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Conditions de mise à feu

On peut définir un brûlage hâtif idéal comme celui qui tout en ne consumant qu'un minimum de végétation, offre le maximum de garanties concernant tout risque de passage d'un nouvel incendie au cours de la même saison sèche.

Nous avons vu qu'il est malaisé d'établir avec précision le degré de combustibilité ou d'inflammabilité d'une végétation herbeuse qui dépend notamment des facteurs suivants: hétérogénéité de la végétation, irrégularité de l'ombrage et du microrelief agissant sur le degré de dessication de la plante, siccité plus grande et plus précoce de certaines de ses parties, etc. Et si la date joue un rôle important dans cette estimation, l'heure, le vent, l'ensoleillement et l'état hygrométrique de l'air sont tout aussi importants.

Le praticien se fera progressivement une opinion à ce sujet et finira par sentir le moment propice pour allumer le feu précoce dans tel ou tel secteur. Il faut toutefois établir certaines règles si l'on veut organiser officiellement une campagne de brûlage préventif.

Détermination de la période légale des feux préventifs

Les règlementations organisant les campagnes de feux préventifs doivent pouvoir fixer les dates entre lesquelles le brûlage est considéré comme hâtif et donc autorisé. Dans le programme de la FAO de lutte contre les feux de brousse au Bénin, les premiers experts consultés ont introduit la notion d'indice de sécheresse du sol désigné par le sigle ISS et qui correspond à la quantité d'eau à restituer à la terre pour la ramener à l'état de saturation. Normalement, l'indice n'est pas établi par mesure directe mais par calcul à partir des données météorologiques enregistrées sur place ou fournies par le Service Météorologique National. Il tient compte de la pluviosité et de la température diurne maximum.

L'ISS a été choisi pour fixer les dates auxquelles les feux hâtifs peuvent être allumés efficacement et après lesquelles tout incendie est considéré comme tardif et prohibé. Pour les régions de Natitingou et de Péhunco, au nord-Bénin, ces dates correspondent à des valeurs d'ISS moyennes de 800 et 1 500. Durant les quelques années d'expérience, la période comprise entre ces deux valeurs aurait été de 30 à 37 jours. L'indice est d'un emploi facile car les services d'agrométéorologie disposent des données de pluviosité et de températures pour les diverses régions. Une fois la corrélation bien établie entre les valeurs de l'ISS et l'état de combustibilité moyenne des strates herbacées, les agrométéorologistes peuvent fixer, par analogie, plusieurs semaines à l'avance, des dates correspondant approximativement au début et à la fin de campagne des feux précoces, qui seront communiquées dans des délais suffisants aux responsables de la lutte contre les feux de brousse pour la saison en cours.

Sitôt après la fin des pluies, l'ISS varie rapidement: 24,8 points par jour, en moyenne, en novembre, à Péhunco. La variation moyenne ne fut plus que de 7 points en décembre, 4,1 points en janvier et 4,7 en février, à cause du relèvement des températures.

Par contre, cet indice ne doit être considéré que comme simple indication car l'heure de la mise à feu et les conditions climatiques du moment modifient considérablement la violence de l'incendie.

En effet, les variations horaires de l'inflammabilité et de la combustibilité de la strate herbacée suivent celles de l'humidité relative de l'air (HRA) et celles de l'humidité relative du combustible (HRC) qui en découle. Si l'HRA est facile à mesurer grâce au psychromètre Assmann ou à tout autre hydromètre, elle n'intervient qu'indirectement en agissant sur l'HRC. Dans les essais effectués au Bénin, cette humidité du combustible a été mesurée sur des herbes entières. Les résultats expérimentaux indiquent ce qui suit:

Mais l'heure de la journée reste un facteur primordial puisque l'expert conclut que si l'on considère l'humidité relative de la végétation aux heures les plus chaudes de la journée (14 h), on constate que la totalité de la végétation brûle à 14 h dès que sa valeur est proche de 40 pour cent. A 18 h. la totalité de la végétation est consumée pour une valeur proche de 20 pour cent, valeur atteinte seulement deux semaines après le début des tests.

Lawson et Armstrong-Mensah (1968) publient une courbe de l'HRA dans une forêt claire du nord du Ghana, par journée ensoleillée de saison sèche: à 10 cm du sol, l'HRA passe de 90 pour cent, entre I heure et 5 heures du matin, à 28 pour cent à 13 h. L'évaporation totale correspondante, établie à 35 cm du sol, c'est-à-dire à la base de la partie la plus combustible de la végétation herbeuse, atteint 0,7 ml/4 h entre 1 et 5 h du matin, 3 ml/4 h entre 13 et 17 h et 4,8 ml/4 h entre 9 et 13 h. Toujours dans les mêmes conditions, des feuilles fraîches de Burkea africana, placées à I m du sol, ont perdu, par transpiration, jusqu'à 7,5 mg d'eau par gramme de poids frais et par minute, à 9 h du matin, 5,1 mg à 11 h et 3,2 mg à 13 h tandis qu'aux mêmes heures, celles de Terminalia avicennioides évaporaient 4,6 mg, 4,8 mg et 8,5 mg.

Telle qu'elle est mesurée généralement, l'HRC ne peut donner d'indication instantanée permettant de préciser l'heure propice à la mise à feu; mais sa notion même est erronée ou, tout au moins, trop grossière. Pour se faire une idée valable de l'humidité d'une haute graminée, par exemple, il faut déterminer les parties qui se dessèchent les premières, et qui sont généralement les plus hygroscopiques (souvent à cause de leur pilosité) et constituent donc le principal combustible lors des feux précoces. Ce sont les feuilles et fines ramifications supérieures ainsi que les hampes florales. Par contre, les gaines foliaires et les chaumes qu'elles recouvrent et qui interviennent pour une part importante dans la masse végétale, restent gorgés de sève très longtemps et ne brûlent que beaucoup plus tard.

Détermination de l'heure propice à la mise à feu

Les rapports relatant les essais béninois dont il est question plus haut indiquent clairement que parmi les feux allumés à 8, Il, 14, 17 et 19 h. ce sont ceux de 14 h qui sont les plus violents. Parmi les raisons invoquées, il y a principalement:

* le vent qui souffle de 9 à 17 h environ avec un maximum d'intensité vers 14 h (dans l'essai, il n'est pas prévu de feu allumé contre le vent);

* la température de l'air qui culmine vers 14 h et s'accompagne d'une diminution de l'humidité de l'air et donc de celle de la végétation.

Plus tard en saison, l'herbe est si sèche que l'heure importerait moins, tout incendie détruisant de 80 à 95 pour cent du couvert herbacé. Cette notion qui consiste à mesurer l'intensité du feu par la seule proportion de la biomasse consumée ne tient pas compte des dégâts importants que peuvent subir les graminées vivaces lorsque leurs bourgeons de remplacement sont atteints, à la base des chaumes ou au sein des souches cespiteuses. Entre des incendies respectant ou détruisant ces éléments vivaces indispensables à la survie du végétal, la proportion de biomasse consumée diffère de quelques pourcents seulement.

Dans ce type principal de végétation, on peut reconnaître schématiquement divers degrés d'atteinte par le feu, du plus léger au plus destructeur (Schmitz, 1988):

a. Simple nettoyage, souvent partiel, des organes foliacés et floriféres les plus fragiles. Ce stade est insuffisant car il n'empêchera pas un nouvel incendie de parcourir le peuplement en fin de saison sèche et par grand vent. Il y a donc lieu de le compléter quelque temps plus tard.

b. Même nettoyage mais plus complet avec dessication et début de combustion des fines ramifications supérieures. Ce stade offre la garantie recherchée ou ne laissera passer qu'un nouvel incendie très partiel et sans danger même par grand vent. C'est donc le type de brûlage précoce bien adapté aux milieux forestiers car il ne cause aucun dégât aux arbres ni à la strate basse, favorise la régénération de la forêt claire et l'extension éventuelle de la Forêt dense climacique. En effet, le feu s'arrête de lui-même à l'approche des massifs denses ou des zones plus humides (pâturages de saison sèche) ou encore durant les premières heures de la nuit. Il ne nécessite donc pas de surveillance suivie après le coucher du soleil, argument souvent avancé pour justifier les feux allumés durant les heures normales de service.

c. Elimination des limbes foliaires et des inflorescences avec éclatement des entre-noeuds moyens ou inférieurs des chaumes encore gorgés de sève laissant des lamelles tranchantes. Ce stade offre, lui-aussi, toute garantie dans la pratique des feux précoces aussi bien en forêt claire qu'en savane. Le feuillage des arbres n'est que partiellement atteint mais l'éclatement des chaumes épais peut gêner le bétail ou le gibier attiré par la jeune repousse herbeuse.

d. Destruction pratiquement totale de la plante laissant toutefois intacts la base des chaumes ou le coussinet de la souche cespiteuse, niveaux où dorment les bourgeons de remplacement. Ce stade supprime l'inconvénient des chaumes éclatés mais le feu est déjà plus violent et peut nuire à la strate arborescente et au recrû forestier. Il sera réservé aux seules zones pâturées et, si possible, en alternance avec un stade moins sévère.

e. Combustion plus complète encore et destruction, au moins partielle, de ces bourgeons vivaces touchés par le feu ou par la chaleur intense dégagée au ras du sol; risque de disparition de la plante. Ce stade est à proscrire car il nuit non seulement à la végétation ligneuse mais élimine progressivement les graminées de savane au profit de celles de steppe et d'autres espèces annuelles, dénude le sol et l'expose aux érosions éolienne et par ruissellement.

Ces divers niveaux d'incendié font toute la différence entre les brûlages précoce et tardif ou mieux préventif et nuisible.

L'effet du feu sur la végétation ne se juge aisément que plusieurs jours après son passage tant pour les dégâts éventuels causés aux rameaux ligneux nécrosés et devenus secs et cassants qu'au feuillage qui jaunit et tombe ainsi que pour la reprise de végétation du tapis herbacé.

Le schéma ci-après est purement théorique mais permet de mieux saisir l'évolution de la violence du feu en fonction des dates et heures, sans pour autant essayer de chiffrer chaque élément qui intervient.

* En ordonnées, les dates successives de mise à feu correspondant à des valeurs croissantes de l'indice de sécheresse du sol (ISS).

* En abscisses, les heures de la journée avec l'intensité du feu propre à chacune d'elles et son maximum vers 14 h.

Figure 21 - Schéma théorique de la violence du feu selon les dates et les heures de la journée

* Le niveau AA' de l'ISS = 800 a été établi, pour le nord du Bénin, comme marquant la date de début des feux précoces tandis qu'en BB', l'ISS vautl 500 et marque la fin de la période des feux autorisés et donc le début de la période des feux tardifs prohibés.

La même allure évolutive de la violence du feu est attribuée aux diverses dates. Elle est fonction des variations de température, de l'HRA, de l'HRC, du régime des vents, etc. Celui-ci se lève généralement de façon assez brusque vers 9 h pour cesser tout aussi vite aux environs de 17 h. Les autres facteurs sont les plus défavorables aux heures les plus chaudes, vers 14 h.

* La courbe I correspond à une date trop précoce puisqu'à aucun moment de la journée les conditions de combustibilité suffisante ne sont réunies.

* La courbe II caractérise une date à laquelle les herbes ne peuvent bien brûler qu'aux heures chaudes de la journée et par vent soutenu. Le temps des grandes campagnes de brûlage préventif n'est pas encore venu mais les villageois procèderont aux feux de protection autour des villages, greniers, cultures, réserves de paille, etc. Quant au forestier, il pourra commencer les feux de protection dans les secteurs d'extension et sauvegarde des bosquets denses et galeries forestières.

* La courbe III définit la situation convenant parfaitement aux campagnes des feux précoces. Ceux-ci seront allumés durant l'après-midi, un peu plus tôt dans les savanes à bien nettoyer pour le pâturage, un peu plus tard dans les autres secteurs. L'incendie s'éteindra de lui-même durant la nuit. Par contre, allumé le matin, il risque d'échapper à tout contrôle et de causer des dégâts importants aux heures chaudes et venteuses de midi.* La courbe IV dépasse largement le stade 1 500 de l'ISS et caractérise la pleine période des feux tardifs. Allumé en fin de journée, le feu sera relativement violent. Il ralentira durant la nuit pour reprendre de plus belle le lendemain pour ravager ainsi de vastes étendues. S'il est nécessaire d'y recourir, ce ne pourra être qu'à la tombée de la nuit, par vent absolument nul et il faudra l'éteindre avant de quitter les lieux.

Conséquences pour la végétation forestière

Nous avons vu l'effet des divers types de traitement sur l'évolution du peuplement. Reprenons quelques avantages du brûlage précoce contrôlé.

Nécessaire au maintien de la Forêt claire, le feu, lorsqu'il est peu violent, est bénéfique aux jeunes semis denses et aux rejets d'une même souche en accélérant la sélection naturelle tout en assurant un maximum de production. Or la densité du peuplement favorise les bonnes essences.

Pour ce qui est de l'arbre, il accélère l'élagage naturel des branches basses et élimine les fourches basses ou mêmes les sujets fourchus. Ceci est particulièrement intéressant pour la production de bois d'oeuvre ou d'industrie et sera recherché dans les plantations de teck, eucalyptus et autres exotiques. Quoique peu dommageable, le feu léger pourra hâter le dépérissement des sujets tarés ou blessés par prélèvement d'écorce, etc.

Si les feuilles ont cessé toute activité, le feu en déclenchera la chute, assurant ainsi une couverture du sol privé d'une partie de son couvert herbeux. La nouvelle feuillaison débutera sitôt après et profitera ainsi d'une humidité encore relativement élevée du sol (de même que la repousse herbacée). Mais survenant à une époque où le feuillage est encore en état de végétation active, le feu précoce le laissera intact. Dans les forêts claires soudaniennes et sud-sahéliennes, cet avantage représente un argument décisif auprès des populations rurales. Elles y voient une garantie de récolte des fruits de Vitellaria paradoxa et de Parkia biglobosa fournissant le beurre de karité ou des gousses comestibles. Avec celui de bien d'autres espèces, leur feuillage est précieux pour nourrir le bétail durant la saison sèche, avant que les nouveaux pâturages aient reverdi.

Conséquences pour la végétation herbacée

Si la végétation ligneuse supporte bien le feu, la strate graminéenne en a généralement un réel besoin pour conserver toute sa valeur de pâturage comme nous le verrons plus loin, en étudiant les modalités de brûlage dans le chapitre réservé aux savanes.

Conséquences pour la faune

Bien conduit, le feu précoce ne doit pas nécessairement parcourir la totalité du territoire. Il le partagera en zones incendiées où l'herbe reverdit rapidement et en secteurs épargnés qui conservent une masse de végétation herbeuse devenant de plus en plus sèche et de moins en moins nutritive. Le gibier herbivore, tout autant que le bétail domestique, trouveront de quoi se nourrir, les jeunes repousses prenant le relais des vieux pacages, aussi bien au niveau de la strate herbacée qu'à celui des buissons et arbustes. Par contre, le feu ralentira et évitera le danger d'embuissonnement exagéré du milieu.

Nous avons vu que les parasites et prédateurs voient leur population fortement réduite par le passage de l'incendie. Lamotte (1981) donne des chiffres tout aussi éloquents. Il note une élimination des arthropodes mangeurs de feuilles, chenilles, acridiens, sauterelles et grillons, de 56 à 100 pour cent au lendemain du feu avec retour de seulement 5 à 48 pour cent de la population initiale, un mois plus tard. Ils réduiront donc largement leur niveau de prélèvement habituel sur la jeune repousse qui gagnera en vigueur et sera épargnée pour le bétail.

L'alternance de zones brûlées et d'autres restées intactes protège efficacement le gros gibier de la chasse par feu encerclant ou front d'incendie le dirigeant vers des clôtures de branchages ouvertes de passages garnis de pièges ou occupés par un chasseur à l'affût. Le brûlage hâtif aide donc à faire respecter la loi qui interdit telle pratique.

Conclusions

Des observations faites au Shaba, ainsi qu'au Bénin et relatées dans une abondante littérature, on peut tirer les principales conclusions suivantes.

* Le feu tardif est à proscrire absolument, autant du point de vue forestier que simplement écologique. Il conduit inévitablement à la savanisation et même à la formation de steppe, à l'érosion du sol, à son ravinement, en un mot à la désertification, si les conditions climatiques sont quelque peu sévères. Il ne peut davantage être conseillé pour l'élevage car si ses premiers effets semblent favorables en évitant tout embuissonnement et en rabattant les arbres à hauteur du bétail, il montrera bien vite des signes de profonde dégradation du couvert herbacé que l'on voulait favoriser. Un retour en arrière est souvent long et difficile.

* La protection absolue, pour le forestier et l'écologiste, présente théoriquement le maximum d'intérêt. Toutefois, tous les praticiens sont unanimes à reconnaître que, dans les conditions sociales actuelles, elle est une utopie dangereuse car les incendies accidentels détruisent plus que la protection n'a fait gagner en plusieurs années. On ne pourra l'envisager, avec quelque chance de succès, que lorsque les attitudes auront fortement changé ce qui ne paraît pas devoir se faire dans les prochaines années si l'on en juge par la recrudescence des incendies en régions méditerranéennes.

* Le brûlage hâtif dirigé reste donc la seule pratique recommandable pour l'aménagement du domaine forestier. Plus lent dans ses effets que la protection absolue réussie mais beaucoup plus sûr, il conduit aux mêmes résultats: accroissement de la densité forestière, proportion plus élevée d'essences de première valeur, amélioration de la forme des arbres, élagage naturel des troncs, élimination accélérée des sujets tarés ou bas-branchus. Simultanément, il exerce une sélection plus sévère entre les brins de semis et rejets de souches au profit des élites et réduit la densité de la strate herbacée et donc l'importance des feux ultérieurs. Quelque peu adapté, le feu précoce est utile à l'éleveur et assure la récolte de fruits et feuillages comestibles.

Figure 22 - Accumulation de matériel combustible


Aménagement de la savane

La savane étant le milieu privilégié pour l'élevage du bétail domestique autant que du gros gibier, il faudra tenir compte de ses impératifs autant que des intérêts forestiers et écologiques.

Savanes guinéennes et périguinéennes


Origines
Productivité
Effets du feu
Repousse après incendie
Traitements préconisés
Conclusions

Origines

Monnier (1981) explique le caractère récent de la création de ces savanes par le caractère inhospitalier de la Forêt dense, désert humain où la subsistance recourt à la cueillette et, un peu, à la chasse. L'outil perfectionné et l'exploitation forestière systématique datent des débuts de la colonisation. La Forêt détruite fait place à une savane qu'il appelle savane antiforestière, sous la pression de l'exploitation, de l'élevage, de la chasse, de l'introduction de la grande culture, le tout accompagné du feu.... Que la savane qui s'est installée soit particulièrement épaisse n'a rien de surprenant: trop humide pour accueillir les ligneux de la savane forestière, le milieu ne pouvait que favoriser ce développement herbacé puisque le feu annuel était incompatible avec la Forêt dense... Les savanes antiforestières ne sont qu'un écosystème de substitution. Un paysage nouveau a été modelé par l'homme et le feu participe à la stabilisation de ce paysage... jusqu'à substituer au climax, un périclimax.

Certains auteurs admettent cependant que certaines savanes guinéennes puissent avoir une origine plus ancienne et naturelle, sur des sols très pauvres ou dans les zones d'inondation saisonnière. Germain (1965) formule l'avis que les ésôbés ou clairières herbeuses ouvertes dans la grande Forêt dense humide zaïroise proviendraient de l'assèchement d'anciens marais que la fréquence des feux empêche de se reboiser. Il en est de même des ésôbés rivulaires ainsi que de plusieurs savanes intercalaires dans les autres forêts équatoriales africaines. D'autres ne paraissant pas avoir d'origine récente dans une cuvette ou une rive marécageuse, caractériseraient des sols très pauvres, superficiels et souvent indurés à faible profondeur. Schnell cite de nombreux témoins d'une telle relation. Mais lorsque de telles savanes sont anciennes, il est toujours malaisé de faire la part des responsabilités et de séparer l'action du sol sur le couvert végétal de celle de la végétation sur la dégradation du sol. De telles savanes sont peut-être des témoins d'une extension plus grande durant les périodes plus sèches antérieures et leur déséquilibre avec le climat équatorial actuel est reconnu par tous les auteurs, témoins de leur envahissement rapide par les essences forestières dès que la protection contre le feu le permet. Cette origine ancienne explique également le caractère nettement soudano-zambézien de leur flore.

Quant à la savane préforestière dont parlent les botanistes de l'Afrique occidentale, elle est soumise à une saison sèche plus marquée et peut être classée parmi les savanes périguinéennes. Davantage en équilibre avec le climat actuel, son maintien est facilité par une plus grande fréquence de l'incendie durant une interruption plus longue de la saison pluvieuse. Elle est généralement plus arborée que la savane guinéenne, le feu y étant moins violent et les conditions édaphiques moins défavorables à la végétation ligneuse.

L'élevage bovin y est également moins difficile à réussir que dans la savane équatoriale typique à cause d'un climat meilleur, cause de moins de maladies. Elle est aussi plus étendue car l'occupation humaine y est plus forte et plus ancienne qu'en forêt dense équatoriale.

Productivité

Les savanes guinéennes et périguinéennes présentent des productivités herbeuses importantes qui, par ailleurs, expliquent la violence des incendies parcourant leur biomasse desséchée.

La production épigée serait de 8 à 9 tonnes par hectare en savane préforestière ivoirienne à Loudetia simplex et atteindrait même 13 à 16 tonnes dans le facies arbustif à andropogonées (César et Menaut, 1914). De semblables valeurs sont données pour d'autres régions plus ou moins équatoriales et jusqu'à 15 à 20 tonnes/ha pour des graminées hautes et denses comme Andropogon gayanus et Pennisetum purpureum, au Nigéria, selon Adegbola ( 1964). Ces valeurs donnent une idée de l'importance de tels sites tant pour y pratiquer l'élevage que pour recourir à la jachère herbeuse mais aussi de l'intensité des feux tardifs qui peuvent sévir.

Effets du feu

Dans ces savanes, le feu assure annuellement l'élimination de la biomasse morte, herbacée et ligneuse, réalisant en une fois le cycle continu de turn-over de la forêt qu'elles ont remplacée.

Monnier (1981) a analysé les herbes et feuilles d'arbustes de la savane préforestière, en fin de saison sèche. Il montre que l'arrêt incomplet de la végétation dû à une sécheresse toute relative, ne produit pas de migration totale des éléments minéraux vers les racines et bourgeons de remplacement. En les consumant, le feu provoque une perte appréciable de ces éléments mais, par contre, favorise la repousse en supprimant une biomasse morte asphyxiante. Le phénomène de bloquage des substances nutritives dans les parties aériennes de la plante serait plus marqué encore lorsque l'harmattan souffle tôt en saison et contrarie les migrations internes.

Tous les auteurs sont d'accord sur le fait que ces savanes ne sont nullement en équilibre avec le climat actuel, la preuve étant donnée par le fait que leur protection, même mitigée, contre le feu provoque leur rapide retour vers la forêt.

Repousse après incendie

En savane préforestière, Monnier (1981) observe un début de repousse trois jours après le passage de l'incendie. Mais il faut attendre deux semaines pour que la savane ait réellement reverdi. Après trois semaines, la biomasse printanière atteint 200 kg/ha. Deux mois après le feu, elle est de 600 kg/ha et recouvre 60 pour cent du sol tandis que les ligneux ont retrouvé un quart de leur couvert. La biomasse monte à 2 tonnes/ha et couvre la totalité du terrain en fin de troisième mois de repousse.

La jeune repousse est la plus riche en éléments nutritifs comme le montrent les résultats d'analyses publiées par Monnier (1981) dont nous avons condensé les résultats ci-après, reprenant la moyenne arithmétique des compositions de Loudetia simplex, Andropogon schirensis, Cyperus obtusifolius, Schizachyrium platyphyllum Brachiaria brachylopha. Le tableau reprend les teneurs en matières protéiques brutes (MPb), matières minérales totales (MMt), phosphore (P) et potassium (K).

Moyenne après 1 mois

2 mois

3 mois

12 mois

MPB:6,58 5,02

3,34

2,00

MMt: 15,01

14,33

17,60

12,31

P:0,16

0,13

0,14

0,073

K:2,00

1,08

0,77

0,34

L'accroissement des teneurs en matière sèche et en phosphore, au troisième mois, correspond à la formation des fruits.

Le feu contrôlé a un effet non négligeable sur l'importance de la repousse. Au Nigéria, Egunjobi (1973) constate une reprise active de la végétation d'une savane herbeuse à Andropogon gayanus aussitôt après que le feu soit passé, la production maximale journalière atteignant de 176 à 270 kg/ha alors qu'elle ne dépasse pas 150 kg/ha dans les parcelles non brûlées. Cette productivité accrue s'ajoute donc à la plus grande valeur nutritive, laquelle serait due à l'enrichissement du sol par les cendres.

Si cette haute valeur alimentaire s'atténue dans la suite, elle n'en justifie pas moins l'intérêt de la préparation de pâturages printaniers par le recours au brûlage hâtif.

Le feu précoce produirait une floraison plus abondante que celle des savanes non brûlées, ce qui expliquerait les hautes teneurs en phosphore. Quant à l'équilibre azoté, il serait légèrement amélioré, après incendie, grâce à une activité microbienne accrue. Pour une savane vénézuélienne à Trachypogon, graminée très proche de certaines espèces des savanes africaines, Montes et Medina (1977) établissent que la jeune repousse est de 8 à 10 fois plus fournie en azote et en phosphore, en zone brûlée qu'en station protégée du feu. Ici encore, les différences s'atténuent par la suite.

Traitements préconisés

Le brûlage précoce des savanes guinéennes et périguinéennes est souvent malaisé car, dès qu'une part suffisante de la biomasse est sèche, le feu se fait violent. Par ailleurs, lorsqu'il réussit, leur embuissonnement est généralement rapide et conduit à la reforestation. Toutes les nombreuses expériences et observations à ce sujet le prouvent.

Au Mayumbe (Bas-Zaire), Brynaert et Toussaint (1949) proposent un retour à la forêt pour rendre, aux sols, leur qualité première détruite par la culture et le passage répété du feu. Après 8 ans de protection, des savanes à strate herbacée dominante sont envahies par un épais taillis forestier. Afin de vaincre progressivement l'opposition des agriculteurs, ils préconisent une mise en protection limitée à quelques sites spécialement favorisés par des obstacles naturels à la progression de l'incendie. Pour le reste, l'agriculture se fera par bandes alternées avec un recrû forestier réalisant une jachère forestière suffisamment longue.

En région voisine du Bas-Zaïre, les paysans façonnent des buttes d'herbes de sarclage qu'ils recouvrent de terre et incinèrent. Sur les plates-bandes ainsi préparées, ils sèment ou bouturent courges, manioc, pommes de terre, mals, oignons, etc. Cette technique fréquente en savanes établies sur sols dégradés, a été adoptée par les forestiers, avec plein succès, pour créer des peuplements, par semis, d'Eucalyptus robuste, E. citriodora, Harungana madagascariensis, Mangifera indica, Grevillea robusta, Sweetia brachystachya, Cassia nodosa, C. spectabilis, Leucaena glauca, Ricinodendron heudelotii, Maesopsis eminii, etc. La main d'oeuvre nécessitée par la préparation des buttes, le semis, les sarclages éventuels ultérieurs dépasse de peu le quart de celle que requiert la plantation des mêmes essences préparées en pépinière et transplantées en paniers (Dubois, 1957).

Lorsque l'origine des savanes est davantage anthropique que due aux conditions particulières d'un sol pauvre, superficiel ou inondable, on peut y organiser une agriculture ou un élevage appropriés. Dans les paysannats du BasShaba (Zaïre), de Fauconval et Van Heeck (1957) ont préconisé de faire alterner des bandes de cultures et de jachères. Ces dernières sont constituées d'une savane périguinéenne, protégée du feu et dont la biomasse est enfouie mécaniquement afin d'améliorer la fertilité et la structure du sol. Leur isolement et l'éducation des paysans ont permis de protéger efficacement du feu, 77,6 pour cent de ces jachères herbeuses.

L'utilisation de clôtures mobiles permettrait d'améliorer encore le système en réservant une partie de ces jachères à un pâturage léger par un bétail nourri, pour le reste, par les sous-produits de la culture. Grâce au labour mécanisé, les jachères protégées du feu ne risquent pas de s'embuissonner et de retourner à la forêt. Il y aura donc fixation des limites entre les domaines forestier et agropastoral, condition indispensable pour un aménagement efficace du premier.

Toujours dans la même région Mullenders (1954) remarque un cordon pare feu de type arbustif, en lisière de la forêt dense. Localement, grâce à une réduction de l'importance du feu, ce mur de protection avance et envahit la savane. Triumfetta cordifolia y domine accompagné de Phyllanthus muellerianus, Harrisonia abyssinica, Securinega virosa, Antidesma meiocarpum, Vernonia conferta, Mikthania scandens, Microglossa pyrifolia, etc. Large de 5 à 10 m, cette bordure protège efficacement la forêt des feux moyens. Leur introduction en bosquets, dans la savane, accélère le processus de reforestation par leur extension rapide et leur rôle préparateur du milieu pour la régénération des essences arborescentes forestières.

Le reboisement naturel des savanes équatoriales soustraites au feu violent est également décrit du Gabon, par Franzini (1949) et d'autres pays du nord et de l'ouest de la région guinéo-congolaise. Même les sols dégradés et devenus impropres à l'agriculture sont susceptibles d'être ainsi reboisés naturellement. La transformation serait plus facile encore dans les savanes côtières non incendiées. Il est vrai que la forêt dense équatoriale est rarement très éloignée de ces savanes guinéennes et qu'elle dispose de formations secondaires pionnières disséminant largement leurs graines.

Conclusions

En bref, on peut proposer une division du territoire en deux grands domaines.

* Le domaine agropastoral disposera de l'ensemble ou d'une partie des savanes établies sur bon sol, souvent d'origine anthropique. Le climat favorisant l'agriculture, il faudra la pratiquer de façon sédentaire, avec recours à la jachère herbeuse, celle-ci étant éventuellement pâturée sans excès, protégée du feu et enfouie dans le sol. Si le labour mécanisé n'est pas possible, la pratique de la culture sur buttes de gazons retournés et incinérés aura l'avantage de concentrer et conserver les cendres dans les plates-bandes ensemencées.

* Le domaine forestier sera aménagé selon ses qualités: protection contre le défrichement, l'exploitation sauvage et le feu, exploitation forestière parcimonieuse suivie de travaux d'enrichissement (ouverture complémentaire de trouées ou layons, dégagement des bons semis naturels, semis artificiels ou plantations, etc.). Quant aux savanes établies sur sol impropre à l'agriculture, elles retourneront à la forêt soit par simple protection contre les incendies soit par introduction de bouquets d'essences pionnières aidant à cette reforestation soit encore par plantation d'essences locales ou même exotiques.

* Nous avons vu que la forêt exploitée pourrait aussi être réservée à la culture agricole, durant quelques années, pendant lesquelles l'occupant serait tenu de planter et éduquer un nombre suffisant d'arbres de valeur tels que Terminalia superba, Triplochyton scleroxylon, Milicia excelsa, etc.


Savanes soudano-zambéziennes


Effets du feu sur le milieu
Repousse après les feux
Traitements préconisés
Elevage
Conclusions


Tandis que la forêt équatoriale défrichée fait place à une savane aux herbes hautes et denses mais aux ligneux clairsemés ou absents, la forêt dense sèche climacique de la région soudano-zambézienne est remplacée par tout un éventail de forêts claires. En dehors des terrains alternativement inondés et très secs, la savane plus ou moins boisée n'est souvent qu'un état de dégradation de ces forêts ouvertes.

Ceci explique que l'on rencontre tous les intermédiaires entre la forêt claire relativement riche et la savane herbeuse, en passant par les divers stades de savanes boisées, arbustives, buissonnantes, etc.

La violence et la fréquence du feu jouent un grand rôle dans la répartition de toutes ces formations, autant que le sol et son relief.

Si les savanes guinéennes ont une flore étroitement apparentée à celle des savanes soudano-zambéziennes, ces dernières n'en ont ni la puissance ni la productivité. De ce fait, la conduite des brûlages contrôlés y est plus facile tandis que leur protection absolue est rendue moins aisée par la longueur de la saison sèche.


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