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Introduction

L'expression aménagement des forêts recouvre «tous les aspects administratifs, économiques, juridiques, sociaux, techniques et scientifiques de la conservation et de l'utilisation des forêts. Elle implique divers degrés d'intervention humaine délibérée, allant de la sauvegarde et de l'entretien de l'écosystème forestier et de ses fonctions à un intérêt particulier pour certaines espèces ou groupes d'espèces précieuses sur le plan social ou économique, visant à améliorer la production de biens et de services liés à l'environnement» (FAO, 1991).

Pour un développement durable, «il faut aménager et conserver les ressources naturelles et orienter les changements techniques et institutionnels de manière à satisfaire les besoins des générations actuelles et futures. Dans les secteurs de l'agriculture, des forets et des pêches, il s'agit de conserver les terres, les eaux et le patrimoine zoogénétique et phytogénétique, et d'utiliser des moyens sans danger pour l'environnement, techniquement bien adaptés, économiquement viables et socialement acceptables» (FAO, 1991).

L'aménagement durable des forêts, qui est le sujet des articles ci-après, vise donc à assurer que les valeurs produites par la forêt répondent aux besoins actuels, tout en veillant à ce qu'elles restent durablement disponibles pour satisfaire les besoins futurs du développement.

Jusqu'à tout récemment, les forestiers cherchaient le plus souvent à aménager la forêt pour obtenir un rendement soutenu uniquement de bois ou de produits ligneux. Certes, il était difficile de déterminer le taux de croissance des forets, surtout dans les forêts tropicales et subtropicales, et donc de savoir combien de bois on pouvait sans danger récolter de temps à autre, et sans doute pouvait-on craindre que certaines pratiques d'aménagement ne compromettent à long terme la fertilité des sols, mais les paramètres à mesurer n'en étaient pas moins clairs. «L'aménagement durable des forêts pour la production de bois est basé sur un principe d'une simplicité trompeuse, à savoir qu'il suffit que la récolte ne dépasse pas la possibilité annuelle...» (voir l'article de A.J. Leslie - Aménagement durable des forêts ombrophiles tropicales pour la production de bois).

On sait aujourd'hui que si l'aménagement durable de la forêt vise exclusivement la production de bois, les autres biens et services que fournit la forêt, ainsi que son rôle social au sens plus large, sont compromis. Cela amené à douter qu'un aménagement durable de la forêt soit possible car s'il est vrai que l'aménagement en vue d'un rendement soutenu de bois répondait souvent à court terme à ces autres objectifs, c'était là une pure coïncidence et, comme cela n'était pas compris dans les objectifs explicites, l'aménagement n'était à cet égard pas durable. Parfois, la production de bois pouvait être en conflit avec les autres fonctions de la forêt, surtout lorsqu'elle tendait à exclure les activités de ceux qui vivaient traditionnellement de la forêt.

Dans les régions tropicales et subtropicales, l'aménagement durable a tendu à être limité aux seules réserves forestières. En Inde, par exemple, la politique forestière se réfère généralement à des massifs juridiquement constitués en réserves forestières et ne mentionne pas le maintien des fonctions des arbres dans le reste du pays, c'est-à-dire sur 77 pour cent des terres. L'utilisation désordonnée de ces terres entraîne leur dégradation et leur érosion (Shyam Sunder, 1992). Ce problème n'est nullement limité à l'Inde; dans beaucoup d'autres pays, il faudrait que la politique forestière soit étendue à l'ensemble des forêts denses et claires et des arbres hors forêt pour éliminer les pratiques non viables d'utilisation des terres.

La notion d'aménagement forestier durable doit donc comprendre le rôle des forêts et des arbres dans l'aménagement du territoire. Elle doit définir le rôle du secteur forestier dans tous les aspects du développement. L'impact de l'aménagement durable des forets sur l'environnement et sur la société doit être chiffré avec suffisamment de précision pour permettre des arbitrages rationnels entre des intérêts concurrents, tout en justifiant l'allocation de ressources au secteur forestier.

«L'aménagement durable des forêts suppose donc un programme qui vise à la fois à produire du bois marchand et à satisfaire les besoins locaux de bois de feu, bois de service, produits alimentaires, fourrage, etc. Il doit comprendre la protection de zones qui sont gérées comme des réserves de flore ou de faune sauvages ou comme des aires de loisirs ou des aires naturelles. Il doit assurer que l'aliénation de terres forestières, pour d'autres utilisations telles que l'agriculture par exemple, soit convenablement planifiée et contrôlée. Il comprend aussi la restauration des friches et des forêts dégradées, l'intégration des arbres dans le paysage agricole et la promotion de l'agroforesterie. C'est une tâche multidisciplinaire, qui suppose une collaboration entre les organismes publics, les organisations non gouvernementales (ONG) et surtout le public, en particulier les ruraux. Il s'envisage à l'échelle locale, nationale, régionale et mondiale» (FAO, 1993a).

Les divers aspects de l'aménagement forestier étudiés dans ce volume sont: la production de bois (y compris pour la dendroénergie), les produits non ligneux de la forêt, la conservation des sols et des eaux, l'aménagement de la faune, la conservation de la diversité biologique, la protection de la forêt et les changements du climat, les politiques forestières et les aspects institutionnels, juridiques, socioéconomiques, et les besoins de recherche. Des études de cas décrivent les politiques, programmes et expériences nationaux pour l'aménagement durable de la forêt dans plusieurs pays. Reconnaissant que l'aménagement durable de la forêt ne saurait être que multidisciplinaire et tous ses aspects interdépendants, les auteurs se sont gardés d'adopter une définition trop étroite de leur sujet.

Dans la première partie, la question est traitée du point de vue du rôle «classique» de la forêt dans la production de bois. A.J. Leslie étudie la possibilité d'aménager de façon durable la forêt tropicale ombrophile; M. Soto Flandez et K. Ouedraogo décrivent les forêts claires et les savanes de la zone soudano-sahélienne, E. Campinhos exposant, quant à lui, le rôle des plantations, en s'attachant particulièrement à la production de bois à pâte d'eucalyptus dans les plantations au Brésil.

Leslie s'interroge sur la possibilité d'un aménagement durable quand la production de bois est le principal objectif et sur sa rentabilité étant donné l'investissement considérable, notamment financier, qui doit être consenti, et l'incompatibilité apparente entre les interventions (particulièrement l'exploitation) nécessaires pour la production de bois et la production durable d'autres biens et services. Selon lui, les principaux problèmes ne sont pas d'ordre technique (il propose un régime de jardinage et des systèmes d'exploitation doux) mais plutôt d'ordre humain, en particulier ceux inhérents à l'ordre économique mondial inéquitable. Il faudrait qu'une proportion plus élevée du bénéfice que rapporte l'aménagement des forêts tropicales soit restituée par les négociants et les industries à ceux qui vivent directement de la forêt. La volonté politique, la stabilité politique et la sécurité de jouissance sont d'autres conditions sociales essentielles à un aménagement forestier durable.

Les forêts de la zone des forêts tropicales ombrophiles auxquelles se réfère Leslie s'étendent sur 718 millions d'hectares, soit 38 pour cent de la superficie forestière des tropiques (FAO, 1993b). Environ 460 000 ha de forêts disparaissent chaque année dans cette zone, soit 0,6 pour cent du total. Les forêts des zones arides et très arides (de 500 à 1 000 mm d'eau par an) s'étendent sur 238 millions d'hectares, soit 12 pour cent de la zone forestière tropicale, mais disparaissent à raison de 220 000 ha par an, soit 0,9 pour cent.

Plus de la moitié des forêts tropicales sèches et des mosaïques forêt-savane du monde sont en Afrique; leur aménagement est décrit par Soto Flandez et Ouedraogo. Ces auteurs indiquent que la croissance rapide des populations humaines dans ces régions entraîne un fort accroissement de la demande de produits alimentaires. La superficie cultivée a beaucoup augmenté aux dépens des forêts; ce phénomène est accéléré par des méthodes d'agriculture surannées et par des sécheresses périodiques. La transhumance 1 est de plus en plus reléguée dans les forêts, où le pâturage est complété par le fourrage que produisent les espèces ligneuses. Les forêts claires sont aussi très utilisées pour la production de bois de feu. Les diverses pressions provoquent inévitablement un recul de la forêt qui, outre ses effets directs sur les ressources en bois et les autres biens et services produits par la forêt, menace la faune sauvage (voir l'article de Ajayi - Pour une gestion durable de la faune sauvage: le cas africain).

1 Le terme transhumance désigne les déplacements saisonniers des troupeaux, par opposition au nomadisme qui désigne les déplacements continus en quête de pâturage.

Soto Flandez et Ouedraogo décrivent un projet exécuté au Burkina Faso où un plan d'aménagement fondé sur la participation des populations aux prises de décisions et à l'aménagement des forêts et sur la cogestion des industries de transformation par le secteur privé a été établi. Il existe certaines contraintes techniques, par exemple le fait que les taux de croissance sont mal connus et que la zone n'est pas bien protégée contre les incendies de forêt, mais les principaux problèmes sont d'ordre juridique et socioéconomique: incompatibilité entre les régimes de propriété et d'usufruit traditionnels et modernes et nécessité d'introduire de nouvelles formes d'organisation rurale et de nouvelles pratiques d'utilisation des terres.

Les plantations forestières, qui se sont beaucoup développées ces dernières années, offrent une solution de rechange pour produire du bois. Selon les statistiques, la superficie brute plantée sous les tropiques est passée d'environ 18 millions d'hectares en 1980 à approximativement 44 millions en 1990, soit une augmentation de plus de 2,6 millions d'hectares par an (Pandey, 1992). Il n'est pas certain que toutes ces plantations aient survécu: en 1990, on estimait que la superficie nette des plantations était comprise entre 28 et 34 millions d'hectares et la superficie plantée annuellement entre 1,6 et 2 millions d'hectares; ces chiffres n'attestent pas moins l'importance croissante que l'on attache aux plantations pour assurer l'approvisionnement en bois.

Le principal objectif des plantations est généralement la production de bois, mais parfois elles sont aussi destinées à servir de rideau-abri et de protection; elles peuvent aussi donner des produits non ligneux. Toutefois, elles ne peuvent, fournir la totalité des biens et services que produit la forêt naturelle et ne peuvent avoir qu'un rôle complémentaire.

Campinhos décrit l'aménagement durable des plantations forestières, particulièrement les plantations d'eucalyptus d'Aracruz au Brésil. Il raconte comment ces plantations se sont développées au Brésil grâce aux incitations financières et souligne leur importance pour l'économie forestière du Brésil. Il cite en particulier une plantation composée uniquement de différentes espèces d'eucalyptus, les eucalyptus sont aujourd'hui multipliés essentiellement avec du matériel clonal. Diverses méthodes de sylviculture et d'aménagement sont mises en œuvre pour assurer une production durable: utilisation de matériel amélioré adapté à la station, maintien de la fertilité des sols par l'enfouissement des résidus, protection contre l'érosion, surveillance des ravageurs et des agents pathogènes, mesures de lutte et utilisation de matériel d'exploitation à faible impact. Pour assurer un aménagement forestier durable, l'entreprise de production de pâte et de papier a notamment fourni des services sociaux aux communautés locales et conservé la forêt naturelle, avec sa flore et sa faune originales, sur plus de 40 pour cent de la superficie.

Les articles résumés ci-dessus traitent principalement des produits ligneux de la forêt, bien qu'ils reconnaissent l'importance des autres produits et services que fournissent tant la forêt naturelle que les plantations. Plusieurs autres articles sont consacrés à l'ensemble des biens et services que peuvent produire des forêts aménagées de façon durable. G.E. Wickens décrit l'aménagement forestier durable axé sur les produits non ligneux de la forêt; T. Michaelsen traite de la conservation des sols et des eaux; S. S. Ajayi étudie divers aspects de l'aménagement de la faune en forêt. R.H. Kemp et C. Palmberg-Lerche soulignent la nécessité de préserver la diversité biologique et les ressources génétiques dans le cadre d'un aménagement durable en vue de la production.

L'importance des produits forestiers non ligneux est souvent passée sous silence alors que ces produits sont dans certaines situations plus importants que le bois et peuvent être la principale motivation incitant les populations locales à participer à l'aménagement forestier. Wickens décrit la gamme des produits non ligneux de la forêt - plantes alimentaires et médicinales, fibres, teintures, fourrage, produits d'exportation précieux tels que le rotin d'Asie du Sud-Est et la gomme arabique du Soudan. La complexité des techniques d'aménagement, axées sur les produits non ligneux et le peu de connaissances que l'on a de ces techniques, peuvent compliquer l'aménagement; en outre, ces techniques peuvent entraîner une réduction de la production de grumes; en même temps, elles peuvent rendre l'exploitation forestière moins agressive pour l'environnement et produire des recettes suffisantes pour compenser l'accroissement des coûts; c'est là un argument supplémentaire à l'appui du plaidoyer de Leslie en faveur d'aménagements du type jardinage et des techniques d'exploitation douces dans les forêts tropicales humides.

Il existe de grandes possibilités de sélectionner des arbres et arbustes polyvalents en tirant parti de la variabilité naturelle décrite par Kemp et Palmberg-Lerche. Il est possible d'accroître les rendements et d'obtenir une production de meilleure qualité et mieux répartie dans l'année, de la même façon que dans les plantations industrielles d'eucalyptus décrites par Campinhos où on a pu accroître les taux de croissance et la production de pâte.

L'aménagement durable de la forêt peut viser à obtenir non seulement des produits mais aussi des services environnementaux dont un des plus connus est la conservation des sols et des eaux, décrite par Michaelsen, mais à laquelle peuvent s'associer d'autres fonctions telles que loisirs, protection d'espèces animales ou végétales ou exploitation douce. Des plantations forestières ou une utilisation mixte des terres peuvent aussi être compatibles avec la protection des bassins versant, mais, dans tous les cas, la production durable de biens et services suppose une bonne planification et un aménagement approprié.

Une autre fonction importante des divers écosystèmes forestiers est de servir de réserve génétique; c'est cette fonction que décrivent Kemp et Palmberg-Lerche. Les forêts denses et claires contiennent une grande diversité d'espèces animales et végétales qui sont ou pourraient être importantes sur le plan social et économique. Cette diversité génétique protège la forêt contre les modifications de l'environnement et elle est la base de la mise en valeur durable des ressources forestières. Elle est particulièrement importante pour les programmes d'amélioration des arbres tels que ceux que décrit Campinhos, qui dépendent de la variabilité naturelle. La diversité génétique que contiennent les populations des zones marginales (telles que les savanes boisées décrites par Soto Flandez et Ouedraogo) est le résultat d'adaptations à des fluctuations et stress environnementaux. Elle peut donc conférer à ces populations une plus grande tolérance en cas de modification du climat mondial (voir l'article de MacIver, page 133). D'où la nécessité d'inclure dans les programmes de conservation des ressources génétiques les caractères extrêmes représentés dans la nature. Il est possible d'assurer la conservation des ressources génétiques dans des peuplements destinés à d'autres objectifs, même la production de bois, mais il ne saurait y avoir de conservation en l'absence d'une continuité de l'aménagement et d'un contrôle suffisant. Les techniques d'exploitation douces, proposées par Leslie pour la forêt tropicale humide, devront être utilisées pour assurer la conservation physique de la diversité génétique; il faudra aussi appliquer les mesures économiques et sociales, également préconisées par Leslie, pour l'aménagement durable de la forêt humide, et notamment réinjecter une plus grande proportion des bénéfices produits par la transformation et le commerce des produits forestiers au profit des populations qui vivent directement de la forêt.

Plusieurs des articles résumés ci-dessus soulignent la nécessité d'utiliser des techniques d'exploitation douces, par exemple pour assurer un rendement soutenu de bois et autres produits de la forêt, pour protéger les bassins versants et pour conserver la diversité biologique. Plusieurs études ont prouvé que ces systèmes peuvent être moins coûteux que les systèmes classiques mais qu'ils exigent une meilleure planification, un encadrement rigoureux, un personnel plus qualifié et plus motivé (Dykstra et Heinrich, 1992). La FAO exécute actuellement un programme comparant les méthodes classiques d'exploitation forestière aux pratiques d'exploitation écologiquement rationnelles et économiquement rentables, en Amérique latine, en Asie et en Afrique.

Le dernier article du présent volume est l'étude d'Ajayi sur l'aménagement durable de la faune en Afrique; il traite des biens et services produits par les forêts (en l'occurrence, par des forêts claires analogues à celles que décrit Soto Flandez). Comme on l'a vu plus haut, la faune sauvage est gravement menacée, alors qu'elle est une ressource très précieuse tant pour les ruraux, auxquels elle fournit de la viande et de l'emploi, que pour l'ensemble de l'économie nationale qui en tire d'importantes recettes grâce à l'élevage extensif du gibier et au tourisme. Quand on a cherché à la protéger au moyen de lois répressives et en dépossédant les ruraux d'un bien dont ils estimaient avoir le droit de jouissance en toute liberté, on a obtenu les effets inverses de ceux recherchés car les populations locales n'avaient plus intérêt à entretenir une ressource sur laquelle ils ne pouvaient plus compter pour satisfaire durablement leurs besoins. Il est essentiel que la faune soit utilisée avec la participation des communautés locales et, notamment, que les bénéfices de cette exploitation reviennent à ces communautés.

L'aménagement durable de la forêt subit à court terme l'influence de facteurs extérieurs tels que le feu, les ravageurs ou les maladies et peut à long terme être menacé par la modification du climat mondial. C'est ce qui fait l'objet des articles de MacIver et de W.M. Ciesla.

Le climat mondial risque d'être modifié par l'accroissement des émissions de gaz à effet de serre tels que le dioxyde de carbone. L'essentiel de l'accroissement du carbone atmosphérique entre 1850 et 1986 tient à la combustion de produits fossiles; la déforestation et les modifications de l'utilisation des terres ne sont responsables que de 40 pour cent de cet accroissement (Watson et al., 1990). MacIver décrit un plan climatique pour l'aménagement durable des forêts, y compris l'aménagement climatique de la forêt (identification des zones d'ensemencement, des mouvements de pollen et des contaminations, techniques de modification de la station, amélioration des arbres, conservation des ressources génétiques et renforcement de la protection des forêts) et la gestion des gaz à effet de serre. Il souligne le rôle important que continuent à jouer les forêts, qui réduisent les concentrations de gaz à effet de serre en séquestrant le carbone.

Ciesla décrit la protection des forêts contre le feu, les insectes et les maladies. La protection doit être considérée comme faisant partie intégrante d'un aménagement forestier durable car tous ces facteurs peuvent nuire à la production de biens et services. A long terme, l'accroissement de la teneur de CO2 pourrait à la fois accélérer la croissance des forêts et accroître leur vulnérabilité aux agressions extérieures.

Un aménagement forestier durable exige des politiques qui puissent être mises en œuvre, des lois qui puissent être appliquées et des institutions qui soient capables de faire face à leurs responsabilités. M.R. de Montalembert et F. Schmithüsen soulignent que le développement rural est un processus dynamique qui nécessite une révision et une mise à jour continuelles de la politique, des institutions et des réglementations forestières afin de maintenir un système efficace d'incitations à un aménagement forestier durable. Ce système doit rester souple mais doit néanmoins garantir une sécurité suffisante pour permettre d'investir à long terme dans l'aménagement forestier (comme le font également observer Leslie, Kemp et Palmberg-Lerche). Les institutions et les organisations devront s'adapter à l'évolution du rôle du secteur public ainsi qu'au rôle croissant du secteur privé et des organisations non gouvernementales. L'amélioration des compétences techniques, le renforcement de la base sociale de l'aménagement durable et la diffusion des informations sont essentiels, mais le facteur crucial pour un aménagement durable des forêts sera la modification des attitudes: il sera essentiel d'adopter des approches globales et des techniques de partenariat.

Le principe du partenariat est exposé dans l'article de M.W. Hoskins sur les aspects sociaux et économiques de l'aménagement forestier durable: il y a partenariat quand les habitants de la forêt et des zones voisines appliquent des pratiques rationnelles d'aménagement de la forêt et des arbres en association avec des personnes de l'extérieur telles que des forestiers, qui leur fournissent un appui approprié. En d'autres termes, les locaux exécutent tout ou partie des opérations d'aménagement tandis que les gens de l'extérieur, fournissent un service d'appui. Quand le rôle respectif des partenaires est mal compris ou faussé, l'approche participative échoue et il faut adapter les politiques, les lois (notamment en matière de régime foncier et d'usufruit) et les organisations. Par ailleurs, les systèmes de vulgarisation et de recherche forestière devront mettre au point des moyens propres à stimuler des échanges d'informations avec les usagers; la notion d'idéotypes ou l'identification des fonctions de l'arbre idéal représente un progrès important dans ce domaine, et n'est pas sans rapport avec l'amélioration des arbres et la conservation des ressources génétiques.

M.N. Salleh et F.S.P. Ng décrivent les travaux de recherche nécessaires à l'appui de l'aménagement durable des forêts. Ils soulignent que la recherche est un processus de longue haleine tout en reconnaissant qu'il est difficile aux chercheurs et aux instituts de maintenir des engagements à long terme dans les pays en développement où les financements et les services de soutien sont souvent insuffisants.

Le volume s'achève sur cinq monographies de pays dans lesquels le secteur forestier joue un rôle dans l'économie nationale et souvent aussi dans les recettes d'exportation: ce sont le Chili (J.F. de la Jara), la France (J. Gadant), l'Indonésie (L. Daryadi), la Suède (B. Hägglund) et les Etats-Unis (H. Salwasser, D.W. MacCleery et T.A. Snellgrove).

Le Chili possède de vastes réserves de forêts naturelles et de plantations; ces dernières ont un rôle économique important, aussi bien par les ventes sur le marché intérieur que par les exportations. De la Jara décrit certains des problèmes qui entravent l'aménagement durable des forêts au Chili: connaissance insuffisante de l'état des forêts, apparition de problèmes écologiques liés aux grandes plantations industrielles et rivalité d'intérêts. D'un autre côté, les programmes forestiers sont souvent l'unique filière permettant de fournir des avantages sociaux aux ruraux. De la Jara appelle l'attention sur les carences des institutions forestières qui, faute de financement, sont incapables de faire respecter la législation, de gérer les forêts domaniales, d'effectuer des recherches et de fournir l'appui technique dont ont besoin les petits propriétaires forestiers.

En Indonésie comme au Chili, le secteur forestier tient une place importante dans l'économie nationale et dans les exportations. En l'occurrence, il s'agit essentiellement des forêts naturelles. La délimitation du domaine forestier permanent est en cours; la population qui augmente rapidement exerce de fortes pressions sur les terres. Le manque de personnel qualifié et d'ouvriers et la faiblesse de l'administration ont freiné les programmes de plantation et la restauration des forêts dégradées. La définition des responsabilités respectives du gouvernement central, des administrations locales et du secteur privé en matière d'aménagement forestier pose aussi certains problèmes. Les exportations de produits de la forêt naturelle indonésienne risquent de souffrir des pressions exercées par les mouvements écologistes dans les pays importateurs. Jusqu'ici, l'effort portait surtout sur l'exploitation plutôt que sur l'aménagement; les recettes étaient investies dans les industries forestières et dans d'autres secteurs. L'adoption d'un plan d'action forestier national (dans le cadre du Programme d'action forestier tropical) aidera à remédier aux faiblesses et à mettre au point des systèmes d'aménagement durable de la forêt.

Gadant identifie trois facteurs importants qui contribuent à l'aménagement durable des forêts en France: un personnel bien formé, un système de recherche adéquat et des financements appropriés assurant au secteur privé des incitations fiscales et financières suffisantes, compte tenu du fait que la foresterie est une entreprise de longue haleine et de relativement faible productivité. Des terres sont affectées en permanence à la foresterie et il existe une continuité dans la politique forestière nationale mais, ces dernières années, l'aménagement a été pour l'essentiel décentralisé. La propriété privée joue un grand rôle en France, où une famille sur cinq possède un terrain boisé et où les forêts paysannes constituent un élément non négligeable du domaine forestier. En outre, il existe une longue tradition de foresterie communale: le tiers des communes de France possèdent des forêts. Cependant, la société française s'urbanise de plus en plus et exige autre chose de la forêt que la seule production de bois; il est de plus en plus nécessaire de maintenir une filière de communication entre ceux qui gèrent le patrimoine forestier et les usagers qui en apprécient la beauté et l'intérêt culturel. Gadant souligne que la conservation implique l'aménagement et qu'il ne s'agit pas simplement de maintenir les choses en l'état par une protection totale.

En Suède, les conditions écologiques ne sont pas favorables à la croissance des forêts; pourtant, le secteur forestier et les exportations de produits forestiers jouent un rôle très important dans l'économie nationale. L'histoire du développement social et industriel de la Suède illustre bien les problèmes qui entravent l'aménagement durable des forêts dans les pays en développement à notre époque. Toutefois, aujourd'hui, le domaine forestier suédois bénéficie d'un régime de propriété stable - les trois quarts des forêts sont privées et des lois en vigueur depuis longtemps ont assuré l'aménagement durable des forêts, tout d'abord pour la production de bois d'œuvre et d'industrie, puis pour les autres fonctions de la forêt. Parmi les problèmes dont souffraient autrefois les forêts suédoises, on trouve: violation des lois forestières, exploitation des propriétaires de la forêt par les usagers industriels et exode des sans-terre vers les villes. Ces problèmes ont été résolus grâce au consensus social, à des investissements financiers de la société et à la stabilité, qui ont permis une amélioration constante du patrimoine forestier. Toutefois, des conflits se dessinent aujourd'hui entre divers groupes d'intérêts, ces conflits devront être réglés pour qu'un aménagement durable des forêts soit possible.

Aux Etats-Unis, la prise de conscience des problèmes forestiers a transformé la façon dont le public, de plus en plus urbanisé, concevait le rôle des forêts et de leur aménagement. Le «débat sur la chouette tachetée» et la nouvelle politique de conservation des «forêts primaires» aura des incidences écologiques, sociales et économiques qui iront bien au-delà des effets directs dans le nord-ouest des Etats-Unis car les Américains devront soit s'approvisionner en bois ailleurs - ce qui ne sera pas sans effet sur la diversité biologique à l'échelle mondiale - soit trouver des produits de remplacement, dont la production risque d'être très énergivore. Le Service des forêts du Département de l'agriculture des Etats-Unis a lancé, pour donner satisfaction à l'opinion publique, un programme d'aménagement des forêts américaines comportant quatre volets: étude plus approfondie des méthodes permettant d'assurer dans l'immédiat et durablement une production soutenue des multiples biens et services fournis par la forêt; participation accrue du public aux décisions relatives à l'utilisation des ressources; renforcement des liaisons entre chercheurs et aménagistes; enfin, intégration de tous les aspects de l'aménagement des terres et des ressources.

En résumé, l'idée force qui se dégage de l'ensemble des articles contenus dans le présent volume est que l'aménagement des forêts ne doit pas avoir pour unique objectif la production de bois mais doit aussi viser à fournir en permanence toute une gamme de biens et services environnementaux, sociaux et économiques.

Un aménagement actif est indispensable pour assurer la conservation des forêts et une production soutenue de biens et services. La seule conservation des ressources forestières par des mesures strictes de protection, sans intervention active, n'assurera pas la pérennité de ces ressources car les écosystèmes naturels sont eux-mêmes sujets à des processus d'évolution et de succession. Salwasser, MacCleery et Snellgrove citent le cas de la protection des forêts primaires de sapins Douglas dans l'ouest des Etats-Unis; ces forêts sont l'habitat de la chouette tachetée du nord. Ce sont des formations subclimaciques qui, si elles ne sont pas aménagées par l'homme, évolueront vers des stades de la succession qui ne seront pas nécessairement favorables à la chouette tachetée. La conservation de la diversité phytogénétique et zoogénétique présente à tous les stades de succession et dans tous les types de forêts suppose un aménagement actif, avec des interventions particulièrement importantes dans le cas des espèces adaptées exclusivement à un habitat particulier.

L'aménagement durable de la forêt n'est possible que si les populations se rendent compte que les biens et services fournis par la forêt contribuent au développement rural et si elles participent au processus de détermination des objectifs et, le cas échéant, aux opérations d'aménagement. Le partenariat entre les populations locales qui exécutent les opérations d'aménagement et les gens de l'extérieur qui appuient ces opérations est essentiel. Une plus grande partie des bénéfices de l'aménagement forestier devra revenir aux ruraux. C'est déjà le cas dans certains pays développés où une partie importante du domaine forestier appartient à des particuliers ou aux communes.

Les populations qui vivent de la forêt ne sont pas les seules à devoir participer aux prises de décisions et à l'aménagement de la forêt. Dans les pays développés, la grande majorité de la population vit dans les villes, mais s'intéresse pourtant vivement au devenir des forêts. Il importe d'améliorer les échanges d'informations entre les forestiers et ceux qui subissent les effets de leurs décisions.

Certains problèmes de fond continuent à entraver l'aménagement durable des forêts, notamment des dispositions administratives, des lois et des politiques qui n'incitent pas à planter des arbres. Il est essentiel que l'on s'habitue à une foresterie plus participative, intégrant les interactions avec les autres types d'utilisation des terres et le rôle de la forêt dans le développement rural.

On manque encore de connaissances techniques, même dans les pays développés, mais ces lacunes seront comblées tôt ou tard par la recherche et l'expérience. Il est essentiel de développer des techniques d'exploitation douces, notamment dans la forêt tropicale humide, pour réduire l'impact de l'extraction du bois sur les autres produits de la forêt, sur le recrû, sur les fonctions de protection et sur la diversité biologique.

L'aménagement durable des forêts nécessite une planification, qui doit reposer sur des données fiables, sur des connaissances issues de la recherche et sur un renforcement de l'information à tous les niveaux. Il est impératif que la foresterie soit intégrée dans les plans d'utilisation des terres, et il faut par ailleurs que les autres utilisations des terres avec lesquelles la foresterie est en interaction soient également viables: il n'y aura pas de foresterie durable sans agriculture durable et celle-ci suppose à son tour des programmes tendant à limiter la croissance des populations humaines.

Les monographies, qui portent sur deux pays en développement et trois pays développés, montrent que les premiers souffrent du manque de crédit et de personnel qualifié mais aussi que l'influence des mouvements écologiques n'est pas limitée au monde développé et que les pays en développement peuvent être touchés par le boycott des consommateurs des pays industrialisés. De nombreux articles du présent volume ainsi que les monographies soulignent que l'aménagement des forêts nécessite une volonté politique et une ligne d'action stable et, dans les pays étudiés, des incitations à l'investissement forestier.

Les articles présentés dans ce volume sont destinés à fournir une base utile et constructive pour l'élaboration de politiques et programmes d'aménagement durable de tous les types de forêts. On espère qu'ils seront non seulement une source de connaissances techniques utiles pour les professionnels de la forêt mais aussi une source d'inspiration pour les non-forestiers, contribuant ainsi à susciter la volonté politique, la mobilisation des crédits nécessaires et la prise de conscience des complexités des problèmes forestiers.

BIBLIOGRAPHIE

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