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Les nouvelles stratégies d'intervention zoosanitaire dans les pays en développement


Grandes lignes des nouvelles stratégies d'intervention zoosanitaire
Résultats de ces nouvelles stratégies


Y. Cheneau

Le docteur Yves Cheneau est Chef du Service de la santé animale, Division de la production et de la santé animales, FAO.

Au début des années 80, l'évaluation de nombreux projets a clairement démontré que l'approche des problèmes du développement au cours des deux précédentes décennies n'avait pas conduit aux résultats que l'on était en droit d'espérer. L'effort des donateurs bilatéraux ou multilatéraux avait même parfois engendré une attitude passive chez les bénéficiaires: les responsabilités - en particulier financières, à travers les budgets - avaient été littéralement transférées au bon vouloir des aides extérieures. Il n'était pas rare d'observer que seuls les salaires des fonctionnaires du gouvernement étaient pris en charge par l'Etat; les investissements et le fonctionnement n'étaient assurés que lorsque des projets financés par l'extérieur pouvaient être exécutés. Dans ces conditions, la continuité et la viabilité de ces projets, une fois l'apport extérieur terminé, devenaient aléatoires et parfois pénalisantes pour le pays qui se retrouvait avec des charges récurrentes supplémentaires.

Ce constat négatif a conduit la plupart des donateurs, et en particulier la Communauté économique européenne (CEE), la Banque mondiale et la FAO, à définir de nouvelles approches et stratégies pour leurs interventions, notamment dans le secteur des productions animales dans les pays en développement.

Ces changements de politique peuvent être illustrés dans le domaine de la santé animale en Afrique en comparant la mise en œuvre de deux programmes de lutte contre la peste bovine entrepris à 25 ans d'intervalle: le Programme conjoint n° 15 (ou PC 15) et la Campagne panafricaine contre la peste bovine (PARC, initiales de Pan African Rinderpest Campaign).

La première tentative de lutte contre la peste bovine en Afrique a débuté dans les années 60, sous les auspices du Bureau interafricain pour les ressources animales de l'Organisation de l'unité africaine (OUA/IBAR). Cette campagne globale, connue sous le nom de Programme conjoint n° 15, a commencé en 1962 dans les pays limitrophes du lac Tchad, grâce à l'assistance technique et financière multilatérale; elle a couvert 22 pays en 14 ans (1962-1976), vacciné plus de 120 millions de têtes de bétail, pour un coût de 51 millions de dollars financé par l'extérieur. Le résultat de la campagne fut une réduction sensible de l'incidence de la peste bovine; cependant, elle ne réussit pas à éradiquer la maladie: des foyers résiduels ne furent pas éliminés en Afrique occidentale (Mali) et en Afrique orientale (Ethiopie). La situation s'aggrava du fait que les mesures conservatoires - en particulier la vaccination annuelle du croît du troupeau - ne furent pas partout poursuivies.

Entre 1978 et 1982, le virus envahit à nouveau l'Afrique subsaharienne et, en 1978/79, la peste bovine resurgit en Afrique de l'Ouest (Mali, Mauritanie, Sénégal), tandis qu'en 1980 la maladie s'étendit à travers l'Afrique de l'Est; elle resta enzootique dans certaines régions d'Ethiopie, du Soudan, de l'Ouganda. Un foyer de peste bovine d'origine indéterminée éclata chez les buffles de Tanzanie au début de 1982, et s'étendit au bétail domestique de la région.

L'incidence de la peste en Afrique atteignit son apogée en 1983, des milliers de foyers affectant des millions de bovins au Soudan, au Tchad, en République centrafricaine, au Cameroun, au Nigéria, mais aussi au Burkina Faso, au Niger, au Bénin ainsi qu'en Egypte. Des dizaines de milliers de buffles sauvages périrent au cours de cette enzootie dans les réserves de faune de l'Afrique.

En 1984, la maladie sévit encore au Soudan, en Ethiopie en Ouganda, en Tanzanie, au Niger, au Nigéria, en République centrafricaine, au Cameroun, au Burkina Faso, au Bénin, au Mali et en Mauritanie. En 1985 et 1986 apparurent également des foyers sporadiques en Egypte, au Ghana, en Côte d'Ivoire au Togo. La plupart d'entre eux furent causés par les mouvements du bétail de commerce ou nomade, ce qui démontre que de nombreux troupeaux n'avaient pas été vaccinés. Entre 1979 et 1988, 18 pays furent infectés de peste bovine.

La première réunion où fut discutée la Campagne panafricaine contre la peste bovine se tint à Nairobi en novembre 1981, sous les auspices de la FAO, de l'OIE (Office international des épizooties) et de l'OUA, avec la participation essentielle de la CEE.

Quelles sont les principales différences entre le PC 15 et la PARC, que l'on peut considérer aujourd'hui comme un modèle des nouvelles stratégies d'intervention zoosanitaire dans les pays en développement?

Le PC 15 se déroula en cinq phases coordonnées au niveau régional entre 1972 et 1976. On n'utilisa que des vaccins antipestiques, la lutte contre aucune autre maladie n'étant envisagée. La PARC se caractérisa par une approche par pays; cinq pays infectés (Mali, Burkina Faso, Nigéria, Soudan et Ethiopie) furent considérés au titre des «actions immédiates», tandis que cinq banques de vaccins antipestiques et un fonds d'urgence furent créés de manière à intervenir très vite dans les pays menacés. La coordination fut réalisée au niveau continental, et installée dans les murs du Bureau interafricain des ressources animales de l'Organisation de l'unité africaine à Nairobi. Une coordination régionale pour l'Afrique de l'Ouest et du centre fut délocalisée à Bamako (Mali). Comme la lutte contre la péripneumonie contagieuse bovine était incluse dans le programme, des vaccins mixtes (ou la vaccination simultanée) furent utilisés.

L'objectif ultime de la PARC est d'éradiquer le virus pestique du continent africain, alors qu'il ne s'agissait, entre 1962 et 1975, que de contrôler la peste bovine et de réduire au minimum son incidence. De même, le développement des techniques ELISA a permis à la PARC d'inaugurer un suivi sérologique généralisé dans tous les pays, tandis que l'utilisation de la séroneutralisation en culture cellulaire, beaucoup plus lourde et coûteuse, n'avait permis d'instituer un contrôle sérologique que de manière isolée dans certains pays au cours du PC 15.

D'autres différences peuvent être identifiées:

· exécution par les cadres nationaux des campagnes de vaccination de la PARC, alors qu'un quart de siècle plus tôt on avait eu massivement recours à l'assistance technique;

· utilisation des moyens de communication de masse (télévision, radio, affiches, etc.) par la PARC, médias encore peu disponibles à l'époque du PC 15;

· recherches d'accompagnement de la PARC en matière de thermostabilité des vaccins, d'immunosuppression et d'épidémiologie;

· institutionnalisation du contrôle de la qualité des vaccins antipestiques.

Toutefois, le caractère le plus original et le plus significatif du changement de stratégie de la PARC est sans nul doute l'instauration d'un dialogue entre les bailleurs de fonds, les pays bénéficiaires et leur organisation continentale, l'OUA, de même que la mise en œuvre ultérieure de réformes des politiques de développement. Les concepteurs de la PARC ont tenté d'analyser les raisons de l'échec du PC 15; si le Programme conjoint pouvait être considéré comme un succès technique, il n'empêche que la peste bovine avait de nouveau envahi le continent, fût-ce même à partir de deux foyers limités.

L'aide extérieure massive apportée par le PC 15 a contribué à démotiver les gouvernements dans le secteur de l'élevage et à concentrer leurs maigres moyens disponibles vers d'autres activités. Il en est résulté une faiblesse croissante des services vétérinaires qui ont vu fondre leurs budgets et leurs moyens matériels et humains, tout cela dans une situation de sécheresse et de récession prolongées. La résurgence de la plus meurtrière des maladies contagieuses du bétail en fut le corollaire naturel et spectaculaire.

Il fallait donc réagir. C'est ce qu'ont proposé les principaux donateurs (CEE, Banque mondiale, aides européennes bilatérales); c'est ce qui a été compris et accepté par l'OUA et la plupart des pays bénéficiaires. La Communauté européenne a, sans conteste, été le principal promoteur du changement d'approche stratégique et politique.

L'objectif, outre le contrôle et l'éradication ultérieure de la peste bovine, était d'assurer aux services vétérinaires (ou de l'élevage) un financement plus important, plus régulier, plus autonome, leur permettant de poursuivre à l'avenir l'exécution du programme contre la peste et la péripneumonie contagieuse bovines, mais aussi de toute autre action relevant de leur mandat.

Evolution des foyers de peste bovine dans les 30 pays concernés par la Campagne panafricaine contre la peste bovine (PARC), 1978-1991 - Evolution of rinderpest outbreaks in the 30 countries participating in the Pan-African Rinderpest Campaign (PARC), 1978-1991 - Evolución de los brotes de peste bovina en los 30 países participantes en la Campaña contra la peste bovina (PARC), 1978-1991

Grandes lignes des nouvelles stratégies d'intervention zoosanitaire

Rééquilibrage du budget des services de l'élevage

Le budget alloué aux services de l'élevage est rééquilibré par la diminution des charges salariales:

· arrêt du recrutement automatique par la fonction publique de tous les étudiants et élèves sortant des écoles vétérinaires, facultés ou centres de formation;

· incitation au départ à la retraite et à l'installation dans le secteur privé;

· recrutements exceptionnels, après concours sélectif, pour le renouvellement des postes indispensables;

· redéfinition du rôle et des fonctions des services gouvernementaux: abandon de certaines tâches (traitements curatifs, clinique, certaines vaccinations, etc.) au profit du secteur privé; renforcement des fonctions officielles (contrôle des épizooties, planification, inspection des denrées, contrôle des mouvements du bétail, des importations et exportations).

Augmentation des ressources des services gouvernementaux

· redéfinition des priorités budgétaires en fonction de l'importance du sous-secteur de l'élevage dans l'économie;

· création de «fonds nationaux de développement de l'élevage», alimentés par le paiement des prestations de service, ou par des taxes prélevées à l'importation ou à l'exportation des animaux ou des produits d'origine animale, ou par diverses contributions (des donateurs, des communes, des associations et coopératives d'éleveurs).

Recouvrement des coûts

· pour les actes et interventions des services officiels;
· pour les médicaments et intrants vétérinaires;
· pour les vaccinations non obligatoires et, dans certains cas, les vaccinations obligatoires (dont la peste bovine). Les subventions directes ou indirectes ont été progressivement supprimées.

Réorganisation de l'importation et de la distribution des produits vétérinaires

Pour réorganiser l'importation et la distribution des produits, matériels et médicaments vétérinaires, plusieurs solutions sont possibles:

· suppression de tout monopole à l'importation;

· financement et réorganisation des pharmacies nationales ou parapubliques, et orientation vers une gestion commerciale. (Un pourcentage des marges bénéficiaires perçues sur les ventes peut être ristourné aux services vétérinaires.)

· privatisation partielle ou totale des pharmacies nationales ou parapubliques; création de sociétés d'économie mixte, avec appel au capital privé;

· démantèlement et/ou vente des structures publiques et soutien à la création d'entités purement privées, par des prêts à des taux commerciaux ou bonifiés. La distribution privée peut inclure, selon les médicaments, des filières non professionnelles. L'ultime maillon du réseau peut être constitué par des auxiliaires de santé animale de base, rémunérés par la marge de bénéfice réalisée sur la vente des intrants distribués aux éleveurs;

· renforcement de la capacité des services étatiques dans le contrôle de la qualité des produits, médicaments et vaccins vétérinaires importés ou fabriqués sur place (autorisations de mise sur le marché), et répression des fraudes.

Privatisation de la médecine vétérinaire

La redéfinition du rôle et des fonctions des services gouvernementaux a conduit à considérer que plusieurs tâches peuvent être remplies par des opérateurs privés, notamment soins curatifs, clinique, vaccinations.

La privatisation ne peut réussir que si un environnement économique favorable est créé; l'Etat doit inciter et favoriser le mouvement (retraites anticipées, fiscalité favorable, etc.), mais doit surtout éviter une compétition inégale entre les vétérinaires privés qui s'installent et les services officiels existant au niveau local. L'Etat doit accepter de fermer ses cliniques vétérinaires et interdire l'exercice privé de la médecine vétérinaire aux fonctionnaires en activité dans les zones où les vétérinaires privés tentent de s'installer.

La privatisation peut avoir lieu à deux niveaux:

· au niveau des professionnels: jeunes diplômés, actifs quittant la fonction publique, retraités. Les groupements professionnels (ordres, syndicats, associations) peuvent jouer un grand rôle dans l'organisation de la médecine vétérinaire privée, entre autres dans la sélection des candidats aux prêts d'installation, la défense des intérêts de la profession, la formation à la gestion;

· au niveau des auxiliaires de santé animale de base, issus des communautés d'éleveurs, pastorales ou villageoises, organisées en associations. Formés à des gestes simples au cours de stages brefs mais répétés conduits dans leur environnement, les auxiliaires peuvent être encadrés par le service vétérinaire officiel ou liés à des praticiens privés selon des modalités diverses. Ils accomplissent des soins curatifs simples, participent aux campagnes de vaccination, informent sur les cas de maladie, etc.

La modification des législations nationales est entreprise, quand et où c'est nécessaire, afin d'autoriser la privatisation et la rendre viable.

Contrôle des risques de désertification

Dernière différence avec le PC 15, la PARC, lors de la préparation aussi bien que dans la mise en œuvre, doit tenir compte des facteurs de risque de désertification. C'est ainsi que des composantes de projet peuvent être financées dans le but, par exemple, de restaurer les équilibres écologiques, gérer l'espace pastoral et les ressources en eau, faciliter la commercialisation.

Résultats de ces nouvelles stratégies

Tout d'abord, sur le plan de la peste bovine, le nombre de pays infectés a chuté de manière spectaculaire: elle n'est plus enzootique qu'en Ethiopie et au Soudan. La couverture immunitaire a été partout portée très haut, et plus aucun foyer n'est signalé en Afrique de l'Ouest et centrale depuis la mi-1988. Les conflits internes dans les pays d'enzootie interdisent la mise en œuvre de programmes de vaccination structurés. Il est donc nécessaire de contenir ces foyers en établissant un tampon vaccinal solide dans les régions et pays voisins. C'est ce que réalise la PARC à l'heure actuelle.

Sur le plan des réformes des politiques de développement du secteur, rien ne sera plus comme avant la PARC. Les concepts sont maintenant acceptés partout, et leur mise en œuvre est plus ou moins avancée selon les pays. Il n'existe plus aucun pays africain où les médicaments sont donnés gratuitement aux éleveurs. De nombreux vétérinaires privés s'installent un peu partout. Il est plus difficile de rétablir les finances des services officiels, à travers les fonds nationaux de développement de l'élevage, en cette période de crise financière dans la plupart des pays du continent africain. Cependant, certains exemples montrent que c'est possible, et il faut donc continuer à soutenir cet effort.

Cette approche est-elle valable pour d'autres continents? Certainement, et la façon dont est abordée la lutte contre la peste bovine dans le sous-continent indien le prouve. Sous le titre global de «Campagne contre la peste bovine dans le sud de l'Asie», la Commission des Communautés européennes finance un projet intitulé «Renforcement des services vétérinaires pour le contrôle des maladies du bétail aux Indes». Cette approche est d'ores et déjà étendue à d'autres pays de la sous-région (Bhoutan, Népal) où la CEE se propose d'intervenir.

Cette approche est-elle valable pour d'autres maladies que la peste bovine? Certainement! A titre d'illustration, on peut considérer que l'éradication de la fièvre aphteuse en Europe n'a été possible que lorsque les services vétérinaires européens ont été partout hissés à un niveau de technicité suffisant.

Dans le domaine des programmes de la FAO, la recherche de la viabilité des projets à travers la mise en application de réformes structurelles et institutionnelles est aussi d'actualité; les approches participatives des projets de lutte contre la trypanosomiase animale africaine et son vecteur, la mouche tsé-tsé, en constituent une preuve supplémentaire; il en est de même des projets de lutte contre les tiques et les maladies transmises par ces vecteurs: leur succès dépendra de la qualité et de l'efficacité des structures et des politiques suivies, et en particulier de la réussite du recouvrement des coûts.


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