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1. Justifications socio-économiques de l'emploi d'une formule de crédit en pisciculture

1.1. Conditions à remplir en vue d'une intensification

Pour intensifier ses productions tout pisciculteur doit nécessairement répondre aux conditions suivantes :

Il existe en Centrafrique des pisciculteurs qui réunissent pratiquement toutes ces conditions mais leur nombre est très limité pour des raisons d'ordre économique et social que nous évoquons ci-dessous.

1.2. Problèmes d'ordre économique

Beaucoup de paysans en Centrafrique pratiquent une agriculture vivrière de subsistance dans laquelle s'intègre très bien la pisciculture familiale mais qui ne favorise pas l'intensification des productions. Peu d'excédents sont vendus et les ressources monétaires proviennent essentiellement des cultures industrielles (coton, café, arachide, sésame).

Les fonds disponibles pour les achats d'aliments sont très limités.

Par ailleurs il n'existe pas de réseau de commercialisation d'aliments pour l'élevage en République Centrafricaine et pratiquementtout ce qui est disponible comme tourteaux est dirigé sur Bangui ou traité seulement à Bangui (drèches de brasseries etc…). Dans certaines villes du pays on trouve en quantité limitée, du son de riz de la poudre d'os et de la farine de sang fabriqués de façon artisanale, des graines de coton provenant d'une usine d'égrenage etc… mais seuls les pisciculteurs qui habitent dans les environs immédiats peuvent en bénéficier. Aucun transporteur privé ne se charge de les distribuer et les camions de la société cotonnière ne s'encombrent pas de graines de coton délintées pour les redistribuer aux pisciculteurs lors de la campagne d'achat.

Les routes sont peu praticables en saison des pluies et la densité de la population est faible, concentrée tout au long des routes qui sillonnent le pays. En dehors des quelques grandes agglomérations il n'est donc pas justifié de créer des magasins d'aliments. Des taxis brousses sillonnent les routes du pays pour les transport de personnes d'une ville à l'autre mais des taxis urbains proprement dits-n'existent qu'à Bangui, ce qui rend les transports d'aliments tributaires d'accords occasionnels avec l'un ou l'autre transporteur.

Il semble donc qu'actuellement en dehors des grandes villes du pays et de quelques agglomérations de moyenne importance, il n'est pas toujours possible de se procurer des aliments pour poissons.

Or l'intensification des productions piscicoles est bien entendu liée à une amélioration de l'alimentation des poissons. Il est donc essentiel de favoriser partout où les conditions locales le permettent, les ventes d'aliments aux pisciculteurs. Il est permis de supposer que le développement économique du pays permettra dans quelques années la mise en place d'un réseau de distribution d'aliments. Pour ce faire et pour accélérer sa mise en place, il est nécessaire de créer et de préciser une demande au niveau des pisciculteurs qui auront tenté l'expérience, aidés en cela par le service piscicole national.

Ces pisciculteurs modèles, par leur exemple, démontreront la rentabilité d'une exploitation intensive et inciteront les autres à mieux alimenter leurs poissons, créant ainsi une demande sur le marché national qui tôt ou tard incitera l'un ou l'autre transporteur privé à assurer le transport et la vente des aliments demandés.

1.3. Problèmes d'ordre social

En admettant que tous les pisciculteurs aient accès à des aliments pour poisson toute l'année ce qui n'est pas le cas sauf à Bangui ils ne disposent pas d'une somme suffisante pour acheter un gros stock d'aliments et encore moins pour investir dans de nouveaux bassins. La raison principale en est que l'épargne est traditionnellement très difficile à réaliser en Afrique où les paysans sont constamment soumis à une pression familiale de plus en plus forte au fur et à mesure qu'ils s'enrichissent. Il leur est pratiquement impossible dans leur milieu de refuser une aide financière à un parent ou un proche s'ils en ont les moyens, sous peine de sanctions sociales sévères imposées par la tradition et admises par tous. Ainsi plus il a d'argent disponible plus grande sera sa famille au sens large du terme, y compris les cousins, frères de villages et autres “proches”. Cette obligation sociale profondément ancrée dans les esprits par tradition du fait de l'organisation sociale antérieure en tribus, dépendant des meilleurs chasseurs et pêcheurs et où chacun avait sa place dans une société autarcique est l'obstacle majeur à surmonter ou à contourner pour intensifier les activités agricoles du pays. Elle favorise la formation et la prise en charge de nombreux parasites sociaux par les paysans les plus actifs qui sont freinés dans leurs efforts d'intensification et d'expansion par la part toujours croissante d'autoconsommation familiale qui découle d'une telle situation et qui les empêche de réinvestir des produits qu'ils auraient pu vendre pour leur compte.

On pourrait s'expliquer facilement que, placé dans de telles conditions, personne n'ait envie de travailler au delà de son auto-subsistance puisqu'on ne retire aucun avantage apparent d'un surcroit de travail. Dans la tradition africaine, sachant que la position sociale d'un individu est en relation directe avec le nombre de personnes à charge qu'il entretient, ce raisonnement n'est pas toujours d'application : l'attrait d'une position sociale élevée assurant une grande notoriété est un motif suffisant pour chercher à intensifier ses productions. Par conséquent le problème à résoudre est celui du rapport de vitesse entre la croissance de la famille au sens large et la croissance et l'amélioration des exploitations individuelles qu'elles soient piscicoles ou autres. S'il est possible d'arrêter momentanément ou de freiner la croissance de la famille et d'accélérer celle des exploitations individuel-les l'intensification recherchée aura lieu. Pour ce faire il faut que les productions (du moins la majeure partie) soit inaccessibles à la famille et la formule de la croissance des exploitations intensifiées par l'endettement s'impose d'elle même.

Cette formule de l'endettement est originale en pisciculture Centrafricaine, mais elle existe depuis des années dans toutes les villes d'Afrique où les fonctionnaires, soumis aux mêmes contraintes sociales ont adoptés le système des “tantines”. Pour pouvoir s'équiper ils doivent rendre leur salaire inaccessible, aussi formentils des groupes de 5 à 10 personnes, dont chaque membre touche chacun son tour le salaire mensuel (ou une quote part déterminée par le groupe) de tous les membres. Il sera en difficulté permanente une grande partie de l'année et ne pourra accueillir de nouveaux “proches parents”. Le jour où il touchera son argent il se hatera de l'investir dans l'object de ses convoitises rendu enfin accessible par ce système original de crédit.

Le principe de cet endettement à la fois obligatoire et librement consenti a donc été créé par les africains eux même pour se protéger d'eux-même et des traditions trop fortes qui les empêchent de s'équiper et d'investir. On le retrouve sous une autre forme lorsqu'une société qui a le monopole d'état achète les productions à un prix tel qu'il tient compte des biens et services fournis pour produire plus dans de bonnes conditions. (Le paysan reçoit gratuitement les engrais, les semences et les produits phytosanitaires, mais il les paye en réalité en vendant ses productions à un cours inférieur à sa valeur). Parmi les 2 exemples précités, dans la première formule qui concerne les fonctionnaires et tous ceux qui touchent un salaire mensuel fixe, la notion de crédit est évidente et bien comprise par tous. Dans la seconde, celle où les paysans touchent leur argent après la campagne d'achat annuelle, ils remboursent souvent sans le savoir le crédit accordé sous forme de biens et services. Or il est très important que la notion de dette soit bien percue par le paysan si on envisage d'utiliser une formule de crédit queleonque pour développer la pisciculture, car ce crédit doit être remboursé par le paysan. Faute de cela, le fond disponible à cette fin risque d'être dilapidé rapidement. Fort heureusement dans le cas des paiements de dots qui très souvent ne sont payées entièrement que longtemps après le mariage, cette notion de dette est parfaitement comprise et la dot est remboursée à quelques exceptions près sanctionnées par la famille.

Différentes formules de crédit sont donc d'usage courant en Afrique et il doit être possible d'en adapter l'une ou l'autre aux besoins d'équipement et d'intensification des piscicultures Centrafricaines.


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