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CHAPITRE 8
Commerce international

8.1 Introduction

Le présent chapitre examine les politiques commerciales actuelles et futures dans le contexte de l'évolution probable du commerce international des principaux produits, telle qu'elle est présentée au chapitre 3. Ce dernier faisait observer que la balance du commerce des pays en dévelopement (produits agricoles et produits de l'élevage) pourrait devenir négative, c'est-à-dire que le tiers monde, aujourd'hui exportateur, pourrait devenir de plus en plus importateur net de produits agricoles.

On peut résumer comme suit les raisons de ces changements attendus: premièrement, les pays en développement importent des denrées alimentaires qui ont sur leurs marchés des élasticités-revenu relativement élevées et exportent vers les marchées presque saturés des pays développés des produits qui, à quelques exceptions près (par exemple, les fruits et légumes), ont une faible élasticité revenu et prix. La concurrence croissante entre pays en développement pour écouler leurs produits agricoles d'exportation dans les pays développés aboutit souvent à une faible hausse des volume exportés et à une baisse des prix, de sorte que la valeur réelle des recettes d'exportation de certains produits tend à fléchir plutôt qu'à augmenter.

Deuxièmement, l'application des accords internationaux sur les produits de base n'est pas toujours parvenue à éviter les baisses de prix. D'autres instruments, tels que les marchés à terme, les options, etc. pourraient réduire les fluctuations des prix, mais seraient sans effet sur les principaux facteurs responsables de leur évolution à long terme. Troisièmement, la consommation locale des produits d'exportation (tabac, caoutchouc naturel, coton) des pays en développement absorbe une part croissante de leur production et tend donc à réduire les disponibilités exportables.

Quatrièmement, le déficit commercial du secteur agricole sera compensé, du moins en partie, par un excédent net croissant d'articles manufacturés tirés des matières premières agricoles comme le coton. L'accroissement des importations nettes de coton brut et de cuirs et peaux est souhaitable puisqu'il s'agira d'approvisionner les industries locales des textiles, de l'habillement et des articles en cuir, en plein essor et qui travaillent de plus en plus pour l'exportation.

Cinquièmement, l'accès aux marchés des pays développés restera difficile pour une partie des produits de base qu'exportent les pays en développement (sucre, par exemple) ainsi que pour leurs produits agricoles transformés et leurs articles manufacturés. Les réformes prévues dans l'accord sur l'agriculture issu de l'Uruguay Round se traduiront par une réduction du protectionnisme et des autres mesures qui faussent les échanges, mais ne les élimineront pas complètement. Le reste du présent chapitre est consacré à l'examen des réformes, en cours ou envisagées, qui agissent sur les conditions du commerce des produits agricoles et intéressent aussi bien les pays en développement que les pays développés.

8.2 Ajustements intéressant le commerce des produits agricoles

Dans beaucoup de pays en développement, les réformes en cours relèvent des programmes d'ajustement structurel examinés au chapitre 7. Les aspects intéressants dans le contexte du présent chapitre sont la libéralisation, la correction des distorsions des taux de change, l'ouverture des économies et la promotion des exportations. Ces réformes favorisent les secteurs qui produisent des biens commercialisables et pourraient donc créer un environnement plus favorable au développement des échanges de produits tant agricoles que non agricoles. Comme on le verra plus bas, l'accord sur l'agriculture issu de l'Uruguay Round offre aux pays en développement de larges possibilités d'appliquer des mesures à la frontière ; beaucoup d'entre eux en ont tiré parti, et notamment ont fixé pour l'avenir des droits de douane « consolidés » (c'est-à-dire qu'ils ne pourront être relevés) relativement élevés et parfois supérieurs à l'équivalent tarifaire des mesures à la frontière de la période de référence.

Les réformes radicales en cours dans les ex-ECP transforment l'environnement et les perspectives du commerce des produits agricoles. Une des plus importantes a été l'abandon des systèmes de quasi-troc ou d'échanges compensés en faveur d'échanges « devises convertibles et aux cours du marché mondial » qui a été favorisé par la dissolution du Conseil d'assistance économique mutuelle (CAEM) et par l'expansion des échanges avec les pays à économie de marché, notamment ceux d'Europe occidentale. La Hongrie, la Pologne et l'ex-République fédérative tchèque et slovaque ont signé des accords d'association avec la CE qui ont renforcé ces nouvelles relations commerciales (FAO, 1993c ; Rollo et Smith, 1993). Parallèlement, les programmes d'assistance et de crédit à l'exportation des produits agricoles vers l'ex-URSS se sont multipliés. Si certains pays d'Europe centrale et orientale s'associent à l'Union européenne, de nouvelles modifications des politiques agricoles seront à l'ordre du jour, tant en Europe occidentale qu'en Europe orientale, afin de créer les conditions d'une convergence future des politiques (Nallet et Van Stolk, 1994).

Les perspectives à plus long terme du commerce des produits agricoles de l'Europe de l'Est et de l'ex-URSS sont présentées au chapitre 3. L'Europe orientale devrait devenir exportatrice nette de quantités modestes de céréales et de produits laitiers, tandis que l'ex-URSS pourra beaucoup diminuer ses importations nettes de céréales ou même s'en passer complètement. Mais ces perspectives sont relativement lointaines. Selon certains auteurs, l'URSS pourrait en définitive devenir exportatrice nette de céréales grâce à la réduction de la consommation, conjuguée avec l'amélioration de la productivité (Mitchell et Ingco, 1993 ; D. Gale Johnson, 1993).

Dans les pays de l'OCDE, de profondes réformes des politiques agricoles sont en cours ou en préparation ; s'ajoutant à celles qui résulteront de l'Accord sur l'agriculture issu de l'Uruguay Round, elles auront d'importants effets sur le commerce des produits agricoles. Elles visent essentiellement à remplacer les mesures d'intervention sur le marché (qui consistent principalement à soutenir les prix à la production) par d'autres mesures de soutien des revenus agricoles et ruraux, principalement des versements par hectare. L'objet du présent chapitre n'est pas décrire de façon détaillée les nombreuses combinaisons d'instruments mis en oeuvre pour réaliser les réformes, dont les objectifs sont essentiellement a) de faire une plus grande place aux forces du marché pour déterminer la production, la consommation et les échanges ; b) de comprimer les coûts budgétaires et économiques du soutien et de la protection de l'agriculture ; c) d'apaiser les conflits commerciaux, en particulier ceux que suscitent les subventions à l'exportation ; et d) de maintenir l'effort de développement rural, mais autrement qu'en intervenant sur le marché pour accroître la production. Les nouvelles politiques vontelles supprimer totalement les incitations à la production ? C'est là une question ouverte. Au moins peut-on affirmer que beaucoup de mesures ne sont pas entièrement découplées, c'est-à-dire qu'elles continuent d'influencer les décisions de production des agriculteurs, et même leur décision de rester ou non agriculteurs.

Tableau 8.1 - Evolution de l'aide à l'agriculture et des prix réels à la production, pays de l'OCDE
 Equivalent subvention à la production (ESP)Equivalent subvention à la consommation (ESC)Coefficient moyen d'assistance nominal aux producteurs3Prix réels à la production en 1993
 Milliards de $ (ESP net)Pourcentage1Milliards de $Pourcentage2BléViande de bœufLait
 1988199319881993198819931988199319881993Indice (1988 = 100)
Australie1.01.089-0.3-0.3-6-61.081.106799100
Autriche2.13.04656-2.0-2.4-47-531.902.34798593
Canada5.54.83832-2.3-2.2-21-211.511.40659996
CE-1269.179.64648-56.3-57.0-40-391.841.93738082
Etats-Unis22.324.22423-8.1-10.9-8-121.291.29709487
Finlande3.92.77067-3.0-2.1-67-663.783.39827696
Japon35.635.07270-37.9-42.5-55-513.102.93848193
N.Zélande0.30.173-0.10-6-31.071.038810992
Norvège2.62.77476-1.3-1.3-59-604.574.497995129
Suède2.71.95652-2.7-1.5-57-452.392.03566869
Suisse4.74.57777-4.0-3.2-65-564.214.10836483
OCDE130.2139.34242-99.9-106.6-34-341.681.69   

Source: OCDE (1994) ; les chiffres de 1993 sont provisoires.
1 ESP total en pourcentage de la valeur totale de la production (aux prix intérieurs), plus les versements directs et moins les prélèvements.
2 ESC total en pourcentage de la valeur totale de la consommation (aux prix à la production) y compris les transferts tels que les subventions à la consommation.
3 Indicateur de l'écart entre les prix mondiaux et les prix effectifs à la production qui résulte des politiques agricoles (ratio (prix à la frontière + ESP)/prix à la frontière).

Les premiers effets des réformes sont déjà visibles dans les pays sous forme d'une réduction sensible des prix réels à la production de la plupart des produits. Mais l'écart entre ces prix et les cours mondiaux qui résulte des politiques agricoles reste considérable dans la plupart des pays de l'OCDE (voir estimations au tableau 8.1). Par ailleurs, la valeur totale des aides, mesurée par l'Equivalent subvention à la production (ESP) et l'Equivalent subvention à la consommation (ESC)1 a continué d'augmenter ces dernières années en dollars courants (voir tableau 8.1). C'est ce qui ressort clairement des dernières estimations de l'OCDE selon laquelle, sur la base principalement du calcul de l'ESP et de l'ESC, le montant total des transferts des consommateurs et des contribuables à l'agriculture dans l'ensemble des pays de l'OCDE (Islande non comprise) dépassait encore un peu 335 milliards de dollars en 1993, soit moins de un pour cent de moins qu'en 1992 (OCDE, 1994); encore ces transferts avaient-ils augmenté d'environ deux pour cent en 1992, 10 pour cent en 1991 et 15 pour cent en 1990 (ibid). Certains des pays où l'ESP est le plus élevé adhéreront à l'Union européenne. Ils devront réduire leur taux de protection, du moins dans les cas où il se traduit par un écart considérable entre les prix intérieurs et les cours mondiaux.

1. L'ESP est la valeur des transferts monétaires versés aux agriculteurs par les consommateurs de produits agricoles et par les contribuables induits par les politiques agricoles. L'ESC correspond à l'impôt implicite acquitté par les consommateurs résultant du soutien des prix du marché déduction faite de toutes subventions à la consommation versées dans le cadre des politiques agricoles (OCDE, 1994). L'ESP et l'ESC comme indicateurs de protection agricole ont été développés à l'origine par la FAO (FAO, 1973).

8.3 Ajustements mondiaux : accord sur l'agriculture issu de l'Uruguay Round

La conclusion, en décembre 1993, des négociations commerciales multilatérales de l'Uruguay Round est le principal événement influant sur les règles du commerce international. Les dispositions de l'Accord sur l'agriculture ainsi que les dispositions connexes relatives aux mesures sanitaires et phytosanitaires sont récapitulées ci-après.

Accord sur l'Agriculture

L'Accord sur l'agriculture discipline les politiques influant sur le commerce agricole par trois grandes catégories de règles. Les premières concernent l'accès aux marchés, c'est-à-dire les conditions dans lesquelles les acheteurs nationaux peuvent s'approvisionner sur les marchés mondiaux. Il s'agit essentiellement des mesures à la frontière (droits de douane, prélèvements variables, contingents, etc.). Une deuxième catégorie de mesures influant sur le commerce extérieur ne sont pas appliquées à la frontière : par exemple les achats d'intervention déterminent le prix auquel les producteurs nationaux vendent en concurrence avec les importations. C'est pourquoi l'Accord discipline également les politiques de soutien interne de l'agriculture sur la base de la mesure globale du soutien. Troisièmement, l'Accord discipline la subvention des exportations (règles relatives à la concurrence à l'exportation) en fixant des plafonds au montant total des subventions ainsi qu'aux quantitées de marchandises subventionnées pouvant être exportées.

Les principales dispositions de l'Accord sont récapitulées au tableau 8.2. A ce sujet, quelques explications ne sont peut-être pas inutiles. Les obstacles non tarifaires, y compris les prélèvement variables, doivent être transformés en leur équivalent tarifaire de la période de référence précisée dans l'Accord. Ces équivalents doivent être approximativement égaux à la différence entre le prix intérieur et le prix mondial de référence, exprimés soit en valeur monétaire absolue par unité de produits (droit spécifique) soit en pourcentage du cours mondial (droit ad valorem). Ces équivalents tarifaires devront ensuite être réduits graduellement, conforméement aux pourcentages et aux échéances indiqués au tableau 8.2 et devront ensuite être « consolidés ». Les pays en développement dont les droits de douane n'étaient pas consolidés avaient la latitude d'offrir des « taux plafond consolidés » qui n'étaient pas nécessairement égaux à l'équivalent tarifaire des obstacles non tarifaires qu'ils appliquaient pendant la période de référence et ont profité de cette latitude.

Deux observations s'imposent : a) la réduction moyenne de 36 pour cent est la moyenne arithmétique simple des réductions applicables à chaque ligne tarifaire, mais la réduction doit être au moins égale à 15 pour cent pour toutes les lignes. Cette disposition laisse aux pays une grande latitude pour moduler les réductions selon les lignes tarifaires, à condition qu'ils respectent les deux prescriptions fondamentales (au moins 15 pour cent pour chaque ligne et une moyenne simple de 36 pour cent pour l'ensemble des lignes) ; b) les tarifs consolidés ainsi déterminés sont un maximum. Les pays peuvent les réduire à n'importe quel moment. En principe, cela leur donne une marge pour faire varier le niveau des droits de façon à atteindre des objectifs de politique intérieure, par exemple pour amortir l'effet des fluctuations des cours mondiaux sur le marché intérieur. En pratique, les droits peuvent être baissés et relevés à condition de ne pas dépasser le niveau consolidé.

Un autre aspect des mesures concernant l'accès au maché est que les pays sont tenus de maintenir les conditions d'accès existantes, y compris les conditions d'accès préférentiel accordées à certains pays exportateurs, et, en leur absence, d'assurer une ouverture minimum de leurs marchés en ouvrant des contingents tarifaires équivalant à trois pour cent de leur consommation au départ, puis cinq pour cent, auxquels s'appliqueront des droits de douane minimes, et en tout état de cause inférieurs aux niveaux « consolidés ». Ces tarifs réduits ou symboliques devraient inciter les importateurs à acheter ces contingents sur les marchés mondiaux. Ils ne seront pas obligés de le faire, mais on peut admettre que si le droit consolidé est élevé, l'écart entre le prix intérieur et le cours mondial le sera également. Ainsi si le droit est de 100 pour cent, les prix intérieurs seront grosso modo le double des prix mondiaux. Si le droit est ramené à 30 pour cent par exemple pour un contingent égal à trois pour cent de la consommation, cette différence sera probablement suffisante pour motiver les importateurs.

Tableau 8.2 - Accord sur l'agriculture. Résumé des principales dispositions
 Dispositions généralesDispositions applicables aux pays en développement1
Période de mise en œuvre1995–20001995–2004
Réductions des subventions à l'exportation  
Période de base1986–199021986–19902
Dépenses (pour chaque produit)36%24%
Quantités (pour chaque produit)21%14%
Réductions du soutien interne  
Période de base1986–19881986–1988
Mesure globale du soutien (MGS)20%13 1/3%
Réductions prises en compte à partir de19861986
Exemptions

• mesures de soutien de la « case verte » et de la « case bleue »
• si le soutien interne par produit n'excéde pas 5% de la valeur totale de la production du produit agricole (ou groupe de produits) initiale, ce soutien n'aura pas à être compté dans la MGS ni à être réduit (pourcentage de minimis)

• même disposition pour le soutien interne autre que par produit n'excédant pas 5% de la valeur de la production agricole totale du pays.

• mesures de soutien de la « case bleue »
• si le soutien interne par produit n'excède pas 10% de la valeur totale de la production du produit agricole (ou groupe de produits) initiale, ce soutien n'aura pas à être compte dans la MGS ni à être réduit (pourcentage de minimis)
• même disposition pour le soutien interne autre que par produit n'excédant pas 10% de la valeur de la production agricole totale du pays.

Accès aux marchés
  
A. Droits de douane  
a) Droits de douane ordinaires

• engagements de réductions à appliquer sur la base du niveau des droits en vigueur en 1986–88

• engagements de réductions à appliquer sur la base du niveau des droits en vigueur en 1986–88

b) Autres mesures à la frontière (y compris les mesures non tarifaires (MNT))

• conversion en droits de douane ordinaires consolidés, d'un taux égal à leur équivalent tarifaire pendant la période de base (« tarification »)

• conversion en droits de douane ordinaires consolidés d'un taux égal à leur équivalent tarifaire pendant la période de base (« tarification »). Les pays dont les droits ne sont pas consolidés ont l'option l'offrir des taux plafonds de consolidation qui ne sont pas nécessairement égaux à l'équivalent tarifaire des MNT de la période de base ni au niveau des tarifs non consolidés
• les droits résultant de a) et b) ci-dessus devront être réduits en moyenne de 24% (moyenne simple), avec un minimum de 10% pour chaque ligne tarifaire

c) Réductions tarifaires

• les droits résultant de a) et b) ci-dessus devront être réduits en moyenne de 36% (moyenne simple), avec un minimum de 15% pour chaque ligne tarifaire

 
B. Accès minimum (pour les pays devant tarifier selon la formule « équivalent tarifaire »)  
Période de base1986–19881986–1988
Accès minimum3% de la consommation de la période de base, ce pourcentage devant être porté à 5% en l'an 20003% de la consommation de la période de base en 1995. ce pourcentage devant être porté à 5% en l'an 2000

1 Les pays les moins avancés sont exempts d'engagements de réductions mais devront tarifier toutes leurs MNT et ne devront pas accroître leur soutien à l'agriculture au-delà du niveau de 1986–88.

2 Si les exportations subventionnées en 1991–92 dépassaient le niveau de 1986–90, 1991–92 pourra être utilisé comme période de base. Toutefois, à la fin de la période de mise en oeuvre (2000) la réductionsera rapportée à la période 1986–90.

3 Les pays demandant un traitement spécial en ce qui concerne la tarification pourront dans certains cas choisir de ne pas tarifier leurs MNT, mais devront offrir un accès minimum de 4% de la consommation intérieure au départ, et 8% à la fin de la période de mise en oeuvre. Pour les pays en développement, une clause analogue est applicable, l'accès devant être d'1% en 1995, et porté à 2% en1999 et 4% en 2004.

Les deux autres catégories de dispositions de l'Accord sur l'agriculture (Concurrence à l'exportation et soutien interne) sont relativement faciles à interpréter d'après les informations contenues au Tableau 8.2. On notera que la mesure globale du soutien mesurée en termes monétaires ne comprend pas l'effet a) des mesures dont les effets sur les échanges « sont nuls ou minimes » telles que les programmes de gel de ressources, d'aide alimentaire à l'intérieur du pays, de dispositifs de sécurité, de services de vulgarisation, etc. (mesures de la « case verte » ) ; b) des versements directs dans le cadre des programmes de réduction de la production, à condition que ces versements soient basés sur des superficies et des rendements fixes et ne concernent pas plus de 85 pour cent du niveau de base de la production de référence ou, dans le cas du bétail, concernent un nombre de têtes fixe (mesures de la « case bleue »); et c) des mesures qui se traduisent par une aide dont la valeur ne dépasse pas cinq pour cent (10 pour cent pour les pays en développement) de la valeur totale d'un produit (clause de minimis). En ce qui concerne la concurrence à l'exportation, les réductions des subventions et des quantités qui en bénéficient figurant au Tableau 8.2 s'appliquent à tous les produits qui faisaient l'objet d'exportations subventionnées pendant la période de référence. Aucune subvention à l'exportation ne pourra être instituée pour d'autres produits.

L'Acte final comprend deux Accords susceptibles de réduire substantiellement les obstacles techniques et non tarifaires aux échanges. L'Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires donnera une interprétation uniforme des mesures relatives à l'innocuité des aliments et aux réglementations phytosanitaires et zoosanitaires. Il établit un cadre pour la reconnaissance mutuelle des procédures d'inspection et des règlements relatifs au contrôle des aliments et au contrôle sanitaire sur la base de l'équivalence de résultats, compte tenu d'une évaluation du risque qu'entraîne l'application ou la non-application de chaque mesure. L'Accord prévoit l'utilisation des normes internationales mises au point par la Commission FAO/OMS du Codex Alimentarius (innocuité des aliments), l'Office international des épizooties (santé animale) et la Convention internationale sur la Protection des Végétaux (santé des végétaux et mesures phytosanitaires). Le deuxième Accord sur les obstacles techniques au commerce concerne les autres aspects des règlements et prescriptions imposés par les gouvernements ou d'autres instances. Pour que leur commerce profite des dispositions de ces deux Accords, beaucoup de pays en développement devront se doter d'infrastructures et de personnel qualifié.

Mise en oeuvre de l'Accord sur l'agriculture et libéralisation des échanges

Les pays ont présenté leurs engagements en matière de réduction des droits de douane sous forme de listes indiquant l'équivalent tarifaire de la période de référence, le niveau des droits consolidés applicables à l'avenir, les engagements en matière de réduction des mesures internes de soutien et le volume des exportations subventionnées pendant la période référence ainsi que le niveau d'objectif pour la dernière année de mise en oeuvre de l'Accord. Lors de la rédaction du présent texte, ces « listes » ne sont pas encore publiées, mais plusieurs sources donnent des indications utiles sur l'ampleur des réformes à prévoir. C'est ainsi qu'un document de la CNUCED (CNUCED, 1994b) donne les réductions du soutien global prévu aux Etats-Unis, dans la CE, au Japon et au Canada. Le soutien global dans ces pays s'élevait à 143 milliards de dollars pendant la période de référence et sera ramené à 117 milliards de dollars en 2000. Agra Europe (1993) a estimé que l'équivalent tarifaire du soutien dont bénéficiait le blé dans la CE pendant la période de référence était de 149 ECU/tonne, contre un cours mondial de 93 ECU. Une réduction de 36 pour cent (c'est-à-dire du pourcentage moyen prévu dans l'Accord) de cet équivalent tarifaire fixerait le montant futur du tarif consolidé à 95 ECU/tonne ou, en vertu d'une disposition particulière, à un taux pratiquement limité à 55 pour cent du prix d'intervention sur le marché intérieur (voir Agra Europe, 17 juin 1994). Selon la même source, les exportations subventionnées de blé et de farine de blé pendant la période de référence atteignaient 17 millions de tonnes : elles seraient limitées à 79 pour cent de cette quantité, soiit 13,4 millions de tonnes, en l'an 2000.

Ces exemples montrent dans quelle mesure l'Accord sur l'agriculture représente un progrès dans la voie d'une libéralisation des échanges agricoles. Il faut reconnaître que le protectionnisme restera fort. Mais la tendance à accepter des principes disciplinant la conduite des échanges, notamment en ce qui concerne les subventions à l'exportation, est un grand progrès dans la voie d'un environnement commercial plus stable et plus transparent, moins sujet à des interventions capricieuses et aux distorsions qu'elles entraînent.

Bien évidemment, rien ne garantit que les différentes dispositions de l'Accord seront compatibles entre elles dans tous les pays. On se trouve en face d'un problème à contraintes multiples. En principe, une seule de ces contraintes sera déterminante dans chaque pays. Par exemple, la réduction de 21 pour cent des exportations subventionnées ne se traduira pas nécessairement par une réduction d'au moins 36 pour cent de la valeur des subventions correspondantes. En tel cas, il pourra être nécessaire de réduire de plus de 21 pour cent les quantités subventionnées. Des raisonnements analogues s'appliquent à l'effet de l'Accord sur les importations et les exportations d'une part, et sur les mesures de soutien interne de l'autre, surtout si celles-ci sont considérées en même temps que les autres réformes des politiques agricoles, par exemple l'abandon des prix de soutien en faveur de versements directs. La question est de savoir si la modification des mesures de soutien interne produirait sur la production, la consommation et le commerce des effets compatibles avec l'application des mesures de politique commerciale de l'Accord.

Une partie de ces questions avait été étudiée pour la CE sur la base de ce que l'on savait de la réforme de la PAC, des dispositions de l'Accord contenu dans le projet d'Acte final de l'Uruguay Round de décembre 1991 et dans l'Accord de Blair House conclu par la suite entre la CE et les Etats-Unis. Les auteurs de ces études (Tangermann 1992 ; Frohberg 1993) semblaient à l'époque conclure que les réformes seraient pour l'essentiel compatibles entre elles en ce sens que leurs effets sur le solde des échanges de la CE pour des principaux produits de la zone tempérée seraient analogues. Evidemment, les résultats de ces diverses études ne sont pas identiques et on peut contester beaucoup des postulats et des méthodes qu'elles utilisent et se demander si l'agriculture y est adéquatement traitée. Par exemple, la croissance future des rendements de céréales dans la CE est encore incertaine. Si elle est plus forte que ne le prévoient ces études, les excédents résultant de la réforme de la PAC pourraient dépasser ce qui serait compatible avec les dispositions de l'Accord relatives aux politiques commerciales.

Accord sur l'agriculture et pays en développement

L'Accord sur l'agriculture prévoit pour les pays en développement un « traitement spécial et différencié ». Ces pays bénéficieront de conditions moins rigoureuses : taux moins élevés de réduction du soutien global, délais de mise en oeuvre plus longs, etc. Le contenu de ce traitement spécial et différencié est indiqué au Tableau 8.2. On observera que les pays les moins avancés, au nombre de 41, ne sont pas tenus d'appliquer de réductions ; toutefois, ils doivent transformer les mesures à la frontière en droits de douane et ne peuvent accroître les aides à l'agriculture qui faussent les prix au-delà du niveau de 1986–88.

Une des dispositions particulièrement importante est peut-être l'option offerte aux pays en développement pour les produits auxquels ils appliquaient pendant la période de référence des droits non consolidés. Pour ces produits, ils peuvent annoncer des consolidations à des taux plafonds qu'ils jugent appropriés pour leurs objectifs. En l'absence d'objections de la part d'autres pays, les pays en développement ont pu fixer des plafonds tarifaires suffisamment élevés pour leur laisser la possibilité d'appliquer à l'avenir des taux inférieurs aux plafonds dans la mesure où ils pourront le juger nécessaire, par exemple en cas de prix anormalement faibles (voir Chapitre 7) ou anormalement élevés.

Un autre aspect de l'Accord qui mérite d'être relevé est que la question des mesures qui se traduisent par une protection négative pour les producteurs et les exportateurs (qui sont appliquées par un nombre non négligeable de pays en développement, notamment sous forme de taxation des cultures d'exportation) n'y est pas mentionné. Ces politiques sont en cours de modification dans le cadre de réformes plus générales. Tout d'abord, les programmes d'ajustement structurel appliqués par de nombreux pays ont déjà dans bien des cas fait abandonner la tendance à imposer lourdement l'agriculture. Ainsi, la tendance actuelle à promouvoir le secteur primaire, surtout lorsqu'il présente un potentiel pour l'exportation, pourrait amener à introduire des mesures de soutien de la production. En outre, même dans les pays ou la production agricole dans son ensemble était defavorisée par les politiques économiques, les transferts de ressources aux dépens du secteur agricole s'accompagnaient souvent d'interventions visant à subventionner des groupes particuliers de producteurs, souvent pour des raisons sociales plutôt qu'économiques. Dans ces circonstances, il est essentiel que les responsables des politiques sachent bien quels sont les types d'intervention qui ont des chances d'être acceptables dans le nouvel environnement international.

En conclusion, pour les pays en développement, l'Accord sur l'agriculture influera essentiellement sur la formulation des politiques agricoles futures. Que les réformes soient rendues nécessaires par les nouvelles disciplines de l'Acte final ou par les programmes d'ajustement structurel, leur direction est à peu près la même : il faudra renoncer à utiliser les prix comme principal instrument des politiques agricoles. Les pays en développement sauront-ils adopter des politiques appropriées qui ne faussent pas les prix? Cette question doit être étudiée cas par cas. L'encadré 8.1 montre les options ouvertes aux pays en développement après l'Uruguay Round.

Pays en développement et évolution du marché mondial

Les accords issus de l'Uruguay Round auront sur les pays en développement des répercussions tenant non seulement à la modification des politiques mais aussi à l'évolution des marchés mondiaux (dimension, stabilité, prix).

On a fait observer plus haut que l'Accord sur l'agriculture, bien qu'il soit très complet, ne se traduira que par une libéralisation partielle des marchés agricoles mondiaux. D'importantes distorsions persisteront, même quand les engagements de réduction auront été entièrement appliqués.

D'une façon générale, selon la plupart des auteurs, les prix des produits de la zone tempérée seront de 5 à 10 pour cent en moyenne plus élevés qu'en l'absence de l'Uruguay Round ; pour les principaux produits tropicaux, la hausse sera plus faible ou même peutêtre négative. La variation des prix des produits tant tempérés que tropicaux intéresse les pays en développement. Or les accords issus de l'Uruguay Round ne stimuleront que dans une mesure limitée l'expansion des échanges mondiaux de ces produits qui, selon les projections, devrait être plus lente à l'avenir que pendant les années 70 et 80. En général, on peut donc s'attendre à ce que l'évolution du volume des échanges mondiaux de ces produits ne soit guère affectée par les accords ; toutefois, la structure des échanges et les parts de marché des exportateurs les plus compétitifs changeront probablement. Audelà de l'agriculture proprement dite, l'expansion des échanges entraînée par la libéralisation de l'Accord multifibre provoquera d'importants bouleversements. On prévoit une forte augmentation des exportations de textiles à destination des pays développés ; toutefois, la tendance à la hausse des prix pourrait freiner quelque peu la demande dans les pays en développement où se situe l'essentiel de la consommation de textiles. A l'échelle mondiale, la demande de fibres textiles pourrait être stimulée, ce qui serait très intéressant pour un certain nombre de pays en développement exportateurs. Par ailleurs, l'accroissement du revenu qu'entraînera l'Uruguay Round à l'échelle mondiale pourrait stimuler l'expansion des marchés agricoles mondiaux. Elle aurait probablement pour effet, surtout dans les pays développés, d'accroître la demande de produits chers et d'ouvrir des créneaux spéciaux (fruits et légumes exotiques, fleurs coupées, produits horticoles.

Encadré 8.1 Options possibles pour les pays en développement
PolitiqueEfficacitéConformité au GATTObservations
Soutien des prix à la productionCiblage inefficace, mauvaise allocation des ressources, peut être très coûteuse.Médiocre : Soumis à des restrictions; sinon, a un effet de distorsion sur les prix et accroît la MGS.Peut être indiqué pour la stabilisation des prix si le soutien est limité. Effet en général régressif. Difficile à cibler.
Subvention des intrantsMauvaise allocation des ressources, peut être très coûteuse.Moyenne : Peut être utilisée dans certaines conditions. Sinon, contribue à accroitre la MGS et la distorsion des prix.Permet un certain ciblage: légèrement préférable au soutien des prix à la production. Mesure régressive d'un point de vue de la distribution.
Subvention du créditCiblage efficace, allocation des ressources assez efficace.Moyenne/bonne: Moins d'effets de distorsion, possibilité de dérogation.Type d'intervention plus acceptable et potentiellement facile à cibler.
Stocks de sécurité alimentaireEffet minimum de distorsion lorsque l'objectif est uniquement d'éliminer de trop fortes fluctuations sur le marché et non pas de maintenir les prix dans une fourchette étroite.Moyenne/bonne : Les achats et les ventes peuvent se faire à des prix administrés, mais les subventions aux producteurs doivent être incluses dans la MGS. Ces stocks doivent faire partie intégrale du programme national de sécurité alimentaire.Le processus de constitution et d'écoulement des stocks doit être financièrement transparent.
Distribution d'aliments subventionnésL'effet de distorsion sur le marché est minime lorsque les subventions sont bien ciblées ; dans le cas de subventions plus générales, le marché ne s'effonde pas sous l'effet des prix subventionnés trop faibles et immuables.Bonne: Des critères clairement définis régissent l'attribution de vivres, la distribution d'argent pour I'achat de nourriture sur le marché ou à prix subventionnés. La subvention des prix sur une base régulière est également autorisée.Les aliments que le gouvernement utilise pour les programmes de subvention seront achetés aux prix du marché ; transparence financière et administrative nécessaire.
Obstacles non tarifaìresAllocation inefficace des ressources ; les droits de douane sont préférables.Médiocre : A un effet de distorsion sur les prix et accroît la MGS ; les droits de douane doivent remplacer les obstacles non tarifaires.Il pourra être nécessaire de réduire progressivement les droits.
Versements directs pour compléter les revenusPas toujours praticables. Peuvent être trop coûteux.Bonne : Aucun effet de distorsion, aucune augmentation de la MGS, à condition que les critères soient satisfaits.Impossible dans la plupart des pays en développement.
Investissements publics (vulgarisation, recherche, infrastructure, commercialisation et stockage)Allocation efficace des ressources, avec un effet de distorsion minime sur le marché.Bonne : En général, aucun effet de distorsion et aucune augmentation de la MGS.Les résultats sont obtenus seulement à long terme, notamment dans le cas des infrastructures. Les investissements dans les structures de commercialisation et de stockage sont les plus bénéfiques. Difficulté de ciblage.

Adapté de FAO (1994c)

Coûts des importations alimentaires. L'accroissement du prix des principaux produits alimentaires provenant des zones tempérées, qui résultera probablement de la réduction des subventions à l'exportation, pourrait se traduire par une forte augmentation des prix payés par les pays en développement importateurs nets de produits alimentaires, c'est-à-dire la grande majorité des pays en développement. Dans ce contexte, la Décision relative aux mesures concernant les effets négatifs possibles du programme de réforme sur les pays les moins avancés et les pays en développement importateurs nets de produits alimentaires pourrait en principe aider ce groupe de pays au cas ou les prix mondiaux des aliments et les factures d'importation augmenteraient. Ce texte est important, même s'il ne prévoit guère de mesures concrètes. Cette Décision est inspirée par l'idée que la libéralisation des échanges de produits agricoles fera probablement monter les cours mondiaux des produits alimentaires et qu'en même temps la réduction des subventions à l'exportation accroîtra le prix effectif payé par les importateurs.

Aide alimentaire. Certains craignent aussi que le volume de l'aide alimentaire, traditionnellement lié aux niveaux des stocks excédentaires, ne diminue à mesure que ces derniers se résorbent. La Décision, prenant acte de ces problèmes, prévoit certaines mesures palliatives. Premièrement, elle promet des mesures d'amélioration de l'aide alimentaire, à savoir a) examens périodiques du niveau de l'aide alimentaire, et b) accroissement de la part de l'aide fournie à titre de don. Elle stipule que les demandes d'assistance technique et financière pour améliorer la productivité et les infrastructures agricoles seront pleinement prises en considération. Elle promet qu'un éventuel accord sur les crédits à l'exportation comporterait un traitement différencié en faveur de ces pays. Enfin, elle prévoit, pour aider les pays en développement à financer leurs importations commerciales normales, que les institutions financières internationales pourront leur fournir une assistance à court terme « au titre des mécanismes existants ou de ceux qui pourraient être établis, dans le contexte des programmes d'ajustement ». Cette concession semble assez faible. Les prêts (car il ne s'agirait probablement pas de dons) seraient consentis par les guichets existant à la Banque Mondiale ou au FMI et assujettis aux mêmes conditions, et en particulier seraient fournis « dans le contexte de programmes d'ajustement ». Enfin, il n'y a aucune promesse de créer de nouveaux mécanismes explicitement pour compenser les pays importateurs d'aliments de la hausse de leurs factures d'importation qui résultera de la réforme ; il est seulement question de « mécanismes qui pourraient être établis ».

Stocks alimentaires. S'il est probable que les résultats de l'Uruguay Round se traduiront par une certaine stabilisation des prix des produits agricoles, on ne sait pas ce qu'il adviendra des stocks alimentaires. La tendance générale à la libéralisation et la réduction du soutien des prix pourraient faire baisser les stocks publics de produits agricoles. Cette réduction ne sera peut-être pas considérable, mais on peut se demander si le secteur privé la compensera. Comme cela est peu probable, on peut s'attendre à ce que les stocks alimentaires mondiaux diminuent. Heureusement, le soutien des stocks statutaires de sécurité alimentaire est exclu des objectifs de réduction de l'Acte final. Comme l'a demandé le Groupe intergouvernemental de la FAO sur les céréales à sa 25ème session en 1993, on peut espérer que les pays tireront parti de cette dérogation pour se doter de réserves de sécurité alimentaire suffisantes, mais il est possible que les pays en développement ne soient pas en mesure de fournir un effort financier considérable à cette fin. Il faudrait évaluer avec soin les coûts et les avantages qu'il y a à constituer des réserves alimentaires et à les utiliser plutôt que de s'approvisionner sur le marché mondial.

8.4 Au-delà de l'Uruguay Round

Blocs commerciaux régionaux

Un des principaux faits nouveaux dans le domaine du commerce mondial des produits agricoles est la formation et l'expansion de blocs commerciaux régionaux. Plusieurs accords commerciaux régionaux font actuellement l'objet de négociations intenses ou ont été conclus. On peut citer la mise en place du Marché unique européen en janvier 1993, le Protocole entre la CE et l'Accord européen de libre échange (AELE) établissant un espace économique européen et le lancement, en janvier 1994, de l'Accord de libre échange Nord- Américain (ALENA), qui étend au Mexique l'Accord de libre échange entre le Canada et les Etats-Unis. Plusieurs autres pays latinoaméricains négocient actuellement des arrangements de libre échange avec les pays de l'ALENA ou renforcent et étendent les acccords existants entre eux. En outre, les Etats-Unis ont proposé une Initiative pour les Amériques, qui consisterait à libéraliser les échanges et les courants d'investissement entre pays d'Amérique du Nord, d'Amérique Centrale et d'Amérique du Sud. La coopération commerciale entre pays d'Asie et de la bordure du Pacifique est également à l'étude, mais on ne sait pas quelle forme les accords pourraient prendre. De nombreux accords commerciaux ont été conclus entre pays en développement, mais rares sont ceux qui s'étendent aujourd'hui aux produits agricoles.

Les gros blocs commerciaux n'impliquent pas nécessairement un recul du libre échange car ils peuvent en principe conserver ou renforcer des arrangements commerciaux ouverts aux non-membres (et à d'autres blocs). Mais il est peut-être difficile de résister à la tentation d'adopter, au sein des blocs, des règles instituant une discrimination à l'encontre des concurrents extérieurs. Le monde aura besoin d'un GATT fort pour éviter que les blocs régionaux, au lieu de créer des échanges, ne se contentent de les détourner en faveur de leurs membres. Les disciplines du GATT assujettissent les arrangements régionaux à certaines conditions : notamment ces arrangements ne doivent pas accroître les obstacles aux exportations d'autres membres du GATT. Les pays en développement pourraient probablement s'ils le voulaient s'aligner sur les blocs commerciaux des pays développés, mais ils n'auraient sans doute guère d'influence sur les règles appliquées par ces blocs. Mais en l'absence d'un GATT fort, la place des pays qui ne souhaiteraient pas s'associer aux groupements de pays développés serait problématique car ils pourraient être exclus des marchés des pays développés si ceux-ci ne leur accordaient pas un statut préférentiel. Leur possibilité de constituer eux-mêmes des blocs commerciaux forts est limitée à la fois par leurs structures économiques et par le fait qu'ils ne constituent pas un contre-pouvoir. Enfin, les blocs commerciaux ne semblent guère en mesure de résoudre les problèmes mondiaux du commerce des produits agricoles. Les blocs existants n'ont pas réussi à le faire.

Prix sur les marchés mondiaux

La faiblesse et l'instabilité des prix de certains des principaux produits agricoles qu'exportent les pays en développement continueront à poser de graves problèmes. Commme on l'a vu plus haut, l'efficacité des Accords internationaux de produits s'est révélée limitée, et le restera sans doute. A long terme, le principal espoir d'améliorer les prix réels ou d'éviter qu'ils ne se dégradent encore est la croissance de la consommation et des importations de pays où la consommation de ces produits est encore relativement faible, à savoir les ex-ECP et les pays en développement eux-mêmes, ainsi qu'une modification radicale des conditions dans les pays producteurs et exportateurs (bas coûts d'opportunité de la main-d'oeuvre en raison de la faible productivité dans tous les secteurs - voir Chapitre 3). Mais comme on l'a vu au Chapitre 3, cette évolution est improbable dans l'immédiat, et même à moyen terme.

Pour résoudre ces problèmes, les pays exportateurs en développement pourraient chercher à freiner la baisse des prix agricoles et à réduire leurs fluctuations, ou encore prendre des mesures pour compenser l'instabilité et la faiblesse des prix. C'est principalement par les négociations commerciales multilatérales de l'Uruguay Round que les pays ont cherché à résoudre ces problèmes. L'objectif était de stimuler le commerce des produits agricoles et les prix agricoles en réduisant beaucoup le protectionnisme, surtout dans les pays développés. Une autre piste a consisté, face à l'échec des accords internationaux de produits, à développer la demande par un effort de promotion des exportations, de développement des produits et de diversification. Le deuxième Compte du Fonds commun pour les produits de base représente une tentative de la communauté internationale pour faciliter ce processus; mais il n'est opérationnel que depuis peu.

Autre piste: il est possible d'agir sur le plan national pour amortir les effets des chutes des prix et de leur instabilité. La baisse des cours mondiaux peut être compensée au niveau national par un accroissement de la productivité et une réduction des taxes à l'exportation ou par la protection des producteurs agricoles. Beaucoup de pays ont suivi cette piste ce qui, globalement, s'est traduit par une aggravation du problème international. De façon analogue, les mesures prises par beaucoup de pays, développés ou en développement, pour stabiliser les prix intérieurs, aggravent le problème international parce que ces pays n'amortissent plus les fluctuations des marchés mondiaux. De plus, les pays en développement qui voudraient adopter de telles politiques sont nettement défavorisés parce qu'ils n'ont pas les moyens de protéger massivement leur agriculture ni d'investir beaucoup dans la recherche et le développement pour accroître la productivité. D'autres palliatifs ont été mis au point sous forme de transferts compensatoires et d'autres instruments financiers tels que le mécanisme de financement compensatoire du FMI et le programme Stabex de la CE, tous deux conçus pour amortir les fluctuations des recettes d'exportation. Enfin, de nouvelles techniques commerciales offrent aux pays exportateurs des instruments permettant de stabiliser les prix de leurs produits: contrats à long terme à prix fixes, contrats à terme, opérations de couverture sur les bourses de produits, marchés hors cote, swaps, obligations indexées sur les prix des produits de base. Commme on l'a vu, quelle que puisse être l'utilité de ces divers instruments pour réduire les risques liés aux fluctuations des prix, ils n'ont guère d'effet sur les causes structurelles de la baisse à long terme des prix de certains produits agricoles.

Commerce, environnement et durabilité

Une autre question d'actualité est celle des relations entre le commerce et les problèmes d'environnement et de durabilité et des effets de la libéralisation du système commercial. Pour la plupart des produits agricoles, le commerce ne consacre qu'une faible proportion de la production. Mais pour quelques-uns tels que les boissons tropicales, il joue un beaucoup grand rôle, et pour certains pays il a une importance considérable. Le rapport entre le commerce d'une part, l'environnement et le développement agricole durable de l'autre, tient essentiellement à ce que le commerce permet d'implanter les activités de production à distance des lieux de consommation. Il peut donc influer sur l'environnement s'il incite à déplacer la production agricole de zones qui s'y prêtent mal à des zones où elle peut être plus durable ou vice versa. Le commerce exerce aussi une influence indirecte du fait qu'il peut faciliter le développement économique, et donc modifier la valeur que les populations attachent à la protection de l'environnement.

Comme on l'a dit aux Chapitres 2 et 3, il faut s'attendre à une augmentation de la population et de la consommation par habitant. Les pressions qui s'exercent sur l'environnement continueront donc d'augmenter, menaçant la durabilité, comme il est indiqué au Chapitre 11. Reste à signaler ici que les courants d'échanges de produits agricoles et les politiques commerciales déterminent non seulement l'emplacement de la production mais aussi l'utilisation, pour une production donnée, de techniques et pratiques plus ou moins respectueuses de l'environnement. Par exemple, la politique d'aide à l'agriculture et de protection appliquée par certains pays développés a incité à l'abus des produits chimiques et à la création d'élevages intensifs qui nuisent à l'environnement. Si le régime commercial avait été plus libéral et l'accès au marché plus facile, une partie des produits ainsi obtenus auraient pu être importés de pays utilisant des techniques de production plus douces (par exemple l'Europe aurait pu importer plus de viande, de blé et d'autres céréales d'Amérique du Sud).

Le commerce peut donc réduire les pressions qui s'exercent sur l'environnement à l'échelle mondiale s'il incite à déplacer la production vers des zones où les ressources naturelles se prêtent mieux à produire un volume donné de récoltes avec des méthodes plus durables ou moins agressives. Mais rien ne garantit que cela sera toujours le cas si le coût écologique occulte de la production pour l'exportation ou le remplacement des importations n'est pas comptabilisé correctement. En fin de compte, pour qu'un volume donné de produits puisse être obtenu au moindre coût pour l'environnement, il faut que pays importateurs et pays exportateurs comptabilisent les externalités écologiques dans les coûts de production et le prix des marchandises échangées. A l'échelle mondiale, si tous les pays appliquaient de telles politiques, la production se situerait dans les zones où la somme des coûts de production et des coûts environnementaux est la plus faible (FAO, 1993j: Anderson et Blackhurst, 1992). Bien évidemment, chaque société affectera une valeur différente à chaque coût écologique défini « objectivement » en unités physiques (par exemple, tonnes de sol perdu à cause de l'érosion provoquée par la production sur un type de terre donnée, c'est-à-dire dans des conditions physiques identiques), comme d'ailleurs à tous les autres facteurs de production. En conséquence, l'effet du commerce sur la répartition géographique de la production réduira les coûts totaux, y compris les coûts écologiques selon la valeur affectée à ceux-ci par chaque societé. Il est évident que les coûts écologiques ne seront pas chiffrés selon un même critère physique « objectif » puisque les politiques de l'environnement des divers pays varieront en fonction de la valeur qu'ils attribuent à l'environnement. Il doit nécessairement en être ainsi car, comme on l'a vu au Chapitre 3, la durabilité et la valeur attribuée à l'environnement sont des concepts anthropocentriques.

Ainsi, si l'on admet que cette façon d'envisager la valeur des ressources naturelles est valable et qu'il est possible d'appliquer des politiques de l'environnement appropriées, l'antagonisme entre environnement et commerce des produits agricoles n'est pas inéluctable, mais un cadre multilateral peut être nécessaire pour le conjurer. C'est là un des principaux défis que devra relever au cours des prochaines années la politique agricole internationale, et en particulier le Sous-Comité du commerce et de l'environnement qui a été établi en attendant l'issue des négociations sur l'organisme qui doit succéder au GATT, la nouvelle Organisation mondiale du commerce.

L'adoption de politiques nationales de l'environnement par un petit nombre de pays seulement n'est pas une bonne approche du développement agricole durable. Une fiscalité qui fasse peser sur les producteurs d'un seul pays les coûts écologiques de leurs processus de production risque de n'avoir d'autre effet que de concentrer la production dans les pays où ces coûts ne sont pas comptabilisés ou le sont incomplètement. Pour éviter une telle situation, certains pays pourraient être tentés d'adopter unilatéralement des politiques tendant à rendre égal le traitement des producteurs nationaux et des producteurs étrangers au moyen d'impôts prélevés dans le pays sur les marchandises tant de production nationale qu'importées, ou bien de measures à l'importation. De telles politiques peuvent dans bien des cas être compatibles avec les règles du GATT, mais certaines mesures de protection de l'environnement ne le seront pas. Beaucoup d'arguments militent donc en faveur d'une approche multilatérale pour rendre plus efficaces les politiques nationales de l'environnement au moyen par exemple d'accords internationaux sur certains produits visant à protéger l'environnement. Une approche multilatérale est aussi nécessaire pour éviter que les politiques de l'environnement ne deviennent un alibi pour un nouveau type de protectionnisme déguisé. Par exemple, il ne faudrait pas que les pays développés aillent jusqu'à empêcher les pays pauvres de profiter des avantages qui découlent du commerce en exigeant qu'ils respectent des normes écologiques strictes correspondant aux valeurs de sociétés beaucoup plus riches. Quant aux pays en développement à bas revenu, ils continueront à avoir du mal à adopter des normes écologiques et rigoureuses. Leurs problèmes pourraient être allégés par une assistance générale au développement ainsi que par une assistance spécifique en matière de développement durable et d'environnement.

Au-delà des problèmes nationaux, il existe de nombreux problèmes écologiques transfrontières dans lesquels le commerce peut jouer un rôle direct ou non. Quand des pays tiers souffrent de l'absence de politiques nationales appropriées, on peut avoir recours à des actions multilatérales pour encourager les « bonnes pratiques » au moyen par exemple d'accords internationaux sur l'environnement. Le nombre et la portée de ces accords ont rapidement augmenté et cette tendance se poursuivra probablement à l'avenir. Un objectif important de la politique internationale sera de veiller à ce que ces actions soient fondées sur des critères objectifs et scientifiques et à ce qu'il soit tenu compte de la réalité des différences de valeur des biens écologiques selon les pays. Les actions devraient être non discriminatoires, proportionnelles aux dommages causés et avoir un minimum d'effets négatifs sur le plan économique. Une question qui se pose en particulier est de savoir si les problèmes écologiques ont pour origine la production d'un bien en ellemême où l'emploi de certaines méthodes de production et de transformation nuisibles pour l'environnement. Une autre question est la légitimité de mesures commerciales visant à influencer les options technologiques dans les pays tiers. Ces questions resteront probablement longtemps encore un important sujet de préoccupation; il sera important de s'accorder sur des disciplines permettant d'empêcher que les mesures commerciales appliquées dans le cadre d'accords internationaux sur l'environnement ne servent d'alibi à un nouveau protectionnisme.

En conclusion, les externalités écologiques qu'entraîne presque toujours le développement agricole font que l'on ne peut pas compter sur les forces du marché pour assurer la durabilité de ce développement car les coûts et bénéfices sociaux ne sont normalement pas pris en compte dans les valeurs marchandes privées. Il faut donc, pour aboutir à un développement agricole durable, que les gouvernements appliquent des politiques modifiant le comportement des marchés, faute de quoi l'allocation des ressources risque d'être sub-optimale du point de vue de la société. La gamme des options possibles est très large: certaines comportent l'utilisation de mesures commerciales tandis que d'autres influent sur le commerce, indirectement, par leurs effets sur la production ou la consommation. On notera en tout état de cause que des politiques erronées peuvent aussi se traduire par une allocation sub-optimale des ressources et qu'il faut réformer les politiques ainsi défaillantes, de même qu'il faut corriger les défaillances du marché. On peut s'attendre à ce que de plus en plus de pays adoptent des politiques de l'environnement et que cela soit un aspect très important des politiques agricoles en l'an 2010.


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