Previous page Top of Page Next Page

XV. ORGANISATION INSTITUTIONNELLE DES SERVICES D'AMENAGEMENT DES BASSINS VERSANTS ET ROLE DES FACTEURS SOCIO-ECONOMIQUES

par

Gurbachan Singh 1/ Penjab (Inde)

1. INTRODUCTION

La préparation et l'exécution d'un programme d'aménagement de bassins versants représentent un problème complexe, qui nécessite la réunion, puis l'analyse, d'une grande masse d'informations sur les conditions physiques, biologiques, économiques et sociales d'une région, ainsi que la collaboration d'un nersonnel expérimenté. Les relations des plantes,du sol et des eaux avec l'exploitation des terres sont assez bien interprétées dans les pays industrialisés, mais beaucoup moins dans les pays en développement où d'immenses étendues ont été ruinées par le surpâturage, le défrichement inconsidéré des forêts et la culture de terres sous-marginales (Figure 1), sans que l'on ait eu apparemment conscience des risques économiques que de tels abus allaient engendrer.

X010F24.jpg (36610 bytes)

Figure 1. En Asie, l'érosion est l'un des problèmes essentiels qui s'opposent au développement de l'agriculture, outre les inondations et la sédimentation qu'elle provoque (Photo FAO - H. Null, Java 1971).

1/ M. Singh était jusqu'à une date récente Conservateur en chef des forêts au Penjab (Inde), 266 Section 9C, Chandigarh (Inde).

2. FACTEURS SOCIO-ECONOMIQUES

Le facteur humain est d'une capitale dans -un programme d'aménagement de bassins versants. Car, dans la plupart des pays en voie de développement, on trouve à l'origine de leur dégradation l'ignorance, l'arriération économique et des systèmes sociaux dépassés. Ce qui a pour conséquences:

Au fur et à mesure qu'augmente la population, les cultures itinérantes progressent et débordent sur des terres plus fragiles et même sur la forêt primitive. Dans bien des cas, la période de jachère forestière est réduite, d'où un épuisement des sols et le remplacement de la forêt par des espèces arbustives inférieures ou herbacées. Ce processus, combiné au feu, est responsable d'une destruction considérable de forêts. La législation et la réglementation n'ont pas réussi à enrayer cette culture nomade ni à ralentir son extension. C'est un problème socio-économique provoqué sous la pression démographique et par manque d'autres moyens de subsistance, qui, dans certains pays, est encore aggravé par la situation politique. De même, la destruction des forêts par le feu procède de l'ignorance et de maux économiques profonds, ai nsi que de la croyance, chez l'autochtone de la forêt, que le feu produira Uri regain d'herbe nouvelle, détruira à la fois les insectes et les fauves mangeurs de bétail, poussera le gibier dans les pièges, ou même, en cas de Sécheresse prolongée, lui concèdera la faveur des dieux de la pluie.

Depuis des temps immémoriaux, les guerres ont été responsables de la destruction des ressources forestières. Chaque fois qu'une forêt était suspectée d'abriter l'ennemi, le sanctuaire qu'elle pouvait représenter était délibérément livré au feu. Mais les gens qui fuient devant la guerre portent eux aussi la responsabilité de mettre le feu à la forêt et de la défricher pour semer leurs cultures de subsistance. Le Viet-Nam est un exemple de cette responsabilité qu'une guerre interminable, aidée de tout un arroi scientifique nourri des dernières trouvailles de la technologie,a eue dans la destruction de la forêt et dans les dégâts écologiques d'une dimension sans précédent.

Mais, même dans des parties du monde demeurées à peu près paisibles comme dans les pays industrialisés, les gouvernements n'ont pas réussi à protéger leurs forêts: échec, qui, conjugué avec le don de droits de pâturage et la concession d'autres privilèges, y a provoqué une grave régression des ressources forestières. Il n'est que trop fréquent de voir les politiciens flatter les requêtes immédiates de leur clientèle, sans se préoccuper de sauvegarder l'environnement futur. De même que, trop souvent, la réalisation impérative d'objectifs de croissance économique accélérée, surtout lorsqu'elle s'accompagne d'une approche inadéquate des conditions géophysiques d'une région et des besoins sociaux de la population, aboutit à un gaspillage d'efforts ainsi qu'à la création de déséquilibres entre l'homme et son milieu.

La notion de planification globale des bassins versants et de conservation des ressources naturelles a? en général, fait défaut dans les pays en développement. C'est ainsi que, pour avoir négligé le principe de conservation des sols, la construction de routes destinées à développer économiquement des régions attardées s'est traduite par la dégradation d'innombrables versants montagneux. Le manque d'organisation y est également à déplorer, comme la pénurie de personnel technique, ou de direction, capable de concevoir une approche polyvalente de développement équilibré. En outre, il n'y existe en général pas de formation professionnelle en foresterie, agriculture ou zootechnie, ni en conservation des sols et gestion des ressources hydrauliques. De même qu'on y effectue très peu de recherche sur les problèmes afférents aux bassins versants.

3. DES STRUCTURES D'AMENAGEMENT DES BASSINS VERSANTS SONT NECESSAIRES

Lois, règlements et contrôles n'ont jamais réussi, en général, à s'opposer à la culture itinérante, à l'agriculture de subsistance ou au surpâturage. Aucun voeu pieux ne saurait obliger les cultivateurs nomades à abandonner leurs pratiques désastreuses, à moins de leur fournir un autre moyen d'existence, acceptable par leur communauté. C'est pourquoi, outre les solutions techniques à trouver pour les problèmes de bassins versants, il est également indispensable d'étudier les systèmes sociaux, les structures ethniques et politiques comme les mécanismes du pouvoir, l'intérêt manifesté pour la constitution de groupes, les systèmes fonciers, l'attachement à la terre, les droits et privilèges, les attitudes face à la modernisation, les motivations capables de stimuler les réalisations, les types de participation. C'est seulement par une approche organisée, à caractère pluridisciplinaire, que l'on peut espérer répondre effectivement à ce besoin impératif. Il est donc essentiel de commencer par créer la structure institutionnelle où s'intégreront la planification ainsi que la coordination des politiques et activités nécessaires à la protection des bassins de réception des eaux, comme au développement global des ressources naturelles.

3.1 Commissions nationales de bassins versants

La constitution au niveau national d'une Commission (ou d'un office) des bassins versants a permis aux gouvernements de prendre une perspective générale des besoins du pays et de les faire connaître avec l'autorité nécessaire. Le rôle de ces commissions est d'élaborer, dans le cadre du développement général de la terre et de ses ressources, une doctrine et un plan de mise en valeur équilibré et coordonné, qui soit axé sur leur conservation. Investies des pouvoirs et responsabilités nécessaires à la préparation et à l'exécution des ouvrages, ces organisations devront avoir la capacité d'ouvrir les barrières que dressent habituellement les disciplines et les administrations. Aussi, tous les intérêts en jeu devront-ils y être représentés: forêts, agriculture, conservation des sols, hydrologie, économie, sociologie rurale. A leur tête, on choisira une personnalité de renom indiscutable et ayant une haute expérience administrative; le personnel organique comprendra des conservateurs de la flore et de la faune, des pédologues, ingénieurs, agronomes, spécialistes de la flore des prairies, hydrologistes, forestiers, sociologues et économistes. Un personnel de cette compétence et de cette expérience n'existant pas, en général, dans les pays en dévelopement, la formation de tels spécialistes est donc un préalable indispensable à la création de ces commissions.

Ces commissions doivent aussi servir d'instance suprême aux diverses autorités subordonnées ou disciplines impliquées dans l'aménagement des .ressources de la terre et des eaux, auxquelles elles auront à fournir les informations, conseils et directives nécessaires. Il appartiendra à ces organisations de réunir, analyser et distribuer les informations.

Un système fluvial, de sa source à la mer, constitue un tout organique, où n'importe quelle intervention en un endroit quelconque de son cours aura son incidence sur tout le régime: un bassin versant, ou un bassin orographique, doit donc être considéré comme une unité d'organisation et de planification. Les tributaires et les sous-bassins pourront former autant de sous-unités de micro-planification et de contrôle. Par conséquent, dans le cadre d'une commission ou d'un office national, il peut y avoir des organismes subordonnés tels que les bureaux de bassins hydrographiques ou les offices régionaux de bassins versants ("catchment boards" dans les pays anglophones).

3.2 Bureaux de bassins hydrographiques

Ces bureaux (ou offices) de bassins hydrographiques doivent être créés pour chaque système fluvial important ou, lorsqu'il s'agit de très grands fleuves ou de voies d'eau internationales, pour un de leurs biefs particuliers. Ces bureaux agiront comme antennes de l'Organisation nationale, ayant pour mission d'identifier les problèmes, d'exécuter relevés topographiques et enquêtes, de coordonner la planification et l'exécution des ouvrages. Les diverses disciplines, les groupes sociaux et politiques, les autorités locales y seront représentés. Du personnel d'encadrement leur sera affecté. Ces bureaux seront responsables de la coordination entre administration locale, personnel technique et organismes coopérants. Il leur appartiendra d'élaborer les critères d'érosion et de relevés pédologiques, d'adresser des recommandations spécifiques sur les différents traitements possibles, applicables à leur bassin versant. Les bureaux locaux ou régionaux de bassin, établis sous de plus hautes autorités, pourront également être utilisés pour décentraliser le contrôle dans les bassins hydrographiques plus importants.

X010F25.jpg (55708 bytes)

Figure 2. Système typique de terrasses en escalier, sur les pentes abruptes des piémonts de l'Himalaya (Photo PAO - Simpson, Inde 1962).

Les bureaux pourront aussi avoir à organiser des centres de démonstration à l'intention des administrations locales et du public, lorsqu'il s'agira de faire comprendre et d'enseigner comment utiliser le sol plus rationnellement, mieux exploiter les forêts et les herbages, conserver les sols, aménager les pentes, gérer l'eau et installer les dispositifs qui en règlent l'écoulement, appliquer enfin de meilleures pratiques culturales. Les centres serviront de point de ralliement pour la diffusion de ces techniques réelles. La formation, dans ces mêmes conditions de terrain, d'effectifs nombreux de personnel constituera une autre de leurs fonctions: à savoir, créer un cadre qui sache mériter le respect des propriétaires terriens et des usagers.

3.3 Services de la Conservation des sols, ou de l'Aménagement des bassins versants

En matière d'aménagement des bassins versants, un pays doit pouvoir disposer d'un service public réunissant les spécialistes qualifiés pour connaître tous les problèmes techniques, épaulé par une forte structure administrative et ayant la confiance des populations intéressées. A l'intérieur du périmètre à traiter, les Services forestiers garderont la responsabilité de la conservation, de l'aménagement et du développement des réserves et forêts domaniales. Toutefois, ce sera à un Service spécial de conservation des sols et d'aménagement des bassins versants que sera dévolue la planification de toutes les activités de défense et d'aménagement des sols sur les autres terres, cultivées ou non, et les parcours à bétail. Cette nouvelle organisation devra réunir les compétences professionnelles nécessaires pour rechercher, préparer et exécuter toutes les activités de conservation des sols et des eaux, conformément aux directives et aux normes techniques fournies par les Bureaux hydrographiques.

Ces organisations de conservation des sols coopéreront avec le Service forestier et établiront des programmes de collaboration avec les organismes publics ou privés, les universités, les laboratoires de recherche. Elles auront à mettre en oeuvre des projets de démonstration élaborés par les instances du Bureau hydrographique et fournir l'encadrement de l'aménagement intégré des bassins versants. On trouvera dans le Tableau 1 ci-dessous une formule possible d'organigramme. 1/

Tableau 1. Type d'organisation d'un Service de l'Aménagement des Bassins Versants

X010F134.gif (10468 bytes)

1/ Note du Traducteur: L'organigramme publié ici, adapté du texte anglais, n'est naturellement valable que dans les pays d'influence britannique. Dans les pays francophones, c'est une autre structure qui est généralement mise en place par l'État, sous le titre général de "Défense et Restauration des sols" (D.R.S.).

3.4 Assistance financière et technique

Il ne s'agit pas seulement d'évaluer le degré de dégradation de bassins hydrographiques, mais aussi de coordonner la mise en oeuvre des moyens techniques avec les ressources financières. Il faut reconnaître que les investissements dans les travaux de conservation des sols et des eaux, ou dans des projets de développement forestier à long terme, sont en état d'infériorité pour concurrencer d'autres appels au budget de l'Etat d'un pays en développement, d'où l'on attend que chaque centime investi produise un revenu plus ou moins immédiat. Quand de telles entreprises dépassent les ressources économiques et techniques des collectivités locales, il est alors fait appel à l'aide libérale des pays industrialisés et de la communauté internationale, dans le domaine du financement, des directives, de la planification, du matériel, de la formation technique et des démonstrations, de manière à développer toutes les qualifications, en matière d'aménagement des bassins versants, capables de faire face aux problèmes de ce pays.

4. COOPERATION ET PARTICIPATION PUBLIQUES

La réussite d'un programme d'aménagement de bassin versant ne repose pas seulement sur des considérations scientifiques, techniques ou économiques, mais implique aussi des facteurs sociaux et politiques. Il est indispensable de comprendre les structures et attitudes traditionnelles de la population, de se gagner leur coeur et leur confiance. La motivation et la coopération sont des leviers essentiels au succès de toute entreprise visant à réformer l'occupation des terres. Comme cette adaptation est la phase clé d'un programme de restauration des bassins versants, leur aménagement ne pourra se conclure efficacement qu'à condition que les propriétaires de la terre participent eux-mêmes activement aux travaux. Les services et bureaux d'aménagement, que nous avons mentionnés précédemment, devront s'efforcer de provoquer localement l'aptitude à élaborer et exécuter leurs programmes, en créant des organisations de conservation des sols et des eaux aux échelons de la province, du district et du village, animées par les intéressés eux-mêmes.

5. INFORMATION ET EDUCATION

Chaque citoyen devrait avoir la possibilité de connaître et de prendre la mesure des ressources naturelles de son pays: savoir quelle incidence elles ont sur son existence, comment elles devraient être utilisées et sauvegardées. La conservation des ressources naturelles devrait constituer une partie essentielle des programmes scolaires, au moyen de manuels et de cours qui expliqueraient en langage simple les principes et les avantages d'un aménagement intégré. Les habitants des piémonts peuvent être formés aux métiers forestiers; quant aux cultivateurs, des stages dans des camps d'information et d'instruction ainsi que des visites sur place peuvent leur fournir la base élémentaire de connaissances en matière de conservation des sols et des eaux, comme de bonne utilisation des terres. on devrait se servir à cet effet d'expositions, de démonstrations, ainsi que des moyens qu'offrent la presse, la radio, le cinéma, la télévision. Des séminaires aussi seraient utiles.

X010F26.jpg (48539 bytes)

Figure 3. Exemple d'effort local: puits ordinaire de 10 mètres d'ouverture en cours de construction dans un village de l'Inde, grâce au travail communautaire stimulé par un programme d'aide alimentaire PAM/FAO (Photo PAM - Peyton Johnson, Inde 1970).

6. INCITATIONS

Des incitations financières ou sociales sont parfois nécessaires pour développer les motivations. Par exemple, pour encourager les habitants d'un périmètre de bassin versant à créer des plantations forestières et aider à protéger les reboisements, on pourra leur laisser une part des revenus de la vente des produits forestiers. La concession de droits permanents aux usagers, s'ils adoptent les pratiques culturales de conservation des sols, peut être également un stimulant efficace. La création parmi la population de coopératives industrielles à direction locale, basées sur l'exploitation forestière, est capable de la déterminer à participer activement au développement des forêts. On pourrait, par exemple, donner une instruction et une formation aux jeunes gens des groupes tribaux et autochtones de la forêt, pour qu'ils reçoivent ensuite un emploi soit dans le travail de vulgarisation, soit dans les organisations de conservation des forêts et des sols.

7. UNE REMARQUE POUR CONCLURE

Ce qu'il est particulièrement important de savoir, quand on veut mettre en pratique ces idées et ces réformes, c'est que celles-ci sont bien plus aisément reçues si elles viennent, non pas de gens de l'extérieur, mais de membres de la communauté intéressée et, surtout, des hommes avec lesquels cette population a grandi et qui ont sa confiance. Encore une fois, c'est le facteur humain qui est le plus important pour mener à bien l'aménagement d'un bassin versant et la mise en valeur de ses ressources.

X010F27.jpg (42218 bytes)

Figure 4. Souvent, les travaux de conservation peuvent être effectués simplement avec de la main d'oeuvre et des matériax locaux; par exemple, pour les travaux de correctin de ravines, avec des rochers et des grumes pris sur places. (Photo de l'U.S. Forest Service).

 

Previous page Top of Page Next Page