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III.  REGLEMENTATION DE LA PECHE DES ESPECES DE GRANDS MIGRATEURS DANS LES ENCLAVES DE HAUTE MER SITUEES AU DELA DES ZONES DE JURIDICTION NATIONALE

Dans différentes localités dans le monde entier, et de manière particulièrement significative dans le centre-ouest et le sud-ouest de l'océan Pacifique, l'adoption de zones économiques exclusives ou de zones de pêche de 200 milles a entraîné la création d'enclaves, partiellement ou entièrement encloses, de haute mer. Dans cette région du Pacifique, les principales espèces commerciales sont les thonidés, dits “espèces de grands migrateurs” du fait qu'ils couvrent de grandes distances d'une région océanique à l'autre et qu'ils sont accessibles à la pêche dans les zones exclusives de différents Etats ainsi que dans des enclaves plus éloignées. Ces déplacements entraînent l'impossibilité, pour un Etat isolé, de gérer convenablement ces espèces, les Etats de la région pris collectivement en étant également incapables. Alors même que ces Etats se concertaient pour établir une autorité commune sur leurs zones combinées, ils ne réaliseraient pas un aménagement convenable si les mêmes stocks étaient sujets à exploitation incontrolée dans les enclaves de haute mer situées au delà de leurs zones combinées. Les Etats insulaires de la région du Pacifique sud se sont entendus pour créer un organisme d'aménagement des pêches chargé de faciliter la coopération, la coordination et l'harmonisation de leurs politiques relatives aux ressources biologiques marines de la région (tant à l'intérieur de la zone de 200 milles qu'au delà) et plus particulièrement les espèces de grands migrateurs.

Les zones de 200 milles combinées de ces Etats insulaires sont énormes sans toutefois englober de “poches” notables de haute mer dans lesquelles les espèces de grands migrateurs peuvent être exploitées et le sont sans égard aux politiques de conservation ou autres adoptées par les Etats de la région. La pêche dans une enclave ou des rapports d'exploitation non confirmés ont pour effet: (1) d'engendrer ou de suggérer une mortalité par pêche inconnue sur des espèces de grands migrateurs qui sont également capturées à l'intérieur des zones de pêche, d'où la difficulté, voire l'impossibilité, de déterminer quelle mortalité peut ou devrait être autorisée à l'intérieur de ces zones; et (2) des captures de poisson sans qu'il soit nécessaire d'acquitter un droit pour ce faire, ce qui prive potentiellement les Etats adjacent de revenus dont on leur serait redevable si le même poisson était capturé à l'intérieur de leurs zones.

On supposera, aux fins de la présente discussion, que les Etats adjacents ont deux intétêts majeurs: (1) se procurer des informations sur la mortalité par pêche dans les enclaves et (2) éviter toute perte de revenu imputable à l'exploitation dans ces enclaves.

Le problème général de l'autorité de l'Etat côtier sur une enclave peut être affiné et énoncé comme suit:

(1)   Les Etats insulaires (côtiers) peuvent-ils unilatéralement étendre leur autorité sur les enclaves de haute mer pour prescrire et appliquer des mesures de conservation et de contingentment?

(2)   Ces Etats peuvent-il en concertation et par voie d'accord affirmer l'autorité de prescrire et d'appliquer de telles mesures?

(3)   Quelle participation doit être accordée aux Etats pêcheurs hauturiers dont les navires exploitent ces eaux?

Pour examiner ces questions il faut se référer à la fois au droit international coutumier et conventionnel de la mer. Ces régimes différents sont examinés dans les sections ciaprès:

A.   Droit international coutumier de la pêche

La pratique et le droit coutumiers ne justifient aucunement l'extension de l'autorité de l'Etat côtier en matière d'aménagement des pêches dans les enclaves de haute mer et l'application, sauf en cas d'accord préalable des Etats du pavillon concernés. On peut incontestablement arguer que cette nouvelle extension minime de la juridiction côtiere est dans le droit fil de l'adoption généralisée du contrôle national en matière de pêche, dans la mesure où elle permet aux Etats voisins, pour la plupart en développement, de tirer profit des ressources et de prendre des dispositions pour leur protection à long terme. Néanmoins, le droit international actuel reconnaît encore la liberté de la pêche au delà des zones de juridiction nationale, il y est évidemment envisagé que la réglementation en matière de gestion, directement applicable aux navires exploitant ces zones, sera établie par voie d'accord avec les Etats du pavillon ou, en tout état de cause, acceptée par les propriétaires ou exploitant des navires36.

36 Certains accords ont été conclus au sujet des zones d'enclave, mais n'autorisent pas l'exécution par l'Etat côtier. Un échange de lettres en date du 4 avril 1978 entre la Nouvelle-Zélande et l'URSS stipule que les navires soviétiques ne pêcheront pas dans deux zones de haute mer encloses dans la zone néo-zélandaise pendant la durée de validité de leur accord de pêche de la même date. Dans un échange de lettres en date du 1 er septembre 1978 entre le Japon et la Nouvelle-Zélande, le Japon accepte de prendre des mesures pour garantir que les navires de pêche japonais non détenteurs d'un permis en vertu de l'article III de l'accord (de la même date) ne pêcheront pas dans les zones sus-mentionnées (haute mer enclose dans la zone néo-zélandaise) et que les navires détenteurs d'un permis de pêche dans la zone néo-zélandaise respecteront, lorsqu'ils exploiteront les zones sus-mentionnées, les mesures de conservation et de gestion applicables dans la zone néo-zélandaise. La signification de cet engagement n'est pas tout à fait claire car elle est fonction des mesures prises par la Nouvelle-Zélande; en tout état de cause, le Japon a l'obligation d'appliquer ces mesures dans les enclaves.

L'article VI de l'accord du 16 mars 1978 entre la Nouvelle-Zélande et la Corée diffère légèrement de l'accord avec le Japon. La Corée accepte que seuls les navires détenteurs de permis en vertu de cet accord soient admis à pêcher dans les enclaves et que ces navires respecteront la législation néo-zélandaise en matière de conservation et de gestion dans la zone de ce dernier pays comme si ces lois et conditions d'attribution de permis s'appliqueraient aux enclaves. Dans ce cas, la Corée n'est pas obligée de garantir l'application. Ni l'accord coréen ni l'accord japonais ne limitent nécessairement la pêche dans les enclaves, à moins que les mesures relatives à la zone économique ne stipulent elles-mêmes des restrictions sur les captures ou des contingents applicables aux enclaves. Peut-être pourrait-on interpréter l'accord coréen comme plaçant une limitation sur les captures réalisées dans l'enclave, la disposition applicable au Japon étant toutefois plus difficile à interpréter de la même manière.

Rien dans tout cela n'établit explicitement que la Nouvelle-Zélande fera appliquer sa réglementation dans les enclaves. Ces démarches sont néanmoins significatives en ce qu'elles suggèrent que les Etats pratiquant la pêche hauturière acceptent de négocier des solutions à la question des enclaves. On ne sait pas quels éléments de compromis ont joué dans les accords néo-zélandais et la situation peut, en tout état de cause, être différente ailleurs.

Il ne s'ensuit pas que les Etats côtiers soient dans l'incapacité d'influer sur l'exploitation des enclaves de haute mer par des navires étrangers, notamment dans les régions où des espèces cibles sont des grands migrateurs accessibles tant à l'intérieur qu'au delà des zones créant les enclaves. Les Etats qui les entourent pourraient souhaiter ne consentir l'accès au poisson qui se trouve dans leur zone que si l'Etat pratiquant la pêche respecte les conditions applicables à l'exploitation de la même espèce au delà de ladite zone. La mise en application des conditions relatives à l'activité au delà de la zone de juridiction nationale porterait, le cas échéant, sur l'intérieur de la zone de juridiction nationale plutôt que sur un espace situé au delà. Tant qu'il n'y a pas d'interférence avec la pêche dans l'enclave de haute mer, il semblerait que cette façon de procéder ne doive pas soulever d'objections fondées sur le droit international coutumier.

Pour conclure comme nous venons de le faire, nous nous fondons sur le fait qu'en droit international tout Etat a le pouvoir d'accès aux pêcheries qui se trouvent dans sa zone de juridiction exclusive et de ne la soumettre à ses droits souverains en matière de conservation et de gestion qu'à la condition que certaines actions se produisent dans les zones situées au delà de sa zone de juridiction. Les Etats côtiers exigent généralement le respect de ces conditions d'accès à leurs zones de pêche. Ainsi, l'attribution, par les Etats-Unis d'Amérique du reliquat existant dans leur zone de pêche peut dépendre de décisions prises par les Etats exploitants concernant leurs tarifs à l'importation37. Le projet de Traité sur le droit de la mer, dans son article 61, énonce clairement les modalités et conditions applicables à l'accès par les navires étrangers à des pêcheries qui requièrent des mesures en dehors de la zone de juridiction de l'Etat côtier. Ces conditions sont compatibles avec le droit international coutumier.

37 La Loi Magnuson de conservation et d'aménagement des pêches a été amendée en 1980 et stipule désormais que la détermination des volumes attribués devra être faite sur la base de ce qui suit:

(a)  si ces Etats imposent des barrières tarifaires ou non tarifaires à l'importation et dans quelle mesure, ou s'ils imposent d'autres restrictions à leurs débouchés pour le poisson ou les produits de la pêche originaires des Etats-Unis d'Amérique;

(b)  si ces Etats coopèrent avec les Etats-Unis, et dans quelle mesure, à l'amélioration des possibilités actuelles et ultérieures en matière de commerce des produits de la pêche, notamment par l'achat de poisson ou de produits de la pêche dans les usines de traitement ou auprès des pêcheurs ressortissants des Etats-Unis d'Amérique;

(c)  si ces Etats et les flottilles de pêche de ces Etats ont coopéré avec les Etats-Unis, et dans quelle mesure, à l'application de la réglementation des Etats-Unis en matière de pêche;

(d)  si ces Etats ont besoin du poisson capturé dans la zone de conservation des pêches pour leur consommation intérieure, et dans quelle mesure;

(e)  si ces Etats contribuent autrement à la croissance d'une industrie de la pêche rentable et économique des Etats-Unis d'Amérique ou la favorisent, et dans quelle mesure, y compris en réduisant au minimum les conflits surgissant à propos d'engins de pêche avec les opérations de pêche des pêcheurs ressortissants des Etats-Unis et en transférant des méthodes de pêche ou de transformation susceptibles de bénéficier à l'industrie de la pêche des Etats-Unis;

(f)  si les navires de pêche de ces Etats ont traditionnellement exploité ces fonds de pêche et dans quelle mesure;

(g)  si ces Etats coopèrent avec les Etats-Unis d'Amérique et ont apporté une contribution substantielle à la recherche halieutique et à l'identification des ressources ichtyologiques, et dans quelle mesure;

(h)  toutes autres questions que le Secrétaire d'Etat, en coopération avec le Secrétaire, jugera appropriées (traduction ad hoc).

On suppose ici que les espèces de grands migrateurs de tous types: thonidés, marlins et voiliers, etc., sont régies par la juridiction de l'Etat côtier dans sa zone économique ou dans sa zone de pêche, comme les autres poissons qui s'y trouvent. La récente extension quasi universelle des zones de juridiction nationale est dans presque tous les cas conçue de manière à inclure toutes les pêcheries dans la zone de pêche. Quelques Etats seulement en exceptent tout ou partie des espèces de grands migrateurs. Bien que les Etats-Unis, qui détiennent environ 50 pour cent du marché mondial des conserves de thon opposent leur juridiction côtière et ont conçu les dispositions de leur législation intérieure de telle sorte que toute revendication visant à inclure les thonidés dans les zones élargies de juridiction nationale en serait découragée, la position des autres Etats n'en a guère été modifiée, les efforts de gestion, tant dans le Pacifique oriental qu'occidental ayant toutefois rencontré des obstacles de ce fait. Il est clair qu'en dépit de l'opposition des Etats-Unis d'Amérique, la vaste majorité des Etats côtiers juge que l'extension de la juridiction nationale aux thonidés et aux espèces de grands migrateurs est compatible avec le droit coutumier.

A la lumière de cette brève analyse du droit international coutumier applicable en la matière, on est fondé à établir les conclusions ci-après:

(1)   Les Etats côtiers ne peuvent étendre leur pleine autorité aux zones de haute mer encloses et les Etats pratiquant la pêche hauturière ont le droit d'y pêcher, dans l'exercice de la liberté d'exploitation de la haute mer. Les Etats côtiers adjacents ne sont nullement fondés à prescrire directement ni à appliquer aucune politique relative aux activités des Etats pratiquant la pêche hauturière, en l'absence d'un accord à cette fin;

(2)   les Etats côtiers ont compétence pour faire dépendre l'accès aux pêcheries relevant de leur juridiction, dans la limite des 200 milles, de l'observation, par les Etats pratiquant la pêche hauturière, de certaines conditions ou contraintes applicables à l'exploitation des zones de haute mer situées au delà. Cependant, ces conditions ne peuvent être ni prescrites directement ni appliquées au delà de la zone de juridiction nationale;

(3)   les organismes régionaux établis par les Etats côtiers pour gérer les pêcheries situées à l'intérieur et au delà des zones de pêche n'ont pas davantage autorité que les Etats qui les créent et ne sauraient réglementer la pêche en haute mer que dans les conditions décrites en (2) ci-dessus;

(4)   les Etats côtiers n'ont aucun droit à des captures préférentielles ou prioritaires ou aux produits des captures ou à toute autre forme de bénéfice découlant de la pêche dans l'enclave de haute mer. Cependant, un ou plusieurs Etats côtiers peuvent exiger, pour donner accès à la pêche dans une zone relevant de sa (leur) juridiction, une part des profits découlant des captures de poissons effectuées en haute mer.

Des commentateurs ont récemment suggéré que la décision prise par la Cour internationale de Justice en 1974 dans l'affaire Royaume-Uni contre Islande renforce l'argument en vertu duquel l'Etat côtier a un droit préférentiel sur les avantages des pêcheries situées à l'extérieur de sa zone de juridiction exclusive mais adjacentes à celle-ci38. Il semblerait qu'il s'agisse là d'une interprétation erronnée de cette affaire et d'une extrapolation injustifiée de la décision. Dans l'affaire opposant le Royaume-Uni à l'Islande, la Cour s'est efforcée de déterminer les conditions fixées en droit international coutumier, à la lumière des récentes conférences internationales et des tendances manifestes de l'extension des zones de juridiction nationales. Les droits préférentiels éventuellement retenus s'appliquaient à des zones adjacentes à une zone de pêche exclusive de 50 milles et qui tomberaient désormais dans la zone de 200 milles. L'extension quasi-universelle de la juridiction exclusive en matière de pêche à 200 milles, intervenueultérieurement, va bien au delà de la décision prise dans l'affaire Royaume-Uni contre Islande en ce sens qu'elle accorde aux Etats côtiers des droits exclusifs et souverains et non pas simplement des droits préférentiels. La décision de la Cour n'autorise nullement à affirmer que les Etats côtiers ont maintenant des droits préférentiels même au delà de 200 milles.

38 cf. van Dyke et Heftel (1981)

(5)   Dans la mesure où les pêcheries d'une région, y compris celles qui se trouvent dans les zones combinées des Etats adjacents et dans l'enclave, doivent être gérées par voie d'accords internationaux, les Etats pratiquant la pêche hauturière doivent être parties à l'accord si l'on vise à imposer des exigences aux navires battant leur pavillon dans la zone enclavée. Si les accords sont négociés avec des associations privées représentant les navires pêchant dans la zone, l'Etat du pavillon lui-même ne doit pas nécessairement être partie. Un accord privé affecte nécessairement les types de dispositions qui peuvent être prises pour tous les navires d'un Etat particulier susceptibles de pêcher ou de transiter dans une zone déterminée et l'Etat du pavillon peut assumer la responsabilité et le contrôle de tous les navires battant son pavillon, tandis qu'une association privée n'a pas qualité pour exercer un tel contrôle ou assumer une telle responsabilité.

B.   Les enclaves de haute mer et le projet de Convention sur le droit de la mer

Dans le contexte du projet de Convention sur le droit de la mer la question de l'autorité des Etats côtiers et du pavillon sur les espèces de grands migrateurs est complexe. Les arguments ci-après sont toutefois défendables.

En premier lieu, il n'est pas douteux qu'un Etat côtier est pleinement habilité à disposer des espèces de grands migrateurs qui se trouvent dans sa zone économique. L'article 56 confère des droits souverains à l'Etat côtier sur toutes les ressources biologiques et n'opère aucune distinction entre elles. L'article 64 stipule expressément que cet article, ainsi que tous autres articles de la partie V, sont applicables aux espèces de grands migrateurs.

En second lieu, l'Etat côtier a l'obligation de “coopérer” avec d'autres Etats exploitant les espèces de grands migrateurs dans la région, y compris ceux qui exploitent la ZEE et au delà. L'objet de cette coopération, dans la région de la zone est “d'assurer la conservation et de favoriser l'exploitation optimale”. Cependant, la coopération à cette fin s'inscrit dans le contexte de la pleine autorité et il appartient à l'Etat côtier d'établir dans sa zone, à sa discrétion, un volume admissible des captures, de déterminer sa capacité d'exploitation de ce volume, de prendre des mesures appropriées de conservation et de gestion dans sa zone et de définir qui peut capturer quelle quantité de poisson dans sa zone.

Troisièmement, cette coopération pour assurer la conservation et favoriser l'exploitation optimale a trait aux espèces qui se trouvent tant à l'intérieur qu'au delà de la ZEE.

Quatrièmement, l'obligation est en substance de “coopérer”, ce qui peut être réalisé en négociant avec l'Etat côtier pour établir des mesures de gestion. Il n'est pas nécessairement requis que les Etats en cause réalisent un accord sur la conservation ou l'exploitation optimale. Le défaut de négociations en bonne foi équivaudrait à un défaut de coopération et constituerait une violation de l'obligation imposée par le Traité39. Ne pas négocier en bonne foi ne constituerait pas une violation.

Cinquièmement, si les Etats côtiers et autres cooperent de leur mieux, ils peuvent toujours ne pas s'entendre sur des mesures appropriées. Dans ce cas, il appartient à l'Etat côtier de décider des mesures applicables dans sa zone de juridiction. Les Etats pêchant au delà de la zone ont le droit de le faire après s'être honnêtement efforcés de coopérer avec les Etats côtiers.

Sixièmement, du fait que l'obligation de coopérer a trait aux espèces qui se trouvent à l'intérieur de la ZEE aussi bien qu'au delà, l'Etat côtier n'est pas entièrement libre de déterminer les mesures applicables dans sa propre zone. Il ne saurait prendre de décision définitive en matière de conservation et d'exploitation dans sa propre zone tant que les efforts qu'il fait en bonne foi ne portent pas leurs fruits. Ces efforts n'ont pas besoin d'être poursuivis infiniment, mais ils devront l'être pendant une durée raisonnable eu égard aux exigence d'une gestion rationnelle à l'intérieur de la zone où il a en dernière analyse l'autorité de gérer.

39 En vertu du projet de traité l'obligation de coopérer s'applique à une zone dans laquelle les Etats côtiers et du pavillon ont les uns et les autres des droits et des intérêts. Une obligation de négocier dans ce cas semble s'ensuivre, comme l'a déclaré la Cour internationale de Justice dans l'affaire du Royaume-Uni contre l'Islande vu la nature même des droits respectifs des parties. Rap.CIJ 1974, 32 (traduction ad hoc). Les droits respectifs des Etats côtiers et du pavillon ne sont pas nécessairement les mêmes, ni même similaires, aux intérêts en cause dans cette affaire. Cf. également Brown, 1977 340–43

Septièmement, les Etats du pavillon pêchant dans la région ne sont, eux non plus, pas libres d'exploiter à leur convenance la région ou d'adopter leurs propres mesures de conservation et d'exploitation, tant qu'ils ne se sont pas acquittés du devoir de coopérer avec les Etats côtiers sur ces points. L'article 116 conditionne spécifiquement la liberté de l'Etat du pavillon de pêcher en haute mer en la rendant tributaire des droits et obligations, ainsi que des intérêts des Etats côtiers, tels qu'ils sont établis à l'article 64. Après l'échec de la coopération, les Etats du pavillon peuvent décider des mesures qu'ils souhaitent prendre dans la région située au delà de 200 milles marins, sous réserve des obligations des articles 117 et 119 du projet de Convention. La plus importante de ces obligation, aux fins présentes est celle qui est définie à l'alinéa 2 de l'article 119, de diffuser et d'échanger régulièrement “les informations scientifiques disponibles, les statistiques relatives aux captures et à l'effort de pêche et les autres données concernant la conservation des stocks de poisson” par l'intermédiaire d'une organisation internationale compétente.

Huitièmement, l'Etat côtier et les autres Etats pêchant dans la région sont tenus de coopérer mais le mécanisme de cette coopération leur appartient. En vertu de l'article 64 du projet de Convention la coopération requise peut s'effectuer par interaction directe ou “par l'intermédiaire des organisations internationales appropriées”. L'article 64 n'exige pas des Etats en cause qu'ils coopèrent par l'intermédiaire d'une organisation internationale. Si ces Etats ne coopèrent pas directement et si pour la région considérée, il n'existe pas d'organisation internationale appropriée, l'article 64 leur enjoint de créer une telle organisation et de participer à ses travaux.

Le droit de pêche applicable en haute mer n'est pas évident si l'Etat pratiquant la pêche hauturière ne “reconnaît” pas les droits de l'Etat côtier, etc. Cependant, ce droit semble suffisamment précisé pour que certaines mesures prises par l'Etat côtier puissent être appliquées sans qu'il y ait violation du traité ou du droit international. Un différend relatif à l'interprétation de l'article 116 tomberait sous le coup de la procédure de règlement obligatoire des litiges, prévue à la partie XV du traité.

A la lumière des considérations ci-dessus, corollaires des dispositions du projet de Convention sur le droit de la mer, les conclusions ci-après sont formulées, quant à l'autorité de l'Etat côtier et de l'Etat du pavillon de réglementer l'exploitation des grands migrateurs dans les enclaves:

(1)   les Etats côtiers n'ont pas le droit d'étendre unilatéralement leur autorité directe sur la pêche en haute mer dans une enclave et les Etats non côtiers ont le droit d'y pêcher, sous réserve d'une part de la reconnaissance des droits, obligations et intérêts de l'Etat côtier stipulés à l'article 64 du projet de Convention et d'autre part des obligations décrites aux articles 116 à 119;

(2)   les Etats côtiers adjacents ont le droit de demander que les Etats pratiquant la pêche hauturière négocient avec eux, selon des dispositifs adoptés d'un commun accord, “en vue d'assurer la conservation” et “de favoriser l'exploitation optimale” des espèces de grands migrateurs dans les enclaves et dans la ZEE. Un tel effort de coopération, fait en bonne foi, constitue un préalable de conditions raisonnables à l'exploitation en haute mer des thonidés ou des autres espèces de grands migrateurs, à la lumière de l'article 116 du projet de Convention, stipulant que le droit de pêcher en haute mer est sujet, entre autres, aux droits et obligations (des Etats côtiers) tels qu'ils sont prévus à l'article 6440. Une telle coopération sous forme de négociations exige, par voie de conséquence que les Etats côtiers négocient en bonne foi la conservation et l'exploitation optimale des espèces de grands migrateurs qui se trouvent dans leur zone économique;

(3)   l'échec des négociations relatives aux espèces de grands migrateurs qui se trouvent dans la région, tant à l'intérieur de la ZEE qu'au delà, laisserait à l'Etat côtier la liberté d'adopter ses propres mesures pour les grands migrateurs qui se trouvent dans sa zone, à condition qu'elles soient conformes à la Convention. La détermination par l'Etat côtier du volume admissible des captures, de sa propre capacité d'exploitation, la répartition du reliquat et la teneur de sa réglementation ne sauraient être remises en cause sous le régime de la procédure de règlement obligatoire des litiges de la Convention. Par contre, les actions (ou leur omission) des Etats pratiquant la pêche hauturière dans les zones d'enclave, jugées incompatibles avec les obligations qu'ils encourent en vertu du projet de Convention, peuvent être attaquées; dans l'éventualité d'un litige quant à l'interprétation ou à l'application de la Convention, ce différend peut être soumis aux procédures obligatoires prévues à la partie XVI;

40 Pour une conclusion similaire, cf. van Dyke et Heftel (1981, 43)

(4)   l'article 64 du projet de traité exige que les grands migrateurs de la région (à l'intérieur et au delà de la ZEE) soient gérés par coopération directe entre les Etats côtiers et hauturiers ou par l'intermédiaire d'organisations internationales, ou encore par l'une et l'autre modalités. Cet article n'exige pas la création d'organisation internationales en vue de réglementer l'exploitation des grands migrateurs dans une région. Les Etats concernés - Etats côtiers et hauturiers - peuvent décider soit de coopérer directement, soit de créer une ou plusieurs institutions internationales, soit de combiner les deux procédures. Quelle que soit la voie adoptée, les Etats hauturiers doivent nécessairement être appelés à participer d'une manière ou d'une autre, faute de quoi il n'y aurait évidemment pas coopération. Cependant, il ne s'ensuit pas que si les Etats cherchent à coopérer par l'intermédiaire d'une organisation internationale, ils soient dans l'obligation d'adopter un type plutôt qu'un autre d'organisme. Les fonctions des organisations mentionnées à l'article 64 ne sont décrites ni en termes généraux ni en détail41. Il apparaît alors que, pour ce qui concerne les obligations de l'article 64, les Etats en cause sont libres de spécifier quelque structure qu'ils pourraient désirer pour leur organisation et ils pourraient prendre des mesures afin que le mandat de l'institution soit exécuté de diverses façons.

Il ne s'ensuit donc pas de l'article 64 que l'institution doive recevoir autorité pour prendre des décisions quant à conservation ou à la répartition des bénéfices. Les organismes existants, chargés de s'occuper de grands migrateurs, n'ont pas d'autorité exécutoire définitive sur ces questions; ils ont pour fonction de formuler des recommandations sur ces points destinées à leurs Etats Membres. Pour ce qui est d'un certain nombre d'autres questions aussi, les institutions existantes opèrent différemment. Une seule, la Commission interaméricaine pour le thon tropical peut procéder à des recherches. Aucune d'entre-elles n'a reçu de pouvoir d'exécution. En conséquence, les organisations prévues à l'article 64 pourraient différer de celles qui existent dans leurs objectifs, leur structure et leurs fonctions en matière de prises de décisions. Faute d'avoir prévu une structure organique, des objectifs, des fonctions, etc., les Etats ne sont manifestement pas tenus de choisir entre la coopération directe et une institution internationale. Ces Etats peuvent souhaiter créer une institution dotée d'une certaine structure, ayant une certaine composition et dotée de certaines fonctions et la priver de toute autorité quant à la prise de décisions définitives, se réservant de procéder aux choix ultimes dans des réunions séparées. Si la coopération par la voie unique de l'organisation internationale implique sans équivoque que les Etats hauturiers doivent en être membres, les dispositions relatives à leur participation pourront être conçues d'un certain nombre de façons. En dernière analyse, les modalités et les moyens de coopération seront fonction des parties coopérantes elles-mêmes et des négociations dans lesquelles le pouvoir de négociation des parties en cause sera déterminant. Les dispositions de l'article 64 et de tous les articles connexes ne sont guère contraignantes en la matière.

41 Alors qu'aucun des textes produits à l'occasion des négociations sur le droit de la mer n'a donné de détails sur les organisations internationales qu'il mentionnait, les négociations du groupe Evensen en ont envisagé quelques-uns. La sixième révision des articles du groupe Evensen sur la zone économique (en date du 16 avril 1975), prévoyait une organisation internationale chargée de formuler des normes et des recommandations concernant la conservation et l'exploitation optimale dans l'ensemble de la région. L'Etat côtier aurait eu l'obligation de s'assurer que ces lois et règlements sont conformes aux normes, mais uniquement af in de tenir compte des recommandations. Ces dernières devaient avoir trait aux captures admissibles, à des conditions équitables relatives aux permis d'exploitation du contingent, aux droits et aux droits et aux sanctions, les normes étant apparemment destinées à s'appliquer à la conservation. Cette délégation d'une autorité modeste à une organisation internationale n'a pas survécu aux négociations visant à la faire inclure dans le texte de négociation composite officieux

C.   Observations finales

Les questions relatives à l'autorité de l'Etat côtier sur la pêche dans les enclaves de haute mer ne sauraient recevoir de réponse simple, comme le montre la discussion qui précède. Avec les réserves dont il est fait état, il apparaît cependant que, en vertu du projet de traité sur de droit de la mer un Etat côtier pourrait, en certaines circonstances demander qu'un Etat pratiquant la pêche hauturière s'abstienne de pêcher dans une enclave, à moins que ses navires de pêche n'observent certaines conditions de conservation et de gestion. Le principal préalable à une telle demande résiderait dans le refus de l'Etat hauturier de coopérer à la conservation et à l'exploitation optimale.

Les exigences de l'article 64 du projet de Convention sur le droit de la mer semblent suffisamment souples pour permettre aux Etats d'une région d'établir un organisme internationale dont ils seraient les seuls membres pour coopérer avec les Etats pratiquant la pêche hauturière - à l'exploitation des fonds de pêche enclavés. Une telle organisation ne saurait réglementer les activités de pêche des Etats hauturiers dans l'enclave et pourrait, en tant que représentant de tous les Etats d'une région adopter la position qu'un Etat hauturier non coopérant n'a aucun droit d'accès aux fonds de pêche dans l'enclave, à moins de respecter certains règlements. Les différends concernant l'autorité relative des Etats côtiers, de l'institution internationale qu'ils créent et de l'Etat pratiquant la pêche hauturière seraient sujets à la procédure obligatoire de règlement des litiges établie dans le projet de traité sur le droit de la mer.


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