minimppv.gif (940 bytes)minimtoc.gif (878 bytes)minimpnx.gif (858 bytes)

Effets du feu sur le milieu

Ce qui a été dit des effets du feu sur la forêt claire s'applique généralement à la savane, surtout si elle est quelque peu boisée. Toutefois, contrairement à une impression assez fréquente, la composition de la strate herbacée diffère beaucoup de l'une à l'autre, bien que son comportement vis-à-vis du feu soit fort semblable.

En zone de savane herbeuse les feux se propagent surtout par la strate de graminées particulièrement inflammable en saison sèche. Ils peuvent progresser rapidement de plusieurs centaines de mètres à l'heure, activés et poussés très souvent par le vent qui modifie le degré hygrométrique de l'air et de la végétation et facilite le transport de flammèches sur de longues distances. La température, I'ensoleillement, la masse de combustibles, la pente et différents autres facteurs facilitent la propagation des feux (B. Mallet, 1987).

En savanes boisées les feux grillent ou dessèchent les feuilles, bourgeons et petites branches des arbres, en raccourcissant leur période de végétation et leur développement. Ils favorisent la désertification par éclaircissement de ces savanes en éliminant les jeunes plants de régénération.

L'action du feu sur les végétaux ligneux est très grave puisqu'elle les mutile d'une façon désordonnée au point d'entraîner souvent leur dépérissement et leur mort (A. Aubréville, 1950).

Les savanes boisées soudaniennes sujettes aux feux sont familièrement appelées "les pays des bois tordus " tant les arbustes sont torturés par le passage répété des incendies (M. Condamin et R. Roy, 1969).

Les savanes, principalement les soudaniennes, sont fortement exploitées pour l'élevage. Cette spéculation sera donc considérée prioritairement à la production forestière sans, pour autant, négliger l'aspect écologique de la conservation des sols et de la recharge des nappes aquiféres.

Protection absolue

La protection absolue est très difficile à obtenir et aucun des auteurs qui en analyse les effets ne semble la désirer.

Elle conduit inévitablement à un embuissonnement ou même à une reforestation surtout si la savane a pour origine une dégradation de la forêt claire. C'est pourquoi les auteurs mettent l'accent sur la nécessité de brûler les savanes, sans guère préciser l'époque. Outre l'effet de l'incendie entravant l'envahissement par les ligneux, il invoquent l'élimination des herbes vieilles, mortes et sans grande valeur nutritive au profit de la repousse, le nettoyage des parasites et prédateurs, l'effet favorable sur certaines espèces telles que Themeda triandra.

Le maintien de vastes étendues non brûlées est également une nécessité pour réussir les chasses à feu encerclant, strictement interdits, et sources fréquentes d'accidents. Dans le nord du Bénin, de telles pratiques sont encore très fréquentes et sont la principale raison de la protection des savanes, en début de saison sèche. Les braconniers des pays limitrophes n'hésitent pas à passer la frontière pour chasser dans les réserves de faune et parcs nationaux. Ils échappent aux poursuites en regagnant leur pays sitôt la chasse terminée (Sokpon, 1985). Le cloisonnement de la région par des zones incinérées est le moyen le plus facile de supprimer ce genre de délit faute de pouvoir le réprimer.

Dans l'aménagement de la région, il convient toutefois de prévoir une certaine proportion de sites non brûlés, différents d'année en année afin d'éviter les inconvénients invoqués plus haut. Il s'agit des pâturages de début de saison sèche où les troupeaux trouveront une herbe sèche, peu nutritive mais abondante en attendant la repousse des savanes incinérées. Cette nécessité sera d'autant plus grande que la région accueille des troupeaux nomades venus du nord pour hiverner. L'importance des superficies à mettre ainsi en réserve devrait être établie pour chaque région d'après ses particularités. Ainsi, dans la région de Boukoumbé, au nord-ouest du Bénin, la soudure entre les pâturages des vallées, restant verts plus longtemps, et ceux de la repousse provoquée par les feux précoces est largement assurée par la libre divagation du bétail, dans les champs aussitôt après les récoltes d'arachide, riz, sorgho, etc. Dans de telles circonstances, la protection des parcours contre le feu est moins impérative.

Brûlage précoce

Nous verrons au paragraphe suivant que si quelques auteurs préconisent la généralisation des feux tardifs, ils appartiennent tous à une seule et même école et constituent, malgré tout, une petite minorité. Les autres sont unanimes à reconnaître les bienfaits et la nécessité du brûlage précoce. Sans suivre l'avis des premiers, il est possible d'admettre que la mise à feu des savanes devant recevoir les troupeaux puisse avoir lieu de manière légèrement plus tardive que celle de la forêt claire où la production ligneuse est recherchée en premier. Il est donc admis, dans le cas présent du brûlage hâtif que le feu soit un peu plus violent afin d'éviter la repousse exagérée de l'élément ligneux et la production exagérée et gênante de lamelles acérées d'éclatement des chaumes.

L'objectif principal recherché est donc d'assurer une repousse abondante et riche prenant la relève des pâturages anciens de plus en plus secs et sans valeur nutritive. Monnier (1981) démontre que l'arrêt de la végétation est nettement plus complet que dans le cas des savanes guinéennes, à cause du climat plus tranché entre les saisons sèche et pluvieuse. De ce fait, la migration des matières azotées et minérales vers les éléments vivaces laisse, en saison sèche, une herbe pauvre que le feu consume sans grande perte. Par contre, à la même époque, le feuillage des ligneux est beaucoup plus riche que celui des arbustes de ces savanes équatoriales. Or le feu hâtif les épargne dans une grande proportion. Ainsi donc, le brûlage précoce ménage le pâturage aérien et prépare un pâturage herbeux riche. Il élimine, de plus, une herbe morte et sans valeur.

Brûlage tardif

De nombreuses observations démontrent que la pratique généralisée des incendies tardifs, en savane, conduit d'abord à la régression du couvert ligneux, puis à la formation d'une steppe et aboutit à une forme plus ou moins avancée de désertification. Le sol ne tardant pas à être de plus en plus découvert, s'érode, tandis que le ruissellement accru réduit la recharge de la nappe phréatique. Cependant, devant la nécessité de réduire la strate ligneuse, il arrive parfois que des éleveurs même à des niveaux de responsabilité ainsi que des chercheurs, préconisent le brûlage tardif.

Plus encore que ceux de la forêt claire, les arbres et arbustes de savanes ont la propriété de rejeter vigoureusement de souche. Lors de la généralisation des incendies de fin de saison, une majorité d'entre eux voient leurs rameaux se nécroser au profit de rejets naissant à la base des branches maîtresses et même du tronc. Certains sont réduits à une simple souche émettant quelques rejets annuels bien à portée de la dent du bétail. Dans les milieux ainsi dégradés, les arbres peuvent se transformer en suffrutex comme le montre la figure 22 inspirée de Lawson, Jénik et Armstrong-Mensah. L'enracinement des espèces représentées et des autres subissant la même réduction se concentre entre 20 et 30 cm, pour les grosses racines et plus superficiellement encore pour les fines. Il n'y a donc plus d'exploitation profonde du sol comme l'opèrent les arbres et arbustes normaux.

Figure 23 - Allure acquise par quelques arbres en savane boisée soumise au feu, en Côte d'lvoire, selon Lawson et all. (1968): a = Terminalia avicennioides, b = Burkea africana, c = Piliostigma thonningii, d = Cochlospermum planchonii, e = Detarium microcarpum

C'est ainsi qu'Egunjobi (1971, 1973) estime que le feu tardif détruit la litière de la savane et favorise la production d'herbage. Rain ajoute que, grâce à lui, les espèces pérennes se maintiennent alors que le brûlage hâtif les élimine au profit d'herbes annuelles. Remarquons que cet avis est contredit par de très nombreux chercheurs. Des essais conduits au Nigéria montrent clairement que l'incendie tardif est nuisible aux arbes et Afolayan (1977) conclut en sa faveur, dans un souci de favoriser la production d'herbages. Pour lui, les effets sur les essences ligneuses et leurs rejets doivent être considérés comme ne nuisant nullement aux habitats.

Plus mitigée est l'opinion selon laquelle des feux tardifs occasionnels sont indispensables pour améliorer la production herbagère et l'état de quiétude des troupeaux en réduisant les risques d'embuissonnement.

Repousse après les feux

Cette repousse est le principal argument invoqué par ceux qui mettent le feu à la savane. Elle est, de plus, utile au gibier et au bétail durant la saison sèche car elle remplace une vieille herbe ayant perdu beaucoup de sa valeur. Monnier (1981) a établi que le repos végétatif plus complet en région à saison sèche marquée qu'en zone équatoriale, accroît la migration interne des éléments nutritifs de la plante.

Ainsi, l'herbe sèche et prête à brûler a une teneur en matières protéiques de 1,92 au lieu de 2 pour les savanes guinéennes, en matières minérales totales de 7,50 au lieu de 12,31, en phosphore de 0,033 au lieu de 0,073 et en potassium de 0,49 contre 0,34. La perte par incinération est donc nettement plus faible d'autant plus que la biomasse est généralement très inférieure.

Le même auteur observe les premiers signes de repousse après 15 jours tandis qu'il faudra attendre un mois pour que les nouveaux rejets atteignent une longueur de 4 à 5 cm. A ce moment, certains arbres perdent encore leurs feuilles tandis que d'autres émettent déjà de nouvelles pousses, d'autant plus vigoureuses que le sujet est bas et a souffert du feu. Notons que la repousse herbeuse est souvent plus rapide et débute dès les premiers jours après l'incendie. Après deux mois, la reprise de la végétation se poursuit lentement dans la strate herbacée alors qu'elle se montre beaucoup plus vigoureuse chez les ligneux. A ce stade, la nouvelle biomasse est estimée à 250 kg par hectare tandis qu'elle passe à 400 kg un mois plus tard. Les premières hampes florales apparaissent alors chez les graminées. Il faut attendre environ le quatrième mois pour que les touffes herbeuses se rejoignent, couvrent 40 pour cent du sol et fournissent une masse végétale de 750 kg/ha.

Cette repousse de la strate herbacée parait bien lente et semble sensiblement plus rapide dans d'autres sites. En échange, elle présente une valeur alimentaire élevée qui en fait un aliment très apprécié du bétail. Elle est due à la mobilisation des éléments minéraux libérés par l'incendie et à la remontée de l'eau du sous-sol entraînant des sels profonds dissous. Cette richesse est passagère et diminue rapidement. Ainsi après respectivement I mois, 3 mois et I an, la teneur en matières protéiques passe de 11,47 à 5,32 et 1,92, celle en minéraux totaux, de 11,89 à 11,39 puis 7,50, celle en phosphore, de 0,21 à 0,10 et 0,033 tandis que la richesse en potassium diminue de 1,84 à 0,97 puis 0,49.

La rapidité du démarrage de la repousse semble réglée par différents types de phénomènes. Tout d'abord, le nettoyage par le feu stimulerait la plante tout en supprimant l'ombrage et en réchauffant le sol noirci par les cendres. Mais les réserves d'eau à la disposition des jeunes racines produites peuvent varier considérablement d'un site à un autre. Il faudra en tenir compte lors de l'établissement du programme des mises à feu.

Il semblerait donc avantageux de brûler la savane le plus tôt possible indépendamment des autres contingences tels que danger d'embuissonnement, nettoyage imparfait des vieilles herbes, etc. Pourtant certains observateurs craignent qu'une repousse trop hâtive soit détruite par l'harmattan. Ici encore, une bonne connaissance des conditions locales et des observations suivies peuvent seules résoudre ces problèmes. Il y a donc un compromis à trouver entre ces divers facteurs militant en faveur, les uns d'un brûlage plus précoce, les autres d'un léger retard à y apporter.

Traitements préconisés

La politique à adopter en fait de brûlage des savanes dépend avant tout de l'objectif principal poursuivi car il est assez difficile de concilier totalement l'intérêt forestier et les nécessités de l'élevage, domestique autant que sauvage. La première spéculation intéresse surtout le domaine zambézien tandis que l'élevage est fort développé en zones orientale et soudanienne. Quant au gibier, il y a surtout lieu de s'en préoccuper dans les réserves de chasse et parcs nationaux.

Reboisement naturel

Dans les régions où la pression pastorale est faible, la lutte contre les feux tardifs, en savane plus ou moins boisée, rétablira parfois sinon une forêt dense climacique, du moins une véritable forêt claire. Non seulement la production de bois sera accrue mais le retour à la forêt protégera les sols et régénèrera les terres agricoles épuisées. L'embuissonnement qui débute rapidement est une première phase de la reforestation car il représente une entrave au passage et à la violence des feux.

Le brûlage de début de saison sèche réduit l'évapotranspiration de la masse herbeuse au profit de celle des arbres. La repousse qui suit attirera les herbivores sauvages qui trouveront nourriture et sécurité.

Le feu précoce ayant la particularité de ne pas parcourir la totalité du terrain, il laisse certains sites intacts, au hasard des coups de vents et de l'état de dessication des herbes. Ces stations profiteront donc d'une protection absolue sans courir grand risque d'incendié tardif. L'année suivante, ce sera un autre endroit qui sera épargné. Ainsi se créent des noyaux de reforestation plus avancée qui accélèrent le processus général de reforestation d'autant plus que ce sont les zones les plus boisées qui ont le plus de chance d'échapper à l'incendie.

Elevage

Le feu très précoce parcourant une savane présente de réels inconvénients pour l'élevage. Les principaux griefs avancés sont:

* un effet favorable à l'envahissement par les ligneux qui réduit d'autant les superficies et biomasses pâturées et contrarie la tranquillité du bétail;

* la masse des herbes anciennes n'est pas toujours entièrement nettoyée ce qui rend le pâturage moins appété;

* l'éclatement des entre-noeuds de la base de certains chaumes encore gorgés de sève, laissant de longues lamelles coupantes, désagréables pour le bétail voulant brouter la jeune repousse;

* en région soudano-sahélienne, certains reprochent au feu très précoce de provoquer une repousse que l'harmattan risque de dessécher rapidement;

* le nettoyage des parasites et prédateurs reste très imparfait.

Toutes ces raisons incitent donc à retarder quelque peu la mise à feu sans, pour autant, recourir à un brûlage tardif comme certains le préconisent. Alors que l'aménagement forestier réclame un brûlage hâtif couvrant une superficie d'autant plus étendue que les risques d'incendié tardifs sont grands, l'élevage requiert un programme beaucoup plus précis. Les autorités chargées de la lutte contre les feux de brousse et les responsables de l'organisation des feux préventifs devront s'entendre avec les éleveurs et autres agriculteurs.

Le territoire réservé à l'élevage sera réparti en divers secteurs qui, dans un premier temps, seront séparés et cloisonnés par des brûlages hâtifs faisant office de pare-feu. Pour la facilité, ces bandes de terre incinérées dès le début de la saison sèche seront les deux bordures des chemins, pistes, sentiers principaux, des lignes joignant des sites particuliers tels que zones cultivées, villages, cours d'eaux, galeries forestières, mares permanentes, prairies humides, affleurements rocheux, etc. Ce premier travail a pour but de mieux maîtriser les feux allumés par la suite et d'assurer la protection des pacages à réserver.

Sitôt après ou même simultanément, les premiers feux de régénération des herbages seront pratiqués. Ils préparent donc les nouveaux pâturages les plus précoces destinés aux animaux affaiblis, en croissance ou en état de gestation, le reste du troupeau disposant encore d'abondants parcours bien fournis en herbes relativement fraîches.

Puis, un peu plus tard en saison ou un peu plus tôt dans la journée, afin que le feu soit légèrement plus violent et nettoie davantage les herbes anciennes, on mettra le feu aux autres secteurs destinés à fournir la majeure partie des pâturages printaniers. Ceux-ci prendront la relève des vieilles herbes desséchées et perdant leur valeur nutritive. L'intensité plus grande du brûlage vise à réduire les inconvénients rappelés ci-dessus et découlant d'une litière mal nettoyée et des lamelles d'éclatement des entre-noeuds de la base des chaumes.

Enfin les secteurs restants ne seront pas incinérés au cours de la saison. Leur étendue et leur protection doivent être suffisantes pour nourrir le bétail jusqu'à ce que les secteurs brûlés fournissent assez de herbe jeune. Le cloisonnement des secteurs réservés sera spécialement soigné pour éviter qu'un feu accidentel les parcourant l'un après l'autre ne prive momentanément les troupeaux de pâturage.

Les fonds humides présentant un risque d'embuissonnement par suite d'une longue protection seront périodiquement nettoyés par un brûlage qui, bien que relativement précoce pour la site, sera nécessairement pratiqué assez tard en saison, les herbes y restant humides plus longtemps.

Il n'est donc pas exagéré de dire que l'art de l'éleveur, sous climat tropical, tient, pour une grande part, dans une conduite judicieuse des feux de régénération des herbages.

Dans un tel programme de répartition et de succession des parcours, on inclura éventuellement les forêts claires. Même si ces dernières sont soumises à une agriculture itinérante, le brûlage hâtif et un pâturage équilibré ne réduiront en rien leur valeur de jachère.

Tel que suggéré ci-dessus, le tracé des bandes pare-feu incinérées dès le début de la saison sèche varie peu d'une année à l'autre. Par contre, la répartition des secteurs qu'elles délimitent entre protection et brûlages plus ou moins précoces doit être modifiée annuellement au vu de l'évolution floristique de chacun d'eux.

Une savane montrant des signes d'envahissement par des ligneux devra subir des feux plus violents et fréquents tandis que la plus grande prudence sera de mise dès que s'observera une réduction des bonnes graminées.

Par ailleurs, si les parcelles mises en réserves ont été imparfaitement broutées et portent encore une litière importante lors du retour des pluies, le responsable devra juger de la possibilité et de l'intérêt d'en parfaire le nettoyage par un feu de contre-saison, avant la repousse des herbes.

Dans les débuts, le maillage des pare-feu sera assez serré afin de bien préserver les parcelles des feux accidentels et rendre impossible tout feu encerclant de chasse. Mais au fur et à mesure que la population prendra conscience des avantages du programme d'aménagement et acquerra la discipline indispensable, on pourra accroître la dimension des secteurs et réduire le travail de préparation des pare-feu sans, pour autant, courir de plus grand risque d'incendie accidentel. Dans ce cadre, il est nécessaire de mettre en oeuvre simultanément des programmes de vulgarisation et de sensibilisation au profit des groupes-cible et notamment des enfants qui, en assimilant tôt les concepts et les techniques, sauront demain mieux aménager leurs territoires que leurs aînés.

Certains auteurs mentionnent les effets néfastes des vents secs, dont l'harmattan, sur la jeune repousse et les réserves en eau du sol dans certaines zones arides. Il faut en tenir compte lors de la programmation des brûlages et en mesurer les risques par une observation soignée et suivie.

Lorsque l'élevage se pratique parallèlement à une agriculture bien développée, la mise à la disposition des troupeaux de sous-produits abondants de la culture et sa libre divagation sur les champs dès la fin des récoltes permet de réduire la superficie des pâturages protégés des feux au profit des secteurs incinérés puisque la jonction est assurée entre les herbages de saison des pluies et les nouvelles repousses. Il en est de même si l'élevage plus sédentaire dispose de pâturages améliorés ou de cultures herbagères à haut rendement comme les plantations, en terrain frais, de Pennisetum purpureum. Ces cultures, dans les dépressions mal drainées, apportent des quantités considérables et soutenues de fourrage tout en remplaçant souvent une végétation naturelle de faible valeur alimentaire et peu appétée que le piétinement du bétail dégrade.

Il est difficile de préciser davantage les opérations à conduire sans avoir une connaissance approfondie des conditions locales. Le forestier régional qui serait chargé, par les autorités, d'organiser et diriger les campagnes de brûlage aura soin de prendre conseil auprès des éleveurs sans toutefois se laisser trop influencer par leur tendance habituelle à préférer les feux trop tardifs aux trop précoces.

Conclusions

Dans les régions où l'élevage est peu pratiqué, l'aménagement des savanes par le feu est semblable quoiqu'adapté à celui de la forêt claire. Son objectif principal est le reboisement naturel.

Mais là où l'élevage est bien développé, l'aménagement par le feu peut devenir un objectif prioritaire lors de l'élaboration des programmes de brûlage et le forestier responsable doit s'adapter à cette nouvelle contrainte. Il devra composer avec les éleveurs afin d'adopter d'un commun accord des brûlages légèrement tardifs qui concilient les intérêts à court terme de l'élevage avec les intérêts écologiques, donc à plus long terme du forestier.

L'idéal serait de suivre de très près l'évolution de l'ensemble de la végétation en relation avec le traitement appliqué aux parcelles, aussi bien la succession des brûlages et mises en réserve que l'importance de la charge animale. La méthode classique consiste en une délimitation judicieuse de carrés permanents dont on établit périodiquement et compare l'occupation précise par les diverses espèces végétales. Une bonne connaissance agrostologique permet de traduire l'évolution quantitative des populations en transformation qualitative, progressive ou régressive, et de corriger, à temps, le traitement.

Dans un souci de sédentarisation progressif de l'élevage (autant que de l'agriculture), les responsables du développement rural se doivent de faire l'inventaire et de tirer profit:

* des possibilités de valorisation des sous-produits de la culture,

* des possibilités de cultures herbagères à haut rendement, principalement dans les situations humides, peu indiquées pour un pâturage direct,

* de l'importance du pâturage ligneux préservé par les feux hâtifs,

* du fait que la succession de brûlages de moins en moins précoces favorise l'échelonnement des repousses,

* du fait que la haute richesse alimentaire de la jeune repousse herbeuse compense sa faible biomasse mais qu'elle diminue progressivement au fur et à mesure que la quantité produite s'accroît.

Il convient surtout que les éleveurs respectent les programmes d'aménagement et d'exploitation des pâturages. Ainsi, ils doivent économiser les très jeunes repousses, attendre qu'elles aient atteint un développement suffisant et les réserver d'abord aux bêtes les plus faibles et les plus exigeantes.

Les autorités, quant à elles, doivent avoir le souci et les moyens de maintenir le cheptel en équilibre avec la capacité alimentaire de la région afin d'éviter toute surcharge. Les observateurs sont unanimes à rendre le surpâturage responsable de la dégradation des savanes au même titre que la généralisation des feux tardifs et le déboisement exagéré. L'aménagement des parcours par une politique bien pensée de brûlages et de protections doit améliorer la qualité de l'élevage et non pas l'accroître numériquement, ce qui ne ferait que reporter le problème.

La sédentarisation progressive de l'élevage en facilite la surveillance et l'entretien et permet surtout de mieux contrôler les infractions au plan général d'exploitation dont se rendraient coupables des éleveurs nomades venant de l'étranger. C'est principalement le cas dans les régions frontalières où des troupeaux transhumants pénètrent les parcours aménagés en vue d'équilibrer la charge du cheptel local. Ce faisant, les transhumants qui échappent généralement à tout contrôle, provoquent un surpâturage impunément.


Savanes et steppes sahéliennes


Effets du feu sur le milieu
Effets sur la strate arbustive
Effets sur la strate herbacée
Traitements préconisés
Conclusions


Le présent chapitre pose principalement le problème du Sahel mais peut s'appliquer également à d'autres régions similaires par le climat, le couvert végétal et l'exploitation pastorale, qu'elles soient orientales ou situées au sud de l'équateur.

Du point de vue qui nous occupe, les principales caractéristiques de la zone peuvent être schématisées comme suit:

* climat et sol de plus en plus arides, du sud au nord, sauf en quelques dépressions plus humides;

* retour plus ou moins périodique mais encore difficile à prévoir, d'années particulièrement sèches successives;

* couvert forestier généralement bas et peu fourni à vocation multiple: bois de feu, pâturage ligneux (chèvres) et aérien (dromadaires), récolte d'écorces tannantes, de fruits, de gomme arabique, piquets et branches épineuses pour clôtures, bois de construction, etc.;

* déboisement exagéré et surpâturage conduisant rapidement à la désertification;

* nomadisme de l'élevage avec concentration autour des points d'eau et, en saison sèche, dans les régions méridionales;

* forte tradition de l'élevage considéré comme prioritaire du fait de son importance économique, même si sa pratique va souvent à l'encontre de l'utilisation durable des ressources;

* application et surveillance des programmes d'aménagement rendus difficiles par les distances, la rareté des voies de communication, les déplacement continuel des populations et des troupeaux, etc.

La notion même du domaine sahélien varie beaucoup d'un auteur à l'autre. Avec Schnell et pour raison d'ordonnance de cette étude, nous limitons la zone sahélienne à celle des steppes et savanes steppiques. De la sorte, les véritables savanes qui pourraient s'y rencontrer auront été envisagées dans le chapitre précédent et il n'en sera plus question.

Effets du feu sur le milieu

D'abord, le climat de plus en plus aride et le dénuement du sol exposé aux intempéries par suite d'une déforestation très ancienne et encore actuelle, ajoutent leurs effets néfastes à celui du feu. Par ailleurs, la très forte réduction de la biomasse herbeuse réduit les risques d'incendié et sa violence même si l'harrnattan dessèche les herbes et active le feu. Mais si le feu est rare, son action est redoutable. Malgré tout, si l'on s'en tient aux végétations plus ou moins steppiques, ce n'est pas dans l'incendie qu'il faut chercher le responsable de leur profonde dégradation mais, avant tout, dans le surpâturage et la suppression des derniers témoins de l'ancien couvert ligneux.

Effets sur la strate arbustive

Nous envisageons ici les savanes et steppes arbustives. Celles qui portent des arbres d'assez grande taille se comportent davantage comme les savanes boisées soudaniennes étudiées au chapitre précédent.

Les arbustes échappent normalement assez bien aux flammes car leur couvert bas et la concurrence exercée par leurs racines réduisent la puissance déjà faible de la strate herbacée, à leur approche. Le regroupement fréquent des animaux broutant leurs jeunes pousses ou cherchant un abri contre le soleil dénude souvent le pourtour de leur pied. Le feu qui pourrait les atteindre est donc rare et peu violent, ne posant donc guère de problème, en temps normal.

Mais le préposé à la garde du bétail, surtout lorsqu'il a principalement des chèvres à conduire, recourt fréquemment à la coupe ou au rabattement, par entaille profonde, des branches maîtresses des arbustes. Cette pratique désastreuse était déjà signalée par Schnell citant le témoignage de Mourgues (1950) qui, déjà en 1945, considérait cette pratique comme une cause importante de la dégradation du couvert ligneux sahélien. Quarante ans plus tard, nous assistons toujours au même spectacle, dans la plupart des pays du Sahel, malgré une interdiction formelle. Normalement, lorsque l'ébranchage est net, le tronc émet de nouveaux rejets de remplacement. Si la section est incomplète, la branche continue à prélever et évaporer la sève jusqu'à un dépérissement retardé mais non moins certain. Le tronc se trouve alors étroitement cerné de branches mortes et sèches. Le feu qui les embraserait tuerait, à coup sûr, le tronc et ses repousses, passant du feu rampant de litière à celui de cime. Or il n'est pas rare de constater une telle atteinte touchant tous les arbustes, sans exception, sur plusieurs hectares.

Mis à part de cas, hélas beaucoup trop répandu, le feu est sans grand effet sur la végétation ligneuse. Il en fut tout autrement durant les siècles antérieurs alors que l'élevage était déjà très développé. L'incinération répétée de la strate herbeuse relativement fournie des savanes de l'époque a eu raison des espèces les plus sensibles tout en s'opposant à leur remplacement par une régénération des autres.

Aujourd'hui ne subsistent que les espèces pyrorésistantes alors même que le feu n'est plus un facteur actif de sélection. Simultanément, l'élevage a accru sa pression, la médecine vétérinaire rompant l'équilibre établi par les maladies et autres atteintes à la santé du cheptel. Parmi les essences épargnées par le feu jusqu'alors, le surpâturage a éliminé les plus appétées par le bétail. Les espèces ayant survécu à cette seconde sélection sont, sans doute, bien acclimatées mais peu variées. Et elles restent soumises à rude épreuve du fait des récoltes de bois et de gomme et du broutement par les chèvres et dromadaires principalement.

Les habitants sédentaires ont de plus en plus de difficulté à se procurer le bois nécessaire à leurs besoins domestiques tandis que les nomades semblent beaucoup moins sensibilisés par la nécessité d'économiser les ressources forestières, eux qui trouvent plus facilement à s'approvisionner lors de leurs déplacements incessants. Car si la forêt est souvent une simple réserve de terres arables, pour le cultivateur, l'éleveur considère souvent l'arbre comme un concurrent de l'herbe et un type de pâturage de substitution.

Et pourtant, le retour au couvert arboré, de type soudanien, de la savane (ou de la steppe) sahélienne n'est nullement impossible, tout au moins dans les régions méridionales encore proches des noyaux de dispersion des espèces. Letouzey (1968) observe le phénomène au Cameroun, à la limite des domaines sahélien et soudanien, dans une steppe à épineux protégée des troupeaux et de l'action de l'homme, donc du feu, depuis 35 ans. Les épineux subsistent mais se voient surcimés par une strate de plus grands arbres appartenant nettement à la flore forestière soudanienne: Anogeissus leiocarpus, Commiphora pedunculata, Sclerocarya birrea, Combretum molle, Pseudrocedrela kotschyi, Pterocarpus erinaceus, etc.

Wade (1974) signale le même phénomène bien visible d'avion et même par satellite. Une simple clôture de fil de fer sépare une steppe subdésertique sahélienne d'une végétation arborée formée depuis la protection du site contre tout pâturage.

Effets sur la strate herbacée

Si on limite le Sahel au seul domaine de la steppe, le feu ne devrait pas y causer grand dégât. En effet, la steppe se caractérise par un couvert herbeux bas, peu fourni et discontinu rendant malaisée la progression de l'incendie. Toutefois, elle connaît un développement parfois assez important d'espèces annuelles dont

Cenchrus biflorus, graminée aux épillets accrochants, bien connus sous le nom de cram-cram, au Sahel dont elle est une des caractéristiques végétales les plus fidèles. En début de saison sèche, les pelouses ainsi formées peuvent brûler sur de grandes distances grâce à un vent soutenu. Un tel incendie peut nuire davantage aux rares graminées vivaces qu'aux herbes annuelles dont les graines sont déjà dispersées sur le sol. Le feu favorisant la germination de certaines d'entre elles, pas nécessairement les plus intéressantes, peut modifier la flore.

La biomasse herbeuse séchée à l'air dépasse rarement 600 kg/ha mais sa destruction prive le bétail d'un fourrage déjà peu abondant sans provoquer de repousse appréciable. En effet, les espèces annuelles attendront le retour des pluies pour germer et les touffes vivaces manquent d'eau pour reverdir, les faibles réserves du sol étant prélevées d'abord par les racines profondes des ligneux. L'harmattan ne favorise certainement pas la repousse des herbes. Gillet (1967) estime que la biomasse herbeuse doit atteindre environ une tonne de matières sèches par hectare pour que l'incendie puisse la parcourir normalement.

Les feux de brousse présentent en effet un caractère de gravité dès que la biomasse de foin sec sur pied atteint ou dépasse I 000 kg/ha après les bonnes années et en moyenne au-dessus des isohyètes de 300/400 mm. Environ 80 millions de tonnes de fourrage représentant la ration de 25 millions de bovins pendant 9 mois sont détruits chaque année par le feu dans les savanes africaines. Indépendamment de leur grave action sur la végétation et sur les sols ces feux se traduisent par une forte pression des animaux sur les zones indemnes, intactes, accélérant ainsi leur dégradation (H.N. Le Houerou, 1979).

Dans les steppes sahéliennes arbustives les travaux de protection totale contre les feux de brousse dans les forêts classées de Ségou au Mali ont montré que les arbres ont tendance à disparaître après plusieurs passages de l'incendie et que dans les secteurs protégés les feux accidentels éliminent tous les jeunes plants issus de graines et endommagent les rejets de 2 à 5 ans qui cependant repartent du pied. Dans les secteurs herbeux soumis à des mesures de protection les arbres réapparaissent au bout de quelques années.

Traitements préconisés

Que la steppe soit très claire ou se rapproche de la savane qu'elle soit boisée ou non, on doit et on peut, sans grande difficulté, interdire tout feu courant dans le domaine sahélien. Même si la protection des strates herbacées les plus denses, dans les sites les plus favorisés, risque de conduire à un début d'embuissonnement ou de reforestation, ce ne peut être que bénéfique.

Devant l'avancée du désert, il faut au moins tenter de maintenir les limites entre le Sahel et lui. La sauvegarde des derniers arbres et arbustes s'impose avant tout mais ne suffit pas d'autant plus qu'elle est impossible aussi longtemps qu'une population locale ou nomade devra y prélever le bois qui lui est indispensable. Il faut donc songer à des techniques appropriées de reboisement.

La plus simple est, bien entendu, la reforestation naturelle basée sur la régénération des essences locales et, dans les meilleurs cas, la réintroduction d'espèces plus ou moins disparues de la végétation actuelle. Le résultat peut être obtenu par la mise en défens intégrale de certains secteurs pendant une durée suffisante. La mesure assurera également un repos et un renforcement de la strate herbacée. On peut y arriver en fermant momentanément les puits qui les desservent. Relativement simple dans son principe, une telle mesure exige toute une organisation, consentie et respectée par tous, de l'exploitation des pâturages. Et un tel programme n'a de chance de réussir que si la pression de l'élevage diminue grâce à une réduction du cheptel que peut compenser une amélioration de sa qualité, mutation à laquelle devront s'adapter les mentalités.

La reforestation naturelle future, lors de nouvelles mises en réserve, doit être précédée par l'établissement de petites plantations d'essences adaptées et jugées intéressantes, disséminées dans la zone et protégées par une clôture (et respectées!).

Simultanément, ces placeaux privilégiés seront avantageusement enherbés au moyen de graminées vivaces appartenant à la savane qui a pu exister dans la région, dans un passé relativement récent.

Il est bien évident que le feu est strictement banni de ces stations et là se limite l'intérêt qu'un tel programme peut avoir pour l'objet précis de cette étude. Nous ne nous y attarderons donc pas davantage.


minimppv.gif (940 bytes)minimtoc.gif (878 bytes)minimpnx.gif (858 bytes)