Page précédente Table des matières Page suivante


Production de bois et dendroénergie


Aménagement durable des forêts ombrophiles tropicales pour la production de bois
Aménagement des forêts claires et des savanes en zone soudano-sahélienne
Aménagement durable des forêts plantées dans les zones tropicales et subtropicales


Aménagement durable des forêts ombrophiles tropicales pour la production de bois

A.J. Leslie

L'auteur est forestier principal associé à l'Ecole d'agriculture et de foresterie, Université de Melbourne, Parkville, 3052, Australie.

L'auteur examine la possibilité d'aménager de façon durable la forêt ombrophile tropicale pour la production de bois. La durabilité n'est plus aujourd'hui assimilée au rendement soutenu de bois: l'objectif est d'assurer la pérennité de la forêt et de toutes ses fonctions et non pas seulement de son potentiel de production ligneuse. Il est certes difficile de concilier la conservation avec l'exploitation du bois qui peut être destructive; ce n'est toutefois pas impossible. L'auteur présente les complexités de l'aménagement durable des forêts et de leurs diverses composantes, et donne des exemples de tels aménagements en Malaisie et en Afrique de l'Ouest. Il en dégage les conditions essentielles au succès et évalue les perspectives d'aménagement durable dans les forêts ombrophiles tropicales. Il souligne la nécessité de mettre au point et d'adopter des techniques peu agressives, en particulier pour l'exploitation.

Un doute raisonnable?

Une des principales raisons pour lesquelles l'avenir des forêts tropicales semble aujourd'hui préoccupant est que ces forêts ne sont apparemment pas aménagées de façon durable. Les faits semblent confirmer cette opinion. Selon une étude récente (Poore et al., 1989), seule une proportion négligeable des forêts tropicales est aujourd'hui aménagée d'une façon viable au sens où l'entendent les auteurs. Encore une bonne partie de ces forêts aménagées se trouvent-elles dans le Queensland du Nord, en Australie, où l'exploitation du bois a récemment été interdite. D'après des études plus détaillées portant sur des zones spécifiques, la proportion est probablement plus élevée que celle que citent ces auteurs (OIBT, 1991). Mais même ainsi, il est peu probable que la proportion des forêts ombrophiles tropicales du monde faisant l'objet d'un aménagement pouvant être considéré comme durable dépasse de beaucoup 5 pour cent.

Le chiffre effectif est bien évidemment sujet à caution. Qu'il s'agisse de la superficie des forêts tropicales ou de leur composition, les paramètres sur lesquels se fonde l'estimation sont beaucoup trop controversés pour permettre une grande précision. Il est incontestable que la proportion des forêts, que l'on peut à la rigueur considérer comme aménagées pour la production de bois, dépasse de loin 5 pour cent. Ce chiffre semble toutefois à peu près réaliste si l'on prend uniquement en considération les forets aménagées en vue d'un rendement véritablement soutenu. En fait, l'expérience de la foresterie tropicale tend à donner raison à ceux qui contestent la durabilité de l'aménagement forestier tel qu'il est aujourd'hui pratiqué (Jacobs, 1988; King, 1990).

On peut à ce propos se poser trois grandes questions:

· L'aménagement durable est-il possible quand la production de bois est un des principaux objectifs?

· Dans l'affirmative, comment peut-il être réalisé?

· Les résultats de cet aménagement en justifient-ils le coût?

Plusieurs auteurs (Schmidt, 1987; FAO, 1991; Péri et al., 1991) ont récemment étudié les deux premières questions du point de vue des problèmes, des options, des cas spécifiques et des solutions. Notre propos dans le présent article est de chercher des éléments de réponse à la troisième, compte tenu de la différence apparente entre le rendement soutenu du bois et la durabilité d'un aménagement polyvalent.

Rendement soutenu et aménagement durable

La science et la pratique de la foresterie ont principalement visé à résoudre les deux premières questions, la troisième intervenant accessoirement à divers degrés. Essentiellement, il s'agit de concilier la conservation de la forêt et son utilisation pour le bien-être et le développement des sociétés humaines. Dans ce contexte, la meilleure façon d'entretenir certaines des fonctions de la forêt, ou du moins la plus facile, est de n'y pas toucher. Quand ces fonctions sont le principal objectif, l'aménagement durable ne pose guère de problèmes: il suffit de protéger la forêt en limitant les manipulations. L'aménagement devient difficile quand il doit concilier des objectifs de conservation à des objectifs d'utilisation potentiellement destructive. La plus visible de ces utilisations, et celle qui est peut-être la plus destructive - si l'on exclut la disparition de la forêt au profit d'autres utilisations des terres -, est restée la production de bois. Ce n'est certes pas la seule, car le bois est loin d'être le produit le plus important de la forêt tropicale (comme de la forêt tempérée) mais sa récolte peut être si destructive qu'une bonne partie des techniques forestières visent à conserver les forêts tout en les utilisant de façon permanente comme source renouvelable de bois.

L'aménagement durable des forêts pour la production de bois est basé sur un principe d'une simplicité trompeuse, à savoir qu'il suffit que la récolte ne dépasse pas la possibilité annuelle de la forêt et ne nuise pas à sa capacité de production d'autres biens et services. Cela vaut pour tous les types de forets, où qu'elles soient situées, et quelle que soit l'époque considérée, que la production de bois soit un objectif essentiel de l'aménagement ou un objectif accessoire.

Mais ce principe est beaucoup plus simple à énoncer qu'à appliquer. L'accroissement ne saurait être séparé de l'arbre qui croît; pour que la récolte égale l'accroissement, il faut abattre une partie de la forêt d'un volume équivalant à l'accroissement dans cette même forêt. Le problème de l'aménagement durable vient de ce qu'il est difficile de coordonner les quatre facteurs enjeu: évaluation de l'accroissement; détermination de la coupe équivalant à cet accroissement; reconstitution du matériel sur pied abattu parallèlement à l'opération d'exploitation; et choix de techniques d'exploitation qui ne compromettent pas sérieusement et pour longtemps la capacité de production des autres biens et services que fournit la forêt.

Les systèmes classiques d'aménagement en vue du rendement soutenu associaient les trois premiers facteurs de façon à répondre aux critères de durabilité de l'époque. Les méthodes d'étude de la possibilité mises au point pour assurer un rendement soutenu sont dépassées maintenant que l'on dispose de modèles informatisés des peuplements et de la croissance. Mais les principes restent valables, bien que beaucoup affirment aujourd'hui qu'ils n'ont plus d'intérêt pratique et qu'ils sont contraires aux critères d'efficience économique. Ces arguments ne résistent guère à un examen sérieux car ils reposent sur une interprétation étroite du rendement soutenu et de l'efficience. Même si les questions qu'ils amènent à se poser sont pertinentes lorsqu'on cherche à obtenir un rendement soutenu, elles sont loin de justifier l'abandon du principe.

Le quatrième facteur est apparu assez récemment parce que les porte-parole d'une partie importante de l'opinion publique et de la communauté mondiale ne considèrent plus que le rendement soutenu de bois aille nécessairement de pair avec la durabilité de la forêt. Le principe directeur aujourd'hui est le maintien de la forêt avec l'intégralité de ses fonctions et pas seulement le maintien de la capacité de production de bois.

Complexité de l'aménagement durable

Les deux premiers facteurs ensemble interviennent dans un système d'aménagement durable pour déterminer le rendement; le troisième concerne la régénération, c'est-à-dire les aspects sylvicoles; et le quatrième concerne l'exploitation. En pratique, tous les quatre sont difficiles à définir, mesurer, appliquer et surveiller, d'autant plus que tous doivent intervenir simultanément. Les difficultés augmentent proportionnellement à la complexité écologique et structurelle de la forêt à aménager et de l'environnement économique et social (Janzen, 1975).

Il semble universellement reconnu que, sur le plan écologique, les forêts ombrophiles tropicales sont parmi les écosystèmes terrestres les plus complexes. C'est peut-être une des raisons du succès limité de leur aménagement durable et c'est incontestablement cela qui impose des limites absolues à l'aménagement. Mais, pour l'instant, cette complexité est un obstacle moins immédiat que le problème socio-économique que pose l'utilisation des forêts tropicales ombrophiles pour la production de bois d'œuvre et d'industrie.

L'économie des pays en développement où sont situées la plupart des forêts tropicales est, par définition, plus simple que celle de la plupart des pays tempérés, mais la gestion économique y est beaucoup plus compliquée. Assurer à la fois le développement économique et la justice sociale serait déjà une tâche énorme, même si les sociétés actuelles avaient autant d'options qu'en ont eu les pays développés lorsqu'ils étaient à un stade analogue du développement.

Evaluation spatiale de la durabilité

Les contraintes et les changements de cap que ces considérations imposent à la planification économique sont rarement favorables à la gestion durable des ressources forestières. Trop souvent, les plans d'aménagement cèdent le pas à des considérations politiques et sociales plus puissantes telles que la nécessité de créer de l'emploi et des revenus ou de faire rentrer des devises. Il est donc difficile de créer les préalables nécessaires à un aménagement en vue d'un rendement soutenu, à savoir la délimitation de massifs forestiers ou groupes de massifs forestiers qui seront l'unité d'aménagement en vue d'un rendement soutenu, dans laquelle on peut calculer la possibilité, la récolter et la surveiller, dans des conditions raisonnables de sécurité de jouissance et de stabilité. Si ces conditions ne peuvent être satisfaites, l'aménagement durable est gravement compromis dès le départ. Toutefois, une stabilité et une sécurité absolue ne sont pas nécessaires. Les plans d'aménagement peuvent y être adaptés à condition que les modifications de la superficie de la forêt, de sa composition et de sa structure soient raisonnablement prévisibles. Malheureusement, pour diverses raisons, ni la stabilité ni la pré visibilité ne peuvent être assurées dans la plupart des pays en développement. Trop de facteurs peuvent créer des conditions d'imprévisibilité incompatibles avec un aménagement durable: défrichement pour l'expansion et la diversification maîtrisées de l'agriculture, pour la construction d'infrastructure, empiétement anarchique de l'agriculture de subsistance, coupes excessives pour réaliser immédiatement le capital aux fins du développement national ou simplement pour enrichir les puissants. Quels que soient les facteurs qui interviennent, le résultat est que la superficie et la composition de l'unité forestière risquent d'être transformées au point de rendre l'aménagement durable non seulement difficile mais impossible.

La plupart de ceux qui reprochent à la foresterie de ne pas respecter le principe fondamental de l'utilisation durable se placent du point de vue d'un pays tout entier, par exemple la Malaisie, ou d'une région telle que l'Amazonie, ou même de la planète, qu'ils considèrent comme l'unité d'aménagement durable. Ce point de vue peut être intéressant pour la polémique ou pour la planification macroéconomique, mais il n'a guère de sens quand il s'agit concrètement d'aménager les forêts de façon durable. En règle générale, le domaine forestier d'un pays est une entité trop vaste pour pouvoir être traité comme une unité de rendement soutenu.

Composantes de l'aménagement durable

C'est seulement par référence à une unité d'aménagement soutenu bien délimitée et stable qu'il est raisonnable d'estimer la possibilité, c'est-à-dire la quantité moyenne de bois qui peut être récolté chaque année, ou à d'autres intervalles, dans le cadre d'un aménagement durable. Le rendement soutenu est déterminé par les quatre facteurs ci-après:

· accroissement dans l'ensemble de l'unité d'aménagement;

· répartition dans cette unité des classes d'âge ou de taille des arbres produisant le type de bois que l'on veut exploiter;

· méthodes utilisées pour remplacer les arbres enlevés dans la coupe;

· protection du potentiel de production d'autres produits et services et des intérêts des parties autres que les exploitants forestiers, en particulier pendant les opérations d'exploitation et les traitements sylvicoles.

Le deuxième et le quatrième facteurs méritent une mention particulière. C'est le deuxième qui détermine pendant combien de temps et de combien la quantité récoltée devra être supérieure ou inférieure à l'accroissement pour amener la série dans un état d'équilibre, c'est-à-dire un état où la possibilité est égale à l'accroissement et peut être maintenue indéfiniment ou du moins tant que les conditions resteront inchangées. Le quatrième facteur détermine les limites dans lesquelles doivent être contenues toutes les opérations sylvicoles et d'exploitation liées à la production soutenue de bois. Ce sont ces limites qui, à leur tour, déterminent si la production de bois dans ces conditions est rentable. Si elle ne l'est pas, toute exploitation, même si elle respecte le principe du rendement soutenu, tendra à ne pas être rentable et donc à ne pas respecter pleinement les principes de l'aménagement durable, ou bien devra être subventionnée.

S'il y a interaction entre ces deux facteurs, ce ne peut être que dans un sens. La possibilité peut dépasser l'accroissement quand la répartition des classes de taille est déséquilibrée et qu'il y a trop de gros arbres. Cette possibilité accrue peut compenser dans une certaine mesure les surcoûts résultant de la nécessité de protéger les produits non ligneux ou les intérêts des populations locales ou la qualité de l'environnement. En revanche, si la distribution est déséquilibrée dans l'autre sens, la possibilité doit être inférieure à l'accroissement, ce qui fait monter encore plus les coûts d'exploitation.

Il n'est en général guère possible de faire l'économie de la mensuration de l'accroissement dans les forêts ombrophiles tropicales. La difficulté d'établir l'âge des arbres tropicaux n'est peut-être pas aussi insurmontable qu'on le croyait autrefois (Baas et Vetter, 1989). Il n'en est pas moins nécessaire, si l'on veut estimer l'accroissement d'une façon tant soit peu fiable, d'effectuer des mesures répétées (voir Lowe, non daté) et pendant des périodes très longues, compte tenu de la croissance capricieuse et qui diffère selon les essences et selon les classes de taille (Fox, 1976). Non seulement il s'écoule beaucoup de temps avant que le réseau permanent de parcelles-échantillons ne fournisse les informations nécessaires - et, pendant cette période, il y a des chances que les méthodes et les instruments changent et donc que les données ne soient plus comparables - mais ce réseau et la documentation qu'il génère sont coûteux à entretenir et exigent une stabilité et une continuité que peu de pays peuvent assurer. C'est par défaut que l'on en est venu à s'en remettre presque systématiquement à des approximations, des estimations ou des extrapolations sur la base des rares séries de données utilisables.

Il semble qu'un accroissement moyen annuel compris entre 1 et 3 m3 à l'hectare de bois conforme aux spécifications du bois d'œuvre puisse être considéré comme un ordre de grandeur valable pour l'ensemble des tropiques (Dawkins, 1952; Nicholson, 1979; Poore et al., 1989). Quelle que soit l'estimation retenue pour la série soutenue, le problème de l'accroissement se ramène à celui de la détermination de la coupe raisonnable, c'est-à-dire celle qui équivaut à l'accroissement total dans toute l'unité considérée. Idéalement, cette coupe doit enlever trois catégories d'arbres, à savoir:

· les arbres arrivés à l'âge d'exploitabilité correspondant aux spécifications du produit désiré;

· les arbres dont l'enlèvement favorisera ou accélérera la croissance ou le développement des sujets plus jeunes ou plus petits et mieux adaptés à produire la qualité de bois voulue;

· les arbres qui, pour une raison ou pour une autre, doivent être récupères avant de mourir ou d'être perdus.

Mais l'application de ces principes pour l'aménagement présuppose une connaissance des forêts, de leur structure et de leur état de loin supérieure à celle qui peut pratiquement être obtenue dans les forêts tropicales aménagées en vue de la production massive de bois. Toutefois, un tel objectif n'est pas du tout irréaliste s'il s'agit de récolter seulement une ou quelques essences précieuses comme dans le système d'aménagement du teck mis au point par Brandis au milieu des années 1860 (Brasnett, 1953).

En dehors de ces situations exceptionnelles, le problème de l'assiette des coupes a généralement été résolu en appliquant le système simple de l'exploitation par contenance: la série est divisée en coupes dont le nombre est égal au nombre d'années de la rotation adoptée pour la principale essence exploitée ou du cycle d'exploitation estimé, c'est-à-dire du temps qu'il faudra aux arbres qui n'ont pas encore atteint la taille d'exploitabilité pour l'atteindre. La méthode consiste tout d'abord à choisir un diamètre minimal à partir duquel les arbres seront considérés comme exploitables; on estime ensuite le temps qu'il faut aux semis ou au recrû de chaque essence ou aux arbres de chaque classe de diamètre inférieur à ce minimum pour atteindre ce diamètre.

Pour appliquer cette méthode, il faut avoir une idée de la distribution des classes de taille dans l'unité, mais cette connaissance n'a pas besoin d'être plus détaillée que celle que donne un inventaire relativement peu intense. Il faut aussi avoir une idée du rythme de croissance en diamètre de chaque essence et de chaque classe de taille. Surtout, il faut disposer d'un système cohérent et stable pour vérifier si la croissance, la composition spécifique et la structure du peuplement évoluent conformément aux prévisions, et avoir le pouvoir et la capacité de réviser les programmes de coupe en fonction des nouvelles données.

Si ces conditions sont réalisées, la méthode permet une exploitation durable et sans danger sous réserve que la superficie de l'unité ne soit pas radicalement modifiée et que la régénération soit assurée.

Les leçons de l'expérience

Le système uniforme malais, appliqué dans les forets de bas-fond de la Malaisie péninsulaire, répondait aux critères définis ci-dessus jusqu'à ce que ces forêts aient pratiquement cessé de produire du bois, la plupart ayant été transformées en terres agricoles. Le système était efficace principalement parce que le dégagement permettait le développement de la régénération préétablie, et il ne l'est resté que jusqu'au moment où l'échelle accrue des opérations et la mécanisation croissante l'ont rendu trop coûteux (Wyatt-Smith, 1963).

Les tentatives d'adapter ce système à l'Afrique de l'Ouest ont eu beaucoup moins de succès. Cet échec tient moins à l'échelle des opérations d'exploitation et à leur mécanisation qu'à la nécessité d'induire la régénération. En effet, on ne sait pas très bien pourquoi les ouvertures du couvert et les traitements effectués avant et après l'abattage ont rarement été suivis de la régénération dont dépend le rendement soutenu. En définitive, cela n'a d'ailleurs guère eu de conséquences car la plupart des forêts où l'on avait fait un effort d'aménagement, à l'exception des réserves forestières du Ghana, ont par la suite cédé la place à l'agriculture ou à des plantations forestières.

C'est peut-être cette expérience en Afrique occidentale qui explique l'opinion très répandue selon laquelle les plantations sont le seul moyen d'obtenir un rendement soutenu sous les tropiques. En fait, le principal intérêt de ces résultats opposés obtenus avec des systèmes analogues est probablement l'enseignement que l'on peut tirer des déterminants du succès de l'aménagement en vue d'un rendement soutenu en forêt ombrophile tropicale.

Les déterminants du succès de l'aménagement forestier

Trois facteurs semblent cruciaux. Le premier est l'interaction entre l'assiette des coupes et la régénération. Dans des conditions écologiques dans lesquelles la fonction essentielle de l'ouverture du couvert est de permettre le développement d'une régénération déjà établie, l'arbitraire que comporte l'exploitation par contenance est moins dangereux que quand la régénération doit être induite.

Deuxièmement, le fait que la structure de la plupart des forêts tropicales ombrophiles est caractérisée par la présence d'arbres de tailles très différentes semble offrir des conditions moins risquées et plus logiques pour un aménagement en vue d'un rendement soutenu. Dans une telle structure, ni la taille des arbres ni l'étage qu'ils occupent ne sont des indicateurs valables de la maturité relative des très nombreuses essences qui composent ces forêts hétérogènes. Un régime de jardinage associé à des mesures plus directes de contrôle des volumes semble une base moins risquée et plus logique pour l'aménagement en vue d'un rendement soutenu. Le succès de l'aménagement ainsi conçu au Ghana (Baidoe, 1970) tend à confirmer cette hypothèse.

La troisième considération est sans doute celle qui a le plus de poids: l'économie de l'exploitation, déterminée par les conditions du marché et de la commercialisation, fixe de façon presque immuable les possibilités offertes à l'aménagement forestier dans la plupart des forêts tropicales ombrophiles. Cela suffit pour exclure la possibilité d'un aménagement durable compatible avec les facteurs biologiques, structurels et sociaux et même pour compromettre la possibilité d'un aménagement durable visant principalement la production de bois. En effet, les structures du marché et les systèmes de commercialisation obligent les exploitants à maximiser la production, à adopter une technologie lourde, et à appliquer des méthodes et systèmes d'exploitation expéditifs. Ceux-ci sont incompatibles avec un aménagement qui, pour assurer un rendement soutenu, doit être conçu en fonction de la régénération ou prévoir des trouées soigneuses et bien calculées pour induire celle-ci. Ces systèmes d'exploitation sont encore moins compatibles avec les exigences d'un rendement soutenu de produits et services autres que le bois (voir la liste dans Jacobs, 1988).

Comment assurer le passage à des régimes vraiment durables

Le passage de régimes d'aménagement censés assurer un rendement soutenu de bois à un aménagement durable au sens large est maintenant le principal défi lancé à la foresterie tropicale. Selon certains, c'est une impossibilité (Jacobs, 1988). Il est bien connu que l'aménagement durable pour la production de bois a toujours été et est encore une tâche extrêmement difficile. On peut logiquement en conclure qu'il y a encore moins de chances de réussir à associer la production durable de bois avec la protection durable du potentiel de production des nombreux produits, services et valeurs de la forêt.

Si plausible qu'il soit, cet argument est trompeur. Il repose principalement sur la difficulté technique de mettre en œuvre un aménagement en vue d'un rendement soutenu. Mais le problème technique n'est pas le principal facteur limitant; les véritables obstacles sont dus à l'action de l'homme et tiennent au dysfonctionnement d'une économie mondiale déséquilibrée et inique. A moins que la foresterie tropicale ne réussisse à échapper aux diktats de l'économie, il restera irréaliste de vouloir aménager la forêt en vue d'une production soutenue de bois, et plus encore de prétendre assurer la durabilité au sens plein du terme.

Face à des problèmes de ce genre, la solution radicale consiste à modifier le système qui les engendre. Mais le secteur forestier n'a pas le pouvoir de le faire. Il doit donc s'accommoder d'un système imparfait. L'alternative est donc soit d'accepter ces limites et de se contenter des maigres chances d'aménagement durable des forêts tropicales que permet le système, soit de réagir différemment à ces limites. Heureusement, cette dernière option semble plus prometteuse dans le cas des forêts tropicales que dans celui de la plupart des autres types de forêts. Paradoxalement, cela tient principalement aux contraintes qu'impose à l'exploitation forestière la nécessité de respecter les normes d'un aménagement durable.

Un cadre pour l'aménagement durable de la forêt en vue de la production de bois

En théorie, on peut combiner les particularités techniques de la forêt tropicale ombrophile avec celles du marché du bois tropical et des produits non ligneux de la forêt pour transformer en un atout ce qui, dans la plupart des autres types de forets, est un danger.

L'aménagement durable de la forêt ombrophile tropicale est relativement facile s'il est possible d'assurer une protection efficace contre le feu et contre l'empiétement des autres formes d'utilisation des terres et si l'on peut éviter l'exploitation commerciale pour la production de bois d'œuvre et d'industries. Si les deux premières conditions sont satisfaites - ce qui est loin d'être acquis - les problèmes sont provoqués presque exclusivement par l'exploitation des bois marchands. La récolte du bois, même quand la forêt est bien aménagée pour la production soutenue, menace tous les autres aspects de l'aménagement durable, ne serait-ce que parce que, telle qu'elle est actuellement pratiquée, elle perturbe la structure de la forêt, l'environnement forestier et social et l'écosystème beaucoup plus que n'importe quelle autre utilisation, sauf le défrichement pour l'agriculture.

Une conclusion s'impose: si un des objectifs de l'aménagement durable est la production de bois d'œuvre et d'industrie, le régime de rendement soutenu devra être associé à des méthodes douces d'exploitation. Un système d'exploitation doux peut se définir comme suit:

· abattage d'un très petit nombre d'arbres à l'hectare;
· atteinte négligeable au peuplement résiduel, au recrû et à la régénération;
· maintien et protection des arbres, arbustes, lianes, palmiers et plantes herbacées ayant une valeur actuelle ou potentielle en tant que produit marchand ou matière première pour l'artisanat ou un intérêt écologique ou culturel, ou en tant qu'aliment, représentant de la vie sauvage, ou pour la protection de l'environnement, des berges, des cours d'eau et des sols, ou pour la conservation de la biodiversité ou en tant qu'élément de la chaîne alimentaire ou des cycles de pollinisation et de dispersion des semences.

Ce sont là des conditions minimales qui, à leur tour, imposent les quatre conditions ci-après à tout système d'exploitation:

· Exclusion des machines lourdes de débardage.

· Abattage directionnel.

· Respect des normes de protection de l'environnement et prise en considération de critères sociaux et culturels dans la planification, le tracé et la construction des routes et des pistes de débardage (il faudra donc renoncer à minimiser les coûts de transport des grumes). Cela signifie apparemment que l'emprise des routes devra être aussi étroite que possible, qu'il faudra éviter les versants fragiles et les localités vulnérables, qu'il faudra réduire au minimum le volume des terrassements et qu'il faudra respecter des normes très exigeantes pour le revêtement, l'entretien, le drainage, le franchissement des cours d'eau et l'établissement des camps et villages.

· Interruption des opérations pendant et après les pluies.

Une conséquence inévitable de ces principes sera d'accroître considérablement les coûts d'exploitation 1. Quant à savoir si le marché des bois tropicaux peut absorber ces surcoûts ou s'il existe suffisamment de surprofits économiques dans les filières de commercialisation pour qu'ils soient absorbés, ce sont là des questions très controversées. Quoi qu'il en soit, le coût des méthodes d'exploitation douces est inévitable si l'on veut assurer un aménagement durable de la forêt. Soit ce coût sera absorbé à une étape ou à une autre de la production de bois, soit il faudra renoncer à obtenir un rendement soutenu dans le cadre d'un aménagement durable de la forêt ombrophile tropicale. La question fondamentale n'est pas celle qui fait l'objet des débats les plus passionnés: en effet, il s'agit de savoir non pas s'il est possible d'aménager durablement la forêt pour la production de bois, mais si le jeu en vaut la chandelle.

1 Des études citées par Dykstra et Heinrich (1992) montrent que, dans certains cas, des méthodes d'exploitation sans danger pour l'environnement peuvent être moins coûteuses que les techniques classiques.

On peut en tirer trois conclusions d'importance vitale pour l'aménagement des forêts: premièrement, l'aménagement doit en général être basé sur le jardinage pour être compatible avec des méthodes d'exploitation douces; deuxièmement, il faudra revenir, pour l'exploitation, à des systèmes peu mécanisés 2 dans lesquels la planification et l'emploi de personnel hautement qualifié permettent de se passer des systèmes à fort coefficient d'énergie et à productivité élevée, caractéristiques des exploitations actuelles (Tropical Science Centre, 1982); troisièmement, l'aménagement devra donc être conçu en fonction principalement des essences dont la valeur actuelle ou potentielle est suffisante pour absorber le coût des méthodes d'exploitation douces.

2 Les systèmes à fort coefficient d'énergie ne sont pas nécessairement les plus agressifs; de même, l'interdiction implicite des machines lourdes de débardage pourrait exclure une technique qui serait appropriée dans des circonstances particulières.

Un aménagement peu agressif est-il compatible avec la production de bois?

Les principes ci-dessus sembleraient inciter à ressusciter la pratique aujourd'hui condamnée de l'écrémage et tendraient à condamner les efforts considérables qui sont faits aujourd'hui pour valoriser les essences peu utilisées. Le premier risque n'est certes pas exclu si le critère utilisé est le diamètre minimal, comme c'est généralement le cas dans la futaie jardinée sous les tropiques. Pour éviter que le souci de récolter exclusivement les essences de prix n'entraîne un écrémage 3 excessif, il faudra que les diamètres retenus pour déterminer la rotation des essences cibles et des produits cibles soient indicatifs et non obligatoires; lors du martelage, les critères sylvicoles devront l'emporter sur le critère du diamètre. La coupe comprendra certains arbres de diamètre inférieur à la limite théorique tandis que certains arbres de diamètre supérieur pourront être laissés sur pied. Le principe fondamental devrait être d'améliorer le potentiel de productivité au sens large et non pas de maximiser dans l'immédiat le volume marchand.

3 L'écrémage consiste à enlever les meilleurs sujets et à laisser le reste; c'était une pratique courante dans les forêts de feuillus des Etats-Unis au XIXe siècle.

Le deuxième danger est très réel. Il ne pourrait être exclu que si un ensemble presque inimaginable de conditions était réalisé, à savoir:

· le surcroît de production résultant de l'utilisation des essences peu connues devrait améliorer de beaucoup le ratio recettes/coûts;

· il faudrait que des systèmes sylvicoles proches de la coupe blanche puissent être généralisés;

· il faudrait que l'exploitation dans ces conditions ait des effets négligeables sur les autres produits et fonctions de la forêt.

Ces deux dernières conditions sont pratiquement contradictoires entre elles; quant à la première, c'est plutôt un espoir qu'une réalité concrète.

Il semble donc que seule une gestion de type jardinage privilégiant un petit nombre d'essences recherchées puisse satisfaire aux conditions. Même alors, un aménagement durable répondant aux normes n'est pas nécessairement possible. Les systèmes de jardinage peuvent être écologiquement et socialement valables à condition que la régénération puisse être assurée.

Mais il est loin d'être certain qu'ils puissent être techniquement et économiquement réalisables. Ils exigent en effet beaucoup de personnel qualifié (techniciens et ingénieurs forestiers) pour effectuer avec la précision voulue le choix des arbres, l'évaluation de l'accroissement et du taux de croissance, les opérations de régénération, établir les plans et assurer la surveillance. Les besoins de personnel qualifié sont proches de ceux de la méthode du contrôle décrite par Knuchel (1953). Cela suffirait à mettre ce système hors de portée de la plupart des pays en développement qui peuvent difficilement fournir le niveau de technicité voulu et avec la continuité nécessaire.

La rentabilité économique de ces systèmes est encore plus douteuse 4. Le surcoût imposé des normes d'aménagement exigeantes s'ajouterait au surcoût résultant de la nécessité de réduire le volume exploité à l'hectare pour ne pas compromettre les autres fonctions de la forêt. Le résultat global serait presque certainement de rendre la plupart des opérations telles qu'elles sont actuellement pratiquées beaucoup trop coûteuses pour pouvoir être absorbées par les marchés dans les conditions actuelles.

4 Voir note 1.

Un aménagement non agressif est-il possible?

Les considérations ci-dessus pourraient amener à conclure que les méthodes douces sont incompatibles avec un aménagement durable. Mais si on les rejette sous prétexte qu'elles sont techniquement et économiquement irréalistes, on exclut du même coup la possibilité de produire du bois dans le cadre d'un aménagement durable. Nous ne le répéterons jamais trop souvent: il est impératif que la production durable de bois soit non seulement rentable, mais aussi peu agressive pour l'environnement. Si cela est impossible, la production de bois doit être exclue de l'aménagement durable des forêts tropicales ombrophiles. Mais cette conclusion défaitiste ne tient que si les postulats concernant les coûts et les marchés sur lesquels elle se base sont corrects et immuables. Or, il n'y a pas de raison de penser que ce soit le cas.

Pour commencer, la modification des méthodes et pratiques d'exploitation n'entraîne pas nécessairement un accroissement des coûts. Les systèmes d'exploitation employant des techniques plus simples ont un moins fort coefficient de capital, et donc des coûts fixes totaux et à l'hectare moins élevés. La réduction du volume récolté à l'hectare ne se traduit donc pas nécessairement par un accroissement du coût unitaire de l'exploitation. Pour la même raison, les modifications nécessaires pour respecter des normes plus sévères de protection des valeurs écologiques, culturelles et sociales de la forêt pourraient ne pas entraîner de très fortes augmentations des coûts. L'aménagement durable entraîne inévitablement un certain accroissement des coûts d'exploitation, mais beaucoup moins considérable que ne l'indiquerait la simple extrapolation des méthodes et systèmes actuels.

De même, la haute technicité associée à l'aménagement intensif suppose des effectifs accrus et plus qualifiés d'ingénieurs forestiers, de techniciens et d'agents de terrain, mais ces coûts ne se répercutent pas nécessairement proportionnellement sur les coûts unitaires du bois. Ainsi, l'inventaire et le contrôle de la production pourraient se limiter aux quelques essences cibles au lieu des centaines d'essences qui sont prises en considération dans les systèmes d'aménagement actuels. Deuxièmement, l'accroissement du personnel et des autres ressources utilisées directement pour l'aménagement des forêts ne se traduit pas nécessairement par un accroissement équivalent des coûts totaux. Dans beaucoup de services forestiers, les structures actuelles permettraient de réaffecter sur le terrain du personnel qualifié et expérimenté ainsi que du personnel de soutien. Or, en définitive, la qualité de l'aménagement forestier dépend plus de ce qui se passe en forêt que des plans et des décisions établis dans les bureaux. Cela est particulièrement vrai lorsque l'on veut produire du bois tout en protégeant les fonctions multiples de la forêt. Le personnel le plus qualifié doit être affecté sur place, là où ces fonctions sont le plus menacées.

En définitive, l'aménagement durable accroît les coûts de gestion et d'exploitation, mais pas autant que l'on pourrait le croire au premier abord.

Toutefois, de tous les arguments contre l'aménagement doux, le plus faible est sans doute celui qui concerne les recettes. Sans doute est-il logique de se demander si le marché est capable d'absorber le surcoût de ce type d'aménagement, même si ce surcoût est moins élevé qu'on aurait pu le penser. Malheureusement, c'est au stade du consommateur plutôt qu'au stade du producteur que se fait le tri entre bois de valeur et bois tout-venant. Les surbénéfices provenant des bois précieux reviennent donc aux négociants et aux utilisateurs de bois tropicaux et non aux producteurs. Il n'y a pas de preuve précise de cet effet, mais les études de la rente économique (Gillis, 1988), de l'effet des prix de transfert (Barnett, 1989) et de la structure du marché des bois tropicaux de haute qualité (OFI, 1991; FAO, 1991b) tendent toutes à le confirmer. Etant donné l'ampleur des différences de prix et de la rente économique, il existe une marge suffisante pour absorber le surcoût de l'aménagement durable, à condition que ces bénéfices puissent être réinjectés dans la forêt, à l'autre bout du circuit de commercialisation.

Pour cela, il faudrait restructurer tout le marché des bois tropicaux; ceux-ci ne doivent plus être considérés comme des produits indifférenciés mais comme des produits spéciaux destinés à une clientèle particulière. Il est incontestable que la continuité de la production de bois dans les forêts ombrophiles tropicales suppose en définitive que la filière bois s'adapte de telle sorte qu'il soit possible de respecter les normes d'un aménagement durable. Il ne sert à rien de prétendre que les pressions des intérêts internationaux ne portent que sur le commerce d'exportation, qui concerne seulement une faible partie de la production totale. Le bois des plantations qui maintenant arrive à l'âge d'exploitabilité peut parfaitement avoir un effet analogue sur les marchés intérieurs en faisant tomber si bas le prix des bois tout-venant des forêts naturelles qu'il n'y aura plus d'autre option que la spécialisation.

Dans ces conditions, la première chose à faire pour rendre praticable l'aménagement durable des forêts tropicales pour la production du bois est de mettre au point des stratégies de commercialisation axées sur les bois de valeur. La tâche la plus urgente en foresterie tropicale est donc aujourd'hui celle d'effectuer les études de marché sur lesquelles pourra reposer une telle stratégie.

BIBLIOGRAPHIE

Baas, P. et Vetter, J.R.E. (éds.) 1989. Growth rings in tropical trees. IAWA Bull., 10(2): 95-174.

Baidoe, J.F. 1970. The selection system as practiced in Ghana. Comm. For. Rev., 49(2): 159-165.

Barnett, T. 1989. The Barnett Report. A summary of the commission inquiry into aspects of the timber industry in Papua New Guinea. Hobart, Australie, The Asia-Pacific Action Group.

Brasnett, N.V. 1953. Planned management of forests, p. 128-135. Londres, Allen & Unwin.

Dawkins, H.C. 1958. The management of natural tropical high forest with special reference to Uganda. IFI Paper No. 34. Oxford, Royaume-Uni, IFI.

Dykstra, D.P. et Heinrich, R. 1992. Assurer la durabilité des forets tropicales grâce à des pratiques d'exploitation écologiquement rationnelles. Unasylva, 43(169): 9-15.

FAO. 1979. The effect of logging and treatment on the mixed dipterocarp forests of Southeast Asia. FO:Misc/79/8. Rome.

FAO. 1991a. Aménagement durable des forêts tropicales. Note du Secrétariat FO:PDT/91/5. Comité de la mise en valeur des forets dans les tropiques. Rome.

FAO. 1991b. High-value markets for tropical sawnwood, plywood in the European Community. Rome.

Fox, J.E.D. 1976. Constraints on the natural regeneration of tropical moist forest. For. Ecol. Manage., 1(1): 37-86.

Gillis, M. 1988. Indonesia: public policies, resource management and the tropical forest. In R. Repetto et M. Gillis (éds). Public policies and the misuse of forest resources, Chap. 2. New York. Cambridge University Press.

Jacobs, M. 1988. The tropical rain forest. p. 12; 256-258. Berlin-Heidelberg, Allemagne, Springer.

Janzen, D.H. 1975. Ecology of plants in the tropics. Londres, E. Arnold.

King, K.F.S. 1990. The failure of tropical forest management. In ITTO Project Report PO72/89(F), PCF(vii)/4, p. 7-14. Yokohama, Japon, ITTO.

Knuchel. H. 1953. Management control in selection forest. Tech. Comm. No. 5. Oxford, Royaume-Uni, IFI.

Lowe, R.G. non daté. Volume increment of natural tropical moist forest in Nigeria. Ibadan, Nigeria, Federal Department of forestry. (polycopié)

OFI. 1991. Incentives in producer and consumer countries to promote sustainable development of tropical forests. Oxford, Royaume-Uni, Oxford Forest Institute,

OIBT. 1991. Report of mission: the promotion of sustainable forest management in Sarawak, Malaysia. Yokohama, Japon, OIBT.

Péri, M.A, Kiernan, M.J, McCafferey D, Buschbacher, R.J et Batmanian, G.J. 1991. Views from the forest: natural forest management initiatives in Latin America. Gland, Suisse, World Wildlife Fund.

Poore, D, Burgess, P., Palmer, J., Rietbergen, S. et Synott, T. 1989. No timber without trees: sustainability in tropical forests. Londres, Earthscan.

Schmidt, R. 1987. Où en est l'aménagement des forêts tropicales humides. Unasylva, 39(156): 2-17.

Tropical Science Center. 1982. Sustained yield management of natural forest. Forestry subproject: central selva resources management project. Palcazu Valley, Pérou. San José, Costa Rica.

Wyatt-Smith, J. 1963. Manual of malayan silviculture for inland forests. Malayan Forest Records No. 23. Kuala Lumpur, Forestry Department 2.

Aménagement des forêts claires et des savanes en zone soudano-sahélienne

M. Soto Flandez et K. Ouedraogo

Les auteurs sont Conseiller technique principal et Directeur national de projet, respectivement, du Projet BFK/89/011 d'aménagement forestier du PNUD, BP 2540, Ouagadougou, Burkina Faso.

L'article ci-après décrit un des projets les plus révolutionnaires d'aménagement de la forêt naturelle dans la zone soudano-sahélienne. Ce projet a été réalisé au Burkina Faso entre 1986 et 1993. Il visait à aménager 200000 ha de terres communales et à assurer la cogestion de 100 000 ha de formation forestière avec la participation des agriculteurs locaux en vue de la production soutenue de 50 000 m3 de bois de feu par an à partir de 1993.

L'article décrit aussi les caractères agroécologiques et démographiques de la zone soudano-sahélienne. Il présente un tableau de la végétation ligneuse naturelle et des modes d'utilisation. D'autres pratiques d'aménagement de la forêt naturelle dans la région sont brièvement décrites.

LA ZONE SOUDANO-SAHÉLIENNE

Caractéristiques agroécologiques

Dans la zone semi-aride qui s'étend au sud du Sahara, le climat est caractérisé par une longue saison sèche de huit à 10 mois. La saison unique des pluies, concentrées en août, commence avec la mousson du sud-ouest, après la remontée du front intertropical. La pluviométrie moyenne annuelle augmente vers le sud. On peut distinguer trois zones agroclimatologiques: une zone de parcours où les précipitations sont inférieures à 200 mm, une zone de savane sèche avec une agriculture précaire où la pluviométrie moyenne est de 500 mm et une zone de savane arbustive et arborée de type soudano-sahélien où la pluviométrie moyenne est de 500 à 1 200 mm. Ces zones définies en fonction des précipitations moyennes sont à bien d'autres égards très hétérogènes, qu'il s'agisse de la durée des pluies, des précipitations annuelles totales et de leur répartition dans le temps et dans l'espace. Les pluies tombent surtout sous forme d'averses violentes qui provoquent un intense ruissellement et un très grand risque d'érosion. L'érosion éolienne est particulièrement sévère dans les zones recevant moins de 600 mm d'eau au début de la période végétative, quand les sols sont dénudés (Pieri, 1989).

Les éléments dominants du paysage soudano-sahélien sont les pédiments indurés qui constituent le cadre dans lequel s'étendent, au nord du 12e parallèle, les systèmes de dunes qui vont de l'Atlantique au Soudan (Bertrand et al., 1985). Les sols les plus courants sont des sols de dunes sur des sables éoliens anciens ou récents et des sols de pédiments qui se développent sur les longues pentes qui descendent des montagnes aux bas-fonds ou aux lits des cours d'eau. Les sols d'altitude sont le produit de l'action conjuguée des paléoclimats et des cycles d'érosion.

La végétation naturelle se compose principalement de mosaïques forêt-savane traversées par des formations riveraines dans les bas-fonds et le long des cours d'eau. Dans la mosaïque, on trouve des forêts plus ou moins claires et des savanes arborées.

Démographie et activité économique

Les perspectives de développement socioéconomique de la zone soudano-sahélienne concernent 16 pays: Bénin, Burkina Faso, Cameroun, République centrafricaine, Côte d'Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Soudan, Tchad et Togo. Cette zone, qui s'étend sur plus de 3 millions de km2, compte 25 millions d'habitants; la population doublera probablement d'ici 2010 car le taux de croissance démographique moyen semble s'être stabilisé entre 2,7 et 3 pour cent par an (Pieri, 1989). La région connaît un déficit alimentaire croissant; les techniques agricoles et zootechniques ne progressent pas. L'agriculture consiste encore principalement en cultures sur brûlis: les champs sont cultivés trois ou quatre ans, puis restent plusieurs années en jachère pour récupérer leur fertilité. A mesure que les sols s'épuisent et qu'il y a moins de terres disponibles, les agriculteurs doivent émigrer et aller défricher de nouvelles terres encore boisées. L'élevage nomade est plutôt un mode de vie qu'une activité économique. Il est tributaire des caprices du climat et du marché de la viande. Il est de plus en plus marginalisé sous l'effet de l'expansion des terres agricoles.

La principale production de la forêt, qui est rarement comptabilisée, est la cueillette des produits forestiers et la collecte du bois de feu résiduel après l'exploitation et les feux de forêt. La production de bois en forêt naturelle en est encore au stade expérimental; l'industrie forestière est limitée à une petite production de sciages, sauf en Côte d'Ivoire, au Ghana, au Nigeria et au Cameroun, qui possèdent des forêts denses de feuillus.

ETAT ACTUEL DE LA VÉGÉTATION LIGNEUSE NATURELLE

Formations forestières

Les mosaïques forêt-savane typiques de la zone soudano-sahélienne comprennent la foret claire, la savane boisée, la savane arborée et la savane arbustive. La savane boisée et la forêt claire, où les arbres peuvent dépasser 15 m, sont représentées par des zones éparses ici et là dans la savane. La savane boisée est considérée comme le vestige dégradé de la forêt claire. Le couvert, qui occupe de 40 à 90 pour cent de la surface, est composé notamment d'Isoberlinia doka, d'Uapaca togolensis et d'Anogeissus leiocarpus. La savane arborée comprend de vastes zones de prairie graminéenne. Les principales essences d'arbres sont Parkia biglobosa, Daniellia oliveri, Khaya senegalensis, Butyrospermum parkii et Detarium macrocarpum. La composition floristique, de même que le nombre de tiges à l'hectare, les diamètres et les hauteurs moyennes varient selon le climat, le type de sol et la pression démographique. La savane arbustive est caractérisée par un tapis graminéen d'au moins 80 centimètres, parsemé d'espèces ligneuses dont la hauteur dépasse rarement 5 m.

Les formations riveraines sont des prolongements de la forêt décidue. Leur composition floristique varie. On y trouve Terminalia ivorensis, Triplochiton scleroxylon, Khaya senegalensis et Parinari excelsa.

Modes d'utilisation

La seule source d'informations dont on dispose sur la superficie et l'évolution des zones de forêts claires et de savanes est Les ressources forestières de l'Afrique tropicale (FAO/PNUE, 1981). Dans ce rapport technique, la surface totale des formations claires de feuillus est estimée à 84 millions d'hectares en 1980, soit 28 pour cent de la superficie totale de la zone soudano-sahélienne. Comme la déforestation n'a cessé de s'accélérer depuis lors, il est impératif de savoir combien il reste de forêts aujourd'hui.

La principale utilisation des forêts claires et des savanes est de servir de réserve de terres arables pour accroître la production vivrière sans recourir à des méthodes de production plus intenses, dans des conditions de faible pression démographique. C'est ainsi que selon le plan céréalier récemment proposé au Gouvernement du Burkina Faso, il faudra en 2005 une production brute de 750 000 tonnes pour satisfaire la demande de céréales. Pour cela, il faudra défricher 600 000 ha si l'on postule un rendement de sept quintaux à l'hectare ou 900 000 ha si le rendement n'est que de six quintaux. Il y a très peu de véritables innovations technologiques et depuis 15 ans, l'accroissement de la productivité ne dépasse pas 2 pour cent par an. Les taux moyens à long terme d'accroissement de la production sont inférieurs au taux de croissance démographique. L'accroissement de la production en céréaliculture pluviale dépend de l'expansion des terres cultivées (SEDES-CEDRAT S.A., 1990). Outre l'expansion planifiée des terres cultivées, il faut tenir compte de divers facteurs qui ne peuvent être programmés, en particulier des migrations régulières, peu visibles, constantes, provoquées par l'épuisement des sols que provoque la monoculture en l'absence d'apport suffisant d'engrais organiques ou minéraux quand l'espace manque dans les zones proches des villages. Ce processus devient anarchique et incontrôlable et se transforme en migrations massives en période de sécheresse comme en 1968, en 1973-1974 et en 1983-1984. On observe alors les fronts de défrichement, les avancées systématiques des cultures et le recul rapide des formations forestières qui caractérisent l'évolution récente du paysage dans les pays soudano-sahéliens.

La deuxième utilisation importante des formations forestières est la récolte du bois de feu. Les populations de la zone soudano-sahélienne utilisent très peu de pétrole et d'électricité. En revanche, la consommation de bois de feu est de 0,6 m3 par personne et par an; le bois de feu fournit environ 90 pour cent de l'énergie utilisée, sauf au Sénégal, où la proportion est de 60 pour cent, et en Mauritanie, où elle est de 69 pour cent (Giri, 1983).

Le bois de feu provient principalement des résidus laissés sur place après le défrichement et que les paysans ramassent pour leur propre usage ou pour la vente lorsqu'il y a des marchés accessibles, afin de récupérer le coût du défrichement. Autour des centres urbains, la collecte du bois de feu crée de vastes zones où toute la végétation ligneuse a disparu et qui peuvent s'étendre sur un rayon de plus de 50 km. Dans certaines zones, ces sources de bois de feu sont complétées par la collecte de bois mort (arbres tués par la sécheresse ou par le feu). Les défrichements anarchiques et la collecte du bois de feu dépassent de loin la capacité de régénération naturelle de la forêt. Ainsi, dans les savanes arborées, qui représentent l'essentiel des zones forestières existantes encore dans la région, le matériel sur pied dépasse rarement 15 m3 par hectare. Les feux de forêt répétés ont réduit l'accroissement à moins de 1 m3 par hectare et par an. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) confirme cette observation. Selon un scénario proposé par l'OCDE, le Sahel réussit tout juste à survivre, sans croissance réelle et au prix d'une dépendance croissante à l'égard de l'extérieur et d'une érosion assez rapide de son capital naturel. Analysant les perspectives de cette région, l'OCDE n'en exclut pas moins le remplacement du bois par des combustibles importés pour les usages domestiques. L'agriculture devra donc fournir non seulement de quoi nourrir la population et l'essentiel des devises nécessaires pour financer les importations, mais aussi une partie de l'énergie consommée dans la région soudano-sahélienne (OCDE, 1988).

La troisième utilisation, moins importante que les précédentes, est l'élevage des bovins. L'avancée des terres cultivées réduit inexorablement l'espace disponible pour l'élevage traditionnel. La transhumance devient de plus en plus difficile et les déplacements des troupeaux pendant l'hivernage sont une cause de conflits parfois meurtriers entre agriculteurs et pasteurs. Ces derniers, malgré le risque de trypanosomiase, sont forcés de se réfugier avec leurs troupeaux dans la forêt et ils ébranchent les arbres pour récolter le fourrage, d'où l'apparition de diverses pratiques d'aménagement sylvopastoral, avec un succès mitigé sur le plan technique. Il arrive souvent que ces aménagements consistent simplement à remplacer la savane arborée par une savane graminéenne entrecoupée de taches de désertification.

Parmi les modes d'utilisation de la forêt, il faut aussi mentionner l'industrie du bois et l'utilisation classique des forêts par les ruraux. L'industrie du bois reste limitée à la scierie; la capacité de production au cours de la dernière décennie semble n'avoir pas dépassé 12 pour cent de l'accroissement (FAO/PNUE, 1981). En revanche, l'utilisation classique de la forêt en tant que source de médicaments, de fruits et de protéines (gibier) est désormais compromise par l'amenuisement des ressources forestières.

Ces diverses utilisations de la forêt sont cruciales pour la survie des populations de la zone soudano-sahélienne. D'où l'inquiétude que suscite la rupture des équilibres écologiques: quelque 25 millions de personnes sont déjà menacées par la déforestation, la désertification et les migrations. Les autorités villageoises protégeaient autrefois l'environnement naturel en faisant appliquer des règles qui sont aujourd'hui tombées en désuétude à cause de l'éclatement des sociétés traditionnelles. Il faut de nouvelles règles, adaptées à la transformation radicale des conditions démographiques et économiques. L'aménagement des forêts naturelles, qui consiste à envisager les sciences et techniques forestières dans leur rapport avec les principes administratifs, législatifs, économiques et sociaux (Métro, 1975), peut utilement contribuer à mettre en place de nouveaux équilibres dans le monde rural.

PRATIQUES D'AMÉNAGEMENT

Aménagement des forêts naturelles

II y a quelques années encore, les seuls pays de la zone soudano-sahélienne qui pouvaient se vanter d'aménager leurs forêts naturelles, c'est-à-dire de définir clairement des objectifs de production et des mesures à prendre pour les atteindre, étaient le Ghana et le Soudan. Ces pays ont depuis longtemps édicté des règles d'exploitation, souvent accompagnées de méthodes de sylviculture visant à régénérer les forêts en les enrichissant si possible (FAO/PNUE, 1981). Aujourd'hui, la plupart des pays commencent à en faire autant, en ajoutant à l'aménagement classique la nouvelle dimension de la participation populaire. Malgré les difficultés qui résultent de l'absence d'une sylviculture spécialisée, de la complexité des régimes fonciers et de l'organisation socioéconomique des populations rurales, les politiciens et les financiers commencent à considérer l'aménagement comme une option viable. De plus en plus, on y voit un moyen de contribuer pendant quelques décennies encore à résoudre économiquement le problème de l'énergie à usage domestique, de créer de l'emploi en milieu rural, d'optimiser l'utilisation des ressources naturelles, d'accélérer la modernisation de l'agriculture, de créer des systèmes stables de coexistence avec l'élevage et de sauvegarder un environnement naturel intrinsèquement indissociable de la culture africaine.

Expérience du Burkina Faso

Un des projets les plus révolutionnaires d'aménagement de la forêt naturelle en zone soudano-sahélienne a été entrepris par le Burkina Faso en 1986. Financé par le PNUD et exécuté par la FAO sous l'égide du Ministère de l'environnement et du tourisme, il sera achevé en 1993. Les objectifs sont d'aménager 200 000 ha de terres communales et de mettre en place un système de cogestion de 100 000 ha de formation forestière avec la population des paysans locaux, en vue de la production soutenue de 50 000 m3 de bois de feu par an à partir de 1993.

L'aménagement s'est appuyé sur les principes suivants:

· Participation effective et volontaire de la population rurale organisée en groupements villageois d'aménagement forestier.

· Conservation et enrichissement des formations forestières, surtout de celles dont le matériel sur pied dépasse 10 m3 par an.

· Création d'industries forestières économiquement autonomes, cogérées par les agriculteurs et le Service des forêts.

· Coopération étroite avec le secteur privé qui a la responsabilité du transport et de la commercialisation du bois de feu.

· Utilisation de la dynamique socioéconomique engendrée par l'aménagement pour appuyer l'organisation de l'élevage et de l'agriculture dans les zones villageoises, y compris l'utilisation des terres.

Le plan d'aménagement vise à produire du bois de feu pour approvisionner Ouagadougou. La forêt est divisée en unités d'aménagement de 2 000 à 4 000 ha afin de créer des séries exploitées sur une rotation de 15 ans. Le plan comporte une évaluation de la possibilité; il fixe des règles d'exploitation limitant l'extraction du bois à 50 pour cent du matériel sur pied; il prescrit des plantations d'enrichissement dans les parcelles à exploiter; et il prévoit l'entretien des routes forestières et des actions de prévention du feu et de lutte contre les incendies.

Le modèle d'aménagement créé par le projet comporte deux phases bien distinctes. La première phase, financée par des ressources qui ne proviennent pas de la forêt et exécutée par l'équipe du projet avec la participation des habitants, a consisté à formuler le plan d'aménagement et de gestion, à former des encadreurs et des responsables de l'aménagement villageois et à suivre la première année d'exécution du plan.

La deuxième phase a consisté à mettre en place la cogestion de l'entreprise de production forestière responsable d'appliquer le plan d'aménagement. L'entreprise est gérée par un conseil d'administration composé de représentants des groupements villageois d'aménagement forestier, du Service des forêts et de l'administration provinciale. Les coûts de gestion sont financés par le produit de l'exploitation forestière, sous forme d'une redevance perçue sur chaque stère de bois vendu, et qui sert à alimenter un fonds de gestion.

Description de la zone d'intervention. La zone du projet est située au sud de Ouagadougou, dans la zone climatique nord-soudanienne, où il tombe de 700 à 900 mm de pluie par an. Les formations forestières sont principalement des savanes arborées à Butyrospermum paradoxum var. parkii, Detarium microcarpum, Terminalia sp. et Anogeissus leiocarpus, avec un important tapis graminéen. Il y a aussi des zones de savane boisée à Burkea africana, Isoberlinia doka, Daniellia oliveri. On trouve dans les bas-fonds et le long des cours d'eau des formations riveraines avec prédominance de Khaya senegalensis, Pterocarpus erinaceus, Burkea africana et Parinari excelsa.

Selon la législation foncière burkinabé, toutes les terres situées sur le territoire national font partie du domaine forestier national appartenant à l'Etat (Gouvernement du Burkina Faso, 1991). La zone d'intervention du projet comprend 30 000 ha de réserves et 70 000 ha d'autres forêts. En droit coutumier, toutes les terres municipales appartiennent aux populations autochtones. L'arbitrage des conflits et l'attribution de terres aux migrants sont du ressort des chefs de village et des chefs de terre. Les migrants auxquels des terres sont allouées n'en deviennent pas propriétaires, même après une utilisation prolongée, et ne peuvent entreprendre certaines activités qu'avec l'autorisation du propriétaire. Ils ne sont pas assujettis aux obligations d'entraide et d'hospitalité (Nougtara, 1991). La population se compose de quatre ethnies différentes: les Gourounsis autochtones (30 pour cent), les Mossis (50 pour cent), les Peuhls (10 pour cent) et les Wallas (3 pour cent) (Douamba, 1990).

Bien que de grandes routes la traversent du nord au sud, la zone du projet reste très isolée faute de liaisons transversales. La population est établie dans une centaine de villages de tailles différentes qui, en 1985, comptaient 84 000 habitants. En admettant un taux de croissance démographique de 5 pour cent par an, la population pourrait aujourd'hui être d'environ 120 000 habitants.

Les principales activités économiques sont l'agriculture (principalement de subsistance, les cultures de rente ne jouant qu'un rôle marginal); l'élevage nomade extensif (environ 30 000 têtes de bovins et presque autant de petits ruminants). Les services publics, très insuffisants, se limitent aux écoles primaires, aux dispensaires et aux services de vulgarisation. Le commerce se réduit essentiellement aux échanges entre villages, qui se déroulent dans les marchés villageois hebdomadaires.

Pour évaluer la demande actuelle et future de bois de feu à Ouagadougou, on s'est fondé sur une estimation du taux de croissance démographique et sur le postulat que la consommation resterait au niveau estimatif de 1987, soit 0,66 kg par personne et par jour. Sur cette base, la demande de bois de feu était d'environ 240 000 m3 en 1990 et devrait atteindre 600 000 m3 en l'an 2000 (Zida, 1991). Il existe donc un débouché assuré pour le bois de feu, même si la production des formations forestières approvisionnant la ville de Ouagadougou, estimée à 530 000 m3 par an, est dépassée (Banque mondiale/PNUD, 1990).

Formulation du plan d'aménagement. La phase de formulation du plan a comporté les activités suivantes:

· Etablissement d'une carte des sols au 1/200 000: cette première phase, visant à identifier des secteurs d'aménagement appropriés, a été faite à partir d'images Landsat au 1/200 000. Les vues ont été prises à la fin des pluies pour obtenir une image du couvert végétal maximum. Des cartes physiques au 1/200 000 de l'Institut géographique du Burkina Faso ont été utilisées comme fond planimétrique pour préparer la carte monochromatique (Ribot, 1991).

· Identification des villages concernés et évaluation de leur potentiel au moyen de vols à basse altitude, suivis par des levés au sol selon des procédures prédéterminées.

· Campagnes d'information à l'intention des autorités administratives et villageoises sur les objectifs du développement des formations forestières.

· Etablissement d'une carte de l'occupation des sols au 1/20 000: couverture photographique au 1/20 000 des secteurs choisis conjointement avec les autorités villageoises. Photo-interprétation et cartographie des différents types de formation forestière, du peuplement humain, des cours d'eau et des routes.

· Organisation des groupements: organisation par les encadreurs de réunions villageoises auxquelles sont conviés tous ceux qui veulent participer à l'aménagement; on leur décrit alors les activités prévues, les avantages que l'on en attend et les contraintes qui en résulteront. Les villageois prennent eux-mêmes toutes les décisions concernant les groupements d'aménagement forestier.

· Formation: les groupements d'aménagement choisissent un encadreur forestier pour chaque groupe de 20 personnes. Le stage de 10 semaines comprend trois sessions: exploitation, sylviculture, protection contre le feu.

· Etablissement d'unités et de parcelles d'aménagement: les unités sont établies en fonction du potentiel estimatif de la forêt, des préférences intervillages, du nombre de membres des groupes et des routes d'accès existant. La série est déterminée par la superficie de l'unité d'aménagement et par la durée de la rotation adoptée.

· Evaluation du potentiel de la forêt: établissement des paramètres dendrométriques et écologiques qui détermineront la forme définitive du plan d'aménagement et de gestion.

· Etablissement d'un contrat de cogestion: le contrat de cogestion est un contrat d'amodiation dont les conditions sont déterminées par le plan d'aménagement et de gestion.

· Formulation du plan d'aménagement et de gestion: ce document est une récapitulation des données cartographiques, juridiques et socioéconomiques concernant la forêt; il précise les objectifs de l'aménagement. En ce qui concerne les méthodes d'intervention, il indique principalement la durée des révolutions, le système d'exploitation, les méthodes sylvicoles à appliquer pour assurer la régénération, le type et l'intensité des activités d'aménagement, y compris l'agriculture et l'élevage.

Cogestion. La cogestion est assurée par une entreprise de production de bois qui se conforme au plan d'aménagement et de gestion. Les paysans, organisés en groupements d'aménagement forestier, qui eux-mêmes sont regroupés en associations, participent aux décisions à tous les niveaux.

Contraintes

L'expérience de la création d'un modèle d'aménagement de la forêt naturelle réalisée au Burkina Faso avec la participation des populations locales a permis d'identifier les limites des capacités techniques et l'ampleur des contraintes socioéconomiques.

Du point de vue technique, les grands problèmes se résument en quelques mots: connaissance de la forêt, lutte contre les feux, durée de la rotation et méthodes d'inventaire adaptées aux formations multispécifiques et non équiennes de la zone soudano-sahélienne.

Toutefois, les principales contraintes qui freinent la mise en œuvre d'un aménagement durable des formations forestières résultent de facteurs juridiques et socioéconomiques: d'une part, les relations complexes et les contradictions qui existent entre la législation foncière et le droit coutumier, notamment en ce qui concerne la propriété et le droit d'usage des ressources forestières, d'autre part, la difficulté de remplacer les méthodes actuelles d'agriculture et d'élevage par de nouvelles formes d'organisation des terres rurales et d'utilisation des ressources naturelles.

BIBLIOGRAPHIE

Banque mondiale/PNUD. 1990 - Stratégie pour l'énergie ménagère, programme d'assistance à la gestion du secteur énergie. Ouagadougou, Burkina Faso.

Bertrand, R., Killian, J., Raunet, M., Guillobez, S. et Bourgeon, G. 1985. La connaissance des systèmes de paysages naturels, un préalable à la protection du milieu. L'approche morphopédologique. Bull. Rech. Agro. Gembloux, 20(3/4): 545-559.

Douamba, J.B. 1991 Contribution à l'analyse et à la mise en application de l'intensification des cultures vivrières. Rapport de consultant. Projet BKF/89/011. Ouagadougou, PNUD.

FAO. 1990. Aménagement et exploitation des forêts pour le ravitaillement d'Ouagadougou en bois de feu. Rapport final. FO-DP/BKF/89/011. Rome.

FAO/PNUD. 1981. Forest resources of tropical Africa. Rapport technique No. 2. UN 32/6. 1301-78-04. Rome.

GIRI, J. 1983. Le Sahel demain, catastrophe ou renaissance? Paris, Karthala.

Gouvernement du Burkina Faso. 1991. Projet de texte portant sur la réorganisation agraire et foncière. Ouagadougou, Burkina Faso.

Metro, A. 1975. Terminologie forestière. Version française. Paris, Conseil international de la langue française.

Nougtara, T. 1991. Les contraintes de l'aménagement sylvopastoral en zone protégée de Cassou. Rapport de stage. Projet BKF/89/011. Ouagadougou, PNUD.

OCDE. 1988. Le Sahel face au futur. Dépendance croissante ou transformation structurelle. Etude prospective des pays sahéliens 1983-2010. Paris.

Pieri, Ch. 1989. Fertilité des terres de savane. Bilan de 30 ans de recherche et de développement agricole au sud du Sahara. Paris, Ministère de la coopération et du développement/CIRAD-IRAT.

Ribot, F. 1991. Notice explicative de la carte de la situation des états de surface. Projet BKF/89/011. Ouagadougou. PNUD.

SEDES-CEDRAT S.A. 1990. Plan céréalier du Burkina Faso. Ministère de l'agriculture et de l'élevage. Ouagadougou, CILSS.

Zida, B. 1991. Production, commercialisation et consommation des combustibles ligneux. Région et ville de Ouagadougou. Rapport de consultant. Projet BDF/89/011. Ouagadougou, PNUD.

Aménagement durable des forêts plantées dans les zones tropicales et subtropicales

E. Campinhos Jr.

L'auteur est Directeur général de la sylviculture et de la recherche, Aracruz Florestal S.A., Rua Professor Lobo 1128, 29190 Aracruz, Espirito Santo, Brésil.

On traitera dans ce document de la nécessité d'utiliser la meilleure technologie possible pour réaliser des plantations de forêts de haut rendement, en volume et en qualité, dans les zones tropicales et subtropicales.

Après une description de la situation forestière, de la consommation et de la production de bois au Brésil, l'auteur analysera un exemple de plantation réussie dans une région tropicale: Aracruz Cellulose. Cette société privée, située à Aracruz dans l'Etat de Espirito Santo, produit chaque année 1 025 000 tonnes de cellulose blanchie à partir de ses plantations d'eucalyptus, dans une stricte perspective d'aménagement durable. Les techniques mises en œuvre par la société comprennent l'utilisation de matériel génétique d'amélioration des arbres, la conservation du sol, la lutte contre les parasites, le perfectionnement des procédés et des équipements d'abattage, la recherche sur le recyclage des résidus et la protection des espèces indigènes de flore et de faune.

Introduction

Les forêts se révèlent chaque année plus utiles pour assurer l'approvisionnement des populations rurales en biens et en services. Afin d'accroître les réserves pour couvrir les besoins de bois-énergie, bois d'œuvre, fibres et autres, on plante de nouvelles forêts répondant à des critères de qualité et de productivité nouveaux.

Ecologiquement parlant, il est impératif de planter des forets: les plantations protègent et régénèrent l'environnement, fournissent de l'énergie, freinent le défrichement des forêts tropicales et subtropicales, constituent des réceptacles de gaz carbonique, et sont des sources de revenus pour les agriculteurs.

Les plantations ont une bonne rentabilité quand on utilise des essences à croissance rapide adaptées aux zones tropicales et subtropicales, comme c'est le cas de certaines espèces d'eucalyptus et de pins. Ces essences aux aptitudes multiples sont souvent les victimes de préjugés, mais il est difficile de leur trouver des substituts.

La technologie des plantations forestières dans les zones tropicales et subtropicales s'est considérablement développée au cours des 20 dernières années. Les techniques actuelles permettent de maximiser le rendement et de minimiser les pertes.

Ce document décrit la situation de la forêt brésilienne et présente les résultats de la société Aracruz Cellulose, ses activités forestières et industrielles fondées sur l'utilisation de technologies bien adaptées, le respect de l'environnement, de bonnes conditions de travail et des principes de développement durable.

Situation de la forêt brésilienne

Au Brésil, il existe deux types de forêts: les forêts tropicales et les forêts subtropicales. La colonisation du Brésil, plus intensive dans la partie centrale et méridionale du pays, a entraîné de bonne heure le défrichement de la forêt subtropicale pour les besoins de l'agriculture. L'Araucaria angustifolia (pin brésilien) est l'essence la plus représentative et la plus précieuse de cette région. Aujourd'hui, on ne peut plus guère rencontrer de spécimens de cette espèce que dans les réserves forestières, les meilleurs arbres ayant été dévorés par les scieries et la forêt défrichée pour ouvrir la terre à la culture des céréales. Toutefois, en raison de l'intérêt économique particulier de l'Araucaria, une agence fédérale d'Etat, l'Instituto Nacional de Pinho, a été créée dans les années 40 pour restaurer ces forêts.

L'expansion démographique accélérée, le besoin de terres agricoles et de mauvaises méthodes de culture ont concouru à la dégradation des forêts, qui, dans le nord, l'ouest et l'est du pays, ont été transformées en vastes zones de friche. Dans les régions atlantique et amazonienne, par ailleurs, des forêts ont été abattues pour l'exportation de bois de feuillus, dans des conditions telles que seules les meilleures parties des quelques centaines d'essences d'arbres coupés, 30 pour cent à peu près, étaient utilisées, le reste étant brûlé sur place.

Aujourd'hui, au Brésil, cette situation est en train de changer. Les effets bénéfiques des forets et la possibilité d'en faire un usage rationnel dans le cadre d'un développement durable, sans conséquences néfastes pour l'environnement, sont désormais reconnus.

Situation actuelle de la foresterie brésilienne

Plusieurs Etats et les instances fédérales imposent de strictes réglementations de coupe pour essayer de conserver ce qu'il reste des forets indigènes du Brésil. Mais il ne leur est pas possible d'arrêter totalement l'abattage pour les besoins des communautés.

En tant que ressources renouvelables, les forêts doivent être exploitées rationnellement: il convient de couper les arbres adultes avant qu'ils ne meurent. Ce type d'aménagement forestier n'a toutefois pas encore été expérimenté de façon concluante. Des recherches son faites sur l'aménagement des forêts indigènes, particulièrement en zone tropicale, mais les résultats tardent à se manifester car les forêts croissent lentement.

Par suite des difficultés de plus en plus graves d'approvisionnement du marché et des hausses de prix du bois qui en résultent, les agriculteurs plantent de préférence, notamment dans les régions tropicales et subtropicales, des essences à croissance rapide, Eucalyptus sp. et Pinus sp., dont les produits sont commercialisables. Ces deux espèces ont pour seul tort d'être inhabituelles, la tradition jusqu'à présent ayant été d'utiliser du bois indigène. Le gouvernement s'efforce d'encourager les plantations de ces forêts à croissance rapide. En 1967, des incitations fiscales ont été instaurées, ce qui a eu pour résultat de porter, en 1986, à 6 252 000 ha la superficie des forêts plantées, pour la plus grande partie, en Eucalyptus et Pinus. Ces incitations ont été supprimées en 1989, encore que certains Etats du Brésil continuent de contribuer au financement des plantations par l'intermédiaire de leurs banques de développement.

Par ignorance des techniques forestières convenant aux régions et aux essences d'arbres concernées, certaines plantations n'ont pas donné de bons résultats. On a alors procédé à la création de centres de recherche et d'écoles forestières. Parallèlement, des entreprises industrielles ont été implantées pour l'exploitation des forêts nouvelles. C'est le cas de Aracruz Florestal.

Consommation et production de bois au Brésil

Au Brésil, les usages principaux du bois, provenant de forets naturelles ou de plantations, sont les suivants:

· Charbon de bois. La production a démarré dans la seconde moitié du XIXe siècle, à partir de forêts naturelles uniquement. En 1987, elle atteignait 34 millions de m3, dont seulement 20 pour cent provenant de plantations.

· Pâte et papier. Entre 1970 et 1987, la production a augmenté de 10,6 pour cent par an, pour atteindre 3,8 millions de tonnes en 1988. Tout le bois utilisé provient de plantations à raison de 67 pour cent de feuillus (eucalyptus) et 33 pour cent de conifères (pin brésilien, pin, etc.).

· Sciages. Les incitations fiscales accordées pour le reboisement ont déjà produit leurs effets: environ 3 millions de m3 de bois sont actuellement commercialisés chaque année à partir des forêts plantées au début de 1967.

· Placages. Le Brésil produit environ 500 000 m3 de contreplaqués par an.

Il existe néanmoins un écart considérable entre le volume de bois produit à partir des forêts plantées et la demande croissante. Cet écart, pendant la période 1987/88 s'élevait à 182 millions de m3.

Il en va de même dans la plupart des pays tropicaux en développement, dont le potentiel de plantations de forêts à usage industriel et à forte productivité est très important. Le climat est en effet favorable, la main-d'œuvre abondante, les semences et la technologie disponibles.

Les usines de pâte à papier n'utilisent pas de bois indigène: leur matière première provient uniquement de forêts plantées en essences améliorées propres à la production de fibre. Les plantations sont effectuées en lignes régulières, permettant une gestion rationnelle dans une perspective de rendement durable. Elles constituent un type de sylviculture à cycle court, encore appelée ligniculture. On les appelle forêts davantage en raison de leur taille que de leur composition.

Le besoin de produire du bois homogène et de bonne qualité pour la fabrication de la pâte conduit les diverses usines à planter leurs propres forêts, et incite les agriculteurs des alentours à se consacrer eux aussi à la ligniculture, et à s'associer à la production de bois.

Aracruz: un exemple brésilien de plantation forestière dans une région tropicale

Aracruz Cellulose est une société privée brésilienne, située dans la commune d'Aracruz, à 65 km de Vitoria, capitale de l'Etat de Espirito Santo. Il s'agit d'un holding intégré, qui comporte plusieurs forêts d'eucalyptus, deux usines de pâte à papier, une usine électrochimique, un port, et une cité résidentielle pour le personnel, où vit une partie des 7 500 employés. Le capital/valeur d'Aracruz Cellulose atteint deux milliards de dollars EU.

Les deux usines de pâte à papier ont une capacité de 1 025 000 tonnes de pâte blanchie par an, dont 80 pour cent sont exportées dans 20 pays environ.

Aracruz Florestal est la société du groupe responsable des activités sylvicoles du projet, qui comprennent la recherche forestière, les plantations, la protection de l'environnement, l'abattage des arbres et le transport du bois aux usines. Au total, Aracruz a amélioré le rendement de la production de pâte en mettant au point des techniques et des méthodes absolument nouvelles.

La société a démarré ses opérations forestières en 1967, dans trois régions côtières au nord de l'Etat d'Espirito Santo, et au sud de l'Etat de Bahia. Les sites choisis se trouvent à une altitude de 100 m, avec des précipitations annuelles de l'ordre de 1 400 mm et une température moyenne de 24 °C. La superficie totale occupée est de 203 226 ha, dont 131 322 ha plantés en eucalyptus et 71 904 ha occupés par les forêts naturelles d'origine et les infrastructures de service.

Au départ, par manque d'expérience et faute de semences améliorées adaptées aux conditions écologiques locales, les accroissements moyens annuels n'ont pas dépassé 28 m3 dans les premières plantations. Acquérir le matériel végétal sélectionné en fonction des conditions locales pour obtenir une productivité supérieure à la seconde génération a constitué un véritable défi.

Pour mener à bien le projet forestier, il était indispensable de lancer un programme de recherche. L'objectif du programme consistait à produire du matériel génétique adapté aux conditions écologiques. En 1971 des génotypes d'eucalyptus de diverses espèces, provenances et lignées ont été importés d'Australie et d'Indonésie. En moyenne, il a fallu 12 ans pour obtenir la première génération de semences supérieures.

Aracruz a établi un centre de recherche et organisé la collecte de semences en Australie et Indonésie. Parallèlement, pour accélérer l'utilisation de bon matériel génétique, des recherches ont été entreprises pour élaborer une méthode de multiplication végétative par clones et boutures.

Grâce à la sélection des arbres pratiquée dans les forêts plantées et aux recherches menées par la société, il a été possible de déterminer les hybrides spontanés le mieux adaptés au milieu, résistants aux parasites et aux maladies, et donnant des rendements supérieurs en volume (45 m3 par hectare et par an) et en pâte (>50 pour cent). Certains hybrides synthétiques (Eucalyptus grandis X E. urophylla) réalisent des accroissements annuels importants (70 m3 par hectare et par an) quand l'interaction entre les clones et le sol est bonne.

Les résultats obtenus au cours de cette phase d'expérimentation clonale ont été probants: productivité compensatoire élevée et bois très homogène. En 1979, la société a donc décidé d'adopter le système clonal de plantation en remplacement des semis.

La récolte des premières plantations clonales, en 1986, confirma les attentes des chercheurs: la consommation de bois à l'usine diminua, de 4,87 m3 à 4,26 m3 par tonne de pâte, permettant de réaliser des gains importants de qualité et de production et d'optimiser l'exploitation de l'équipement industriel. Grâce à l'uniformité et la régularité de la plantation, à la longévité des arbres et à la conformation du tronc net de branches, les gains d'exploitation sur les opérations d'abattage sont évalués à près de 22 pour cent.

Cette recherche de pointe sur l'élaboration et l'adaptation des plantations clonales a valu à Aracruz la reconnaissance internationale, consacrée par l'attribution du prestigieux Prix Marcus Wallenberg en 1984.

La politique d'aménagement forestier durable menée sur le terrain par Aracruz

Le couvert végétal sur les sites choisis par Aracruz pour y installer ses usines de pâte à papier avait déjà été exploité, ce qui imposa d'emblée certaines limites aux activités de la société. Autrefois occupé par une exubérante forêt tropicale, le sol était désormais envahi par des broussailles et de mauvaises herbes et sa faible fertilité naturelle était encore appauvrie.

Pour y remédier, la société mena plusieurs actions visant à obtenir une forte productivité et une bonne qualité de bois pour sa production de cellulose. Dans la perspective principale d'un aménagement durable, ces actions se sont modifiées avec le temps et peuvent être résumées comme suit:

Matériel génétique. Des tests évaluant les interactions du matériel génétique avec les conditions écologiques dominantes dans les sites de la société ont permis de sélectionner les espèces, provenances et génotypes d'eucalyptus les mieux adaptés. Ce processus a l'avantage d'accroître sensiblement la productivité tout en minimisant l'impact de l'introduction d'espèces non locales sur l'environnement.

Conservation du sol

· Les résidus de coupes (feuilles et branches) sont incorporés dans le sol sans incinération préalable et sans brassage excessif de la terre, afin d'éviter les pertes d'éléments nutritifs et de matière organique, et les risques d'érosion.

· Après les coupes, on surveille la fertilité, la production de biomasse et l'exportation des éléments nutritifs. Les données recueillies, ajoutées aux résultats de recherche, permettent de mener des opérations de fertilisation pour éviter la dégradation du sol et conserver ou accroître la productivité de la forêt.

· Les forêts ripicoles sont conservées et enrichies afin de protéger les ressources hydriques et conserver la biodiversité.

Biodiversité

· La végétation naturelle subsistante est conservée, enrichie, et intégrée dans les plantations à raison de 1,0 ha de végétation naturelle pour 2,4 ha d'eucalyptus plantés.

· La conservation des habitats pratiquée sur les sites de la société a permis d'identifier 156 espèces d'oiseaux (dont 25 servent à éliminer les parasites de l'eucalyptus), 36 espèces de mammifères et 3 000 espèces d'insectes.

Lutte contre les parasites. La lutte préventive est basée sur un système informatisé de détection des foyers d'infection, appliqué périodiquement sur toutes les plantations de la société. L'efficacité du système est telle que les interventions s'avèrent nécessaires dans moins de 0,02 pour cent des cas. La plupart du temps l'équilibre se reconstitue naturellement. Si un traitement doit être envisagé, on donne la préférence aux méthodes biologiques.

Abattage

· Lorsque la coupe se fait manuellement, l'outillage a été amélioré.
· Pour la première fois au Brésil, la société va mettre en service des récolteuses pour les travaux d'abattage.

Equipement forestier

· En 1984, Aracruz s'est dotée d'engins de transport routier. En association avec un fabricant de véhicules, la société met actuellement au point un nouveau camion semi-remorque bidirectionnel à trois roues. Cet engin extrêmement stable convient aux terrains accidentés et permet d'accroître la capacité de charge de 19 pour cent.

· Aracruz a mis au point un parc de tracteurs forestiers moderne, rationnel et économique qui facilite les opérations de débardage du bois.

Des recherches et des tests pratiques sont entrepris pour assurer la durabilité de l'aménagement forestier. Aracruz collabore étroitement avec des universités nationales et internationales et des centres de recherche pour se tenir au courant de l'évolution des connaissances scientifiques et des orientations de la recherche.

Recherche. L'état actuel du programme de recherche est le suivant:

Légumineuses. Des tests sont menés sur l'association de légumineuses et de fourrages tropicaux aux plantations d'eucalyptus visant à la conservation de la biodiversité, au traitement des cultures, notamment par l'élimination des mauvaises herbes qui entrent en concurrence avec les arbres, et à la fixation des éléments azotés et organiques. Selon les premiers résultats obtenus, certaines espèces de légumineuses présentent une forte capacité de production de biomasse et une bonne aptitude à inhiber la croissance des mauvaises herbes.

Unités d'aménagement forestier. Ces unités vont utiliser les données provenant des études du sol, de l'observation et de la recherche sur la préparation et la fertilisation des sols, afin de déterminer le type d'aménagement conforme aux conditions écologiques spécifiques. Les facteurs pris en compte sont les suivants:

· matériel génétique
· préparation du site et fertilisation
· lutte contre les mauvaises herbes
· entretien des routes
· conservation du sol des surfaces plantées
· planification de l'environnement

Utilisation des résidus. Des tests sont effectués sur l'utilisation dans les pépinières de l'écorce d'eucalyptus pour la fabrication de compost.

L'écorce d'eucalyptus peut également servir à la restauration des zones dégradées.

On étudie également la possibilité d'utiliser la cendre riche en calcium, magnésium et potassium provenant des cuves auxiliaires comme engrais complémentaire des plantations d'eucalyptus.

Protection de la flore indigène. Aracruz conduit des expériences visant à déterminer le type idéal d'aménagement forestier durable de différentes parcelles de forêts. La société a établi une banque de semences d'espèces arbustives indigènes afin d'identifier celles qui se prêtent à la production d'énergie, de pâte ou de sciages, etc., et de les utiliser pour la recherche, ou, si possible, pour les projets de reboisement.

Conservation de la faune indigène. Des études qualitatives et quantitatives du potentiel bioécologique des terrains exploités par la société sont actuellement menées pour tenter de réintroduire des espèces animales menacées d'extinction ou d'inadaptation aux réserves forestières.

Ces mesures de protection de l'environnement ont permis à la société Aracruz de signer la Charte pour un aménagement industriel durable à Rotterdam, en avril 1991. Ce document, rédigé par la Chambre internationale de commerce sous l'égide des Nations Unies pose 16 critères de protection de l'environnement auxquels doivent satisfaire les industries concernées. Aracruz, première société brésilienne à adhérer à cette Charte, déjà consignée par 150 entreprises, fait ainsi office de pionnière dans son pays.

Il convient de noter qu'Aracruz avait déjà souscrit à de nombreuses exigences de la Charte avant même d'y adhérer, et devrait remplir très rapidement les critères restants.

Conclusions et recommandations

· Cette étude décrit la réussite d'une entreprise forestière dans une région tropicale, fondée sur l'exploitation d'une plantation d'eucalyptus destinée à alimenter une unité de pâte blanchie d'une capacité annuelle de 1 025 000 tonnes.

· Les zones tropicales et subtropicales se prêtent facilement à la plantation de forêts d'eucalyptus à croissance rapide, produisant du bois de bonne qualité à des coûts compétitifs. Les ressources de terre et de main-d'œuvre existent dans ces régions. Les instances gouvernementales devraient prendre conscience de ces conditions favorables et élaborer une politique forestière réaliste prévoyant, entre autres, des incitations au reboisement.

· Les politiques d'échange de technologies existantes ou en développement, et leur adaptation aux conditions locales, ont créé une formidable synergie de techniciens, au bénéfice des coûts. C'est ce qu'a prouvé le cas d'Aracruz et son réseau de relations avec des spécialistes forestiers d'entreprises publiques et privées du monde entier.

· Les progrès technologiques en matière de reboisement dans les pays tropicaux et subtropicaux fournissent des occasions de mettre en place de nouveaux projets en les adaptant aux conditions spécifiques de chacun.

· II est indispensable de respecter l'environnement, de le protéger et de le restaurer.

· On ne peut mener à bien un programme de reboisement que si l'on se dote du matériel génétique approprié. La croissance du matériel sélectionné doit être quantifiée dans chaque région.

· Les forêts peuvent servir de puits à carbone et épurer l'atmosphère du CO2 qui s'y trouve en excès. Les plantations d'arbres cumulent l'avantage d'être écologiquement viables, économiquement rentables et socialement acceptables.

BIBLIOGRAPHIE

Burley, J. et Ikemori, Y.K. 1988. Tropical forest production: the impact of clonal propagation technology. In Towards and agro-industrial future; an international symposium exchanging experience between countries, p. 169-180. Londres.

Campinhos Jr, E. 1986. Forest productivity in the tropics: Aracruz experience. Rio de Janeiro, Brésil, ESPRA, 3 p.

Campinhos Jr, E. 199 la. Plantation d'espèces à croissance rapide en zones tropicales. In Actes 10e Congrès forestier mondial, vol. 5, p. 111-120. Nancy, France, ENGREF.

Campinhos Jr, E. 1991b. Some aspects about forest tree plantation in developing countries. In Issue dialogue on tree plantations: benefits and drawbacks. Genève, Centre for Applied Studies in International Negotiations. (sous presse)

Campinhos Jr, E. et Silva Jr, E.C. 1990. Development of the eucalyptus tree of future. Seville, Espagne, ESPRA, 22 p.

FAO. 1991a. Global overview of status and trends of world's forests. Rome.

FAO. 1991b. Plantation wood in world trade. Rome. 22 p.

FAO, Département des forêts. 1986. Plan d'action forestier de la FAO dans les tropiques. Unasylva, 38(152): 37-64.

Jésus, R.M. 1990. The need for reforestation; environmental protection agency. In Proc. Workshop on Large-Scale Reforestation. Corvallis, Forest Research Laboratory, Oregon State University.

Pacheco, M.R.P.S. et Helene, M.E.M. 1990. Atmosfera, fluxos de carbono e fertilizacao por CO2 USP. Estudos Avancados, 4(9): 204-220.

Poyry, J. 1990. The forest industry - threshold to the 21st century; technical advances and scientific challenges. In Proc. World Congress of IUFRO, Montréal, Canada.


Page précédente Début de page Page suivante