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CHAPITRE 1 (contd.)

1.5 Politiques technologiques et autres visant à réduire au minimum les compromis nécessaires entre le développement agricole et l'environnement

Les technologies d'aujourd'hui et celles qui pourront exister demain offrent les moyens de répondre totalement ou en partie aux pressions accrues exercées par l'agriculture sur l'environnement. La recherche des possibilités de réponse requiert de passer des solutions « matérielles » qui exigent de gros apports de capital fixe et variable, telles que la construction mécanique de terrasses ou l'application de pesticides, à des solutions plus sophistiquées qui reposent sur des pratiques de gestion des ressources à forte intensité d'information et de connaissances, et qui permettent à la fois de réduire les coûts en dehors de l'exploitation et les pressions sur l'environnement. Cela ne veut pas dire qu'une nouvelle approche technologique suffise à elle seule. Beaucoup dépendra des politiques et des mesures institutionnelles qui seront appliquées pour fournir aux agriculteurs, aux utilisateurs de la forêt et aux pêcheurs les incitations nécessaires pour adopter des technologies et des pratiques de gestion des ressources qui soient durables. Les mesures institutionnelles comprendront l'établissement de droits bien définis de propriété ou d'utilisation des ressources publiques et privées ainsi qu'une participation accrue des populations et une gestion décentralisée des ressources.

On notera dès le départ que le débat général concernant les avantages pour l'agriculture des voies de développement technologique à faible ou haut niveau d'intrants externes est à peu près clos et que l'on s'accorde de plus en plus à penser que ni l'une ni l'autre de ces deux approches n'apporte de réponse complète. Ce qu'il faut c'est une intégration équilibrée des deux systèmes. Ainsi, l'utilisation des engrais minéraux continuera de progresser mais ceux-ci ne peuvent, dans de nombreux cas, fournir tous les éléments nécessaires au maintien de la fertilité du sol et ils doivent être associés à une fumure organique et à d'autres intrants biologiques dans le cadre d'un système intégré de nutrition des plantes.

De façon plus générale, la mesure dans laquelle les pays suivront des pratiques plus favorables à l'environnement dépendra de leur situation socio-économique et de l'état de leurs ressources naturelles. Les pays développés se trouvent mieux placés pour le faire et s'engagent d'ailleurs dans cette direction. En revanche, les pays en développement ont beaucoup plus besoin d'améliorer la gestion de leurs ressources agricoles parce que leurs moyens d'existence en dépendent de façon cruciale. Mais, parallèlement, ils ont davantage besoin que les pays développés d'accroître leur production en intensifiant leur exploitation et ont beaucoup moins accès aux technologies et aux ressources que nécessite une production plus viable. Cela dit, la marge d'amélioration et les possibilités de réduire au minimum les compromis entre un accroissement de la production et le respect de l'environnement sont grandes, même dans ces conditions défavorables. Ce qui importe, c'est que les politiques tiennent compte du fait que pour nombre d'agriculteurs la première priorité est la sécurité alimentaire du ménage et le bien-être de la famille. Ainsi, les efforts doivent porter principalement sur des mesures qui améliorent la sécurité alimentaire des ménages et soient rentables à des échéances qui répondent à la diversité des situations des agriculteurs ou de la perception qu'ils ont des risques.

On reconnaît aujourd'hui que l'étroite dépendance passée du développement agricole des pays en développement à l'égard du transfert des technologies et des méthodes de gestion des pays développés a contribué à accroître la production et la productivité, mais qu'elle a eu certains effets indésirables, tels que dissuasion des cultures mixtes et des méthodes de labour minimales, prédominance des engrais minéraux, accent mis sur les approches techniques plutôt que biologiques de la stabilisation des sols, négligence des zones et cultures semi-arides, etc. Les mesures correctives exigeraient de modifier les priorités des recherches nationales et internationales et de les consacrer en particulier aux technologies qui ne présentent pas trop de risques et sont rapidement rentables. Les efforts déployés pour tirer parti des connaissances techniques indigènes sont prometteurs, mais il n'est pas certain qu'ils suffiront à eux seuls.

Parmi les moyens permettant de limiter la dégradation des terres et des eaux, l'adoption plus large des techniques connues de conservation des sols exigeant peu de capital extérieur pourrait aider à augmenter ou à stabiliser les rendements durant la première moitié de la période considérée. Les zones arides d'Afrique subsaharienne et d'Asie pourraient tirer profit de ces techniques, tout comme les terres en pente des tropiques humides. De même, les efforts déployés pour venir à bout du problème de la salinisation pourraient tirer profit d'une intégration des mesures correctives habituelles (drainage, revêtement des canaux) et d'une approche plus globale de la gestion de l'eau comme, par exemple, l'utilisation conjointe des eaux de surface et des eaux souterraines et l'utilisation en parallèle des réseaux de canaux et des puits. D'une façon plus générale, la réponse aux pénuries croissantes d'eau dépendant de plus en plus d'un accroissement de l'efficacité d'utilisation de cette ressource, elle exigera certaines révisions radicales des politiques d'établissement des prix de l'eau et des changements institutionnels.

L'adoption plus large de la nutrition intégrée des plantes, la poursuite de son développement et une meilleure utilisation des intrants constitueront la principale réponse technologique aux besoins croissants d'éléments nutritifs qu'implique une augmentation de la production, tout en réduisant au minimum les effets négatifs sur l'environnement. De même, la protection intégrée des cultures sera la pierre angulaire des efforts dans le domaine de la protection des végétaux, priorité étant donnée aux cultures qui représentent l'essentiel de l'utilisation des pesticides: coton, maïs, soja, fruits et légumes.

Dans le secteur de l'élevage, beaucoup de moyens technologiques nouveaux devraient permettre de progresser vers des systèmes de production plus viables. Les politiques allant dans ce sens pourraient avoir des effets bien avant 2010. Il s'agirait de compenser l'insuffisance ou la mauvaise qualité des terres par des mesures visant à accroître la production des pâturages et des parcours et à améliorer les systèmes de gestion; d'intégrer plus étroitement la production végétale et animale; d'accroître l'offre et la qualité des aliments complémentaires pour animaux; d'obtenir des améliorations génétiques grâce à la sélection traditionnelle et aux outils biotechniques modernes; et de compléter cette gamme par des mesures de santé animale moins coûteuses et plus efficaces.

La biotechnologie offre tout un éventail d'applications dans la production végétale et animale. Il est probable que certaines auront un impact croissant bien avant 2010, d'autres à plus longue échéance. Parmi les premières, on peut citer la culture de tissulaire de souches de manioc et d'autres racines exemptes de virus et l'introduction de microorganismes qui favorisent la croissance des plantes, comme les mycorrhizes. La deuxième série d'applications concerne les céréales, capables de fixer une partie de l'azote dont elles ont besoin et l'arboriculture transgénique.

La possibilité de progresser vers l'adoption des technologies nécessaires à une agriculture durable dépendra beaucoup d'une intensification des travaux de recherche agricole, en particulier dans les domaines suivants: a) gestion améliorée des systèmes biologiques fondée sur une meilleure compréhension de leurs processus de rétroaction et d'équilibrage; b) meilleure gestion de l'information, ce qui implique la nécessité de disposer de données valables sur les ressources naturelles, l'utilisation des terres et les systèmes agricoles, etc., en vue d'améliorer les capacités de contrôle de l'environnement et c) meilleur gestion du système exploitation-ménage, de manière à parvenir à une meilleure intégration des activités au foyer et au champs ainsi que celles sur l'exploitation et en dehors de celle-ci. Au niveau opérationnel, les travaux de recherche devront viser à promouvoir des augmentations durables de la productivité dans les zones les plus propices à la culture, et porter plus particulièrement sur les environnements marginaux et fragiles dans lesquels il importe d'inverser le processus de dégradation en cours et de stabiliser ou augmenter la production. Ces deux axes de recherche doivent être complétés par deux approches horizontales et hautement complémentaires: d'une part, la remise en état du système écologique et, d'autre part, l'exploitation de la synergie entre les connaissances techniques autochtones et la science moderne. Ces quatre activités doivent s'accompagner d'efforts au niveau international visant à renforcer les systèmes nationaux de recherche agricole, sur le plan aussi bien institutionnel que financier.

Enfin, les échanges agricoles internationaux et les politiques qui influent sur eux peuvent avoir une action sur l'environnement et sur les perspectives de développement durable. Les échanges peuvent modifier l'environnement si la production est transférée de lieux où elle est moins viable à des lieux où elle l'est davantage et vice-versa. Dans la mesure où les échanges contribuent à déplacer la production vers des sites où elle sera plus viable, une augmentation des échanges atténuera en général les pressions exercées au niveau mondial sur les ressources et l'environnement. Ces pressions seront minimums quand tous les pays concernés appliqueront des politiques environnementales qui intègrent les facteurs liés à l'environnement dans les coûts de production et les prix des biens commercialisés. Mais, ces facteurs ne doivent pas être calculés de la même manière dans les pays dont les dotations en ressources et les niveaux de développement sont différents. En particulier, il ne faudrait pas refuser aux pays pauvres la possibilité d'avoir un commerce rentable sous prétexte qu'ils ne satisfont pas aux conditions d'environnement rigoureuses et souvent inappropriées pour eux et qui correspondent aux valeurs de sociétés beaucoup plus opulentes.

1.6 Perspectives du secteur forestier

A l'exception du bois de feu, la consommation par personne des produits de la forêt et de l'industrie forestière continuera d'augmenter, surtout dans les pays en développement, la progression étant la plus forte pour les panneaux à base de bois et le papier. Les pays développés dans leur ensemble ne devraient pas avoir de difficulté majeure à accroître de façon viable leur production de bois dans des proportions aussi élevées que nécessaire pour leur propre consommation et pour l'exportation. Les pays en développement sont pour l'instant largement tributaires de leurs forêts naturelles pour la production de bois nécessaire à leur propre consommation et à l'exportation. Du fait de cette dépendance et de la croissance plus forte de leur demande, il leur sera plus difficile d'accroître leur production de façon viable, à moins d'instaurer des mesures de gestion très améliorées et d'étendre largement les plantations forestières.

Pour les pays en développement, les plus pauvres en particulier, le bois constitue la majeure partie de leurs approvisionnements en énergie. Les pénuries de bois de feu persisteront sans doute et deviendront même plus aiguës car les sources forestières et non forestières accessibles se raréfient par suite de leur surexploitation et de la conversion de terres forestières à d'autres usages. Une grande partie de l'augmentation de la consommation d'énergie des populations qui ont recours au bois de feu sera couverte par des produits de substitution, mais certaines (les urbains pauvres ou les ruraux qui vivent dans des lieux isolés par exemple) ont peu de chances d'avoir facilement accès à ces produits de remplacement. Ils auront plus de difficultés à se procurer ce bois et il leur faudra se contenter de moins d'énergie.

Les pressions exercées sur la forêt pour satisfaire des demandes souvent contradictoires ne peuvent qu'augmenter, surtout dans les pays en développement, et continuer de mettre en péril les fonctions essentielles qu'elle remplit dans le domaine de l'environnement. Le risque le plus grave est celui de la déforestation tropicale. Dans les années 80, elle a continué de progresser au rythme d'environ 15 millions d'hectares par an, soit 0,8 pour cent du total de la superficie forestière tropicale. L'Evaluation FAO des ressources forestières de 1990 indique que la déforestation rayonne à partir des zones peuplées et que, toutes choses égales par ailleurs, plus l'augmentation des densités de population est forte, plus le taux de déforestation est élevé. Elle montre aussi que la déforestation est liée pour une bonne part à l'extension de l'agriculture (conversion déclarée en terres cultivées ou plus souvent extension non déclarée). La collecte du bois de feu est elle aussi un facteur de déforestation. Cela dit, l'abattage en soi, s'il est judicieusement géré, ne conduit pas obligatoirement à une perte définitive de ressources forestières. Il peut cependant nuire à d'autres fonctions écologiques vitales de la forêt comme la biodiversité. En outre, l'ouverture par les opérations d'abattage de périmètres forestiers jusque là inaccessibles, tend à faciliter le peuplement et la conversion des terres à l'agriculture.

Ces constatations semblent confirmer l'opinion courante qui veut qu'existe un lien étroit entre la croissance de la population et la déforestation. Mais il importe, à des fins de politique, de comprendre le mécanisme qui lie ces deux variables. Il n'est pas simple, pour les raisons examinées plus haut touchant au renforcement des pressions exercées sur les ressources agricoles et l'environnement. On observe en particulier que l'aspect le plus important à cet égard de la croissance de la population est la mesure dans laquelle il s'agit d'une augmentation du nombre des personnes vivant de l'agriculture et, plus généralement, des ruraux pauvres. De nombreux pays en développement sont loin d'avoir atteint le stade où s'atténuent les pressions de ce type de croissance de la population. Certains ne se sont même pas encore engagés dans cette voie.

Il faut donc s'attendre dans l'avenir à ce que la déforestation se poursuive. Certaines remarques d'ordre spéculatif sur l'incidence que l'extension de l'agriculture et des établissements humains pourrait avoir sur la déforestation en 2010 figurent dans la section 1.3, où il est indiqué qu'une extension non officielle et désordonnée de l'agriculture peut conduire à un taux plus élevé de conversion des terres et des périmètres forestiers que ne l'exige la croissance projetée de la production végétale. L'extension des pâturages, la production de bois de feu et un abattage non viable peuvent encore aggraver la déforestation. Le problème clef est donc de savoir comment minimiser la perte de ressources forestières pendant cette phase assez longue mais, espère-t-on, passagère jusqu'à ce que les forces naturelles (développement, réduction de la population agricole et de la pauvreté rurale, etc.) qui freineront ou renverseront le processus de déforestation entrent en jeu.

Cette analyse repose sur les prémisses suivantes: a) la déforestation est en grande partie causée par l'extension de l'agriculture et b) elle est étroitement liée à la croissance de la population pauvre et, plus précisement, de la partie de la population dont les moyens d'existence dépendent de l'agriculture. Ces prémisses sont justes, mais n'expliquent pas tout. En particulier, il n'est pas dit que le rythme de dommages occasionnés à la forêt ralentira quand la croissance économique et la régression de la pauvreté, commenceront à s'accélérer. Des indices montrent que ce pourrait être le contraire. Cela s'explique, en partie, par le fait qu'une exploitation plus intensive des ressources forestières et une extension de l'agriculture visant à tirer parti d'opportunités rentables font partie intégrante du processus même d'accélération du développement et de régression de la pauvreté. Dans la pratique, les pays ont tendance à épuiser leur capital naturel dans le but d'accroître leurs revenus selon les mesures classiques, c'est-àdire sans mettre en balance les gains nets de revenus et les pertes de capital naturel. L'autre facteur tient aux capacités limitées qu'ont les pays de formuler et d'appliquer les règles d'une exploitation viable des ressources forestières; parfois, leurs propres politiques sectorielles ou macro-économiques se traduisent en incitations à une exploitation non viable. Ignorer d'autres causes de déforestation, notamment l'interaction complexe entre les activités des pauvres et celles des nantis, peut amener à formuler, comme on l'a vu plus haut, des conclusions erronées quant aux politiques à suivre.

1.7 Limitations croissantes des ressources halieutiques

Les perspectives futures du secteur des pêches sont, comme l'a été son développement dans le passé, largement conditionnées par le caractère sauvage de la ressource et le fait que pour la grande majorité des espèces, les niveaux de production sont par nature limités. Il en découle trois conséquences importantes. Premièrement, audelà de certains niveaux, les investissements additionnels dans l'effort de pêche ne se traduisent pas par des rendements supplémentaires mais souvent par des baisses des prises totales et un gaspillage économique. Une telle augmentation de l'effort de pêche est cependant inévitable lorsque, et c'est là une situation presque universelle, la gestion des pêches est inefficace. Deuxièmement, étant donné l'augmentation de la demande et les disponibilités limitées, les prix réels des produits halieutiques augmentent fatalement, ce qui a des conséquences importantes et dommageables pour les consommateurs à bas revenu, en particulier dans les pays en développement. La troisième conséquence, qui est plus positive, est que la limitation des disponibilités naturelles et les prix élevés ont pour effet de stimuler une augmentation de la production par l'aquaculture, pour les espèces qui le permettent.

La production mondiale de poisson a progressé jusqu'en 1989, année où elle a atteint le niveau record de 100 millions de tonnes pour ensuite redescendre à quelque 97 millions de tonnes les trois années suivantes. La part de la pisciculture dans la production totale a rapidement augmenté et représente aujourd'hui environ 12 pour cent du volume total. Les prises marines représentent environ 80 millions de tonnes. Il est aujourd'hui manifeste que le rendement des pêches maritimes diminue pour des niveaux de capture dépassent environ 80 millions de tonnes.

Les limitations qu'imposent les ressources naturelles à l'augmentation de la production dans le secteur de la pêche signifient qu'il est peu probable que des efforts et des investissements additionnels dans ce secteur augmentent la production; ils risquent au contraire de la faire baisser. Une meilleure gestion et d'autres mesures favorisant les repeuplements pourraient permettre d'accroître la production des pêches de capture (maritimes et continentales) la faisant passer du niveau actuel de 85 millions de tonnes à un volume qui pourrait peut-être se situer entre 90 et 110 millions de tonnes. Cette estimation est conjecturale et sujette à de nombreuses incertitudes. L'aquaculture (maritime et continentale) a un potentiel de croissance plus élevé, mais connaît elle aussi des contraintes (technologie, environnement, maladies). Celles-ci peuvent être réduites, en particulier pour la thalassoculture et la production pourrait sans doute progresser à un rythme supérieur à celui de la pêche et passer, de 12 millions de tonnes à 15 à 20 millions de tonnes d'ici à l'an 2010.

Il s'ensuit que la production totale de poisson de toutes provenances pourrait, en 2010, se situer à un niveau de 10 à 30 pour cent plus haut qu'aujourd'hui. Dans la même période, la population mondiale devrait augmenter de 36 pour cent. Il est donc à prévoir que les disponibilités en poisson par personne diminueront. La consommation des populations pauvres pourrait reculer davantage et se déplacer en partie vers des espèces actuellement utilisées pour fabriquer de la farine de poisson, à mesure que les espèces que les consommateurs à revenu élevé apprécient moins, sont détournées vers leur segment du marché. Ces perspectives d'évolution peuvent avoir de graves conséquences nutritionnelles pour les consommateurs pauvres des pays fortement tributaires des produits de la pêche pour leur ration de protéines, comme le sont de nombreux pays d'Asie et d'Afrique.

Les limitations croissantes de l'offre et la hausse correspondante du prix réel du poisson tendent à stimuler une progression de l'investissement dans l'effort de pêche, créant ainsi un cercle vicieux: l'épuisement des stocks réduit les disponibilités ce qui entraîne de nouvelles augmentations de prix. Ce processus a été favorisé par les fortes subventions accordées à la pêche par les grands pays. Les réformes en cours dans les économies anciennement planifiées d'Europe, font apparaître au grand jour la nonrentabilité d'une large part des activités qu'ils subventionnent. La réduction de leurs flottilles de pêche conduit à un changement structurel notable dans l'industrie mondiale de la pêche.

Ce cercle vicieux peut en partie être brisé par l'instauration de systèmes de droits d'usage exclusif qui donnent aux pêcheurs des intérêts dans la ressource et dans sa rentabilité future. Cependant, et de nombreux gouvernements l'ont constaté, la tâche est difficile. Aux niveaux nationaux, les administrateurs des pêches n'ont généralement pas le pouvoir de prendre de telles décisions. Dans les zones internationales ou celles dans lesquelles divers pays se partagent les stocks (comme l'Atlantique du Nord-Est), les négociateurs ont des difficultés à accepter des mesures de contrôle qui limitent les droits de leurs propres pêcheurs. Mais, à mesure que les problèmes s'aggravent, ces questions sont portées à des niveaux politiques plus élevés et les décisions nécessaires finiront par s'imposer. Plusieurs pays ont déjà pris les mesures de base visant à créer des droits d'usage exclusif et ont abouti à des avantages significatifs. Les systèmes comportent encore de nombreuses imperfections, mais les améliorations apportées fournissent de précieux enseignements pour d'autres pays. Il est donc permis d'espérer que la gestion des pêches finira par s'améliorer. Cela dit, même si les avantages sont notables du point de vue de la réduction du gaspillage biologique et économique, ils ne suffiront pas encore pour surmonter la limitation des disponibilités.

Enfin, il faut que la politique des pêches et les politiques plus générales abordent les problèmes qui pèsent de plus en plus sur la pêche artisanale: conflit avec la pêche industrielle dans les eaux côtières et dégradation de l'environnement côtier. C'est nécessaire à des fins sociales pour donner à la production une base plus durable et pour réduire au minimum les effets négatifs sur l'environnement. Pour ce qui concerne ce dernier point, on observe que la zone côtière reçoit de grandes quantités de polluants: déchets organiques des agglomérations, déchets chimiques des industries, pesticides et herbicides de l'agriculture et sédiments dus au déboisement et à la construction de routes. En outre, les activités conduites dans la zone côtière nuisent aussi à l'environnement, notamment en détruisant les récifs de corail et les mangroves. Les pêcheurs eux-mêmes contribuent à ces dommages en convertissant les mangroves en étangs de thalassoculture pour les crevettes en utilisant des quantités excessives d'aliments et d'antibiotiques pour l'élevage en cage et en recourant à la dynamite, au poison et à d'autres types de techniques qui détruisent les récifs de corail.

1.8 Politiques de l'agriculture et du développement rural dans les pays en développement

Politiques de l'agriculture dans un contexte macro-économique

Il est aujourd'hui couramment admis que les politiques de l'agriculture doivent être considérées comme une composante majeure du contexte politique plus général et en faire partie intégrante. Les premières approches adoptées après la Seconde Guerre mondiale préconisaient au mieux de ne pas trop s'occuper de l'agriculture, d'en tirer des excédents et d'accorder la préférence à une industrialisation souvent fondée sur la substitution des importations. De telles approches se sont souvent révélées contreproductives mais leur influence a longtemps persisté dans plusieurs pays en développement. Il est maintenant tout à fait admis que le rôle de l'agriculture doit être rehaussé dans les stratégies de développement même si d'autres secteurs doivent nécessairement connaître, au cours de ce processus de développement, une croissance beaucoup plus rapide que l'agriculture.

Le principe général qui sous-tend cette étude s'appuie sur les enseignements du passé et les idées actuelles et peut se résumer comme suit:

  1. Contrairement aux idées antérieures évoquées plus haut, il est désormais admis que, dans les pays en développement où l'agriculture a un grand poids dans l'économie et l'emploi, le développement général est entravé lorsque l'agriculture est négligée, privée de ressources ou soumise à une discrimination au moyen de politiques qui nuisent aux incitations à la production; il est également admis que non seulement cette négligence est socialement inacceptable, puisque la majorité de la population pauvre et souvent toute la population est tributaire de l'agriculture, mais qu'elle est aussi économiquement inefficace.

  2. Les agriculteurs et l'agriculture répondent aux incitations et nombre de succès et échecs dans le progrès agricole s'expliquent par les politiques qui ont favorisé ces incitations ou, au contraire, les ont directement ou indirectement contrariées. Parmi ces incitations, on peut citer de meilleurs prix pour les produits et des prix plus bas pour les intrants, mais aussi les biens publics, comme l'infrastructure, l'éducation, la recherche, etc. fournis à l'agriculture.

  3. Les résultats obtenus par l'agriculture sont influencés non seulement par les politiques expressément conçues à son intention (soutien des prix, fiscalité, subventions) mais aussi et souvent de façon plus profonde, par celles qui ont une incidence sur l'environnement macro-économique général (déficits du secteur public, inflation, taux d'intérêt, taux de change) ainsi que par celles qui s'appliquent aux autres secteurs (taux de protection accordé au secteur manufacturier s'il rend plus onéreux les intrants manufacturés et les biens de consommation achetés par l'agriculture). Il en ressort que l'agriculture ne peut prospérer dans un environnement de forte inflation, de taux de change surévalués et, d'une manière générale, dans des conditions qui contrarient les incitations en faveur de se secteur. L'importance des facteurs macro-économiques est devenue manifeste dans les répercussions des chocs extérieurs, de l'emprunt facile et de la montée de la dette extérieure qui ont marqué les années 70 et ont suscité d'importants déséquilibres macro-économiques et ouvert la voie à la crise des années 80. Les politiques visant á repondre à de tels déséquilibres (désignées sous le nom générique d'ajustement structurel) tout en restaurant les incitations en faveur du secteur agricole, lui sont peut-être aussi défavorables, étant donné la réduction des dépenses publiques, la diminution de la croissance de la demande de produits agricoles et la contraction des opportunités pour la main-d'œuvre agricole d'entrer dans d'autres secteurs. Ces réformes n'amèneront peut-être pas à elles seules une reprise de la croissance, mais elles sont considérées comme une étape nécessaire pour faire revenir l'économie dans des eaux calmes, faute de quoi les stratégies de croissance à long terme ont peu de chances de réussir.

  4. Certains types d'interventions du secteur public dans la vie économique sont contreproductifs. Ici l'analyse de l'expérience acquise se fonde surtout sur des exemples tirés du secteur agricole car l'intervention de l'Etat, en particulier dans la commercialisation des produits agricoles, a été considérable dans certains pays. Les questions liées au rôle que doit jouer le secteur public restent à régler (et elles ne peuvent certainement pas l'être sur des bases dogmatiques) car les avantages escomptés des réformes mises en place pour porter remède aux insuffisances structurelles perçues et aux déséquilibres macro-économiques qui leur sont dans bien des cas associés, sont souvent lents à se manifester et leur ampleur et leur durée sont incertaines. Mais, on peut percevoir une certaine concordance de vues tendant à réaffirmer et à renforcer la nécessité d'accroître le rôle du secteur public dans l'agriculture dans des domaines tels que les infrastructures, l'éducation (en particulier, l'enseignement technique agricole), la recherche, le développement et le transfert des technologies, etc., étant bien entendu que le succès ou l'échec dépend beaucoup des capacités d'organisation et de gestion des pouvoirs publics. L'importance de ce genre d'interventions du secteur public est encore accentuée par le fait toujours plus évident que la recherche agricole est hautement rentable et que ce qui compte pour le développement, en même temps que l'investissement en biens matériels et peut-être davantage que celui-ci, c'est l'investissement en capital humain et en connaissances. Parallèlement, cette concordance de vues semble corroborer l'idee que, d'une manière générale, les gouvernements doivent épauler et non remplacer le secteur privé dans la production et la commercialisation, principalement en créant le cadre institutionnel et en faisant appliquer les règles qui permettent aux marchés de fonctionner avec efficacité et aux prix de jouer leur rôle vital de facteurs incitatifs ou dissuasifs pour orienter ces activités du secteur privé.

En conclusion, on peut affirmer avec confiance que l'idée de pressurer l'agriculture au profit d'autres secteurs, répandue après la guerre, a fait son temps et, espérons-le, est enterrée à jamais. Cela ne veut pas dire que le rôle de l'agriculture en tant que fournisseur de ressources au reste de l'économie va cesser. Mais, priorité doit être donnée, dans de nombreux cas, à l'accroissement de la productivité agricole et des revenus de la population rurale si l'on veut élargir les marchés au profit de l'industrie nationale, créer des excédents agricoles qui seront transférés à d'autres secteurs au lieu d'être prélevés autoritairement. Ces transferts sont vus principalement comme une réponse spontanée au cours normal des choses qui veut que l'agriculture progresse moins rapidement que les autres secteurs. Ces derniers offrent alors, en général, des taux de rentabilité plus élevés; il est dans ces conditions naturel que les ressources s'orientent vers ces secteurs. Ici encore est mise en lumière l'importance des interventions du secteur public visant à promouvoir les investissements qui profitent à l'agriculture, (recherche, éducation, infrastructure, etc.), parce que le taux de rentabilité sociale de ces investissements peut dépasser largement le taux de rentabilité privée. Au cours du processus de développement et de transformation structurelle, les conditions de départ qui existent dans certains pays montrent qu'il est éminemment souhaitable de donner, dans les stratégies de développement, priorité à l'agriculture afin de lui permettre de jouer son rôle capital dans la lutte contre la pauvreté et dans l'appui à la croissance économique générale.

Politiques des échanges agricoles internationaux ou ayant une incidence sur ces échanges

Un certain nombre de changements de politiques adoptés ces dernières années ou à l'étude, aux niveaux tant international que national, peuvent profondément influer sur les échanges agricoles internationaux. Tous vont dans le sens d'un rôle accru des lois du marché dans la détermination des courants d'échange. Les réformes conduites dans les pays d'Europe à économie anciennement planifiée appartiennent à cette catégorie. Leurs effets potentiels sur les échanges ont été indiqués plus haut. A cette catégorie appartient aussi la réforme de la Politique agricole commune (PAC) de la Communauté européenne dont les effets potentiels sur les échanges ont été indiqués plus haut. Ces effets de la réforme de la PAC pour les principaux produits des régions tempérées iraient dans le sens de ceux qui pourraient découler de l'Accord sur l'agriculture consécutif aux négociations d'Uruguay.

L'Accord sur l'Agriculture du Cycle d'Uruguay, combiné à d'autres réformes des politiques, contribuera à modifier la structure de la protection de l'agriculture en faveur de mesures qui donneront un plus grand rôle aux mécanismes du marché dans la détermination des niveaux de la production, de la consommation et du commerce. Dans l'ensemble, cependant, l'Accord ne constitue qu'un progrès limité vers la libéralisation des échanges agricoles. Son importance tient davantage à la discipline et à la transparence qu'il implique pour les politiques qui ont une incidence sur les échanges.

Parallèlement, le principe général des réformes introduites dans les pays en développement et décrites dans la section précédente va dans le sens d'une plus grande ouverture des économies et ajustements structurels qui créeront des conditions plus favorables pour les échanges. Mais certains problèmes clefs auxquels de nombreux pays en développement sont confrontés dans leurs relations commerciales agricoles ne sont pas traités avec la même urgence ou ne sont tout simplement pas abordés. Parmi ces problèmes figurent la chute et le caractère volatil des prix des principaux produits tropicaux d'exportation, les restrictions imposées à l'accès des marchés et la concurrence des pays développés par le biais de la subvention des prix à l'exportation de certains de leurs produits. Enfin, les préoccupations concernant l'environnement et les politiques y afférentes ont aidé à introduire, dans le débat sur la politique commerciale internationale, les questions touchant les interactions entre le commerce et l'environnement, comme a été évoqué plus haut.

La pauvreté rurale et le développement rural

Dans les pays en développement, plus d'un milliard de personnes sont pauvres et la très grande majorité d'entre elles vivent en zone rurale. En conséquence, le développement de l'agriculture a un rôle direct à jouer dans l'atténuation de la pauvreté rurale puisque la majorité des ruraux pauvres tirent essentiellement leurs revenus et leurs possibilités d'emplois des activités agricoles. Pour ces pays, les taux de croissance projetés de la production agricole présentés auparavant sont en général supérieurs à ceux de la population qui vit de l'agriculture. Les taux de croissance implicites des revenus moyens par habitant de la population agricole sont cependant modestes, mais ils peuvent être importants dans les pays où la population agricole est en recul. La réduction du nombre de ruraux pauvres due à la croissance agricole ne dépend pas seulement de son taux par habitant, mais aussi de son incidence sur la distribution et d'autre part de l'augmentation des possibilités d'emplois non agricoles dans les zones rurales entraînées par la croissance agricole.

Les incidences de la croissance agricole sur les différentes catégories socioéconomiques de producteurs et d'ouvriers du secteur rural, ainsi que les mécanismes de transmission de ces incidences, dépendent de la nature des processus de croissance et des facteurs structurels qui sous-tendent l'organisation sociale en milieu rural. Les faits semblent montrer que même si, en moyenne, la croissance agricole atténue la pauvreté rurale, la situation économique de certaines fractions de la population rurale pourrait empirer. Les caractéristiques structurelles de l'économie rurale au début de la croissance agricole jouent un rôle prédominant dans la distribution des avantages tirés d'une augmentation de la production.

L'accès à la terre est un facteur déterminant d'atténuation de la pauvreté par la croissance agricole en même temps qu'il conditionne le processus de croissance luimême. La dernière tentative pour faire le point des progrès réalisés dans la redistribution des terres par la réforme agraire a été entreprise en 1991 à l'occasion du rapport quadriennal établi par la FAO sur la mise en ceuvre du Programme d'action de la Conférence mondiale sur la réforme agraire et le développement rural. Selon le rapport, ces progrès ont été limités, principalement parce que l'application des programmes de distribution des terres s'est heurtée aux réalités politiques. Ces réformes restent cependant très souhaitables pour des motifs aussi bien d'efficacité que d'équité et plus encore quand on considère leurs rapports avec le secteur rural non agricole, car une répartition plus égale des terres stimule également l'emploi rural non agricole. En général, l'expérience semble indiquer que l'engagement politique du secteur public et son vigoureux appui aux bénéficiaires de la réforme agraire sont des éléments essentiels de réussite des politiques dans ce domaine. La réforme agraire demeurera un aspect non négligeable de la recherche d'une atténuation de la pauvreté rurale. Cela est particulièrement vrai dans les pays dont la population agricole est en augmentation et où les perspectives de croissance non agricole sont médiocres.

Outre les réformes touchant les titres de propriété des terres, celles concernant les statuts d'occupation demeurent importantes. Ici l'expérience montre que les politiques qui, par le passé, limitaient les contrats de métayage ont parfois été contreproductives. Les réformes de tenure menées dans les pays d'Asie à économie centralement planifiée en cours de refonte s'avèrent de plus en plus probantes à mesure que ces économies passent d'une agriculture de type socialiste à des arrangements à l'échelle des ménages assortis d'une sécurité de tenure adéquate. Il est aussi de plus en plus reconnu qu'en Afrique les modes de tenure les plus traditionnels s'adaptent bien à l'évolution des circonstances et les pouvoirs publics devraient en priorité assurer un environnement juridique et institutionnel approprié.

Les difficultés d'accès des populations pauvres au financement rural dans l'agriculture a été un obstacle majeur au développement agricole et à l'atténuation de la pauvreté. La politique accordée à la fourniture de financements officiels par le biais des institutions de crédit spécialisées a souvent été un échec et il apparaît de plus en plus clairement qu'il faut mettre en place des arrangements moins formels tels que les tontines pour ouvrir l'accès des populations pauvres au crédit.

Pour ce qui concerne la commercialisation, les tentatives faites pour fournir aux agriculteurs, en particulier aux agriculteurs pauvres, des services de commercialisation souvent accompagnés d'autres services, par l'intermédiaire d'organismes para-étatiques, se sont en général (pas toujours) révélés inefficaces. Ces inefficacités sont l'une des raisons pour lesquelles la réforme du rôle du secteur public dans la commercialisation agricole occupe une place éminente dans les programmes d'ajustement structurel. Le rôle des pouvoirs publics en matière d'infrastructure, de cadre juridique et d'application des règlements et, d'une manière générale, d'appui au fonctionnement des marchés est tout à fait reconnu. Mais, la tendance générale est de mettre un frein à l'intervention directe de l'Etat dans la commercialisation et de permettre au secteur privé d'en être le véhicule principal et de l'encourager dans ce sens. La question clef est de savoir comment passer sans heurts d'une forme d'organisation à l'autre car, ce sont les pauvres qui souffriront le plus d'une grande désorganisation des services.

A plus longue échéance, la croissance de l'agriculture et de l'ensemble de l'économie atténuera en général la pauvreté rurale surtout si le développement agricole et rural s'oriente vers des structures plus égalitaires par l'application de politiques comme celles décrites ci-dessus. Mais, dans l'avenir immédiat et pour certains pays à plus longue échéance, la pauvreté rurale continuera d'être un problème majeur. C'est pourquoi des interventions directes demeureront nécessaires. Les travaux publics ruraux sont depuis longtemps utilisés à cette fin, en particulier dans les cas d'urgence. Ils forment le noyau des stratégies gouvernementales de lutte contre la pauvreté en Asie du Sud et dans d'autres pays. Les résultats sont généralement favorables surtout lorsqu'il y a participation communautaire accompagnée d'une sélection et d'un ciblage sérieux des bénéficiaires.

Les interventions dans le domaine de l'alimentation et de la nutrition continueront d'avoir leur place dans l'arsenal des politiques de lutte contre la pauvreté. Ici, l'expérience que tentent d'atteindre les populations pauvres par le biais de subventions générales des produits alimentaires est une politique très coûteuse qui bénéficie en général surtout aux personnes qui ne sont pas pauvres. Les programmes plus ciblés atteignent généralement mieux leurs objectifs, mais ils sont souvent plus difficiles à gérer. Il s'agit en particulier des programmes de rations alimentaires, de bons d'alimentation et d'alimentation complémentaire.

1.9 Importance de la valorisation des ressources humaines dans les pays en développement

Comme nous l'avons déjà indiqué à maintes reprises, l'intensification de l'agriculture continuera d'être, plus encore que par le passé, la pierre angulaire de la croissance future de la production. Il est maintenant reconnu que pour passer avec succès à une agriculture plus intensive, ce qui compte plus que le capital matériel est la capacité des agriculteurs d'être des agents actifs, ouverts aux innovations rentables tant dans le domaine de la technologie que dans celui de la gestion et très désireux de les adopter. En outre, la nécessité d'orienter l'agriculture vers des technologies et des modes d'exploitation plus viables donnera encore plus d'importance à cette capacité. C'est pourquoi les politiques en faveur du développement agricole doivent être axées en particulier sur la valorisation des ressources humaines, depuis l'éducation de base jusqu'à la formation technique, pour les systèmes formels et informels d'acquisition et de transfert des compétences. Cette valorisation passe également par l'amélioration de la santé et de là nutrition. Ce sont là des objectifs en soi du développement et non pas simplement des moyens de rendre les individus économiquement plus productifs.

Dans les pays en développement, l'effort requis à cet égard dans l'agriculture est considérable parce que la population économiquement active dans ce secteur continuera d'augmenter, bien que lentement. En outre, le retard à combler est énorme, étant donné les taux élevés d'analphabétisme dans les zones rurales et le manque de personnel de vulgarisation formé. Il y aurait dans ces pays un agent de vulgarisation pour 2 500 personnes économiquement actives dans l'agriculture. Dans les pays développés, ce rapport est de 1/400 environ. Le secteur privé y est aussi plus activement engagé dans la fourniture de services de vulgarisation. Par ailleurs, dans les pays en développement, la proportion de femmes engagées dans des activités de vulgarisation est très faible et loin de correspondre à leur importance relative dans l'agriculture. Certaines tendances encourageant se font jour dans ces pays, mais pas dans toutes les régions, quant à la progression du nombre d'agents de vulgarisation et à leur qualité, à mesure que les personnes peu compétentes sont remplacées par des agents mieux formés.

1.10 Remarques finales

La présente étude fait apparaître un tableau contrasté de l'avenir de l'alimentation et de l'agriculture mondiales. Globalement, le monde semble sur la voie d'un recul des taux de croissance de l'agriculture à mesure qu'augmente le nombre des pays qui atteignent des niveaux de disponibilités alimentaires par personne moyennement élevés ou élevés et que la croissance de la population se ralentit. Cette tendance pourrait être enrayée voire même inversée pendant un certain temps si la proportion importante de la population mondiale dont les besoins de consommation ne sont pas encore satisfaits, étaient en mesure d'accroître leur demande ou leur propre production d'aliments à des taux plus élevés que ceux qui sont estimés ici à l'horizon 2010.

Il ne paraît pas y avoir d'obstacles insurmontables en matière de resources et de technologies au niveau mondial qui empêcheraient d'accroître les disponibilités alimentaires mondiales dans la mesure requise par la croissance de la demande réelle. Tout bien considéré, une telle croissance de la production est possible même si l'on prend des mesures pour orienter l'agriculture vers un mode de production plus durable. Mais, la nécessité d'accepter des compromis entre la croissance agricole et l'environnement persistera dans de nombreux cas où localement les caractéristiques agro-écologiques et socio-économiques sont défavorables. Ces constatations globales s'appliquent beaucoup moins ou ne s'appliquent pas du tout aux pêches maritimes. Ce dernier secteur fournit peut-être l'exemple principal de contraintes dues aux ressources naturelles mondiales qu'on ne peut apparemment réduire en remplaçant ces ressources par d'autres créées par l'homme et par la technologie, pour autant qu'on puisse le dire sur la base des connaissances actuelles. Mais, leur remplacement peut se faire et se fait au niveau de la consommation à mesure que de nouveau investissements et de nouvelles technologies permettent de produire des substituts au poisson, même s'ils sont imparfaits, comme la viande de volaille.

Les conclusions de l'étude impliquent que de nombreux pays et groupes de population ne profiteront que de manière marginal de la croissance projetée de la production alimentaire mondiale ou même du potentiel existant pour une croissance plus forte. Seule l'alliance d'un développement plus rapide, orienté vers la reduction de la pauvreté, et de politiques sociales améliorera finalement l'accès des populations pauvres aux produits alimentaires et éliminera la sous-nutrition chronique. Dans les pays à forte population pauvre et qui dépendent étroitement de l'agriculture, le succès dans ce domaine exigera souvent que priorité soit donnée à l'agriculture comme moyen d'accroître les revenus et les disponibilités alimentaires à l'échelle locale. Si les dotations en ressources agricoles locales sont défavorables, la tâche de mise en oeuvre du développement peut s'avérer très ardue. C'est dans ce genre de contexte que l'on peut dire que les contraintes en matière de ressources sont des obstacles réels à la solution des problèmes d'alimentation et de nutrition, même si cette forme de contrainte à l'augmentation de la production alimentaire mondiale peut ne pas être grave.

Enfin, envisageant une perspective à plus long terme, au-delà de l'an 2010, la dernière section du chapitre 3 propose, pour servir de base à la réflexion sur l'équilibre à long terme entre la population et les disponibilités alimentaires, des hypothèses concernant l'estimation des taux de croissance de l'agriculture qui seraient nécessaires entre 2010 et 2025. Il ne s'agit pas de projections d'une évolution probable. Il faut s'attendre à ce que le taux annuel de croissance de la production alimentaire mondiale qui sera nécessaire pour nourrir une population toujours plus nombreuse continue à baisser: en effet, le taux de croissance démographique lui-même continuera à baisser, tandis que la proportion de la population mondiale dont la consommation par habitant est relativement élevée tendra à augmenter, de sorte que la production n'aura plus besoin de croître aussi vite.

Tôt ou tard, la croissance démographique pourrait devenir nulle et la population se stabiliser. Si à ce moment-là tous sont convenablement nourris, il n'y aura guère de raisons d'accroître encore la production agricole. La grande question est de savoir si on peut trouver un modèle de croissance viable pour parvenir à cet état stationnaire de l'agriculture sans compromettre la durabilité.

On peut notamment se demander si les ressources agricoles de la planète sont suffisantes pour permettre à la production d'atteindre ce niveau stationnaire théorique et de s'y maintenir. Il n'y a pas de réponse simple à cette question, mais les considérations ci-après sont pertinentes: a) dans un monde sans frontières caractérisé par la libre circulation des personnes ou par des conditions propices à un essor considérable du commerce des produits alimentaires, les contraintes liées aux ressources naturelles, si elles existent, deviennent beaucoup moins rigides; et b) dans un grand nombre de pays, le ravitaillement de la population et la majeure partie de l'économie nationale dépendent de l'agriculture. Comme on l'a vu plus haut, si ces pays sont pauvres en ressources agricoles, il est parfaitement raisonnable d'affirmer que la pénurie de ressources agricoles empêche d'assurer la sécurité alimentaire universelle, même si l'on savait de façon certaine qu'à l'échelle mondiale les ressources sont suffisantes pour produire de façon durable de quoi nourrir une population beaucoup plus nombreuse.

La limitation des ressources nécessaires à la production agricole et alimentaire n'est qu'un des facteurs qui détermineront s'il existe une stratégie viable de sécurité alimentaire universelle: en effet, pour s'affranchir de l'insécurité alimentaire, le monde doit pratiquement s'affranchir de la pauvreté. La question est alors de savoir s'il existe des voies conduisant à une développement durable susceptible d'éradiquer la pauvreté. Cela exigerait une croissance économique générale. Pour éradiquer le paupérisme dans un avenir pas trop lointain, il faudrait que la croissance soit rapide dans les régions à forte densité de pauvreté. Cela accroîtrait les pressions sur l'écosystème mondial: par exemple, la consommation beaucoup plus grande d'énergie serait source d'une pollution accrue. Si l'écosystème mondial n'a qu'une capacité d'absorption limitée, il se peut que ce soient des contraintes écologiques de cet ordre plutôt que la limitation des ressources agricoles qui conditionneraient le rythme maximum d'une progression durable dans la voie de la sécurité alimentaire pour tous.


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