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ANNEXE 5
Elevage de machoirons et de Tilapia en enclos dans la lagune Ebrié

1. Historique

En 1972, M. Ambonou, alors Inspecteur maritime, était propriétaire de deux bateaux de pêche. Il a pratiqué la pêche maritime durant quelques années. A son retour au pays, après une absence de quatre ans, il a obtenu un petit terrain en bordure de la lagune Ebrié, au village Abata, à environ 30 km à l'est d'Abidjan.

Fin 1978, après avoir pris connaissance d'un article sur l'aquaculture dans la revue “Terre et Progrès” M. Ambonou s'est intéressé à cette activité et a décidé de se lancer dans l'élevage des poissons. Après avoir étudié, avec les responsables du ministère concerné, les élevages en cages et en enclos, il lui a paru que les élevages en enclos étaient plus économiques.

2. Installations

M. Ambonou a fait construire 10 enclos de chacun 8 ares (40 × 20 m), à environ 40 m de la rive de la lagune. Les enclos sont orientés est-ouest.

Les enclos sont constitués de piquets en bois, enfoncés dans le fond. La distance entre les piquets est de 1 m. Des nappes de filet (principalement du filet 240/18) sont fixées sur les poteaux. A la base, les filets sont enterrés dans le sable sur une profondeur de 30 à 40 cm. Le sillon permettant d'enterrer les filets est creusé à l'aide d'une moto-pompe dont le jet d'eau chasse le sable.

La maille des filets est de 13 mm, de noeud à noeud. Les nappes, fabriquées à Abidjan, se vendent en rouleaux de 8 m de large sur 50 m de long au prix de 146 000 Fr. CFA, soit 365 Fr. CFA/m2.

Les parois des enclos ont une hauteur d'environ 1,60 m, mais cela ne suffit pas pour éviter les hautes eaux qui peuvent atteindre 1,70 à 1,80 m. Les marées habituelles n'atteignent que 1 à 1,20 m, mais pour éviter l'inondation des enclos par les hautes eaux, M. Ambonou était en train de rehausser, de 30 à 40 cm, les parois des enclos en fixant des bandes de fin grillage (2 à 3 mm entre les noeuds) au-dessus des filets existants.

3. Investissements

Jusqu'à présent (mars 1980), M. Ambonou a investi environ 5 millions de Fr. CFA dans son affaire, dont 3 250 000 Fr. CFA dans les dix enclos. Il a également construit un hangar avec des planches de récupération et un toit en tôles ondulées qui lui a coûté 456 100 Fr. CFA soit environ 11 000 Fr. CFA le m2. Une maison d'habitation (80 à 100 m2) est aussi en construction.

Les premiers enclos ont été construits en février 1979 et les filets laissent déjà voir l'influence du soleil. La partie immergée des filets est verte et couverte d'algues. Il est probable que les enclos ne résisteront pas longtemps, vraisemblablement pas plus de 3 ans.

M. Ambonou a l'intention d'investir dans une vingtaine d'autres enclos, de la même superficie que ceux qu'il exploite actuellement, mais il attend pour cela d'avoir établi la rentabilité des enclos existants.

4. Techniques d'élevage, en enclos

Les espèces utilisées sont les machoirons (Chrysichthys nigrodigitatus et C. walkeri) et des tilapia (Tilapia nilotica, T. heudelotii et quelques T. guineensis).

4.1 Les machoirons

Le genre Chrysichthys est représenté en Côte d'Ivoire par cinq espèces, dont deux seulement (C. nigrodigitatus et C. walkeri) sont des espèces d'eau saumâtre. L'identification des espèces aux stades d'alevin et de juvénile n'est pas aisée. Etant donné que C. walkeri n'atteint pas une aussi grande taille que C. nigrodigitatus (Daget et Iltis, 1965), il est préférable de ne stocker que des C. nigrodigitatus.

En lagune Ebrié, où se trouvent les enclos exploités par M. Ambonou, C. walkeri paraît être l'espèce la plus fréquemment rencontrée. En lagune Abi, par contre, C. nigrodigitatus est plus fréquent que C. walkeri (Daget et Iltis, 1965).

Pour empoissonner ses enclos, M. Ambonou achète les jeunes machoirons aux pêcheurs de la lagune qui les capturent à la senne de plage. De ce qui précède, on peut penser qu'il s'agit surtout de juvéniles de C. walkeri. Selon M. Ambonou, les pêcheurs livrent des poissons dont le poids moyen varie entre 20 et 100 g, mais une majorité pèse de 40 à 60 g. Les mortalités sont de 14% (5 835 poissons morts sur 42 000 poissons capturés) et interviennent généralement le lendemain de la capture.

Le prix est de 100 Fr. CFA ($ E.-U. 0,50) pour 8 machoirons plus un cadeau de 10% en poissons.

En enclos les machoirons sont alimentés avec le mélange suivant:

 
Ingrédients
%Fr. CFA/kg Total/kg/nourriture
-remoulage de blé50  17,27   8,63
-tourteaux de coprah20  25,00   5,00
-tourteaux de palmistes10  25,00   2,50
-farine de poisson20110,00 22,00
    Fr. CFA38,13

Le mélange des ingrédients se fait sur place. Le mélange est humidifié pour qu'il ne flotte pas et pour qu'il descende sur le fond où se nourrissent les machoirons.

Il a été conseillé de nourrir journellement à 1,5% de la biomasse et M. Ambonou a donné des instructions de nourrir à cette dose. La nourriture est distribuée deux fois par jour.

Pour améliorer l'alimentation, M. Ambonou envisage de faire un arrangement avec un boucher pour obtenir du sang qu'il veut mélanger aux autres ingrédients, comme liant et pour mouiller la ration avant de la distribuer dans les enclos.

Les enclos ayant été construits début 1979, l'empoissonnement avec des machoirons a commencé le ler juillet 1979. Le 21 août 1979 un enclos (800 m2) avait été mis en charge avec 8 000 machoirons, soit une densité de 10 poissons par m2. A noter qu'à l'avenir, M. Ambonou compte placer 10 000 machoirons par enclos, soit une densité de 12,5 poissons par m2.

Au début il était difficile d'obtenir des alevins en quantité, mais la situation s'est améliorée et, par exemple, entre le 18 février et le 8 mars 1980, M. Ambonou a pu obtenir 12 000 machoirons en 7 livraisons.

Le premier enclos a été vidé le 22 décembre 1979 et le poids moyen des machoirons récoltés était de 333 g. Le prix de vente ex-enclos était de 1 350 Fr. CFA/kg. Selon M. Ambonou, le prix de détail au marché d'Abidjan atteint 3 000 Fr. CFA/kg.

Il paraît possible d'élever des machoirons toute l'année, à condition toutefois de pouvoir disposer, en permanence, des alevins nécessaires à la mise en charge des enclos.

La reproduction naturelle des machoirons (C. nigrodigitatus et C. walkeri) en lagunes se poursuit plus ou moins toute l'année. La principale periode de reproduction naturelle semble se situer entre novembre-décembre et juin-juillet, ce qui correspond à la saison chaude (températures mensuelles maxima de l'air comprises entre 29,3°C et 32,2°C) et à forte insolation (entre 80 et 192 heures). Il serait donc possible d'obtenir des alevins pêchés en lagune, au moins durant 9 à 10 mois de l'année.

A remarquer que l'on ne connaît pas grand chose au sujet des quantités d'alevins disponibles en milieu naturel et de la localisation des zones de fraye où l'on pourrait se procurer les jeunes machoirons.

Selon M. Ambonou, la croissance des machoirons en enclos est assez rapide: des fingerlings de 63 g ont atteint 333 g en 150 jours d'élevage, soit une croissance de 1,80 g par jour. Dans un autre cas, des machoirons de 170 g à la mise en charge ont atteint 500 g en 6 mois, soit un gain de 1,83 g/jour.

4.2 Les Tilapia

M. Ambonou a également entrepris des essais d'élevage en enclos de Tilapia (T. nilotica et T. heudelotti principalement, mais sans doute aussi des T. guineensis). Les alevins, d'un poids moyen de 15 à 30 g mais atteignant parfois 40 g, ont été fournis par la station piscicole du Banco et par l'entreprise “L'Aquarium Ivoirien” de Grand Bassam. M. Ambonou n'a pu disposer que d'une quantité réduite d'alevins de Tilapia. Pour pallier ce manque, il envisage de construire des bassins de reproduction rectangulaires en béton.

L'empoissonnement des enclos se fait à une densité de 10 alevins/m2, soit 8 000 alevins par enclos de 800 m2. Les poissons reçoivent un aliment artificiel à une dose journalière de 1,5% de la biomasse. Le mélange, qui revient à 29,63 Fr. CFA le kg, est composé de 50% de remoulage de blé, 20% de tourteaux de coprah, 20% de tourteaux de palmistes et de 10% de farine de poisson. Ce mélange est moins riche en protéines animales que celui utilisé pour nourrir les machoirons, mais il coûte aussi moins cher.

A la fin de l'élevage, les Tilapia sont retirés des enclos au moyen d'une senne de 3 m de chute et de 20 m de long, à mailles de 37 mm (noeud à noeud).

Dans la partie de la lagune Ebrié où se trouvent les installations de M. Ambonou, la salinité augmente fortement en janvier-février et un taux de 23 a été enregistré à cette époque en 1980, provoquant la mortalité de 16 000 Tilapia se trouvant dans l'enclos 1. Pour éviter cela, le Tilapia ne sera élevé qu'en deux cycles de 5 mois chacun, en dehors de la période de salinité trop élevée.

5. Analyse

Une analyse de l'élevage de machoirons en enclos est donnée ci-après. Elle est basée sur les résultats obtenus par M. Ambonou, mais en tenant également compte d'autres données pertinentes.

Les calculs sont basés sur les données suivantes:

5.1 Croissance des machoirons

En admettant qu'un machoiron de 50 g, élevé en enclos avec alimentation artificielle, peut atteindre 300 g en 6 mois, le poids initial dans un enclos serait alors: 10 000 alevins × 0,050 kg = 500 kg. Après un élevage de 6 mois, et en supposant 10% de mortalités, le poids à la récolte serait de 9 000 poissons × 0,300 kg = 2 700 kg de machoirons par enclos.

5.2 L'alimentation artificielle

Le nourrissage se ferait à raison de 1,5% de la biomasse. L'on déverserait donc 7,5 kg par enclos le premier jour de l'élevage et 40,5 kg à la fin du cycle de production de 180 jours. Si l'on accepte l'hypothèse d'une croissance linéaire (qui surévalue les besoins de nourriture), la quantité d'aliments distribués par enclos est estimée comme suit: 180 jours × (7,5 kg + 40,5 kg) : 2 = 4 320 kg. Dans ce cas, le taux de conversion serait de 1,6 (il faudra donc 1,6 kg d'aliments pour produire 1 kg de machoirons).

5.3 Pertes et profits

Comme la Mission est d'avis que l'approvisionnement en alevins de machoirons risque d'être le point faible du système d'élevage en enclos, trois cas ont été étudiés:

(i) Hypothèse A: le nombre d'alevins suivant capturés en lagune ne dépasse pas 60 000. Dans ce cas, seulement 5 enclos sur 10 seront utilisés durant un seul cycle d'élevage de 6 mois. La main-d'oeuvre (3 ouvriers) ne sera utilisée que durant 6 mois. Etant donné qu'il y a en fait 10 enclos, les frais financiers (amortissements et intérêts) sont calculés sur les 10 enclos.

En hypothèse A, la production de 5 enclos après un cycle d'élevage de 6 mois serait de 13 500 kg de machoirons, ce qui coûterait 3 499 500 Fr. CFA (2 216 500 Fr. CFA de frais plus 1 283 000 Fr. CFA de frais financiers). Le prix de revient du poisson produit serait d'environ 260 Fr. CFA le kg.

(ii) Hypothèse B: le nombre d'alevins obtenus ne dépasse pas 120 000 dans l'année et 5 enclos peuvent être stockés une première fois (50 000 alevins) pour un élevage de 6 mois. Cet élevage est suivi d'un second élevage dans les mêmes enclos. Les frais sont doublés (achat alevins, alimentation artificielle, main-d' oeuvre et divers) mais les frais financiers restent les mêmes.

En hypothèse B, la production des 5 enclos, en deux cycles successifs de chacun 6 mois serait de 27 000 kg de poisson avec un coût total de 5 716 000 Fr. CFA et un prix de revient des machoirons d'environ 200 Fr. CFA le kg.

(iii) Hypothèse C: le nombre d'alevins obtenu est inférieur à 175 000 dans l'année et au départ on n'empoissonne qu'une série de 5 enclos, pour un cycle de 6 mois. On met ensuite en charge 5 autres enclos dans lesquels on effectue deux élevages consécutifs de 6 mois. Dans ce cas, les coûts directs de production augmentent mais les frais financiers restent les mêmes.

En hypothèse C, la production des trois cycles (un cycle dans 5 enclos plus 2 cycles consécutifs dans les 5 autres enclos) serait de 40 500 kg pour un coût de 7 392 500 Fr. CFA et un prix de revient d'environ 180 Fr. CFA le kg de machoirons.

5.4 Commentaires

Selon les données du tableau ci-après, le bénéfice net est remarquable. Même avec une hausse importante des coûts, l'élevage des machoirons en enclos reste fort intéressant. Cependant, avant de tirer des conclusions définitives, il faudrait étudier le marché des machoirons pour savoir quelles sont les quantités qui peuvent être vendues normalement, par le producteur, à un prix de 1 350 Fr. CFA le kg.

Les alevins de machoirons se vendent actuellement à un prix relativement bas (environ 12,50 Fr. CFA par alevin) mais il n'est pas certain que les pêcheurs vont continuer à les fournir à un prix pareil quand ils vont se rendre compte du prix auquel le producteur vend les machoirons après 6 mois de grossissement. Il est donc probable que les pêcheurs vont augmenter le prix de vente des alevins qui pourrait facilement atteindre 50 à 100 Fr. CFA la pièce.

Dans un proche avenir, et si les élevages en enclos devaient se multiplier, un facteur limitant pour l'extension de tels élevages sera certainement le manque d'alevins des deux espèces de machoirons utilisées actuellement.

Des éleveurs comme M. Ambonou peuvent se procurer une certaine quantité d'alevins, capturés à la senne dans la lagune Ebrié. Il n'est cependant pas certain qu'il sera possible d'obtenir, toute l'année, des quantités importantes de jeunes machoirons provenant de la reproduction naturelle en lagune. L'approvisionnement en alevins par prélèvement dans le milieu naturel deviendra de plus en plus difficile et aléatoire au fur et à mesure de l'expansion des élevages en zone lagunaire.

Pour résoudre ce problème, on a entrepris des recherches sur la reproduction des machoirons, l'éclosion des oeufs et la croissance des larves, alevins et juvéniles. Ces travaux se font en Côte d'Ivoire (au Centre de Recherches Océanographiques, C.R.O., à Abidjan) et au Nigéria. Ces travaux progressent, mais il n'est cependant pas encore possible de produire des grandes quantités d'alevins de machoirons par les techniques actuelles.

Tableau 5.1

Données micro-économiques des élevages des machoirons en enclos

RubriquesABC
Nombre d'enclos utilisés   5 (un cycle)    5 (deux cycles)5 (un cycle)
5 (deux cycles) 
Durée de l'élevage (mois/cycle)6            6          6
Alevins nécessaires 157 000    114 000    171 000
Ventes pour la consommation
(2 700 kg par enclos pendant 6 mois × 1 350 Fr. CFA/kg)
18 225 00036 450 00054 675 000
1)Achat alevins à 12,50 Fr. CFA la pièce    712 500  1 425 000  2 137 500
2)Nourriture (4 320 kg/enclos/cycle × 40 Fr. CFA/kg)    864 000  1 728 000  2 592 000
3)Main d'oeuvre (3 ouvriers à 30 000 Fr. CFA/mois/ouvrier)    540 000  1 080 000  1 080 000
4)Divers    100 000    200 000    300 000
  Total frais  2 216 500  4 233 000  6 109 500
Bénéfices avant frais financiers16 008 50032 217 00048 565 500
5)Amortissements  1 083 000  1 083 000  1 083 000
6)Intérêt sur prêt (8%)    200 000    200 000    200 000
  Total frais financiers  1 283 000  1 283 000  1 283 000
  Bénéfice net14 725 50030 934 00047 282 500
Prix de revient du kilo de poisson   259,22204,30   182,53

1 Nombre d'alevins à déverser dans les enclos, augmenté des mortalités (14%) survenant après la capture des alevins.


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