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II.  TRANSIT DES NAVIRES DE PECHE PAR LES ZONES DE JURIDICTION NATIONALE AU DELA DE LA MER TERRITORIALE

A.   Intérêts conflictuels en présence

L'adoption généralisée de zones économiques exclusives ou de pêche de 200 milles marins a eu pour conséquence d'enfermer la vaste majorité des ressources biologiques marines dans des zones de juridiction nationale, d'oùcontrôle des Etats côtiers1. Ces secteurs continuent toutefois d'être utilisés aux fins de la navigation traditionnelle par toute sorte de navires entre certaines parties de la haute mer et entre zones de juridiction d'Etats côtiers ou entre les unes et les autres. Les Etats côtiers exerçant le contrôle sur les pêcheries de leur zone se préoccupent évidemment de ce que les navires de pêche se bornent à y passer ou qu'ils respectent les règlements applicables en matière de pêche. Ces Etats ont tout intérêt à s'assurer que les navires en transit ne s'engagent pas dans des opérations de pêche illicites ou qu'ils ne violent pas autrement les lois régissant toutes les activités de pêche et connexes dans leur zone.

Les Etats du pavillon des navires de pêche transitant dans une zone sont d'autre part intéressés à une utilisation efficace des zones intermédiaires aux fins de la circulation de leurs navires vers les régions éloignées et souhaitent par conséquent que leurs mouvements à travers les zones de pêche soient possibles sans interférence ou obstacle notables. En outre, les Etats maritimes en général pourraient en venir à se préoccuper du traitement accordé aux navires de pêche dans la mesure où ils envisagent des difficultés potentielles pour les autres types de navires utilisant la zone si les Etats côtiers revendiquaient d'autres possibilités de contrôle de la navigation dans la zone2.

Les intérêts des Etats côtiers, comme ceux des Etats du pavillon, sont légitimes. La question qui se pose est de savoir comment l'Etat côtier peut protéger ses intérêts reconnus dans les pêcheries de sa zone sans susciter 1'opposition des Etats maritimes le plus intéressés au maintien du principe de la liberté de navigation.

Le conflit d'intérêts n'est pas une pure figure rhétorique. La crainte d'opérations de pêche illicites, de la part des navires de passage, a troublé certains Etats insulaires du Pacifique dans les zones desquelles des navires coréens, japonais et taiwanais transitent normalement lorsqu'ils se rendent sur des fonds de pêche situés ailleurs3. Au large de l'Afrique de l'Ouest, un problème similaire risque de se poser, des navires européens transitant dans la région en route vers l'Afrique du Sud, la Namibie et le Sénégal. Dans la partie orientale de l'océan Indien des difficultés pourraient être créées par des navires en route du sud de la région vers la baie du Bengale4. Il serait même concevable que des Etats pratiquant la pêche pourraient obtenir des permis de pêche d'un Etat particulièrement complaisant5 et attribuer leurs captures à la zone de cet Etat alors qu'elles auraient en fait été effectuées dans un autre Etat en prétexant qu'ils se bornaient à transiter dans les eaux de ce dernier. On ne sait pas si de tels “permis de complaisance” ont été obtenus ou utilisés de la sorte.

1  Au ler mai 1981, le Département d'Etat américain rapportait que 90 Etats revendiquent des zones de 200 milles, dont 54 dont des zones économiques et 14 des mers territoriales, 32 étant des zones de pêche élargies. Il est consigné dans le rapport que les situations frontalières avec les Etats voisins interdisent à de nombreux Etats d'étendre pleinement leur zone de pêche à 200 milles marins

2  Concernant la prise de conscience précoce et la nécessité d'être prudent en la matière, on se réfèrera à Bilder (1974)

3  L'Ambassadeur Djalal a fait état de cette préoccupation pour ce qui est des navires en transit dans les eaux indonésiennes. Cf. Djalal (1980).

B.   Options possibles en matière de protection des intérêts côtiers

Un certain nombre de mesures ont été adoptées ou proposées en vue de la sauvegarde des intérêts halieutiques des Etats côtiers à l'encontre de navires en transit réel ou ostensible. Celles-ci varient, comme nous le verrons ci-après, quant à leur compatibilité avec le droit international et leur acceptabilité éventuelle. La discussion qui fait suite se réfère aussi à la législation pertinente et, le cas échéant à l'usage national. Parmi les mesures possibles, on peut envisager:

(1)   l'application aux navires de pêche en transit dans la zone de pêche du même traitement que celui qui est en vigueur dans la mer territoriale.

Pour ce qui est de la pêche effective par ces navires, cette option est d'ores et déjà uniformément admise, en d'autres termes les Etats côtiers peuvent prendre des mesures pour interdire toute opération de pêche étrangère non autorisée dans la zone de pêche, d'une manière qui ne diffère pas sensiblement de celle qui est applicable dans la mer territoriale. Une telle démarche comporterait cependant les éléments nouveaux ci-après:

(a)   respect des lois imposées aux navires de pêche en transit dans la mer territoriale7. Faute de respecter ces lois, la protection du passage inoffensif serait perdue, l'Etat côtier ayant alors le droit de prendre les mesures nécessaires pour interdire le passage. L'Etat côtier pourrait, par ailleurs, chercher à imposer les sanctions plus graves de l'arraisonnement de l'imposition d'une amende et de la confiscation soit du navire, des engins ou des captures soit du tout. La loi la plus significative, applicable par un Etat côtier à cet égard est peut-être celle qui exige que les engins soient arrimés de telle sorte qu'ils ne soient pas aisément accessibles8;

(b)   le passage des navires de pêche en tant que catégorie pourrait être suspendu sous prétexte qu'une infraction aux lois de pêche des Etats côtiers menace la sécurité desdits Etats9. Une telle mesure serait sans doute justifiée en termes d'impact sur la santé économique de l'Etat côtier et la situation fiscale produite par l'exploitation frauduleuse à grande échelle de la zone de pêche;

4  Les zones dont il est fait état dans le texte ne sont citées qu'à des fins d'illustration. On pourrait également évoquer les Caraibes ainsi que la partie occidentale de l'Amérique du Nord, Centrale et du Sud

5  Dans ce cas, la complaisance pourrait avoir pour objet, par exemple, des droits de pêche très inférieurs à ceux que d'autres Etats de la région imposent pour la même espèce ou des espèces comparables

6  Cette situation est déjà applicable dans les 14 Etats qui revendiquent désormais une mer territoriale de 200 milles

7  Alors que les Maldives exigent de donner leur autorisation pour l'entrée de navires de pêche dans leur zone économique exclusive, leur législation applique les normes afférentes au passage inoffensif aux mouvements dans la ZEE. (Loi No 32/76 du 5 décembre 1976, article 1). L'exigence de leur consentement est en contradiction avec la notion même de passage inoffensif

8  Cette référence est particulièrement significative, dans l'ensemble de la législation des Etats côtiers. L'auteur examine ultérieurement l'option qui consiste à n'appliquer la règle de l'arrimage qu'à la zone économique ou à la zone de pêche concluant que cela serait admissible en droit international

(c)   les mouvements à travers la zone doivent être continus et rapides, ce qui signifie qu'il est interdit de s'arrêter, sauf dans le cadre des opérations normales de navigation ou par suite de force majeure ou dans une situation de détresse ou pour porter assistance. Il semblerait aussi que la voie empruntée doive être directe et que tout détour doive être évité, sous réserve des conditions que nous venons d'évoquer;

(d)   l'Etat côtier pourrait par ailleurs demander que les navires de pêche dans la ZEE ou dans la zone de pêche élargie respectent toutes les lois côtières applicables en mer territoriale, y compris éventuellement les réglementations applicables à la navigation et à la sécurité du trafic, à la pollution, à la sécurité (et notamment les zones de fermetures, les interdictions en matière de communications radio, les procédures particulières de déclaration), et les procédures douanières (y compris la déclaration des mouvements).

Pour autant que l'on sache, aucun Etat n'a tenté d'étendre toutes les lois applicables à sa mer territoriale aux navires de pêche dans sa zone de juridiction ou au delà. Certains ont, dans leur législation une disposition autorisant de telles mesures dans leur ZEE10. Comme on le notera ci-après certaines composantes spécifiques du régime de la mer territoriale sont toutefois élargies à la zone de juridiction y compris, bien évidemment, la plus significative, à savoir l'interdiction de toute exploitation des fonds de pêche par des navires étrangers.

(2)   interdiction absolue pour les navires étrangers d'accéder à la zone de pêche sauf autorisation expresse.

Deux Etats seulement semblent avoir adopté une législation qui aille aussi loin. L'une d'elles (celle de la République arabe du Yémen) est ambiguë, l'interdiction étant prévue dans tous les cas à l'exception des entrées “susceptibles d'être admissibles en droit international ou en vertu d'une convention ou d'un traité”11. Par contre les Maldives sont tout à fait explicites et interdisent l'entrée de tout navire de pêche, y compris pour transiter12.

9  La Convention de 1958 sur la mer territoriale et la zone contiguë et le projet de convention sur le droit de la mer de 1981 permettent d'une et l'autre la suspension temporaire du passage dans certaines conditions. Il est très douteux que la mesure évoquée dans le texte soit compatible avec les dispositions de l'un et de l'autre de ces documents

10 On verra par exemple la législation de l'Inde, du Pakistan, des Seychelles, de la Barbade et de la Guyane, applicable à la zone économique de ces pays. L'article 7(7) de la loi indienne semble en constituer le prototype et s'énonce comme suit: “le Gouvernement central peut, par voie de notification dans la Gazette officielle (a) étendre, avec toutes les restrictions et modifications qu'il jugera nécessaires, tout ou partie de la législation indienne applicable à la zone économique exclusive ou à toute partie de cette zone; et (b) prendre toutes dispositions qu'il pourra juger nécessaires pour favoriser l'exécution de cette législation et toute législation ainsi élargie produira ses effets comme si la zone économique exclusive ou la partie de cette zone à laquelle elle a été élargie faisait partie du territoire de l'Inde”. L'objectif de cette loi pourrait différer de son propos apparent. Quel qu'ait été le concept sous-jacent, les termes semblent suffisamment vagues pour autoriser l'extension à la ZEE du texte de la loi sur la mer territoriale

11 Article 2, Loi sur la pêche de 1976. Je tiens à exprimer ma gratitude à M. R. Khan, de la FAO, pour les informations qu'il m'a données sur cette loi, qui ne figure pas dans le Recueil des traités des Nations Unies

12 Loi No 32/76 du 5 décembre 1976. Ellestipule que le passage inoffensif s'applique à la zone économique mais simultanément et de façon contradictoire elle interdit l'entrée de tout navire de pêche sauf s'il a obtenu l'autorisation de pénétrer. Il semblerait que l'application de cette interdiction ne soit que rarement efficace. Cependant des navires ont été saisis lorsqu'ils étaient en panne ou en difficulté. Même au cas où cette interdiction d'entrée était levée, les Maldives seraient encore en contradiction avec tous les autres du fait de cette exigence du passage inoffensif

(3)   utilisation obligatoire par les navires de pêche en transit de couloirs spécifiés que l'Etat côtier surveille et dans lesquels ils assure la police.

A l'heure actuelle il ne semblerait pas qu'aucun Etat côtier exige que les navires de pêche empruntent un couloir précis, dans les ZEE ou les zones de pêche élargies; certains ont cependant prévu dans leur légilsation sur la ZEE des dispositions autorisant une telle exigence. La législation indienne applicable à la ZEE détermine un secteur spécifié dans la zone, dans lequel les dispositions nécessaires peuvent être prises aux fins d'exploration, d'exploitation et de protection des ressources. Une “explication” figurant à la suite de cette section énonce que:

“Une notification, formulée en vertu de cette sous-section, peut stipuler la réglementation de l'entrée dans la zone désignée ou le passage dans cette zone de navires étrangers par la mise en place de voies, de couloirs, de dispositifs de séparation de la circulation ou de tout autre moyen d'assurer la liberté de navigation ne portant pas préjudice aux intérêts de l'Inde13”.

Parmi les autres Etats dotés de dispositions analogues, on citera les Seychelles, le Pakistan et la Guyane. Ces Etats incluent ces dispositions dans le statut même et non dans une “explication”14.

Il est intéressant de noter aussi que la loi australienne pourrait avoir pour effet d'imposer un couloir maritime obligatoire. L'article 13AB de la Loi sur la pêche stipule en effet que: “nul ne devra, dans la zone de pêche déclarée, avoir en sa possession ou à sa charge un navire étranger équipé de filets…” pour prendre du poisson. Tout navire en transit tomberait sous le coup de cette interdiction, sous réserve toutefois d'un paragraphe ultérieur précisant qu'il suffit à un accusé de convaincre la cour que “(b) le navire passait dans la zone de pêche australienne--

…(iii) d'un point situé à l'extérieur de la zone de pêche australienne à un autre point situé à l'extérieur de la zone de pêche australienne, par la voie la plus brève possible15; (souligné de l'auteur).

Il existe vraisemblablement un trajet qui est le plus court entre deux points en un moment déterminé et il appartiendrait au capitaine du navire arraisonné sur un autre trajet de persuader la Cour que ce dernier était le plus court possible. Il est évident que cette approche est assez dangereuse pour le navire de pêche qui risque d'être arraisonné et d'avoir ensuite à prouver sa bonne foi en tant que navire entransit. Cela est tout à fait incompatible avec la liberté de navigation. En outre, le respect de la loi oblige le navire à pratiquer chaque fois que possible un trajet déterminé dans les eaux australiennes En dernière analyse, ce n'est donc pas au commandant du navire qu'il appartient de déterminer ce qui est possible mais à une cour qui n'a pas de connaissance directe de la mer ou de l'incident.

13 Article 7(6): Loi de 1976 sur les eaux territoriales, la plate-forme continentale, la zone économique exclusive et les autres zones maritimes

14 La Loi espagnole relative à la zone économique est suffisamment vague pour exiger des navires étrangers qu'ils respectent une variété de lois, et ce, afin de se protéger contre toute exploitation illicite de ses ressources biologiques. Il est stipulé à l'Article 5 que: “dans l'exercice de la liberté de navigation, les navires de pêches étrangers doivent respecter la législation espagnole visant à interdire la pêche de ces navires dans la zone économique, y compris les lois relatives au transport d'appât”. La sanction éventuellement applicable en cas de non respect n'est pas précisée. En outre, la loi de 1975 sur la zone de pêche exclusive du Pakistan (réglementation de la pêche) stipule, dans sa section 4, que tout navire de pêche sera sujet à toute loi relative à la navigation actuellement en vigueur

15 Article 15(d) de la Loi de 1978 portant amendement de la Loi sur la pêche

(4)   Déclaration obligatoire par les navires de pêche en transit de la date et du lieu de leur entrée et de leur sortie16.

Le poisson à bord doit être déclaré à l'entrée. A défaut, si le navire est arraisonné dans la zone, le poisson en cale sera présumé avoir été capturé dans la zone.

(5)   Les navires de pêche en transit doivent arrimer et assujettir leurs engins de telle sorte qu'ils ne soient pas facilement accessibles pour des opérations de pêche17.

(6)   Obligation faite aux navires de pêche en transit d'avoir à bord des émetteursrécepteurs pour faciliter leur localisation et leur identification18.

(7)   Mise en oeuvre, par voie d'accords internationaux, des mesures de protection.

C.   Droit international applicable

L'acceptabilité, par les Etats, des différentes options évoquée ci-dessus est régie par le droit coutumier et le droit conventionnel potentiel. Il convient d'analyser le droit coutumier car les traités relatifs au droit de la mer, conclus à Genève en 1958, ont, pour l'essentiel, connu une évolution dans la pratique des Etats. L'adoption quasi-universelle des zones de pêche exclusives de 200 milles a modifié les accords incorporés dans la Convention de 1958 sur la haute mer. Ce nouveau droit coutumier est examiné ci-après, pour chacune des mesures éventuellement applicables aux navires de pêche transitant dans une zone.

16 Pour autant que l'auteur ait pu s'informer, aucun Etat n'exige que les navires en transit déclarent à l'Etat côtier leur entrée et leur passage. Cependant la législation de plusieurs Etats est suffisamment large pour faire une place à des dispositions relatives à ce types de déclaration. On citera à cet égard l'Inde, les Seychelles, le Pakistan, la Barbade et la Guyane (cf. note 10, p. 3)

La réglementation canadienne (Coastal Fisheries Protection Regulations) exige une déclaration d'entrée si les fonctionnaires canadiens le demandent. Il est prévu à la section 15(2) qu'un navire de pêche étranger en route dans les eaux canadiennes constituant des fonds de pêche “est soumis aux conditions ci-après tant qu'il se trouve dans les eaux canadiennes:

(c)   Lorsqu'un fonctionnaire chargé de la protection ou le Directeur général régional demande des informations sur le nom, l'Etat du pavillon, le lieu, la route ou la destination du navire ou les circonstances dans lesquelles il est entré dans les eaux canadiennes, le commandant de bord fournira rapidement ces informations à ce fonctionnaire ou au Directeur général régional.”

Si le navire en transit était initialement entré dans les eaux canadiennes en conditions de détresse ou pour porter assistance, le navire est tenu de prendre l'initiative de faire rapport sur les circonstances de son entrée, son nom, l'Etat du pavillon, le lieu, sa route et sa destination (Article 14)

17 Parmi les Etats exigeant que les engins soient arrimés dans la zone économique ou dans la zone de pêche, il faut citer l'Australie (pour se défendre de l'accusation de détenir ou de posséder un navire étranger équipé pour capturer du poisson), la Nouvelle-Zélande, les Seychelles, la Sierra Leone (mer territoriale de 200 milles marins), l'archipel des Salomon, l'Espagne, le Canada, la Gambie, les Maldives et le Royaume-Uni

18 Les navires autorisés à exploiter une zone sont souvent tenus d'emporter des émetteursrécepteurs mais, pour autant que l'on sache, cette disposition n'a pas été étendue aux navires en transit

Il semble désormais probable que la Troisième Conférence des Nations-Unies sur le droit de la mer s'achèvera dans un avenir proche par 1'approbation d'un projet de Convention sur le droit de la mer. Le projet de 1981 contient presque à coup sûr les dispositions matérielles pertinentes au problème immédiat, et cela ne manquera pas de se refléter dans le traité qui sera ultérieurement signé. L'accord sur le droit de la mer contiendra un jour à venir les normes que les Etats appliqueront pour évaluer 1'acceptabilité des mesures des Etats côtiers affectant la navigation des bateaux de pêche dans leur zone économique. Connaître les vues actuelles quant à l'interprétation des dispositions applicables de ce traité est donc particulièrement intéressant. Nous les examinerons ici même car elles sont pertinentes à l'évaluation de toutes les options possibles; à la section suivante, nous étudierons plus en détail chacune des variantes, dans 1'optique des dispositions applicables du droit coutumier et du projet de Convention sur le droit de la mer. Ces observations ont leur place ici du fait qu'elles évoquent en matière de liberté de la navigation certaines attitudes qui expliquent ce que 1'on attend du droit coutumier ou conventionnel. Or la manière dont les diverses options ouvertes en matière de transit des navires de pêche pourraient être reçues en est tributaire.

Pour ce qui est de la Convention sur le droit de la mer, le problème fondamental, en matière de réglementation des navires de pêche en transit consiste à concilier le droit de pêche des Etats côtiers et la reconnaissance de la liberté de navigation dans la ZEE. La Convention (article 56) stipule que, dans la ZEE l'Etat côtier a “des droits souverains aux fins d'exploration et d'exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles biologiques ou non biologiques, des eaux surjacentes aux fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol”. En exerçant ces droits, l'Etat côtier a l'obligation de tenir “dûment compte des droits et des obligations des autres Etats”. La Convention fait état de l'autorité de l'Etat côtier de promulguer des lois et des règlements relatifs à l'exploitation de la ZEE (article 62), sans toutefois expressément stipuler sa compétence à des fins de réglementation vis-à-vis des navires de pêche en transit.

La Convention établit que d'autres Etats ont des droits dans la ZEE. Ainsi, il est stipulé à l'article 58 que “dans la zone économique exclusive, tous les Etats, qu'ils soient côtiers ou sans littoral, jouissent, dans les conditions prévues par les dispositions pertinentes de la Convention, des libertés de navigation et de survol …” visées à l'article 87.

La question qui se pose spécifiquement dans le contexte de ces dispositions consiste à savoir si l'Etat côtier peut prescrire et imposer aux navires de passage des mesures visant à éviter toute pêche illicite. Dans le contexte de la Convention, la question est de savoir si les règlements affectant les navires de passage entrent dans le cadre des droits souverains de l'Etat côtier en matière de conservation et de gestion des pêcheries dans sa ZEE. Si cette réglementation est une manifestation de 1'exercice de ces droits souverains, en vertu de l'article 73, l'Etat côtier peut prendre toutes mesures, y compris l'arraisonnement, l'inspection, la saisie et l'introduction d'une instance judiciaire, qui sont nécessaires pour assurer le respect des lois et des règlements qu'il a adoptés. En outre, le droit à la liberté de navigation reconnu dans l'article 58 est expressément établi “dans les conditions prévues par les dispositions pertinentes de la Convention” au nombre desquelles il faut ranger celles qui stipulent les droits souverains de l'Etat côtier.

Les vues divergent quant à la compétence de l'Etat côtier d'adopter des mesures affectant le transit des navires de pêche dans la zone. Selon les tenants d'une opinion, la liberté de navigation mentionnée dans l'article 58 est identique à la liberté de navigation en haute mer selon le droit traditionnel. Dans un article mettant l'accent sur l'importance que revêt pour les Etats-Unis d'Amérique la liberté de mouvement dans le contexte du droit de la mer, l'Ambassadeur des Etats-Unis Elliot Richardson a fait observer, quant au libellé de l'article 58 que:

“dans le groupe qui a négocié ce libellé, il était admis que les libertés en cause, tant à l'intérieur de la zone de 200 milles qu'au delà, doivent être qualitativement et quantitativement les mêmes que les libertés traditionnelles de la haute mer reconnues par le droit international. Elles doivent être qualitativement les mêmes en ce sens que la nature et l'étendue du droit est le même que la liberté traditionnelle de la haute mer; elles doivent être quantitativementles mêmes en ce sens que les utilisations de la mer dont il est fait état doivent porter sur un éventail non moins complet - et permettre des utilisations ultérieures non moins exhaustives - “que les libertés traditionnelles en pleine mer” (souligné dans l'original)19.

19 cf. Richardson (1980)

Alors que le passage précédent n'exclut pas explicitement la réglementation, par l'Etat côtier, du droit de passage, soigneusement conçu et limité de manière à protéger les ressources ichtyologiques de l'Etat côtier contre toute exploitation illicite, on peut raisonnablement l'interpréter ainsi. En vertu du droit international traditionnel, un Etat côtier ne pouvait pas étendre sa réglementation aux navires de pêche de passage au delà de sa mer territoriale, et tout effort visant à forcer le respect de sa réglementation aurait été considéré comme incompatible avec la liberté de navigation en haute mer20. Dans le même article, l'auteur note plus loin qu'en vertu de ce texte, les Etats-Unis auraient le droit de citer en justice un Etat qui interfererait avec (le droit de navigation ou de survol)21.

Dans un autre commentaire constituant une analyse détaillée du problème de l'accommodement entre le droit d'un Etat côtier sur ses ressources et les droits des Etats tiers dans la ZEE, le Professeur Bernard Oxman semble, lui aussi, expressément rejeter toute compétence d'un Etat côtier en matière de réglementation des navires de pêche de passage. Il écrit:

“Du point de vue strictement juridique, la zone économique élaborée dans le TNCO devrait être considérée comme se superposant à la haute mer. La liberté de pêche en général est éliminée et, dans une certaine mesure, certaines autres libertés aussi (à l'égard de certaines recherches et installations scientifiques, etc.), de même que certains droits ou juridictions concurrentielles sont établies à l'égard de certaines autres (certaines recherches scientifiques et une partie de la pollution engendrée par les navires, etc). Le rôle traditionnel de l'Etat du pavillon n'est cependant pas éliminé pour autant.

L'exemple le plus évident découle des articles relatifs à la pollution engendrée par les navires. Les droits de l'Etat côtier ne viennent pas se substituer aux droits et obligations de l'Etat du pavillon concernant le contrôle de la pollution inhérent à ses navires, mais, en fait, viennent les compléter. D'autres exemples méritent cependant d'être notés aussi. Les droits souverains de l'Etat côtier en matière de pêche ne privent pas un navire de pêche de sa liberté de navigation; ils ne privent pas davantage l'Etat du pavillon de sa juridiction sur ce navire, par exemple en cas de collision, voire de son droit de prendre des sanctions à l'encontre du commandant et de l'équipage en cas de violation des lois de pêche de l'Etat côtier, indépendamment de toute action de ce dernier. L'existence de juridictions distinctes, applicables au même navire dans la même zone, suivant ses activités risque en pratique d'imposer certains intéressants compromis, selon l'évènement. Faute de preuves précises il serait manifestement injustifiable d'arraisonner et de saisir un cargo ou un pétrolier navigant dans la zone pour s'assurer qu'il n'est pas en train de pêcher; il serait toutefois non moins manifestement imprudent de s'attendre à ce que l'Etat côtier s'abstienne de faire une enquête au cas où une importante flottille de pêche se déplacerait lentement, avec des engins prêts à fonctionner et sans destination apparente, sur un fond de pêche riche en ressources et éloigné de toute voie de navigation connue22”.

20 cf. Bilder (1974); 150–52. Bilder fait toutefois remarquer que la Convention de 1958 sur la plate-forme et la Convention de la même année sur l'exploitation et la conservation des ressources biologiques de la mer qualifiaient implicitement le principe de non interférence, qui est un corollaire de la liberté de navigation. Id. 152

21 cf.Richardson (1980); 916

22 cf. Oxman (1977). Depuis de nombreuses années, le Professeur Oxman est l'un des principaux négociateurs des Etats-Unis aux Conférences sur le droit de la mer. Dans un article récent j'ai manifesté mon accord avec une déclaration du Professeur Oxman, à savoir que la Convention établit 1'“identité qualitative” de la zone économique et les libertés de la haute mer. Burke, National Legislation on Ocean Authority Zone and the Contemporary Law of the Sea, 9 ODILJ 289, 303 (1981). Comme on le notera ciaprès, cette identité peut être admise sans que cela implique le rejet de toute autorité de l'Etat côtier pour protéger les pêcheries par des mesures affectant la navigation

L'exemple qui vient d'être donné suggère que tout ce que l'Etat côtier pourrait faire pour se protéger consiste à s'enquérir, en arraisonnant les navires faisant partie de l'“importante flottille de pêche”. Toute autre mesure serait interdite, alors même qu'elle serait raisonnable eu égard aux intérêts des Etats côtiers et du pavillon.

L'équilibre inhérent à la Convention sur le droit de la mer peut donner lieu à des vues diamétralement opposées, à savoir que les droits inhérents à la liberté de navigation et de survol sont sujets aux “conditions prévues par les dispositions pertinentes de la Convention” et que, en conséquence, ces droits sont subordonnés aux compétences côtières dans la ZEE. Dans cette interprétation de la Convention, 1'emploi même de 1'expression “droits souverains” implique que, en cas de doute, la présomption jouera en faveur des pouvoirs et de la juridiction pléniers de l'Etat côtier23”:

“Il faut bien admettre que l'équilibre des principes pèse largement en faveur des Etats côtiers. C'est pour une part une question de droits souverains exercés dans le respect qui convient des droits des autres Etats; d'autre part, les libertés de navigation, de survol, etc., sont exercées “dans les conditions prévues par les dispositions pertinentes de la Convention… ” (et) les Etats tiennent dûment compte des droits et des obligations de l'Etat côtier24”. Cette interprétation accorde un poids maximum aux intérêts de l'Etat côtier et inciterait à résoudre tout différend en sa faveur.

Ces deux interprétations contradictoires du projet de Convention sur le droit de la mer n'épuisent pas les possibilités. Il s'ensuit simplement que dans la question présentée, des vues très différentes peuvent être exprimées. Une autre, qui sera précisée dans la discussion ultérieure des options spécifiques, consiste à affirmer que la liberté de navigation n'exempte pas totalement les navires de pêche en transit de respecter des mesures prises par l'Etat côtier pour faire respecter son interdiction de la pêche en fraude, à condition que ces mesures soient essentielles à l'application effective, qu'elles n'affectent pas sensiblement le transit et qu'elles présentent pour l'Etat côtier des avantages significatifs. Des exigences modestes, susceptibles d'occasionner des trajets légèrement plus longs ou l'exigence de mesures spécifiques à bord d'un navire de pêche sont compatibles avec le projet de Convention sur le droit de la mer.

D.   Evaluation des options dans le contexte du droit international de la mer

(1)   Application du droit de la mer territoriale aux navires de pêche en transit

L'éventualité de l'acceptation généralisée des propositions en vertu desquelles les navires de pêche en transit dans une zone de pêche seraient traités comme s'ils se trouvaient dans une mer territoriale n'est guère plausible. Cette option semblerait alors particulièrement peu judicieuse, tant dans le contexte du droit international coutumier que du projet de traité sur le droit de la mer. En effet, un tel traitement estomperait de manière sensible la distinction entre la mer territoriale et la zone de juridiction limitée au delà. Toute suggestion en vertu de laquelle, à des fins de navigation, les deux zones seraient similaires ou devraient le devenir, engendrerait des problèmes graves concernant la navigation militaire et d'autres formes de navigation commerciale dans la zone de juridiction élargie. S'appliquant à une catégorie de navires très importante en volume, cette option substituerait le régime de la mer territoriale, y compris en matière de passage inoffensif, à la liberté de navigation qui prévaut historiquement dans l'océan, au delà du territoire national. Alors même qu'elle se bornerait aux navires de pêche, toute modification aussi poussée du régime amènerait la zone de juridiction élargie à ressembler davantage à une mer territoriale de 200 milles. Il est utile de rappeler et de souligner que l'extension jusqu'à 200 milles, à des fins liées aux ressources, de la juridiction nationale, a déjà étendu certains droits souverains normalement associés au territoire national à une région très vaste au delà de ce territoire. Y ajouter un élément affectant la navigation d'une classe importante de navires provoquerait sans doute un très grave malaise chez de nombreux Etats du pavillon, et serait rejeté par la plupart d'entre eux.

23 cf. Brown (1977). The exclusive economic zone: criteria and machinery for the resolution of international conflicts between different users of the EEZ, 4, Marti.Pol.Mgmt. 325, 334 (1977)

24 Ibid.

La sensibilité à l'égard de cette question est exarcerbée, et non pas réduite par la conclusion peut-être imminente de la Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer. Ces négociations ont été pour une part notable initialement conditionnées par la crainte d'importants Etats maritimes à l'encontre d'une “juridiction rampante”, formule sténographique pour évoquer l'appréhension suscitée par des extensions unilatérales continues des limites de la mer territoriale. Si les négociations ne sont pas encore achevées, cette composante significative semble maintenant être définitivement réglée par des dispositions ayant réuni un consensus et établissant une mer territoriale de 12 milles et une zone économique exclusive (ZEE) au delà, jusqu'à un total de 200 milles. Un élément très sensible de la disposition ainsi acceptée concerne le régime de navigation dans les zones affectées, y compris la mer territoriale elle-même, les détroits utilisés aux fins de la navigation internationale, les eaux archipélagiques et la ZEE. Une distinction essentielle a été établie entre d'une part le régime de passage inoffensif dans la mer territoriale et de l'autre du passage en transit dans les détroits, le passage dans les voies de circulation archipélagiques et la liberté de navigation et de survol dans la ZEE. La distinction effectuée entre tous ces régimes quant à la navigation a été la clé de voûte de l'acceptation des limites de juridiction établies pour les différentes zones voire de la Convention sur le droit de la mer dans son ensemble25.

Tout mouvement manifeste sous la forme de l'adoption unilatérale d'une législation par un Etat envers l'élimination d'une partie des distinctions obtenues grâce à des négociations laborieuses et controversées, risquerait d'entraîner des résultats malheureux. On pourrait prévoir immédiatement une controverse et des conflits autour de l'action législative proprement dite, les Etats insistant sur le fait que la liberté de navigation ne saurait être totalement abolie pour les navires de pêche26. A plus long terme, peut-être plus important, on risquerait d'être amené à se poser des questions sur l'utilité d'une adhésion au Traité lui-même. Des mesures isolées proposant d'éliminer la liberté de navigation pour les navires de pêche dans la zone économique ne devraient pas avoir de conséquences graves ou occasionner d'alarmes indues, et ne le feraient sans doute pas, mais cela ne manquerait sûrement pas de constituer un élément non indifférent dans le pointage complexe des facteurs affectant la décision de ratifier ou non le Traité. Si, au lieu d'actions isolées, de forts mouvements régionaux semblaient tendre à altérer un élément de l'équilibre stipulé entre intérêts des Etats côtiers pour leurs ressources et intérêts des Etats du pavillon en matière de navigation, et incorporé dans le Traité sur le droit de la mer, on pourrait s'attendre à des conséquences bien plus graves.

Le problème des navires de pêche en transit étant localisé, (alors même que les régions en cause sont constituées par de vastes aires maritimes), tout mouvement généralisé de cette espèce est peu plausible. Si toutefois cette tendance devait bénéficier d'un appui notable dans une ou plusieurs régions océaniques, une opposition sérieuse pourrait se manifester. La législation contemporaine sur les zones économiques de l'Inde, du Pakistan, des Seychelles, de la Barbade et de la Guyane donne à penser que des difficultés notables pourraient se faire jour.

(2)   Interdiction de l'entrée de navires de pêche non détenteurs de permis

L'interdiction d'entrer est en un sens plus extrême que la première des options examinées, car elle va au delà même de l'autorité reconnue sur les navires de pêche dans la mer territoriale. L'exigence d'une autorisation pour qu'un navire de pêche étranger puisse entrer dans la mer territoriale aux fins de passage serait universellement considérée comme excédant l'autorité de l'Etat côtier dans le cadre du droit international coutumier. Rien dans la Convention de 1958 sur la mer territoriale et la zone contiguë ne vient fonder une telle autorité. De même, le projet de Convention sur le droit de la mer de 1981 n'autoriserait pas une telle action27. On peut voir un indice par l'absence d'autorité de l'Etat côtier pour interdire le passage inoffensif des navires étrangers dans l'insatisfaction permanente, manifestée par de nombreux Etats quant au fait que le projet de Convention sur le droit de la mer retient cette autorité dans le cas de bâtiments militaires. Il apparaît que le projet de Convention sur le droit de la mer reflète essentiellement le droit international coutumier en stipulant que tous les navires, sans distinction, ont un droit de passage inoffensif dans la mer territoriale.

25 L'Union soviétique et les Etats-Unis d'Amérique ont été les pays les plus sensibles à ces questions. Les articles de Richardson et Oxman, précédemment cités, en portent témoignage pour les Etats-Unis d'Amérique. On se réfèrera également à Clingan (1980). Pendant plusieurs années, le Professeur Clingan a été le représentant des Etats-Unis à la Commission 11 de la Conférence sur le droit de la mer

26 On ne saurait réalistement douter de la sensibilité des principaux Etats maritimes en la matière. Une préoccupation sur la question est manifeste chez Clingan, id. 92–3

S'il est évident que les navires de pêche ne sauraient être tenus, par le droit conventionnel ou par le droit international coutumier, de demander l'autorisation de transiter dans une mer territoriale, toute proposition visant à instituer une telle exigence pour la ZEE ou la zone de pêche ne se fonde sur aucun précédent juridique même dans des secteurs considérés comme faisant partie intégrante du territoire national. Alors qu'il existe incontestablement des problèmes différents quant à l'application de la réglementation halieutique dans la vaste étendue de 188 milles au delà d'une mer territoriale de 12 milles que dans cette dernière prise isolément, ces différences ne semblent pas suffisamment substantielles pour autoriser une modification draconienne du régime de navigation28. Il conviendrait d'envisager en priorité les autres options possibles moins menaçantes pour l'intérêt général, constituées par une navigation sans obstacles.

(3)   Voies de circulation obligatoires

L'exigence que les navires de pêche en transit empruntent des voies de circulation obligatoires pour traverser une zone de pêche (économique) ressemble par certains aspects à la première option examinée ci-dessus dans la mesure où elle étendrait à la zone une part de l'autorité côtière antérieurement reconnue seulement pour la mer territoriale29. Il n'est pas douteux qu'en vertu du droit de la mer traditionnel, l'Etat côtier a autorité pour prescrire des règlements visant à la protection de ses ressources ichtyologiques dans la mer territoriale. La Convention de 1958 sur la mer territoriale et la zone contiguë stipulait, dans l'article 14(5) précisément pour l'autorité côtière:

Le passage des bateaux de pêche étrangers n'est pas considéré comme inoffensif si ces bateaux ne se conforment pas aux lois et règlements que l'Etat riverain peut édicter et publier en vue de leur interdire la pêche dans la mer territoriale.

Le problème avait été antérieurement évoqué à l'échelle internationale lors de la Conférence de la codification de 1930. Il apparaît donc à l'évidence qu'une législation visant à protéger la pêche était jugée admissible en droit international coutumier30.

27 La disposition (article 25) relative à la suspension temporaire du droit de passage inoffensif si cette mesure est indispensable pour assurer la sécurité ne constitue qu'une base très mince à l'interdiction du passage des navires de pêche dans la mer territoriale sous prétexte qu'elle vise à assurer la sécurité militaire. Le fait que pour la mer territoriale de 12 milles l'autorité soit aussi restreinte vient militer en faveur de l'importance que la liberté de navigation revêt dans la zone économique exclusive s'étendant au-delà

28 Le risque d'exclusion des navires de la ZEE n'est pas passé inaperçu. On se réfèrera à Warbick (1973) (137,146) “il n'y a qu'un pas entre l'exclusion des navires de pêche et l'exclusion de tous les navires sans qu'il y ait même besoin de reformuler la nature de “la revendication exclusive”

29 Le concept de voie de navigation est apparu comme un moyen de promouvoir la sécurité de la navigation. Cf. Anon. (1972) pour l'examen de l'expérience antérieure et une évaluation des voies de circulation dans le contexte du droit international

30 Pour discussion, cf. McDougal et Burke (1962)

Il semble éminemment raisonnable que le droit international permette à l'entité ayant juridiction sur les ressources de prendre des mesures pour protéger ces ressources contre une exploitation illégale. Néanmoins, selon les dispositions du projet de Convention de 1981 sur le droit de la mer, il semblerait que le recours aux voies de navigation à cette fin, même dans la mer territoriale, soit sujet à caution. L'article 21 stipule que l'Etat côtier peut adopter des lois et règlements relatifs au passage inoffensif qui peuvent porter sur “(la) prévention des infractions aux lois et règlements de l'Etat côtier relatifs à la pêche”. Ce même article précise en outre que les lois et règlements de l'Etat côtier relatifs au passage inoffensif peuvent avoir trait à la sécurité de la navigation et à la régulation du trafic maritime.

Si l'une et l'autre de ces dispositions semblent suffisamment générales pour que l'Etat côtier puisse exiger des navires de pêche qu'ils empruntent certaines voies de navigation, l'article 22 soulève une question qui semble n'accorder cette autorité que “lorsque la sécurité de la navigation le requiert”. Ces dispositions combinées pourraient être interprétées comme une restriction de l'exigence d'avoir à emprunter des voies de navigation qui ne s'appliquerait que pour des considérations de sécurité et ne pourrait être invoquée à des fins de conservation ou pour des motifs économiques liés à la pêche31”.

Si cette interprétation restrictive était considérée comme limitant l'autorité de l'Etat côtier dans sa mer territoriale, on aurait beaucoup de difficulté à pouvoir arguer de manière persuasive que ce même Etat devrait avoir une autorité plus large sur les navires transitant dans sa zone de pêche. A contrario, alors même que l'Etat côtier serait considéré comme détenant l'autorité nécessaire dans sa mer territoriale, il ne s'ensuit pas absolument qu'une autorité identique ou substantiellement similaire doive ou puisse être autorisée dans la zone de pêche située au delà.

Quant à l'avenir, les deux questions intéressantes résident dans le point de savoir si l'emploi de voies de navigation obligées dans la zone de pêche (économique) est compatible avec le droit coutumier ou avec le Projet de Convention sur le droit de la mer. Pour ce qui est du droit coutumier, il n'est guère d'indications de ce que les voies de navigation aient été généralement adoptées à cette fin. Les législations et réglementations nationales en matière de pêche ne donnent guère d'éclaircissements sur ce point, si l'on excepte l'interprétation négative que l'on pourrait tirer de l'absence relative de dispositions spécifiques sur les voies de navigation32.

La question la plus importante, pour ce qui est du droit coutumier, porte sur le point de savoir si l'acceptation, déjà acquise, de l'extension de l'autorité exclusive en matière d'aménagement des pêches jusqu'à 200 milles marins entraîne l'acceptation de l'autorité du pays côtier quant à l'adoption de mesures de protection produisant un effet sur la navigation dans la zone. Il ne semble guère que l'on parle en révolutionnaire en avançant que l'évolution d'une juridiction halieutique élargie devrait s'accompagner de l'autorité nécessaire pour assurer la protection des ressources biologiques soumises à cette juridiction. Simultanément, le droit acquis de liberté de navigation doit également être protégé contre toute interférence indue.

En vertu du droit coutumier, la liberté de la navigation n'a jamais été considérée comme absolue, alors même que sa protection a été largement reconnue comme constituant un intérêt important, voire vital, de tous les Etats. Le moyen traditionnel de concilier les intérêts des Etats côtiers et du pavillon reposait sur leur caractère raisonnable, sur un équilibre entre les intérêts en cause, et le fait que des restrictions étaient ou non admissibles était établi par référence à cet étalon. Au cours des siècles et jusque dans les temps les plus modernes, des limitations de la liberté de navigation ont été acceptées à mesure que de nouveaux intérêts exclusifs étaient admis. Une illustration récente de première importance, qui ne fait même pas lever un sourcil de nos jours, s'est produite lors de l'extension de l'autorité de l'Etat côtier sur la plate-forme continentale. Il était impossible de prendre les dispositions voulues pour l'exploration et l'exploitation du plateau en vertu du droit de contrôle de l'Etat côtier, à moins d'admettre certaines modifications de la liberté de navigation. De même, la Convention de 1958, sur la pêche et la conservation ainsi que l'extension ultérieure, modeste, des droits de pêche exclusifs, exigeaient que soient admis quelques légers accrocs à la liberté absolue de navigation.

31 Si l'on suppose satisfaites toutes les autres exigences légales, le seul cas ou des voies de navigation spéciales pourraient être imposées aux navires de pêche s'appliquerait aux situations dans lesquelles aucune voie de circulation ou dispositif de séparation du trafic ne serait en vigueur. Dans le droit contractuel actuel, les navires hauturiers sont astreints à respecter les dispositifs relatifs à la circulation et les Etats du pavillon sont tenus de taxer de criminelle toute déviation dans leur législation nationale. Ces problèmes de circulation ne devraient guère risquer de se produire dans les zones très éloignées des voies normales de navigation. En aucun cas il ne devrait être permis d'établir une voie de navigation si elle est incompatible avec les voies de navigation établiés

32 Une poignée d'Etats seulement ont des réglementation nationales en la matière et l'on ne sache pas qu'elles aient adopté aucune exigence spécifique

Le problème, pour ce qui est des zones de pêche de 200 milles, se trouve donc être simplement un exemple plus complexe de la difficulté classique à réaliser un compromis entre les intérêts exclusifs élargis de l'Etat côtier et les intérêts généraux de la collectivité. Une norme fondée sur le caractère raisonnable n'exige pas la liberté absolue de navigation et d'ailleurs les droits souverains de l'Etat côtier n'appellent ni ne justifient la négation de cette liberté. Dans ces conditions, les mesures de protection de l'Etat côtier affectant la navigation pourraient être considérées comme raisonnables chaque fois qu'elles sont nécessaires aux fins de l'aménagement et de l'application effectives, lorsqu'elles présentent des avantages particuliers pour un ou plusieurs Etats côtier(s) déterminé(s) et qu'elles n'imposent à la navigation qu'une charge légère ou modeste. De telles mesures ne viseraient pas directement à réglementer la navigation en soi, mais seraient destinées à protéger les ressources relevant de la juridiction de l'Etat côtier. On peut concevoir que dans certains cas, sans doute limités à certaines circonstances capitales d'ordre géographique ou autre, une voie de navigation pour les navires de pêche constitueraient un développement admissible, à condition que son caractère raisonnable ait été évalué eu égard aux facteurs susmentionnés.

La question, dans le cadre du projet de traité, consiste à savoir si l'exigence d'un couloir de navigation est compatible avec l'article 58 où il est stipulé que: “dans la zone économique exclusive, tous les Etats, qu'ils soient côtiers ou sans littoral, jouissent, dans les conditions prévues par les dispositions pertinentes de la Convention, des libertés de navigation et de survol…” L'Etat côtier peut-il, en conformité de cette disposition, exiger des navires de pêche en transit qu'ils empruntent des voies de navigation déterminées? Deux points s'imposent immédiatement à notre attention. L'un est que la liberté de navigation mentionnée est celle qui est décrite à l'article 87, lequel est interprété par d'aucuns comme significant que cette liberté est la liberté de navigation en haute mer dans son acception trationnelle, c'est-à-dire avant que des zones de pêches exclusives aient été largement adoptées33. Si le seul élément pertinent était celui-là, on pourrait répondre sans ambages que nul Etat côtier n'a autorité pour exiger des navires passant en haute mer qu'ils empruntent une voie déterminée pour ce faire. S'il était souhaitable de recourir au concept des voies de navigation pour renforcer l'autorité côtière en vue de la protection de ses intérêts en matière de ressources biologiques, il faudrait rechercher un accord international à cette fin.

Le second point, toutefois, est que l'article 58 ne confère pas un droit pur et sans dilution à la liberté de navigation dans la zone. L'exercice de cette liberté est sujet “aux dispositions de la Convention”. Parmi ces dispositions il faut rappeler les “droits souverains (de l'Etat côtier) aux fins d'exploration et d'exploitation, de conservation et de gestion” des ressources biologiques. L'autorité ainsi largement conférée, décrite plus en détail aux articles 61 et suivants, donne à l'Etat côtier tout pouvoir de disposer des pêcheries de sa zone, sous réserve de certaines normes générales et de l'exigence d'une coopération avec les Etats adjacents et les autres Etats exploitant la région. Les articles 61 et 62 notamment confèrent à l'Etat côtier une vaste autorité générale pour la protection des ressources biologiques de sa zone contre toute exploitation étrangère non autorisée et énumèrent ses compétences spécifiques en matière de réglementation de toutes les activités de pêches des navires étrangers. La question qui demeure ouverte ou qui, à tout le moins, ne reçoit pas de réponse explicite dans ces dispositions, consiste à savoir dans quelle mesure l'Etat côtier est autorisé à affecter les navires en transit, distingués de ceux dont il est prévu qu'ils passeront dans la zone.

33 cf. Richardson (1980); Oxman (1977); Clingan (1980)

Il ne semble pas déraisonnable d'arguer que, dans certains cas, un Etat côtier devrait être autorisé à réduire la charge pesante qu'il encourt à des fins de réglementation et d'application en prenant des mesures affectant des navires de passage. On s'interrogera alors pour déterminer dans quelle mesure un effet est “raisonnable”. Si l'on considère qu'un certain effet sur les navires de passage ne compromet pas indûment le droit à la liberté de navigation, quels sont les facteurs permettant de déterminer qu'il est raisonnable?

Parmi les facteurs importants il faudra assurément noter la taille de la zone par rapport à la masse terrestre, ainsi que la valeur des ressources qui s'y trouvent pour l'économie nationale. Dans certaines parties de l'océan, le rapport masse marine: superficie terrestre est élevé, et des obstacles énormes s'opposent à une surveillance continue appropriée de même qu'à l'observation des activités d'exploitation des ressources halieutiques précieuses. Le fait de concevoir des couloirs de circulation pour les navires de pêche en transit pourrait, dans de telles circonstances, faire toute la différence entre application efficace et inefficace, d'où un impact notable sur le revenu de l'Etat côtier, revenu particulièrement important pour cet Etat. Lorsque l'avantage pour cet Etat côtier est tel, le fardeau additionnel imposé aux navire de passage pourrait ne pas être déraisonnable. Par contre, c'est aussi dans les vastes étendues océaniques que la liberté de choisir un trajet déterminé peut revêtir une importance particulière, compte tenu des distances à couvrir et des risques afférents à la navigation sur de longs trajets. Les patrons de pêche peuvent avoir besoin de modifier leur cap et leurs voies de navigation normales pour éviter des intempéries ou pour se prévaloir de renseignements récents concernant les fonds de pêche qu'il est souhaitable d'exploiter. Ces considérations contradictoires pourraient peut-être être équilibrées par une désignation contingente des voies de navigation requises ou par une approche permettant, dans certains cas, de s'écarter de la voie de navigation obligée. Si la désignation peut être assouplie sans que son utilité s'en trouve éliminée, le caractère raisonnable de l'exigence de transiter dans un couloir déterminé s'en trouverait sensiblement étayé.

D'autre part, lorsque l'exigence d'un tel couloir ajoute au passage des navires de pêche un délai ou un risque considérables, cet impact sur la liberté de navigation deviendrait inadmissible et les Etats du pavillon auraient des motifs valables d'y faire objection.

En définitive, dans le contexte du projet de traité sur le droit de la mer, exiger de l'Etat côtier qu'il respecte la liberté de navigation lui impose une lourde charge qui ne pourra sans doute être assumée que dans des conditions déterminées et quelque peu inusitées. Les restrictions au mouvement de quelque navire que ce soit devraient être limitées aux situations exceptionnelles. Les principaux facteurs importants de l'application de la norme du “respect” sont apparemment la difficulté pour l'Etat côtier de s'assurer que sa réglementation est dûment respectée et la contribution que la pêche apporte à l'économie nationale. Si l'Etat côtier est confronté à des problèmes d'application exceptionnels et s'ils entraînent des coûts disproportionnés pour un Etat largement tributaire des recettes sur la pêche, l'argumentation en faveur d'une modeste interférence avec la navigation pourrait être persuasive.

L'utilisation de zones déterminées dans lesquelles la pêche ou certaines formes de pêche sont interdites pour protéger les fonds de pêche, les navires ou les engins, présente des points communs avec l'exigence des couloirs de navigation. Parfois des périodes de pêche déterminées sont précisées et des dispositions sont prises dans les accords avec les Etats étrangers exploitant ces fonds, afin de protéger les opérations des navires qui se déplacent lentement ou de certains engins fixes particulièrement délicats. Il pourrait être enjoint à tous les navires et engins de pêche étrangers ou à certains d'entre eux d'éviter les zones spécifiées ou d'emprunter d'autres voies de passage dans la région. Il semble évident qu'une implantation judicieuse de ces secteurs pourrait amener à canaliser le trafic des navires de pêche comme ce serait le cas avec des voies de circulation obligatoires. Si des secteurs désignés peuvent constituer des dispositifs réglementaires légitimes à certaines fins de protection et qu'ils puissent produire un effet secondaire sur les navires de passage il ne faudrait pas qu'ils puissent être adoptés de manière unilatérale pour favoriser les effets de surveillance continue et de contrôle des Etats côtiers.

(4)   Déclaration de l'entrée dans la zone

Cette option ne constituerait pour les navires de passage qu'un fardeau relativement léger; toutefois l'exigence de la notification de l'entrée dans une zone de pêche de la part d'un navire qui n'a d'autre intention que de transiter pourrait troubler certains Etats en ce sens qu'elle équivaut à affirmer une autorité que l'Etat côtier n'a pas dans sa mer territoriale. L'exigence de la notification dans une zone économique ou dans une zone de pêche pourrait donc entraîner des problèmes graves pour les Etats qui souhaitent maintenir à cette zone, dans toute la mesure possible, un caractère analogue à celui de la haute mer et par conséquent conférer à l'Etat côtier une autorité encore moindre que dans la mer territoriale.

Une autre façon de voir qui mérite d'être envisagée, est celle de l'avantage potentiel que peut comporter pour le navire de pêche la déclaration de son entrée et de son chargement de poisson. Selon une prémisse raisonnable, l'Etat côtier peut arraisonner, monter à bord et inspecter les navires dans sa zone de juridiction pour assurer l'application de ses lois et règlements en matière de pêche. L'article 73(1) du projet de Convention sur le droit de la mer admet que les mesures d'application entrent dans l'exercice des droits souverains de l'Etat côtier sur les ressources biologiques de la zone économique et précise que l'Etat côtier “peut prendre toutes mesures y compris l'arraisonnement, l'inspection, la saisie et l'introduction d'une instance judiciaire, qui sont nécessaires pour assurer le respect des lois et règlements qu'il a adoptés conformément à la Convention”. Cet article traduit sans doute la pratique des Etats et le droit coutumier. En conséquence, même un navire de passage pourrait être stoppé et arraisonné en liaison avec l'application des lois locales en matière de pêche. Si le navire n'a pas de permis de pêche mais détient du poisson à bord, on peut raisonnablement supposer qu'il a violé la législation de l'Etat côtier exigeant une autorisation pour exploiter le poisson dans la zone. La difficulté réside évidemment dans le fait que, à défaut de preuves plus concrètes établissant une violation, il pourrait être extrêmement difficile de prouver que le poisson trouvé à bord a été effectivement capturé dans la zone et non ailleurs. Deux Etats (les Bahamas et les Seychelles) cherchent à élucider ce genre de situation en établissant une présomption selon laquelle le poisson détenu à bord a été capturé dans la zone sauf si le navire en apporte la preuve. En outre, la loi des Seychelles permet de réfuter la présomption en montrant que le navire de pêche a déclaré son entrée dans la zone et qu'il avait l'intention de transiter34. Dans le cadre de la loi des Bahamas, la présomption n'est réfutée que si l'on peut démontrer que le poisson a été capturé en dehors de la zone.

34 La réglementation des Etats-Unis en matière de captures accessoires repose également sur une présomption sujette à réfutation. On trouve à la section 611.13 du titre 50 du Code of Federal Regulations la notion qu'il sera présumé, sauf preuve contraire, que toute espèce interdite ou partie d'une telle espèce trouvée à bord d'un navire de pêche a été capturée et est détenue en violation de cette partie 611.

Cette section s'appliquerait sans doute au poisson capturé en dehors de la zone de pêche et transporté sur un navire en transit. La section 611(60)(c) permet de réfuter la présomption lorsqu'un navire emmaga ine des espèces capturées en dehors de la zone de conservation des pêches dans une cale fermée, qui a été inspectée avant que le navire n'ait commencé ses opérations de pêche dans la zone de conservation. La section 611.6 ne s'applique qu'aux navires pêchant en vertu d'un GIFA et non aux navires transitant simplement, non sujets à un GIFA. Selon toute probabilité, et en dépit de son libellé, les Etats-Unis d'Amerique ne chercheraient pas à appliquer l'article 611.13 aux navires en transit

La législation d'un Etat côtier exigeant une déclaration d'entrée peut alors être considérée à la fois comme un moyen d'aider cet Etat à faire appliquer sa législation et d'exempter le navire de pêche d'une charge potentielle. Il ne semble guère possible d'objecter quoi que ce soit à l'exigence d'une déclaration comme celle qui est prévue dans la loi des Seychelles et qui n'est pas entièrement volontaire. La présomption en vertu de laquelle le poisson qui se trouve à bord a été capturé dans la zone est raisonnable, et il semble non moins raisonnable qu'un rapport d'entrée (spécifiant la quantité de poisson à bord) puisse lui être opposé. Si un navire ne prévoit pas d'avoir de poisson à bord et envisage simplement de passer, il n'a pas besoin de faire rapport. Par contre, il n'est guère difficile pour un navire détenant du poisson d'en faire rapport lors de son entrée.

Le fait que la déclaration d'entrée soit, dans d'autres circonstances, considérée comme raisonnable, semble toutefois sujet à caution pour la raison précédemment mentionnée, à savoir que les Etats ont tendance à se méfier des revendications des Etats côtiers lorsqu'elles vont au delà de l'autorité qu'ils exercent dans leur mer territoriale. Cependant, évaluée selon des critères rationnels, cette mesure semble acceptable. L'effet sur la navigation d'un rapport d'entrée est virtuellement non-existant tout en constituant un avantage substantiel pour un Etat côtier sujet à de nombreuses pressions.

(5)   Arrimage des engins de pêche en cours de passage

L'exigence de cet arrimage est fréquente dans les législations nationales relatives à la mer territoriale et la zone de pêche. L'adoption généralisée de cette mesure et son rapport manifestement direct avec la protection souhaitée font qu'il s'agit d'une approche particulièrement prisée. Il semblerait que cette obligation soit en principe sans grande portée pour un navire qui ne chercherait qu'à passer. Aussi, l'exigence de l'arrimage des engins en tant que condition de libre passage est-elle en règle générale tout à fait conforme au droit coutumier applicable aux zones de pêche.

Néanmoins, cette disposition suscite des difficultés pratiques: pour certains engins de pêche, cette exigence est excessive alors que pour d'autres, la protection contre la pêche en fraude est nulle. La première de ces deux situations présente une importance particulière. En effet, elle porte sur les sennes pour la pêche au thon qui sont si encombrantes et si lourdes que leur arrimage sous le pont est impossible alors qu'il est, en tout état de cause, difficile de faire en sorte que ces engins ne soient pas accessibles facilement. En conséquence, exiger absolument l'arrimage dans ces conditions équivaudrait à interdire purement et simplement le passage et c'est là sans doute une condition trop grave pour être jugée admissible dans le cadre du droit international. Ce qui semble nécessaire, c'est une solution technique pratique, en sorte que l'engin ne soit pas aisément accessible. Par contre, s'agissant de la pêche à la ligne, l'exigence de l'arrimage est en général sans portée car il n'est que trop facile de se servir de ces engins même lorsqu'ils sont entreposés sous le pont 35. En fait, l'arrimage obligatoire portait à l'origine sur des chaluts, et il faut beaucoup d'astuce et de souplesse pour que cette mesure soit efficace avec d'autres engins. Dans l'hypothèse où des solutions techniques pourront être découvertes de sorte que les engins deviennent pratiquement indisponibles sans que le fardeau pour le navire devienne tel que son passage soit en fait interdit, cette exigence semble tout à fait compatible avec le droit international coutumier ou conventionnel.

(6)   Obligation pour les navires de pêche en transit d'avoir à leur bord des émetteursrécepteurs pour faciliter leur localisation et leur identification

Cette suggestion se heurte à des difficultés d'ordre tant pratique que juridique. Le problème pratique réside évidemment dans le fait que l'on peut purement et simplement s'abstenir de se servir du dispositif, de sorte qu'une demande électronique restera sans réponse. La seconde difficulté, qui importe davantage aux fins de la présente étude, est liée au fait que l'obligation pour un navire d'avoir à son bord certains équipements pour être autorisé à transiter dans une zone de pêche ou dans une zone économique risquerait de provoquer un véritable concert de protestations. Il s'est avéré que les Etats du pavillon sont très sensibles à toute intention manifestée par les Etats côtiers d'exiger la preésence de certains matériels, dans le cas de la pollution provoquée par les navires dans la mer territoriale. Toute autorité de l'Etat côtier à cette fin a en conséquence été éliminée, sauf dans le cas où les prescriptions de l'Etat côtier se bornent à donner effet à des règles ou normes généralement admises en droit international. La même approche a été adoptée pour éliminer toute autorité indépendante d'un Etat côtier sur la ZEE. L'article 211(5) limite les mesures qu'un Etat côtier peut adopter pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution par les navires “qui soient conformes et donnent effet aux règles et normes internationales généralement acceptées établies par l'intermédiaire de l'organisation internationale compétente ou d'une conférence diplomatique générale”. Ce libellé réussit à annihiler toute autorité indépendante d'un Etat côtier aux fins de réglementations applicables au matériel anti-pollution à bord des navires de passage.

35 Les palangres pour la pêche au flétan dans la baie de l'Alaska ont fait l'objet d'une telle exigence. En effet on pouvait placer ces engins sous scellés avant de se déplacer dans les zones fermées à la pêche au flétan. (cf. Koers, 1970)

Cette sensibilité quant à la protection des intérêts de la navigation, est sousjacente dans toute la partie XII du projet de texte sur le droit de la mer et manifeste d'une attitude qui pourrait rapidement s'exprimer ouvertement si les Etats côtiers en venaient à exiger la présence de certains matériels à bord des navires de pêche en transit. En conséquence, la suggestion même d'une obligation de détenir des émetteurs-récepteurs à bord de navires de pêche qui n'entendent que passer est-elle sans doute inacceptable pour de nombreux Etats.

(7)   Mesures appliquées en vertu d'un accord international

Pour certains Etats, peut-être même pour la plupart d'entre-eux, voire tous, la façon la plus efficace et la moins coûteuse, pour s'occuper des navires de pêche en transit dans une zone, consiste à préciser des mesures de contrôle acceptables et efficaces dans des accords avec les Etats pratiquant la pêche hauturière. Cette approche pourrait présenter des avantages particuliers pour les Etats encourant des frais d'application (observation, contrôle et surveillance) très élevés du fait de leur faible superficie par rapport à la région océanique en cause. Dans ces conditions, l'Etat côtier (ou mieux, les Etats côtiers de la région) a (ont) beaucoup à gagner en évitant des frais élevés d'application, l'Ftat du pavillon prenant à sa charge une partie du coût de l'exécution des mesures de contrôle de l'Etat côtier. Y parvenir par voie d'accord exigerait sans doute une compensation quelconque pour l'Etat du pavillon soit sous forme de la réduction du droit de pêche, soit de tout autre avantage prévu. Toutefois, le bénéfice demandé par l'Etat du pavillon peut être minime par rapport au coût d'application élevé qui, à défaut, serait à la charge de l'Etat côtier.

Parmi les avantages de l'approche par voie d'accords on peut évidemment citer l'élimination des obstacles ou objections de nature juridique à des mesures qui, sinon, risqueraient d'apparaître préoccupantes.

E.   Observations finales

Le transit des navires de pêche fait ressortir avec acuité le problème inhérent à la principale innovation des négociations sur le droit de la mer, à savoir la création de la zone économique exclusive. La question qui se pose est de savoir comment composer entre la création de droits et d'une juridiction exclusive en matière de ressources et le maintien de la liberté de navigation, qui est la composante-clé de la liberté des mers. L'auteur insiste sur le fait qu'il faut s'efforcer de concilier les intérêts de l'Etat côtier en matière de ressources et les intérêts de la navigation, un tel effort devrait attribuer à l'Etat côtier une autorité très limitée dans le domaine de la navigation. Il faudra admettre que certains effets doivent être considérés comme admissibles, certaines mesures de protection de l'Etat côtier étant nécessaires et pouvant être d'une portée significative pour un Etat déterminé. Un grand pas reste à franchir avec la reconnaissance d'une autorité générale, que tous les Etats pourraient être amenés à exercer. Il semble douteux que tous les Etats aient besoin d'une telle autorité et avancer cela entraînerait ou risquerait d'entraîner des difficultés gratuites, pour les navires de pêche et pour d'autres.

L'un des principaux motifs de prudence, s'agissant de conclusions générales quant à une limitation de la liberté de navigation, réside dans le fait que la juridiction de l'Etat côtier s'étend non seulement aux activités portant sur les ressources mais aussi sur la recherche scientifique et la pollution marine. Si un Etat côtier cherche à protéger ses ressources et peut sans difficulté affecter la navigation pour sauvegarder cet intérêt, la distance est courte jusqu'à l'institution de contraintes relatives au simple passage des navires de recherche et de tous les navires susceptibles de menacer les ressources par la pollution.

Un dispositif qui mériterait que l'on s'y arrête davantage est celui des présomptions réfutables, fondées sur des faits perçus tels, qu'elles sont raisonnables. Des exemples de telles présomptions ont été notés dans la discussion mais d'autres pourraient être explorés, pour être utilisés le cas échéant. Le principal avantage des présomptions réfutables réside dans le fait qu'elles allègent la charge de la preuve dans une situation où il est particulièrement difficile d'en obtenir par voie de surveillance alors qu'elles représentent une revendication minime à l'encontre de la juridiction. Les présomptions pouvant être réfutées le contrevenant supposé a la possiblité de se disculper. L'assertion est alors contingente tout en conservant un effet dissuasif si les navires ne sont pas en mesure d'organiser la réfutation. Simultanément, tout navire auquel la présomption ne serait pas applicable n'aurait nul besoin de se préoccuper d'interférences potentiellement sérieuses.


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