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Effets du feu sur la forêt claire

Revoyons plus en détail l'effet comparé de la protection absolue et des brûlages précoce et tardif sur le peuplement. Une expérience suivie a été conduite près de Lubumbashi (S.-E. du Zaïre), dans une assez belle forêt claire zambézienne, relativement homogène au départ. La saison sèche y dure environ 6 mois et aucune pluie mesurable n'est enregistrée durant 2 à 3 mois de période également froide puisque le thermomètre peut descendre jusqu'à 0°C, exceptionnellement même plus bas. Les feux hâtifs sont allumés 6 à 7 semaines après la fin de la saison des pluies tandis que le brûlage tardif se situe en fin de saison sèche, lorsque le relèvement des températures a provoqué les nouvelles feuillaisons et la floraison de nombreuses espèces ligneuses. L'expérience s'est poursuivie pendant onze ans et comporte quatre répétitions, les parcelles mesurant chacune un hectare. Nous résumons les résultats ci-dessous.

Protection absolue

Des quatre parcelles, une seule n'a subi aucun accident malgré un maximum de précautions et de surveillance.

La progression du nombre de tiges dans l'unique essai réussi, classées par catégories de circonférence, est présentée dans le tableau qui suit:

Progression du nombre de tiges par classe de circonférence

catégories de circonférences 1ère année 6ème année 9ème année 11ème année
  nombre de tiges % nombre de tiges % nombre de tiges % nombre de tiges %
0 - 29 cm 211 100 430 204 1190 564 1 709 810
30- 89 cm 66 100 80 121 83 126 117 177
90 cm et plus 40 100 34 87 33 82 34 87

Parcelle non parcourue par le feu.

Les deux autres parcelles furent parcourues par un incendie mi-tardif, en cinquième année. En voici l'évolution du peuplement:

catégories de

circonférences

1ère année 6ème année 9ème année 11ème année
nombre de tiges % nombre de tiges % nombre de tiges % nombre de tiges %
0 - 29 cm 580 100 1015 175 1200 206 2 862 495
30- 89 cm 213 100 266 125 266 125 322 151
90 cm c, plus 70 100 66 95 87 125 106 151

Moyenne des 2 parcelles parcourues par un feu mi-tardif en 5ème année.

Il y a donc enrichissement considérable, surtout chez les jeunes sujets. Une analyse plus fine indique que parallèlement à l'accroissement du nombre d'individus. il se produit une nette amélioration dans la composition floristique. Les espèces les plus savanicoles se raréfient de même que les indicatrices de situations dégradées (feu ou sol aride et pauvre) comme les Combretum, Monotes, Diplorhynchus, Uapaca, Piliostigma, etc.

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C'est la disparition de quelques sujets âgés de ces espèces qui fait baisser la population des 90 cm et + de circonférence. Par contre, cette réduction n'est que temporaire car la catégorie des 30-89 cm est en nette progression et plusieurs sujets sont près de passer dans la classe supérieure en 11ème année d'expérience.

Plus spectaculaire encore est la perte subie par la quatrième parcelle du fait d'un incendie tardif survenu en 7ème année. Entre les inventaires des 6éme et 9ème années et malgré deux années de protection réussies, le nombre de tiges est passé de 100 pour cent à 28 pour cent, pour la catégorie des 29 cm et - de circonférence, à 89 pour cent pour les 30-89 cm et à 75 pour cent pour les 90 cm et +. De plus, bien d'autres arbres, parmi les dimensions supérieures, seraient morts si pareil accident s'était reproduit l'année suivante. Si on compare l'inventaire de 7ème année à celui du début de l'expérience, on voit que tout le bénéfice de six années de protection réussie a été perdu et même davantage puisque le nombre d'individus a légèrement diminué entre ces deux comptages.

Brûlage précoce

Ici aucun accident n'est à craindre car le brûlage précoce bien conduit supprime tout risque d'un second incendie au cours de la même saison sèche. Les chiffres ci-après sont donc les moyennes des quatre répétitions de l'essai.

Moyenne de 4 parcelles parcourues par un feu précoce chaque année

catégories de circonférences 1ère année 6ème année 9ème année 11ème année
Nombre de tiges % nombre de tiges % nombre de tiges % nombre de tiges %
0 - 29 cm 420 100 630 151 849 203 1142 272
30- 89 cm 112 100 134 120 162 145 201 179
90 cm et plus 37 100 41 110 38 102 40 106

On note une progression nette et régulière des petites catégories bien que moins spectaculaire que dans le cas de la protection absolue. Nous verrons, en étudiant les effets du feu sur les jeunes recrûs, que cette différence entre les deux traitements n'est guère à l'avantage de la protection intégrale. En effet, le feu précoce exerce un dépressage et donc une sélection parmi les jeunes semis et rejets de souche qui ne se produiront que beaucoup plus tard dans le cas de la protection.

Quant aux sujets plus âgés, il faudra davantage de temps pour que l'élimination des espèces mal adaptées aux nouvelles conditions de renforcement de la densité du peuplement et surtout de son couvert soit largement compensée par la montée de jeunes arbres parmi les catégories supérieures.

Les effets bénéfiques du brûlage hâtif sont tout aussi spectaculaires dans la forêt claire soudanienne. Monnier (1981) reconnaît qu'y interdire le feu par règlement de justice relève de l'utopie mais qu'il faut éviter les feux de fin de saison sèche en brûlant de façon précoce. Le feu hâtif appliqué durant 30 ans à une forêt très dégradée de la région de Ferkéssédougou, en Côte d'lvoire, a permis la reconstitution d'une forêt claire riche et relativement fournie en Isoberlinia doka, Uapaca somon, Monotes kerstingii, Berlinia ferruginea, Daniellia oliveri, Khaya senegalensis, Pterocarpas erinaceus, Piliostigma thonningii, etc. Toutefois, pour l'auteur, il y a un certain risque à ce que le brûlage hâtif déclenche une repousse que dessècherait l'harmattan avec risque de nouvel incendie possible.

Brûlage tardif

Toujours dans la même expérience menée dans le Shaba méridional, quatre parcelles furent incendiées tardivement, chaque année. En voici la réduction du nombre moyen de tiges par catégories de circonférence:

catégories de circonférences 1ère année 6ème année 9ème année 11ème année
nombre de tiges % nombre de tiges % nombre de tiges % nombre de tiges %
0 - 29 cm 394 100 189 48 91 23 71 18
30 - 89 cm 114 100 95 83 62 54 72 63
90 cm et plu* 32 100 29 90 23 72 20 61

Moyenne de 4 parcelles parcourues par un feu tardif chaque année.

Ici la régression est importante et conduit indubitablement à la formation d'une savane de moins en moins boisée.

Les observations n'ont porté que sur les sujets ligneux alors que la strate herbacée subit des modifications aussi profondes: embuissonnement dans le cas de la protection, maintien d'une population graminéenne favorable par le feu précoce et dégradation tant qualitative que quantitative due à l'incendie tardif répété, avec remplacement des espèces vivaces cespiteuses par des annuelles ou géophytes et érosion du sol dénudé.

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Le tableau ci-après établi par E.H. Sène (1976) résume bien l'impact des feux précoces ou tardifs et de la protection totale sur la végétation. Les observations suivantes ont été faites in situ et hors cadre expérimental.

Matières observées Feux précoces

A

Feux tardifs

B

Absence de feux

C

Matière végétale Herbacée: partiellement détruite Herbacée: totalement détruite; stock des semences très entame. Herbacée: s'amoncelle dangereusement perpétuant les risques toute la saison sèche. Inflammabilité extrême en avril-mai.
  Arbustive: chute des Feuilles et nécrose des Ramures et bourgeons. Terminaux. Arbustive: détruite jusqu'à la base qui peut rejeter Arbustive: évolution vers fore, riche et relativement bien fournie mais sérieux risques de feux tardifs.
  Arborescente: léchée par les flammes. Ecorce noircie. Reconstitution fréquente du couvert si le feu précoce a été pratique au moment opportun (avant arrêt de la végétation). Arborescente: gravement brûlée: blessures au tronc; coulée de résine. Inflorescences détruites chez des fruitiers forestiers ayant un important rôle alimentaire en période de soudure. Mon d'un pourcentage important d'arbres de petits diamètres. Arborescente: évolution identique que ci-dessus et mêmes risques sérieux de feux tardifs.
Sol Encore partiellement Couvert. Plages Totalement couvertes. Absolument dénude quasi cuisson des horizons superficiels. Sol couvert protégé mais au total plus vulnérable qu'en A.

Les observations mentionnées ci-dessus et relatives à la protection absolue centre feux de brousse, aux brûlages précoces ou tardifs, sont confirmées par les résultats des expérimentations menées dans des savanes secondaires à Olokomeji (Nord Nigéria) et à Kokondékro (Moyenne Côte d'lvoire).

D'après J. M. Ramsay et R. Rose Innes (1963) l'expérimentation à Olokomeji de 1929 à 1957 a consisté à installer trois parcelles dans une savane uniforme coupée à blanc-étoc et traitée chaque année de la façon suivante:

L'expérience de Kokondékro a été installée en 1936 par A. Aubréville en savane arborée ouverte mais la végétation n'a pas été rasée sur les trois parcelles de 2 hectares chacune mais les traitements furent identiques à ceux d'Olokomeji.

Les résultats des deux expériences sont consignés dans les tableaux 10 et 11.

Effets du feu sur le recrû forestier

Près de Lubumbashi, un autre essai a porté sur une coupe rase pratiquée en forêt claire avec un protocole expérimental d'enrichissement par plantations. Seul l'effet des divers traitements appliqués à la repousse naturelle nous intéresse et sera commenté (Schmitz, 1959).

Après 23 ans de protection réussie contre le feu, on note de très notables améliorations relatives à l'augmentation du nombre de tiges par hectare, par rapport à des coupes voisines mais non protégées ainsi qu'une proportion accrue des bonnes espèces, une amélioration de la hauteur, de la forme, de l'élagage naturel et de l'état sanitaire des tiges. Au niveau du sol, on constate une meilleure structure et un début d'humification, ainsi que la réduction de l'abondance des petites termitières, etc. Dans les parcelles où l'occupation par les essences exotiques introduites est négligeable et pour un hectare de terrain hors-termitières, on a dénombré une densité moyenne de 3 964 tiges d'une circonférence moyenne de 25,1 cm à 1,50 m du sol (hauteur de mensuration généralisée en Belgique, à l'époque). La surface terrière équivalente est de 19,843 m². Parmi ce recrû, les essences de première valeur interviennent pour 27 pour cent en nombre et 38,6 pour cent en surface terrière, leur circonférence moyenne atteignant 30 cm. Le sol est naturellement pauvre et propice au développement des Uapaca. Et cependant ceux-ci ne représentent que 12,2 pour cent de la population et 8,6 pour cent de la surface terrière car leur circonférence moyenne ne dépasse pas 21, I cm. A proximité et sur même terrain, une coupe de même âge située hors essai et donc parcourue par des incendies annuels généralement peu tardifs, ne comporte que 1 982 tiges/hectare dont 15,6 pour cent de bonnes essences et 35,4 pour cent d'Uapaca. Leurs surfaces terrières respectives sont de 13,788 m², pour l'ensemble, dont 24 pour cent et 36,4 pour cent pour les deux catégories d'essences. Les circonférences moyennes atteignent 29,5 cm pour le peuplement, 35,6 cm pour les essences nobles et 30 cm pour les Uapaca.

Une première constatation qui s'impose est la multitude de brins vivants dans le cas de la protection absolue. Mais la capacité de production du sol et surtout ses possibilités en eau étant vite atteintes, cette densité élevée des tiges conduit à la réduction de leur grosseur. Selon Delevoy qui a commencé l'expérience, le recû protégé du feu comptait 10 000 brins/hectare, à 10 ans. Leur réduction fut donc relativement faible puisque, 13 ans plus tard, il en restait encore 2 800 de circonférence supérieure à 10 cm ainsi qu'une quantité élevée de brins plus fins.

Malgré la forte concurrence entre les rejets d'une même souche, leur nombre moyen par cépée reste beaucoup trop élevé et nuit à l'accroissement en hauteur et en diamètre des brins d'élite, les seuls ayant une réelle valeur d'avenir. Un premier griffage a ramené le nombre moyen de rejets de plus de 1,50 m de hauteur, de 1,4-2,1 par souche à 1,2-1,7. Alors que les meilleures tiges des groupes avaient atteint une circonférence moyenne de seulement 32,9 cm en 20 ans, soit 1,65 cm/an, ils se sont accru d'environ 2 cm/an durant les 8 ans qui ont suivi ce dépressage partiel. Les brins de semis ont poursuivi leur croissance régulière durant cette pèriode.

Figure 20 - Evolution d'une cépée protégée du feu ou soumise au feu précoce

TABLEAU 10

Olokomeji: Comparaison de parcelles âgées de 28 ans en 1957 (parcelles coupées à blanc-étoc en 1929)

  Feu tardif Feu précoce Protégés
Nombre % Nombre % Nombre %
Nombre d'individus 98 - 163 - 433 -
Nombre d'espèces: a) tolérant les feux 14 87,5 21 63,6 17 39,5
b) sensibles au feu - - 8 24,2 20 46,5
c) exotiques 2 12,5 4 12,1 6 14,0
Nombre total d'espèces 16 100,0 33 99,9 43 100,0

TABLEAU 11

Kokondékro: Comparaison des parcelles, 1937 et 1961 (parcelles laissées intactes au début de l'expérimentation)

Traitement Année

Classes de diamètres

Total Général Accrois- sement % sur 1957
0 - 2 cm 2 - 5 cm 5 - 10 cm 10 cm +
(1) (2) (1) (2) (1) (2) (1) (2)
Feu 1937 1535 22,3 3494 50,7 1675 24,3 184 2,7 6 888  
tardif 1961 6293 90,0 191 2,7 222 3,2 184 4,1 6 990 1,5
Feu 1937 1805 25,4 3912 55,1 1271 17,9 113 1,6 7 101  
précoce 1961 10582 68,7 2166 14,1 1760 11,4 902 5,8 15 410 117,0
Protégé 1937 1262 18,0 3716 53,0 1855 26,5 172 2,5 7 005  
  1961 11788 59,7 4018 20,3 2763 14,0 1187 6,0 19 756 182,0

(1) Nombre de spécimens. (2) % du total.

Dans le cas d'anciennes exploitations forestières dont le peuplement se reconstitue par rejet des souches et par semis formant des groupes denses de plantules, on peut affirmer que le brûlage hâtif est nettement préférable à la protection absolue même si cette dernière est réalisable sans risque d'accident. Le schéma suivant l'illustre.

Les traits pleins représentent les longueurs des rejets trouvés intacts en fin de saison sèche et les pointillés correspondent aux parties nécrosées du fait du feu ou de la sécheresse. Lorsque la cépée est protégée du feu, chaque rejet a sa chance de survivre et les brins plus nombreux se partagent l'espace et la sève fournie par la souche. Si le feu intervient, les brins sont d'autant plus rabattus qu'ils sont petits ce qui accroît rapidement les différences existant entre eux. Bientôt il émerge une ou deux tiges plus fortes qui s'imposent et éliminent les plus faibles, profitant, à elles seules, de la totalité des possibilités offertes par la souche. La sélection naturelle aidée par le feu réduit les pertes d'énergie en supprimant très vite les tiges en surnombre et n'ayant aucun avenir. Le processus est identique dans les groupes denses de semis dont les brins sont soumis, eux-aussi, à une forte concurrence.

Indépendamment de ce réel avantage qu'offre le brûlage hâtif bien conduit, il faut toujours compter avec le risque d'incendié tardif accidentel supprimant tout bénéfice de la protection absolue antérieure. Après 30 ans de protection réussie, une partie de l'expérience a été parcourue par un incendie de fin de saison sèche, activé par un vent soutenu. Les flammes ont trouvé tant de masse végétale desséchée qu'elles ont pratiquement détruit le peuplement touché. Il fut alors décidé de procéder au brûlage précoce. Le premier feu préventif fut allumé au lance-flamme, en début de saison des pluies (feu de contre-saison). La végétation herbacée avait déjà reverdi et la litière était légèrement humide. Il n'y eut aucune perte et le brûlage hâtif normal a pu être pratiqué dès la saison sèche suivante. Delevoy (1950) insiste d'ailleurs sur la nécessité de procéder au brûlage précoce durant plusieurs années, dans les coupes récentes.

Delvaux (1958) a appliqué les trois traitements classiques à des coupes rases ainsi qu'à d'autres coupes faites à 0,70-1 m du sol comme le pratiquent les paysans du Haut-Shaba lors de leurs défrichements. Le feu tardif est, bien entendu, désastreux. Quant au brûlage hâtif. il sélectionne mieux les brins des souches rases que ceux des souches hautes tandis que les incendies accidentels survenant après protection absolue sont moins dommageables dans ce dernier cas. Il insiste sur l'accoutumance par les arbres soumis au feu précoce annuel et préconise le traitement pour les plantations d'eucalyptus et de pins montrant une certaine résistance à l'incendie.


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