des produits agricoles, leur transport aux marchés urbains et la distribution urbaine représentent une part importante du prix au consommateur: la marge de commercialisation est souvent de 50 à 85% du prix au consommateur (voir tableau 5). Pour les produits vivriers de faible valeur marchande destinés à l’alimentation d’une population disposant de revenus modestes et qui dépense plus de 70% du revenu pour la nourriture, la marge de commercialisation représente une part importante du pouvoir d’achat. En même temps, l’agriculteur et l’horticulteur en milieu rural, périurbain ou urbain reçoivent un prix bas pour leurs produits. Intervenir dans la commercialisation afin de réduire les marges pourrait avoir un impact significatif sur le pouvoir d’achat de la population urbaine et surtout des plus pauvres à travers une baisse du prix au marché. Ainsi les agriculteurs pourraient en profiter à travers un prix plus élevé à la production.

Tableau 5: STRUCTURE DES PRIX DES PRODUITS AGRICOLES EN PROVENANCE DU BAS-ZAÏRE (BZ) ET DU BANDUNDU (BDD) SUR LES MARCHÉS DE DÉTAIL DE KINSHASA EN 1987, 1988 ET 1989 (100% = PRIX AU CONSOMMATEUR)



Manioc

Maïs

Arachides

BDD

BZ

BDD

BZ

BDD

BZ

Producteur

22

38

33

36

35

58

Semi-grossiste

68

66

84

83

78

77

Détail

100

100

100

100

100

100

Source: Goossens, F. 1994.

Figure 5: Schéma de la chaîne de commercialisation

Source: Goossens, F., Minten, B. et Tollens, E., 1994.
Le circuit de distribution des vivres à Kinshasa ressemble à celui d’autres pays africains. La seule différence réside dans les circonstances zaïroises, où le rôle du secteur informel est extrêmement important. Le circuit est composé d’un soi-disant “circuit court” et d’un “circuit long”. Le “circuit court” comprend souvent un unique intermédiaire, parfois deux, entre le producteur et le consommateur, à savoir le colporteur (par-colis) et/ou le détaillant. Le “circuit long” comprend un importateur ou collecteur, un grossiste, un semi-grossiste et un détaillant. Le “circuit court” est en général tout à fait informel et le “circuit long” souvent partiellement formel (voir figure 5). Une situation extrême d’insécurité alimentaire a un impact sur tous les niveaux de la chaîne de commercialisation, mais surtout au niveau du détail et des colporteurs en raison des barrières d’entrée qui sont extrêmement basses.

La chaîne de commercialisation comprend les intermédiaires suivants:

4.2 - Les détaillants


4.2.1 - Les marchés de détail
4.2.2 - Les pratiques commerciales
4.2.3 - Les prix
4.2.4 - Les marges
4.2.5 - Le comportement

4.2.1 - Les marchés de détail

La ville de Kinshasa compte un grand nombre de marchés de détail dispersés dans toute la ville, dont la taille est très diverse et qui forment le niveau le plus bas du système de distribution en produits vivriers. En mai 1989, une liste complète des marchés de détail a été établie: Kinshasa en possède 115. Environ 20% des vendeurs ne disposent pas d’une table. Sept marchés sont uniquement constitués de vendeurs installés par terre, et 22 autres, de vendeurs avec des tables. Tous les marchés n’ont pas les mêmes horaires, 68 marchés fonctionnent uniquement durant la journée, 40 durant la journée et la soirée et 7 seulement le soir. Les marchés les plus grands sont le marché Central (15 500 vendeurs), celui de Gambela (4 600 vendeurs), de Somba Zikida (+Type KA) (4 000 vendeurs), de Matete (3 600 vendeurs) et de Lemba (2 100 vendeurs). Selon une enquête menée en 1985, il existait 85 marchés de détail avec 72 000 vendeurs (Kanene, 1990). Les 5 marchés les plus grands comprenaient 30 000 vendeurs, soit 42% du total. Les marchés de Kinshasa sont classés en deux catégories, à savoir les marchés urbains et les marchés de zone. Les marchés urbains sont ceux dont la gestion, l’aménagement, l’équipement et le bon fonctionnement nécessitent une intervention de l’autorité urbaine, tandis que ceux de la deuxième catégorie tombent sous l’autorité des responsables de zone (la ville de Kinshasa comprend 24 zones administratives). Généralement, chaque zone dispose d’un grand marché de détail et de plusieurs wenzes. Ces marchés constituent une importante source de revenus pour les autorités de zone.

Le commerce en produits vivriers est principalement entre les mains des femmes (plus de 95% des détaillants sont des femmes), qui pratiquent le commerce pour la survie. Le manioc, les légumes, l’arachide, et la banane sont généralement achetés auprès des par-colis. Ils sont presque toujours commercialisés à travers le circuit court et informel. Les achats se font sur lesdits “parkings”, où les camions venant de l’intérieur du pays s’arrêtent. Kinshasa compte environ 65 à 70 parkings. Le riz, les haricots, et la farine de maïs sont achetés auprès des semi-grossistes, qui s’approvisionnent eux-mêmes auprès des grossistes.

L’infrastructure des marchés est souvent pauvre: les tables sont en bois, le sol n’est pas goudronné, la voirie et les installations sanitaires sont inexistantes. Néanmoins, une série de taxes existe dans le but spécifique (souvent théorique) d’entretenir l’infrastructure, d’assurer l’hygiène, etc. Les produits sont répartis sur le marché de telle sorte que chaque produit occupe une aire déterminée appelée pavillon. Chaque pavillon comprend un nombre d’étals, qui sont à leur tour composés de tables. Il existe deux types courants d’étal: le plus fréquent se compose de quatre piliers soutenant une toiture à deux versants. Les tables sont disposées de manière à former un carré. Le deuxième type d’étal a une forme rectangulaire. Un étal comprend en moyenne cinq tables. Celles-ci sont construites et vendues par des entreprises désignées par la zone. Le constructeur vend les tables aux commerçants et doit généralement verser 10% des recettes à la zone. A chaque renouvellement des tables, les vendeurs perdent leur droit de propriété et doivent payer à nouveau s’ils tiennent à continuer leur commerce. Environ 60% des vendeurs sont propriétaires des tables. Les détaillants se plaignent que les autorités renouvellent trop souvent les tables.

La plupart des marchés sont nés spontanément suivant l’extension spatiale de la ville. La population commence par organiser un petit marché autour de quelques tables. Dès que le marché atteint une certaine taille, les autorités appliquent la réglementation en cours et créent une administration officielle. Le taux de croissance du marché dépend de la localisation. Ainsi, les principaux marchés de détail se situent autour des routes venant du Bandundu et du Bas-Zaïre, à la gare de Matete et dans l’ancien centre-ville.

L’importance des marchés de détail a fortement augmenté depuis la zaïrianisation en raison de la disparition de nombreux magasins. Auparavant, la vente des produits vivriers se faisait davantage dans les magasins de la ville tenus par des étrangers, surtout par des Portugais et des Grecs. Après la zaïrianisation en 1974, les entrepreneurs zaïrois possédant des fonds et s’intéressant peu au commerce de détail, qui nécessite un contrôle strict et continu de l’entreprise, ont préféré s’occuper du commerce de gros ou de demi-gros, ou encore du transport. En outre, le commerce de détail en produits vivriers est traditionnellement le domaine des femmes. Par conséquent, la distribution au détail des produits vivriers est prise en main par les femmes avec peu de moyens financiers. Au cours des dernières années, leur nombre a fortement augmenté à cause de la détérioration de la situation économique du pays.

En 1990, la valeur de la transaction d’achat était en moyenne de 48 dollars, variant entre 17 dollars pour les vendeurs de légumes et 89 dollars pour les vendeurs d’huile de palme. Ces produits étaient écoulés en 3,6 jours (voir tableau 6). Il est clair que les détaillants ont généralement un petit fonds de roulement. Ils ne font presque jamais appel aux caisses d’épargne pour des crédits de démarrage, car ils trouvent les fonds nécessaires dans la famille. Les frais de démarrage d’un commerce de détail sont restreints et ne couvrent que la taxe journalière, éventuellement l’achat d’une patente, le loyer d’une table et les fonds de roulement. Ceci entraîne une augmentation énorme du nombre de vendeuses en période de crise économique. En période de récolte, il est relativement facile d’obtenir des produits à crédit.

Tableau 6: DÉTAILLANTS PAR TAILLE DE L’ENTREPRISE EN OCTOBRE - NOVEMBRE 1990

Produits

Valeur d’achat par transaction
(dollars)

Jours de vente

Manioc

32

2,7

Maïs

49

3,3

Riz

55

3,6

Arachides

39

3,2

Bananes

38

4,3

Huile de palme

89

6,2

Légumes

17

2,2

Haricots

84

5,1

Moyenne

50

3,8

Source: Goossens, F. 1994.

4.2.2 - Les pratiques commerciales

L’uniformité des unités de vente et une claire définition des qualités des produits offerts avec une différenciation des prix sont des facteurs structurels importants pour une bonne performance du système de commercialisation. En l’absence de ces conditions, le temps nécessaire pour les transactions est plus élevé, parce qu’un contrôle personnel de la qualité et de la quantité est indispensable. Aux marchés de détail, les ventes s’effectuent à l’aide d’unités de mesure diverses de toutes sortes et de toutes dimensions. Les qualités et quantités des produits sont relativement bien définies: un assortiment assez large est offert au consommateur avec une différenciation des prix. Mais pour le consommateur, les prix sont difficiles à comparer. Cette diversification fait partie de la stratégie des commerçants. Le détaillant, pour qui le prix n’est pas un instrument de compétition, se tourne vers d’autres instruments. Les détaillants préfèrent vendre des qualités et des formes de produits autres que leurs collègues, ou ils utilisent d’autres unités de vente afin que le marché soit moins transparent. Le marché des haricots en est un exemple typique: souvent plus de dix variétés ou mélanges de variétés sont offerts au consommateur. La vente de fruits et légumes en bottes ou piles de tailles différentes, la vente au détail de manioc où les chikwangues ont plusieurs tailles, où les qualités des cossettes ou de la farine de manioc sont différentes, où les unités ou piles de cossettes et tubercules sont différentes, etc. sont de nombreux exemples. Plus la gamme de produits est grande plus les consommateurs sont satisfaits.

L’emballage sert surtout à protéger, durant le transport, les produits contre les dégâts d’origine mécanique, ainsi qu’à répartir le produit en colis pratiques pour la manutention et la commercialisation. Le manioc, le maïs et l’arachide sont vendus par sac. La quantité par sac est relativement bien standardisée, alors que la qualité nécessite souvent un contrôle personnel. Dans le secteur des fruits et légumes, il y a très peu d’emballage et la qualité est insatisfaisante. Les oranges et les citrons sont souvent transportés en sac. Pour les tomates et certains fruits, des casiers en bois, standardisés sont utilisés dans la région du Bas-Zaïre. Leur utilisation ne prévoit pas de feuilles ou de papier pour doubler l’emballage. Les légumes-feuilles sont transportés et vendus en bottes. Pour certains fruits et légumes, tels que le safou, la carotte, etc. il existe des paniers en bambou ou rosier. L’avantage des paniers est qu’ils ne doivent pas être réutilisés. La possibilité d’améliorer la manutention de la production horticole et fruitière au Zaïre afin d’éviter les pertes et de préserver la qualité et l’aspect, est immense, mais il n’est pas certain que tout cela puisse être réalisé sur le plan économique. Il sera très difficile d’introduire un nouveau type d’emballage pour des raisons différentes:

Les services d’information sur les marchés ont pour but d’aider les producteurs et les commerçants à équilibrer l’offre et la demande à tel ou tel marché et de limiter ainsi des fluctuations excessives des prix. En général, les intermédiaires reçoivent assez vite l’information sur les prix aux différents marchés grâce au grand nombre de par-colis qui passent. Le marché des légumes est moins transparent que celui du manioc et des céréales. Le marché des haricots, du maïs, du riz et de l’huile de palme, à savoir des produits hautement standardisés, est relativement transparent: l’information du marché et la connaissance des prix sont meilleures, les marges de détail sont basses, et on ne discute pas le prix. Les vivres peu standardisés comme le manioc, les fruits, les légumes et les bananes nécessitent plus d’intervention personnelle, plus de discussion sur les prix et ont des marchés moins transparents. Les commerçants disposent de très peu de sources d’information et la qualité des informations sur les fruits et légumes est généralement médiocre en raison des problèmes de standardisation et des petites transactions. Il est donc difficile de donner des informations valables.

Tableau 7: RATIO ENTRE LA MARGE DE DÉTAIL ET LE PRIX AU CONSOMMATEUR DE 1984 À 1989 (100% = PRIX AU CONSOMMATEUR)


1984

1985

1986

1987

1988

1989

Manioc cossettes Bandundu

17,8

22,3

25,4

32,2

43,3

44,8

Manioc cossettes Bas-Zaïre

12,0

13,4

18,0

20

24,9

34,7

Maïs (grains)

11,5

12,8

16,3

16,1

20,8

15,4

Arachides en gousses

14,6

28

24,8

26,4

20,3

24,8

Riz local

13,7

12,4

15,2

15,6

21,8

22,4

Haricots blancs

11,1

8,3

12,5

24,5

31,5

29,6

Plantains

35,4

19,8

45,8

36,6

20,7

33,6

Huile de palme

20,3

22,1

32,1

34,5

46,1

65,4

Source: Goossens, F. 1994.

Tableau 8: CHANGEMENTS DES PRIX RÉELS À KINSHASA ENTRE JANVIER 1984 ET DÉCEMBRE 1989 (%)

Produits

Demi-gros

Détail

Manioc tubercules séchés

-16

+22

Manioc farine

-

+38

Maïs (grains)

+5

+13

Arachides en gousses

+65

+65

Haricots

-4

+33

Riz local

+17

+31

Huile de palme

-48

+11

Plantains

+44

+36

Feuilles de manioc

-

+63

Source: Goossens, F. 1994.

4.2.3 - Les prix

Pour la fixation des prix, le marchandage est d’usage courant au marché de détail. Le prix est discuté dans 70-80% des cas. Pour les produits qui sont peu standardisés, tels que les fruits et légumes, le marchandage est même utilisé par 80-100% des détaillants. Au marché des céréales, le marchandage est moindre: les vendeurs de riz, de haricots et d’huile de palme discutent dans 50-60% des cas. Le processus de formation des prix par marchandage est une pratique courante et même indispensable au marché des produits périssables. C’est la seule façon d’arriver à un accord sur le prix d’un produit non standardisé.

Durant la journée, les prix changent. Le matin, les prix sont plus élevés et sont stables jusqu’à midi. Dans l’après-midi, ils enregistrent une baisse. Les détaillants baissent les prix vers la fin de la journée afin de récupérer leur argent, d’éviter des pertes, etc. Le matin, le vendeur est plus intransigeant sur le prix minimum qu’il peut accepter. Pour les tubercules séchés de manioc, les prix à la fin de la journée sont de 6 à 10% inférieurs à ceux du matin, et pour les légumes les différences sont beaucoup plus importantes. Pour les céréales, la différence varie de 3 à 4%. La pratique du “matabish” consiste à ajouter une petite quantité du produit acheté en guise de remerciement, surtout avec un client habituel. La pratique est très fréquente au marché des fruits et légumes.

D’une manière générale, les prix des vivres sont élevés à Kinshasa. Le manioc est vendu à 0,5 dollar le kg pour les tubercules séchés. Les prix au détail des légumes dans le secteur formel sont exorbitants: les tomates importées étaient vendues à 4,5 dollars le kg, les carottes à 3 dollars le kg en janvier 1996 par le magasin “select”. Aux marchés de détail aussi, les prix des légumes sont généralement élevés (voir tableaux 6, 7 et 8): souvent, le prix fluctue autour de 1 à 2 dollars le kg pour des produits tels que les tomates, les pommes de terre ou les aubergines locales. Ceci est élevé pour un pays où les conditions sont extrêmement favorables à la production et les zones de production se trouvent souvent à quelques kilomètres du marché de détail. La principale raison pour ce niveau de prix est la marge de commercialisation élevée.

4.2.4 - Les marges

La marge de distribution des produits vivriers peut être évaluée sur la base de trois critères:

Comme le démontre le tableau 6, la marge de collecte et de transport aussi bien que la marge de distribution sont larges et contribuent au prix élevé à la consommation. A la fin des années 80, les agriculteurs dans les régions du Bas-Zaïre et du Bandundu recevaient 20 à 40% du prix au consommateur pour le manioc, 30 à 35% pour le maïs, 30 à 60% pour l’arachide. En 1996, le prix au producteur est seulement de 50% du prix au consommateur en moyenne pour certains légumes-feuilles en provenance du milieu périurbain (distance de 3 à 15 km), ce qui est extrêmement élevé, étant donné les courtes distances jusqu’au consommateur urbain.

Le tableau 7 démontre l’évolution de la marge de distribution entre 1984 et 1989. Depuis 1984, la situation s’est dégradée. En 1984-1985, la marge de distribution était de 11 à 20% du prix au consommateur, en 1988-1989 par contre, elle variait de 20 à 40% pour la plupart des produits, ce qui est exagéré pour ce type de commerce de détail. Le tableau 8 démontre que la détérioration trouve son origine au niveau de la distribution: les prix à la consommation augmentent beaucoup plus vite que ceux du demi-gros. Riley (1972) considère des marges pour le commerce de détail de 5 à 15% à Cali (Colombie, Amérique Latine), dans un système de commercialisation très semblable à celui de Kinshasa, comme acceptables. A Kinshasa, la situation est tout à fait différente.

La marge de distribution doit couvrir les frais de distribution, le remboursement des investissements, le profit rétribuant la prise de risques, la rémunération de la main-d’oeuvre, et les frais de transformation. Les tableaux 9 et 10 présentent la structure de la marge de distribution. Les frais directs et mesurables des détaillants ne sont pas tellement élevés, mais l’échelle du commerce, c’est-à-dire la quantité vendue par jour, est très petite. Par conséquent, les détaillants ont besoin d’une grande marge nette afin de gagner un revenu acceptable (1 à 1,5 dollar par jour). De façon générale, la marge brute est de 33% du prix de vente, la marge nette de 10%.

Tableau 9: STRUCTURE DES RECETTES ET DES DÉPENSES DES DÉTAILLANTS SUR LES MARCHÉS DE KINSHASA EN OCTOBRE 1990 (EN DOLLARS PAR JOUR)



Produits vendus

Moyenne


Manioc

Maïs

Riz

Arachides

Haricots

Recettes vente

15,6

19,8

16,0

15,5

15,8

15,8

Dépenses achat

10,4

13,2

13,6

10,9

14,7

12,0

Bénéfices bruts

5,2

5,6

2,4

4,6

1,1

3,8

Frais

2,6

2,3

1,8

2,2

1,9

2,2

Bénéfices nets

2,6

3,3

0,6

2,4

-0,8

1,6

Source: Goossens, F. et al. 1994.

Tableau 10: STRUCTURE DES RECETTES ET DES DÉPENSES DES VENDEURS DE LÉGUMES SUR LES MARCHÉS DE DÉTAIL DE KINSHASA


Dollars par mois

%

Recettes

335

100

Dépenses achats

214

63,9

Bénéfices bruts

121

36,1

Frais


3


Transport commerçant

10

2,5


Transport produits

8,5

0,3


Stockage

1

0,3


Emballage

1

0,9


Taxes

3

0,5


Table

1,5

2,4


Inflation

8

9,9


Pertes

33

19,8

Total

66

16,3

Bénéfices nets

55

16,3

Source: Goossens F. et al. 1994.
La taille des commerces est trop petite, ce qui fait que les marges sont nécessairement devenues trop grandes pour garantir un revenu minimal. Les causes principales de ces coûts élevés sont le grand nombre des intermédiaires, la faible quantité traitée par chacun, le manque d’une compétition efficace, le va-et-vient inutile, le manque de standardisation des poids, des mesures et des emballages, nécessitant un contrôle exhaustif à chaque échange, les nombreuses pertes de produits, et le manque d’informations objectives sur les marchés. La diminution de la quantité vendue par détaillant, qui gonfle les frais par unité de produit, s’explique à son tour par:

Ce sont surtout les plus démunis qui souffrent du manque d’efficacité dans la distribution, car leur maigre revenu ne leur permet pas de s’approvisionner aux marchés de demi-gros.

4.2.5 - Le comportement

Dans la théorie économique, on suppose toujours que, si le nombre de commerçants augmente, il y a plus de concurrence et les marges baissent. Ceci ne semble pas être le cas au Zaïre en raison du comportement des détaillants: ils évitent une compétition basée sur les prix, et se partagent le marché.

Dans leur extrême environnement social, les détaillants à Kinshasa ont adopté un comportement de “vivre et laisser vivre”: 97% des détaillants disent pratiquer le même prix que leurs collègues et 60% se mettent d’accord entre eux. Ce comportement est dans l’intérêt de tous: une situation stable au marché garantit un revenu bas mais régulier, chacun est membre d’un groupe ce qui facilite l’accès au crédit, l’accès aux systèmes d’épargne et de solidarité. Un commerçant, ayant beaucoup de succès, préfère s’orienter vers un produit plus rentable ou plus prestigieux, plutôt que de faire de la compétition au même niveau. La situation est stable aussi longtemps que personne n’utilise le prix comme instrument de compétition. De plus, un groupe de détaillants pourrait toujours prendre des sanctions sociales ou autres contre des détaillants cassant les prix. Dans la société africaine, le contrôle social du groupe sur l’individu est considérable.

Des pratiques collusoires sont souvent attribuées à la présence de groupes ethniques, organisés le long des chaînes de commercialisation. Au Zaïre, par exemple, le poisson séché et fumé est souvent vendu par les Lokele, Ngombe et Mbunza, groupes ethniques vivant au bord du fleuve Zaïre, le fumbwa (légume-feuille) est vendu par les Basengombe, les chèvres et les moutons par les Bakongo, les haricots par les ethnies du Kivu et du Haut-Zaïre, le riz local par les tribus du Haut-Zaïre et de l’Equateur, et les bananes par les groupes du Bas-Zaïre et du Haut-Zaïre. Ainsi les transporteurs et les colporteurs opèrent dans leur région d’origine.

Il existe des profils spécifiques des détaillants et des semi-grossistes selon le produit qu’ils vendent:

L’homogénéité relative des caractéristiques des commerçants dans chaque segment et à chaque niveau du marché des vivres, est due à une organisation hiérarchique de la chaîne en termes de statut social, rentabilité et investissements de base. Le commerce du manioc et du charbon est situé à la base de la pyramide, le commerce des haricots, du riz et du poisson fumé au sommet. Les détaillants disposant de suffisamment de moyens financiers n’investissent pas dans un travail déprécié, ni dans le commerce de manioc, de légumes, etc. Il en résulte que dans chaque section du marché, les commerçants sont relativement homogènes en ce qui concerne les caractéristiques personnelles, les moyens, la taille de l’entreprise, le comportement, la stratégie, etc. et il y a peu d’innovateurs. Dans une situation semblable il y a peu de compétition.

En conséquence, nombreuses sont les personnes en insécurité alimentaire sur les marchés de détail surtout dans le commerce du manioc et du charbon, en raison du travail qui est méprisé, dans le commerce des légumes car l’investissement est limité, et dans le micro-détail.

4.3 - Les par-colis

Le système de collecte, de transport, et de distribution en demi-gros est basé sur de petits commerçants ambulants ou des colporteurs qui opèrent à moindre frais fixes. Ils sont appelés par-colis, lutteurs ou lolema et ils constituent un facteur important de compétition dans le système. Les par-colis sont les opérateurs dominants dans le secteur de la commercialisation des produits (semi-)périssables, tels que les fruits, les légumes, les bananes et aussi le manioc.

Les par-colis sont généralement des jeunes hommes avec un niveau d’études plutôt bas, qui vont souvent acheter des produits dans leur région d’origine. Il peut y avoir un, ou éventuellement deux intermédiaires entre le producteur et le consommateur, c’est-à-dire le collecteur-revendeur et le détaillant. Les collecteurs-revendeurs n’ont pas de propre moyen de transport et ont généralement peu de fonds de roulement. Ils louent un camion en groupe et procèdent à des achats sur les lieux de production. Ils achètent directement auprès du paysan et revendent souvent au détaillant et même au consommateur. L’achat des produits se fait aux marchés ruraux ou dans les villages, de porte à porte. Après leur arrivée en ville, les par-colis vendent leurs produits sur les “parkings” qui sont en fait des marchés de demi-gros. Il n’y a pas ou peu de par-colis spécialisés uniquement dans le transport des fruits et des légumes. Habituellement, ils transportent le manioc, le maïs, l’arachide et une petite quantité de légumes (souvent feuilles de manioc) et de fruits. Les commerçants spécialisés en légumes sont actifs dans les régions du Bas-Zaïre et du Kivu où il y a une certaine spécialisation dans la production horticole. Les par-colis qui commercialisent les produits périssables, opèrent sur une échelle beaucoup plus limitée que leurs collègues dans le secteur du manioc ou des céréales. Certains par-colis opèrent sur les bateaux du fleuve et apportent surtout des bananes plantains. Il y a aussi des voyageurs qui parfois transportent en avion de petites quantités à partir du Kivu, surtout des carottes, des poireaux et des choux.

Il existe également un circuit informel qui lie l’horticulteur et l’agriculteur urbain et périurbain au consommateur urbain. Les horticulteurs vendent les produits sur champ, par “plate-bande” et l’acheteur récolte les produits lui-même pour les vendre en ville. Les maraîchers évitent souvent les risques de commercialisation. Parfois, ils récoltent leurs produits et partent eux-mêmes vers les marchés pour vendre aux consommateurs ou aux détaillants. Les ménages, ayant des parcelles de case, vendent parfois de petites quantités aux voisins et sur le marché du quartier en cas de surplus ou d’un besoin d’argent. Le commerçant se déplace à pied, en vélo, en bus, etc. sur une distance de quelques kilomètres. Généralement il s’agit de femmes qui ne transportent que de très petites quantités de légumes. Ce circuit domine l’horticulture périurbaine des villes, et souvent il n’y a qu’un seul intermédiaire entre l’horticulteur et le consommateur.

Les seuils d’entrée dans la profession sont presque inexistants: 60% des par-colis n’ont pas de permis d’achat, ils paient seulement des taxes sur les parkings, et exercent le métier depuis peu de temps. Ceci explique la forte augmentation du nombre de par-colis durant ces dernières années. Souvent, ils obtiennent les produits agricoles à crédit dans leur village, et ils ne payent le transport qu’après la vente de leurs produits en ville. Il est évident que ce sont les personnes en insécurité alimentaire qui essaient de développer ce type d’activités, bien que les conditions de travail soient extrêmement difficiles et souvent dangereuses étant donné l’état des routes et les conditions de voyage.

En conclusion, le circuit des par-colis s’est développé comme une réponse locale aux contraintes du système de collecte, de transport et de distribution en demi-gros des produits vivriers périssables et semi-périssables. Ce système de commercialisation fonctionne sans marchés de collecte bien organisés, sans crédits, sans infrastructures de distribution, mais réussit à nourrir Kinshasa tout au long de l’année.

4.4 - Les semi-grossistes

Les semi-grossistes achètent un certain nombre de sacs, ils en organisent le transport vers leur dépôt et ils les revendent par petites unités ou à la pièce aux détaillants et même aux consommateurs. Environ la moitié des semi-grossistes sont locataires de leur dépôt, les autres sont propriétaires. Ils ne disposent pas de moyen de transport. Etant donné que le but principal est d’approvisionner le commerce de détail, les dépôts se situent autour des grands marchés de détail. Les semi-grossistes s’approvisionnent principalement dans les zones de la Gombe, de Kinshasa et de Limete où se trouvent la plupart des grossistes. Les semi-grossistes avec dépôt se situent dans le circuit des produits qui arrivent par bateau, sont importés ou arrivent par camion mais qui ne sont pas directement vendus sur les parkings et qui passent par les grossistes puis par les semi-grossistes.

Les entreprises de demi-gros font généralement partie du secteur informel. Leurs faiblesses sont l’absence de comptabilité dans beaucoup de cas, la comptabilité se réduisant à l’enregistrement des recettes, l’absence de réinvestissements et même d’amortissements, les profits étant utilisés pour subvenir aux besoins immédiats de consommation des propriétaires et de leurs familles. L’utilisation des fonds de roulement pour résoudre les problèmes familiaux est fréquente, ce qui empêche une planification à long terme. Le mélange des fonds familiaux et commerciaux pose une lourde hypothèque sur la stabilité et la santé financière des entreprises. Le point fort de ce secteur est son dynamisme.

La valeur d’une transaction d’achat des vivres est en moyenne de 550 dollars. Cette quantité est vendue en 7,2 jours. Le chiffre d’affaires est de 92 dollars par jour. La marge moyenne entre la valeur d’achat et la valeur de vente est de 22%. La marge brute par jour est de 60 dollars, ce qui est très élevé du fait qu’il n’y a guère de frais et qu’on ne produit généralement pas ou guère de valeur ajoutée.

La structure du commerce de demi-gros est atomistique, mais il y a des barrières à l’entrée. Pour les candidats semi-grossistes, trouver des fonds de démarrage semble constituer la plus grande difficulté. Environ 80% d’entre eux renouvellent les stocks avec leurs propres moyens. Les personnes, se trouvant dans une situation d’insécurité alimentaire, n’ont pas accès à ce type de commerce. De ce fait, le nombre de semi-grossistes fluctue en fonction de la situation économique: il y a surtout des investissements de la part des familles avec des moyens financiers mais sans opportunités d’investissement. Ceux qui ne disposent que de leur capital humain, s’orientent vers le commerce de détail ou le secteur des colporteurs.

4.5 - Les grossistes

Les entreprises des grossistes sont généralement anciennes, solidement implantées dans le pays depuis l’époque coloniale ou de création plus récente depuis la zaïrianisation de 1974. En effet, la plupart des maisons de gros ont été mises sur pied par des intérêts étrangers, souvent comme succursale ou filiale d’une entreprise étrangère. Avec la zaïrianisation, toutes ces entreprises ont été confiées à un acquéreur zaïrois. Après l’échec de la plupart d’entre elles, le gouvernement avait décidé à l’époque de radicaliser la zaïrianisation, c’est-à-dire de confier les entreprises zaïrianisées en difficulté à l’Etat. Quelques années après, la politique de rétrocession aux anciens propriétaires a succédé à l’aventure malheureuse et certains grossistes d’origine non zaïroise ont repris leurs affaires, souvent en association avec un partenaire zaïrois.

La caractéristique principale des grossistes est qu’ils sont toujours verticalement intégrés, avec des succursales et des représentations à travers le pays et la maison mère le plus souvent en Europe, au Moyen-Orient ou en Asie. Beaucoup sont également intégrés horizontalement; ils s’occupent de plusieurs produits relevant de la même branche ou de branches apparentées. Cette intégration permet d’échapper en partie à la taxation sur le chiffre d’affaires (C.C.A. de 3 à 20% selon le produit) à chaque vente des produits lorsqu’une facture de vente est établie. Ainsi, un produit importé par la société mère en Europe et vendu à un client dans une ville à l’intérieur du pays peut être passé par plusieurs établissements de la même société, mais finalement la C.C.A. ne sera payée que deux fois, à l’importation lorsque les droits, les taxes d’importation sont acquittées et lors de la vente finale au client. C’est ainsi que l’importation de produits vivriers est toujours l’affaire de grossistes.

Les grossistes sont également actifs dans les produits d’origine locale qui nécessitent une transformation industrielle ou un conditionnement spécialisé, comme par exemple le maïs, les arachides, le riz, l’huile de palme et les produits d’exportation comme le café, le cacao, le caoutchouc, le thé et le quinquina. Ils s’occupent rarement du manioc, produit vivrier principal, mais s’ils le font, c’est au deuxième plan, seulement pour approvisionner leurs propres travailleurs et employés. Au Zaïre, le manioc ne subit aucune transformation industrielle et le caractère semi-périssable des cossettes de manioc ou de la farine exclut un stockage dépassant un mois.

Les grossistes disposent généralement d’une infrastructure commerciale et d’une infrastructure de transport importantes. Ceux qui se spécialisent dans l’importation ont généralement une source importante de génération de devises, à savoir le commerce de l’or, des diamants, du café, etc. Une seule grande entreprise approvisionne la capitale et beaucoup de villes à l’intérieur du pays en produits congelés (poisson de mer, viande bovine, poulets et autres produits). Environ 200 grands camions frigorifiques et 400 chambres froides à Kinshasa assurent une chaîne du froid ininterrompue. Les économies d’échelle à l’importation et la maîtrise technique et économique de la distribution des vivres importés sont en contraste avec la commercialisation des produits d’origine locale, et surtout avec le système de commercialisation du manioc caractérisé par l’absence de vrais grossistes.

Pour les produits vivriers achetés en milieu rural, les grossistes font usage d’un réseau de dépôts, de camions, d’infrastructures portuaires (quai privé, grues), de bateaux ou de baleinières, de magasins et d’usines de conditionnement ou de transformation. Ils sont particulièrement importants pour le maïs et le riz. Pour ces deux produits, il existe une dizaine de grossistes influents, disposant d’un réseau d’achat, de stockage et de transport et d’unités de transformation. Les achats se font par des commissionnaires ou des employés de la société. Pour le maïs, les moulins se trouvent presque toujours au principal centre de consommation en ville, tandis que pour le riz, les usines de décorticage sont souvent situées dans la ville la plus proche des lieux de production. Ce sont ces mêmes grossistes qui s’occupent également de l’importation de ces produits en cas de nécessité et si l’opération est rentable. Pour le maïs, le principal grossiste est la Gécamines à Lubumbashi, société para-étatique d’exploitation du cuivre et des minerais associés, qui fournit la farine de maïs à ses travailleurs et à ses employés comme partie intégrante du salaire. Cette même société importe annuellement des quantités importantes de maïs de l’Afrique australe, même lorsque la production nationale est suffisante.

Les grossistes approvisionnant Kinshasa de l’intérieur du pays utilisent presque toujours des bateaux ou des baleinières, sauf au Bas-Zaïre. Au Bandundu, ces bateaux/baleinières ont généralement moins de 100 tonnes de charge utile, tandis que pour les autres régions, ils dépassent les 100 tonnes. L’Equateur et le Haut-Zaïre fournissent surtout de l’huile de palme, du maïs et du riz, tandis que les haricots, les légumes et le bétail viennent surtout du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.

Les grossistes travaillent à grande échelle, aussi bien dans l’usinage que dans le transport et la distribution. Les secteurs de commerce dans lesquels les grossistes sont importants (maïs, riz, haricots) ont généralement une performance bien meilleure que celle des sous-secteurs (manioc) caractérisés par l’absence ou la moindre importance des grossistes. L’importation et la distribution urbaine du poisson frais et du poulet sont d’une importance cruciale pour les familles qui se trouvent en insécurité alimentaire. De plus, ces produits sont riches en protéines, tandis que le Zaïre et surtout les centres urbains en sont déficitaires.

4.6 - La sécurité alimentaire et le commerce

L’insécurité alimentaire massive a un impact considérable sur la structure du circuit de commercialisation et de distribution des vivres à Kinshasa:

Les marchés de détail se rapprochent du modèle du marché libre tel que décrit dans la littérature économique: un grand nombre de vendeurs et d’acheteurs, de l’atomicité, l’absence de barrières d’entrée et de sortie, une certaine transparence, l’absence de monopoles, etc.; le problème majeur est qu’il n’y a que très peu de compétition entre les commerçants qui évitent les risques et préfèrent la solidarité entre eux, d’où il résulte une hausse des marges de distribution.

4.7 - Conclusion: Une faible performance du circuit de distribution

En ce qui concerne la commercialisation des vivres, des légumes et des fruits, on a constaté que la performance du circuit est faible. Les indicateurs de cette faiblesse sont les suivants:

Plus spécifiquement pour le secteur des fruits et des légumes, on peut conclure que:

Les raisons de la faible performance du secteur de commercialisation des produits vivriers, se trouvent à tous les niveaux de la chaîne de commercialisation.

Au niveau national, la situation socio-économique est évidemment fort défavorable. Un système de commercialisation efficace nécessite un cadre macroéconomique stable et sain qui conduit à l’investissement à long terme. Plus directement, il y a l’état déplorable des moyens de communication et d’évacuation, des infrastructures et des équipements de transport, et l’inefficacité des services de contrôle et d’encadrement (voir chapitre 2).

La structure de la production vivrière, horticole et fruitière, implique la nécessité d’un secteur informel de commercialisation afin d’organiser la collecte. La structure des unités de production et les petites quantités mises en vente augmentent le coût de collecte et sont peu attractives pour le secteur formel (voir chapitre 5).

Au niveau de la commercialisation, il existe des risques liés au type de produits et à l’absence quasi-totale de technologie de commercialisation, telle que balances, emballage, marchés spécialisés, etc. Les transactions de vente sont petites, ce qui implique qu’un acheteur-collecteur de vivres doit nécessairement visiter un nombre important de producteurs afin de rassembler un lot considérable. Ceci est une première motivation pour le secteur formel de ne pas s’intéresser au secteur des vivres. La qualité des vivres n’est pas standardisée (maturité, variété génétique, méthode de récolte, etc.), ce qui implique qu’il est difficile d’appliquer un prix uniforme: il faut un contrôle strict pour chaque transaction de vente. Ensuite, il faut souvent discuter le prix, ce qui augmente le temps nécessaire pour les transactions. Il est d’ailleurs difficile d’envoyer un employé payé pour faire ce genre de transactions d’achat. Ceci est une deuxième motivation pour le secteur formel pour ne pas s’intéresser au secteur des vivres. Aux problèmes du morcellement et de la standardisation de la production, s’ajoutent encore les problèmes des infrastructures de transport, d’une absence des marchés de gros ou de demi-gros à Kinshasa. Par conséquent, les petits commerçants informels détiennent la totalité du commerce, la quantité vendue par jour est extrêmement basse, les marchés sont peu transparents, les marges et les prix élevés. Le nombre de commerçants a fort augmenté en raison de la crise socio-économique qui fait rage au Zaïre. Les commerçants en insécurité alimentaire évitent la compétition des prix. Ils préfèrent une paix sociale entre les commerçants. Il y a donc une absence quasi-totale de compétition et la quantité vendue par jour est extrêmement basse, ce qui aboutit dans une hausse des marges de distribution. La dominance des petits commerçants résulte en une absence de technologie de commercialisation.

Au niveau de la consommation, la demande de la majorité de la population urbaine a les caractéristiques suivantes: une demande restreinte pour les services du marché, et une demande pour les produits les moins chers (voir chapitre 3).

4.8 - Questions

1. Décrivez le circuit de commercialisation et de distribution des vivres à Kinshasa. A quels niveaux de la chaîne de commercialisation (détaillants, semi-grossistes, grossistes, etc.) l’insécurité alimentaire massive a-t-elle un impact?

2. Comment les détaillants se comportent-ils vis-à-vis de leurs collègues?

Pourquoi est-ce que ce comportement aboutit à une marge de distribution plus élevée?

3. Dans une situation d’insécurité alimentaire, l’efficacité sociale devient plus importante que l’efficacité économique. Expliquez.


Page précédente Début de page Page suivante