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5. Quelles politiques d’approvisionnement et de distribution alimentaires pour la sécurité alimentaire des villes à l’an 2020?


5.1 - Le choix d’un approvisionnement des villes à partir de ressources nationales, régionales ou internationales?
5.2 - Le rôle du gouvernement et ses institutions
5.3 - La décentralisation des pouvoirs
5.4 - Comment favoriser l’emploi et à quelles conditions?
5.5 - Le rôle des organismes financiers
5.6 - L’information et sa gestion

5.1 - Le choix d’un approvisionnement des villes à partir de ressources nationales, régionales ou internationales?

Le débat peut s’exprimer de la façon suivante: quel est le degré de pertinence d’une approche de stratégie de sécurité alimentaire des populations urbaines d’Afrique subsaharienne, fondée exclusivement sur des ressources nationales, alors que l’heure est à la mondialisation ou à la régionalisation comme réaction à la mondialisation?

Trois constats s’imposent. La régulation agricole et alimentaire sur un plan strictement national est peu efficace comme en témoignent les importants flux transfrontaliers informels qui régulent les approvisionnements dans la région et notamment vers les villes. Le commerce intra-régional régulier est très faible, puisqu’il représente en moyenne 5 pour cent du total des exportations et des importations enregistrées dans la zone. Celui-ci n’a pas progressé depuis vingt ans malgré la création de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) en 1975. Certains facteurs expliquent la faiblesse de ces échanges: infrastructures de transport et de communication défaillantes, manque d’informations sur les marchés, politiques commerciales et monétaires non stimulantes, manque de réglementations cohérentes, coûts excessifs, etc. Les échanges avec l’extérieur du continent restent dominants, notamment avec les anciennes métropoles. Ces échanges procurent une part déterminante des ressources budgétaires et surtout les précieuses devises nécessaires au règlement des biens d’importations nécessaires à la production, la transformation, et la distribution des biens alimentaires.

L’idée d’intégration régionale en matière de sécurité alimentaire remonte aux années 80, mais la mise en oeuvre des programmes est très lente. La forme d’intégration peut revêtir plusieurs formes:

Actuellement, les proclamations d’intention vont dans le sens d’une union économique, mais les résultats ne sont pas conformes aux traités.

Les échanges régionaux de produits alimentaires ont toutes les chances de réussite car ils bénéficient d’un certain nombre de facteurs favorables:

L’union économique doit dépasser un certain nombre de contraintes qui réclament une volonté politique et du temps. Citons principalement les contraintes liées à l’insuffisance des productions et qui limitent ainsi les échanges, la fragmentation politique des Etats, les contraintes économiques qui conduisent les opérateurs à privilégier les produits les plus rentables et non les produits vivriers diversifiés, les contraintes de transport et d’infrastructures routières et commerciales, les contraintes administratives (réglementations différentes, barrages, corruption), les contraintes socioculturelles basées sur la «gérontocratie» (TERPEND, 1993).

Etant donné la somme de travail de concertation et d’harmonisation nécessaire à la constitution de cet espace régional au service de la sécurité alimentaire, on peut difficilement imaginer qu’il soit réalisable dans le court terme. Il est cependant concevable que ces espaces soient des lieux d’harmonisation et de politiques cohérentes de sécurité alimentaire.

Certains auteurs, à juste titre (DELORME, et al., 1995) estiment que l’ouverture totale des pays de la région au marché mondial n’est pas favorable à la sécurité alimentaire de ces populations à moyen terme et à long terme. En effet, malgré le discours libéral, les pratiques sont protectionnistes (notamment par les normes de qualité des produits) et les pays africains ne peuvent pas espérer être compétitifs, sinon au prix d’une paupérisation accrue et d’une exportation de malnutrition urbaine. Les organismes internationaux, apparemment indifférents à la régionalisation, cachent en fait une réelle opposition. Dans la plupart des pays de la zone, le pouvoir ne tire sa légitimité politique que de la structure d’Etat, aussi est-il peu probable que les pouvoirs politiques franchissent le seuil de la profession de foi dans l’union économique. Dans ces conditions, il paraît plus sage de concevoir la coopération régionale comme une voie utile et nécessaire à une ouverture mondiale sur le long terme.

5.2 - Le rôle du gouvernement et ses institutions

Aujourd’hui, les modalités d’application de la libéralisation sont encore ouvertes. L’Etat, qui jadis assumait toutes les fonctions indispensables à la sécurité alimentaire, s’est retiré presque totalement de ces fonctions en libéralisant la production, le commerce, les prix à la consommation, les contrôles, etc. Mais il n’a pas pris de dispositions sur le maintien et l’organisation de services publics indispensables à la bonne marche de l’économie libérale.

L’Etat doit modifier sa conception en passer du rôle d’opérateur économique au rôle de soutien et d’accompagnement. Ce changement de mentalité n’est pas aisé; par ailleurs l’Etat découvre que ses agents ne sont pas forcément formés à ces nouvelles tâches. Enfin, l’Etat inquiet de ne plus maîtriser les opérateurs a conservé une clé majeure de l’économie, qui est le crédit. Sans crédits ou avec des crédits accordés selon une logique de planificateur ou en fonction d’intérêts de groupes de pression, il ne peut pas y avoir une relance de l’économie.

C’est bien là la difficulté. Comment parvenir à la sécurité alimentaire dans un contexte libéral? Les opérateurs privés n’ont aucun objectif social et vont là où leur intérêt est le plus fort. Le rôle de l’Etat est d’assurer les conditions d’une bonne fluidité des marchandises, de bonne qualité et au meilleur prix final. Pour cela, il semble important qu’il légifère le foncier, qu’il investisse dans les infrastructures (routes, eau, électricité, marchés) tout en laissant la gestion au secteur privé, qu’il s’assure de l’existence et de la diffusion de l’information indispensable au jeu de la concurrence, qu’il favorise les groupements professionnels et les associations de consommateurs et mette en place des réglementations à chaque niveau de la chaîne alimentaire. La tâche est tellement immense que l’Etat ne peut pas tout assurer dans le court terme avec les moyens dont il dispose. Un palliatif ou un complément indispensable serait l’appui du consommateur dont il faut éveiller la conscience.

Le retrait total des interventions alimentaires n’est pas souhaitable, dans la mesure où les chocs économiques récents sont certes source d’espoirs, mais ont aussi contribué à une marginalisation croissante de certaines zones et à un appauvrissement de certaines populations. L’Etat a pour devoir d’assurer la sécurité alimentaire de ces populations au moyen de techniques connues, car non solvables, ces populations n’intéressent pas le système privatisé. Encore faut-il les localiser et évaluer leurs besoins.

5.3 - La décentralisation des pouvoirs

La décentralisation des services publics est intervenue en application des recommandations des programmes d’ajustement structurel. Le rôle des administrations centrales a ainsi été réduit au profit des collectivités locales (GNAMMON-ADIKO, 1997). Les Etats ont donc procédé au découpage de l’espace en plusieurs niveaux hiérarchisés: régions, départements, communes. Leurs compétences par rapport aux SADA, couvrent la réalisation d’infrastructures, d’équipements (marchés, abattoirs), de voirie urbaine, ainsi que leur gestion et leur entretien. Elles doivent aussi s’assurer de la fluidité de la circulation aux abords des points de vente, ainsi que de la salubrité des lieux. Le contrôle de la qualité des produits leur appartient aussi la plupart du temps.

La gestion urbaine s’est prioritairement concentrée sur des actions qui ne relevaient pas du secteur de l’alimentation. Aujourd’hui, le ravitaillement des villes en produits alimentaires suffisants et au moindre coût devient une priorité dont les collectivités n’ont pas toujours conscience. Il est vrai qu’elles ont souvent été mises devant le fait accompli: gestionnaires des flux de marchandises, des marchés, de la salubrité des lieux et des produits, responsables du contrôle, sans formation du personnel à ces nouvelles tâches, sans prise de conscience de l’enjeu considérable et de la difficulté de mise en œuvre de nouvelles politiques et surtout sans stratégie pilote.

Pourtant, si l’option de la sécurité alimentaire des populations urbaines devient une priorité affichée, la décentralisation des pouvoirs apparaît comme nécessaire pour que les décideurs et les gestionnaires soient au plus près de l’information et des bénéficiaires des politiques de développement des SADA. Toutefois, une clarification des attributions des autorités locales par rapport aux autorités centrales reste à définir pour ne pas mettre en place des mesures contradictoires et pour éviter le laisser-faire, chacun pensant que le problème posé n’est pas de son ressort.

5.4 - Comment favoriser l’emploi et à quelles conditions?

Un des grands dilemmes pour les sociétés africaines est le démantèlement ou l’appui du secteur informel. Face au monopole d’Etat et à son inaptitude à assurer la sécurité alimentaire de toutes les populations, il s’est créé une économie parallèle dynamique qui a permis l’approvisionnement alimentaire des zones reculées et une adaptation extrême aux conditions des populations marginalisées. Aujourd’hui, on estime que la moitié au moins de l’activité économique est informelle. Outre ses aptitudes dans le domaine de la sécurité alimentaire, ce secteur a l’avantage d’occuper une main-d’oeuvre abondante. Une rationalisation trop poussée, à l’image de ce qui se passe dans les pays développés, ou une réglementation trop dure risque de conduire à l’élimination de certains flux et au chômage.

Cependant, l’informel préserve son système et ses richesses sur la base de l’opacité du marché et d’une désinformation, autant de conditions insoutenables pour une économie libérale; la multiplicité de l’informel allonge la chaîne alimentaire et pèse sur le prix final des denrées alimentaires. Il semble que l’idéal serait de créer des services formels tels que l’informel trouverait avantage à y rentrer.

Certains pensent que le secteur informel a prouvé son efficacité et son adaptabilité; par ailleurs il est utilisateur de main-d’oeuvre abondante. Ils pensent qu’il serait dommageable pour la sécurité alimentaire de déstructurer ce système, et qu’il convient d’apporter un appui à l’informel pour lui donner les moyens de son existence. D’autres pensent qu’aucun système cohérent assurant le meilleur prix aux consommateurs et aux producteurs ne peut se construire dans l’informel. Le maintien de l’informel ne doit pas être un objectif car il ne peut pas y avoir maîtrise de l’information, de l’économie, des finances dans un tel système. Il permet tous les abus et tous les détournements de la loi. Le problème de fond est que ce système a été et est un palliatif utile aux carences de l’Etat en matière de politiques d’emploi, d’investissements en infrastructures, d’organisation du système alimentaire et de l’information; par ailleurs, les agents de l’administration profitent très largement de ce système informel.

La politique la plus efficace serait de s’appuyer sur l’organisation du secteur informel afin de bénéficier de ses aptitudes d’adaptation au milieu, tout en l’amenant par une législation et une réglementation attractives et non systématiquement répressives à se formaliser de lui-même. Le maintien de l’emploi dans les milieux urbains est à ce prix.

5.5 - Le rôle des organismes financiers

Le bon fonctionnement d’un SADA est lié à deux ressources de base des échanges: les informations et le crédit. Etant donné les carences importantes dans ces deux domaines, les producteurs et les commerçants ont développé un réseau dense de relations informelles de façon à se garantir l’accès à ces ressources. C’est ainsi que l’on a un «dualisme financier».

Théoriquement, le secteur formel se rapporte à un système organisé, centré sur les zones urbaines, et capable de satisfaire les besoins financiers de l’économie moderne. Le secteur informel, non institutionnel, serait réservé aux zones rurales, à l’économie traditionnelle et aux activités commerciales marginales. La situation réelle semble être bien plus complexe et il est difficile de tracer une ligne de démarcation entre ces deux secteurs.

Le développement de l’informel dans le secteur financier peut s’expliquer par deux facteurs:

Dans le cas particulier des SADA, les bailleurs de fonds sont fréquemment les grossistes, qui possèdent les moyens financiers les plus importants. Le deuxième type se trouve à l’intérieur du groupe ayant les mêmes caractéristiques que le demandeur (même groupe ethnique, même origine rurale, même activité professionnelle). Le troisième type peut être une organisation fondée sur des règles établies d’un commun accord par ses membres; l’organisation collecte les fonds d’épargne et distribue des crédits, ce sont des associations mutuelles, des tontines etc.

Tous les secteurs des SADA seront dans l’impossibilité de se développer si le secteur financier ne parvient pas à faire en sorte que les institutions qui le composent, apportent leur appui à un grand nombre de petits agents du secteur privé au lieu de n’être au service que d’un petit nombre d’organismes, du secteur public essentiellement.

La mise en place d’un mode dynamique et innovant de financement de la commercialisation est un problème vital pour la formalisation du secteur privé. L’objectif est d’adapter le système de financement aux spécificités du commerce des produits alimentaires (TERPEND, 1993). Il s’agirait de développer des instruments de financement au sein d’un réseau de banques tels que des crédits à court terme, de campagne, de stockage, des crédits à moyen terme pour l’achat d’équipements, la construction ou l’amélioration de magasins, etc. Leur spécificité doit provenir d’une adaptation aux conditions locales: disponibilités des fonds en fonction des calendriers des ventes, conditions de remboursements liées aux ventes, systèmes de garanties liés aux produits et non au patrimoine ou au salaire, ou s’appuyant sur les systèmes culturels africains (pression sociale).

5.6 - L’information et sa gestion

L’une des principales lacunes des systèmes d’approvisionnement des villes est l’absence d’informations le long de la chaîne alimentaire. Or, l’opacité des marchés favorise les comportements abusifs et la corruption. Les informations circulent par l’informel et sont très cloisonnées.

Au Burkina, les systèmes d’information sont relativement développés par rapport aux autres pays. Il existe cinq groupes d’observation de l’information:

Ces systèmes élaborés ont un intérêt certain pour la connaissance de la chaîne alimentaire, mais leur objectif n’est pas clair: les informations ne sont pas diffusées en retour sur les opérateurs des circuits, et semblent destinées à l’exclusivité du gouvernement pour prendre les mesures d’aide d’urgence, ce qui laisse entendre aux opérateurs qu’il s’agit uniquement d’un contrôle. En conséquence, il se crée en parallèle des réseaux d’informations privés qui inspirent plus confiance aux opérateurs (les informations radiophoniques du SIM ne sont suivies qu’à hauteur de 15 pour cent). Par ailleurs, l’information est fournie brute, sans analyse.

L’information doit passer par les marchés (c’est une des fonctions majeures des mercuriales) mais pour faire la référence, il faut une masse critique. Elle doit être organisée pour que des arbitrages soient possibles sur les marchés, et améliorer ainsi leur efficacité. Ce domaine devrait être du ressort de l’Etat pour éviter qu’elle ne devienne un objet de pouvoir, mais elle doit être conçue pour les opérateurs et non exclusivement pour le gouvernement lui-même.


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