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Les «nouveaux aliments»: récents développements juridiques

J.-P. Chiaradia-Bousquet

Juriste (Service droit et développement, Bureau juridique), Jean-Pierre Chiaradia-Bousquet est entré au service de l'Organisation en 1985. Docteur d'université en droit et ancien élève de l'Institut d'études politiques de Paris, il est responsable de la législation relative aux plantes, animaux et denrées alimentaires.


Les impératifs du contrôle demeurent
Qu'en est-il au regard du droit positif?
Une voie possible... parmi d'autres

En octobre 1990, s'est tenu à Luxembourg le VIIIe Congrès de l'Association européenne pour le droit de l'alimentation (AEDA/EFLA). Le thème du congrès était «Les nouveaux aliments» ou «novel food». Diverses communications ont permis de dégager les principes généraux qui apparaissent dans certaines législations en vigueur et dans un projet de directive de la Communauté économique européenne.

L'évolution rapide que connaissent actuellement les domaines de l'alimentation, de la nutrition et de la protection de la santé est une des conséquences de la mise au point, ou du perfectionnement, et de l'application de procédés technologiques et biotechnologiques faisant appel à une certaine innovation. Ces «nouvelles recettes» entraînent l'apparition et l'utilisation médiatique de qualificatifs de type générique comme «nouveauté», avec l'intention fondamentale de mettre en relief le caractère d'originalité, de création récente et de première apparition, ou de premier usage, d'une matière, d'un produit, d'une substance, d'un ingrédient rentrant dans la composition d'un aliment.

Dès lors, quelles règles, c'est-à-dire quel type de contrôle pour ces nouveaux aliments? Le souci des parties en présence (consommateurs, industrie alimentaire, autorité publique) semble conduire à une analyse différente de l'approche juridique (législative et réglementaire) classique. C'est essentiellement le cas pour le Royaume-Uni, la France, la République fédérale d'Allemagne et les Etats-Unis, les autorités communautaires préparant quant a elles un règlement spécifique.

Les impératifs du contrôle demeurent

C'est dans le souci de garantir un approvisionnement satisfaisant que le législateur a classifié les denrées alimentaires et prescrit des modalités d'autorisation de vente. En outre, les substances ajoutées aux aliments dans un but technologique et obtenues par modifications de denrées alimentaires par voie chimique/biochimique ou par le fractionnement dirigé ont été répertoriées et soumises a l'application de règles très détaillées.

L'industrie alimentaire reconnaît que ce contrôle entrepris par les autorités publiques est utile et souhaitable, mais qu'il a conduit à une réglementation trop stricte: elle perçoit ces structures rigides comme une entrave à son développement continuel et harmonieux.

La question essentielle qui apparaît lors de l'élaboration des nouveaux produits est de savoir quel est leur statut juridique/réglementaire: s'agit-il de denrées alimentaires ou d'additifs? Dans le cas des nouveaux aliments, l'établissement, des dossiers d'autorisation ne va-t-il pas être inadapté aux conditions particulières?

Le climat de méfiance qui règne vis-à-vis de la technologie moderne dans le secteur alimentaire rend particulièrement important le contrôle de l'autorité publique.

Le contrôle administratif des technologies actuelles -quels que soient la matière traitée ou le but recherché -tend vers deux objectifs essentiels: innocuité et valeur nutritive.

· Le nouvel aliment et les traitements utilisés doivent être sûrs (et perçus comme tels) pour la consommation humaine et pour l'environnement. Cette «perception de la sécurité» ne pourra être effective que s'il existe un organisme scientifique indépendant ayant pour mission d'examiner les matières et les traitements; l'existence de cet organisme et ses délibérations devraient être largement connues du public.

· Un aliment peut être parfaitement sûr mais avoir peu de valeur nutritive; les règles de l'étiquetage ne compensent pas cette déficience fondamentale.

Qu'en est-il au regard du droit positif?

Les actes législatifs et les dispositions réglementaires qui régissent le domaine de l'«alimentaire» au Royaume-Uni, en France, en République fédérale d'Allemagne et aux Etats-Unis apportent certains enseignements sur la manière de résoudre ces impératifs techniques et sociologiques.

· Le British Food Act, 1984, ne comporte pas de définition spécifique du «novel food» et ne prévoit pas réglementation particulière aux produits nouveaux. Les problèmes inhérents aux «novel food» se réduisent à des questions d'étiquetage informatif satisfaisant. Le British Food Safety Act, 1990, définit en tant que «novel food» toute denrée alimentaire qui n'a pas été employée dans l'alimentation humaine en Grande-Bretagne, ou qui y a été consommée de manière très limitée. Aucune disposition n'a encore été prise pour les produits nouveaux, mais la loi édicté le principe d'autorisations appropriées.

· La loi française du 1er août 1905 sur la répression des fraudes, toujours en vigueur, ne donne pas de définition. Dès lors, toute substance consommée à des fins nutritives est, ici encore, un aliment. Tous les produits dont il est fait usage d'une manière normale ou raisonnable doivent faire preuve du niveau de sécurité qu'il est légitime d'attendre. Des évaluations de sécurité peuvent être exigées avant la mise sur le marché. Dans les règlements sanitaires départementaux, on trouve une définition très complexe des aliments non traditionnels (produits nouveaux) qui, en général, couvre les produits profondément transformés ou qui ne sont pas obtenus habituellement par des procédés alimentaires. La production, la détention et la commercialisation de tels aliments sont soumises à des examens préalables à leur mise sur le marché.

· En République fédérale d'Allemagne, l'aliment est défini par la loi comme toute substance qui, selon l'opinion généralement acceptée, est consommée en tant qu'aliment. La signification de l'expression «opinion généralement acceptée» est pour le moins ambiguë et contestée par la doctrine juridique. Conformément à cette doctrine que l'on pourrait qualifier de «doctrine du statu quo», les produits nouveaux ne semblent donc pas être des aliments, et devraient être considérés comme des «additifs»: ils ne pourraient donc être commercialisés qu'après approbation, conformément à la procédure d'autorisation relative aux additifs. Un autre courant d'idée définit «l'opinion généralement acceptée» comme celle qu'adopterait un homme raisonnable qui garderait a l'esprit la nécessité d'un progrès salubre dans le domaine de la nutrition et de la technologie alimentaire.

· Aux Etats-Unis, l'U.S. Federal Food, Drug and Cosmetic Act, 1938, ne comporte pas non plus de définition précise de l'aliment. Aucune distinction n'est faite entre les produits nouveaux et les produits classiques ou traditionnels. Un étiquetage informatif est nécessaire et suffisant.

II apparaît donc que les produits nouveaux ne constituent pas une priorité dans le droit de l'alimentation des pays étudiés, les rares réglementations nouvelles étant incomplètes.

Une voie possible... parmi d'autres

La récente proposition de règlement de la CEE sur les nouveaux aliments semble adopter une définition large et des procédures d'évaluation souples. Bien que beaucoup d'efforts scientifiques soient consacrés au développement de protocoles d'évaluation en Europe, aux Etats-Unis, au Japon et ailleurs, il est clair que les nouveaux aliments devront être évalués, dans un premier temps, au cas par cas et en tenant compte d'objectifs économiques larges. L'expérience devrait permettre aux scientifiques et aux administrateurs d'établir des critères objectifs; la réglementation devrait être suffisamment souple pour laisser place à l'adaptation des procédures d'évaluation aux progrès scientifiques.

La technologie alimentaire permet maintenant l'élaboration d'aliments ou d'ingrédients d'aliments qu'il était difficile ou impossible d'obtenir par les techniques classiques. Ces produits nouveaux sont obtenus au moyen d'une variété de procédés, tels que changements structurels par voie de techniques classiques ou enzymatiques, la sélection de nouveaux organismes alimentaires ou la modification d'aliments reconnus par le biais de la biotechnologie. II serait illogique de ne pas établir des procédures d'évaluation spécifiques à ces produits nouveaux.

A cet égard, deux difficultés doivent cependant être surmontées. Quelle définition donner à «produit nouveau»? Quels critères utiliser pour l'évaluation? Les réponses a ces questions sont en outre sous-tendues par l'objectif du législateur: prendre toutes les dispositions appropriées à la protection du public et encourager l'utilisation de la science et de la technologie pour améliorer l'approvisionnement. Mais, a contrario, le concept généralement accepté de «dé-réglementation» conduit obligatoirement à un allégement des procédures et confie un rôle fondamental à l'autorégulation des producteurs.

En outre, il apparaît que le développement de ces nouvelles techniques risque d'avoir des répercussions négatives sur les économies fragiles de certains pays en développement: les producteurs d'essences rares, de produits de base utilisés dans la confection de denrées alimentaires de prix risquent de perdre un marché source de devises (les vanilles de synthèse n'ont-elles pas réduit à néant les productions de vanilles tropicales?


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