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CHAPITRE 7 (contd.)

Tableau 7.2 - Indicateurs d'infrastructure de transport en Afrique et en Asie, 1990
PaysMilles de lignes ferroviaires et de routes par:N° de véhicules à moteur par mille de route asphaltée
1000 habitants1000 ha de superficie agricole exploitée
Afrique   
Bénin0,170,369,0
Kenya0,301,0919,2
Malawi0,281,5517,0
Sénégal0,440,6012,2
Tanzanie0,150,0914,2
Togo0,371,2613,5
Zimbabwe1,094,1135,7
Asie   
Bangladesh0,070,7547,5
Corée, Rép.0,5811,4167,2
Inde0,683,5849,0
Pakistan0,733,7142,5
Philippines1,657,3851,8

Source: Platteau (1993), sur la base des données de Ahmed et Donovan (1992).

Fourniture de biens collectifs: quel est le rôle de l'Etat ?

Le secteur public a une tâche importante à accomplir : il doit faire en sorte que l'augmentation des fournitures de biens collectifs profite à tous les producteurs (surtout les petits cultivateurs). Ceux-ci ne profiteront pas des abaissements de coûts consécutifs aux améliorations infrastructurelles de la commercialisation et de la distribution si des organismes parapublics monopsonistes supprimés sont remplacés par des commerçants ou des transporteurs également monopsonistes, situation qui se présentera d'autant plus facilement que les marchés du crédit seront imparfaits. Les gouvernments ont le devoir d'intervenir pour éviter de telles situations ou pour y remédier quand elles se produisent.

Bien qu'il puisse exister un accord « de principe » sur le fait que les Etats doivent fournir des biens collectifs, les modalités de la fourniture, l'organisation institutionnelle, et surtout les rôles relatifs des secteurs public et privé peuvent varier en fonction des types de biens collectifs. Ainsi, les entreprises qui investissent dans la découverte de nouvelles technologies peuvent ne percevoir qu'une faible partie des revenus nets qui résultent de ces recherches. Elles sont, de ce fait, moins incitées à investir dans la recherche, et la conséquence logique est que la recherche sera insuffisante si l'on ne compte que sur le secteur privé (Timmer, 1991). Dans des situations de cette nature, la recherche financée par le secteur public est une composante nécessaire des politiques autres que celles qui portent sur les prix (pour une discussion plus complète des arguments en faveur du financement public de la recherche agricole, voir Schultz, 1990).

Le cas des autres types de biens collectifs est moins tranché. L'irrigation est un exemple de cas « mixte ». En raison de la complexité de leur gestion et de l'importance de leurs besoins de financement, les projets d'irrigation ne sont pas accessibles aux investisseurs privés dans les pays en développement. Ces projets comprenant des coûts d'externalités (maladies d'origine hydrique, épuisement des couches aquifères souterraines), l'intervention du secteur public peut s'avérer nécessaire pour l'optimisation sociale d'affectation des ressources (voir Ellis, 1992). D'un autre côté, le secteur privé ou les collectivités locales, les coopératives, etc. reussissent parfois mieux dans la conception et la réalisation des projets. En ce qui concerne les routes rurales, s'il est vrai qu'une administration centrale est plus qualifiée pour les construire, l'expérience prouve que les résultats sont meilleurs quand les usagers participent à la planification et quand des ressources locales sont mobilisées pour les entretenir et les réparer. Des règles claires de répartition des avantages et des responsabilités entre l'administration centrale et les groupes d'usagers sont essentielles au succès de la décentralisation des décisions. D'une façon générale, c'est à l'Etat qu'il incombe d'établir les plans et de construire et surveiller les infrastructures, mais il vaut sans doute mieux s'en remettre au secteur privé et aux communautés locales pour assurer les services.

Les questions de prix sont également importantes pour les biens collectifs (comme l'électrification, l'éducation, l'irrigation). L'expérience montre par exemple que peu de pays font payer un prix qui rembourse les coûts de l'approvisionnement en eau. Cela accroît la charge des budgets publics, réduit les budgets d'entretien et de remise en état, et entraîne une surexploitation de cette ressource, ce qui a des effets secondaires sur l'environnement. Les investissements publics devraient avant tout avoir pour but d'attirer les ressources du secteur privé vers l'agriculture, mais ils devraient aussi chercher à atteindre des objectifs plus vastes qui ne soient pas strictement économiques, comme l'atténuation de la pauvreté, à travers l'exécution de programmes de travaux publics ruraux, etc. Pour que le développement rural ait une base large, il est très important que l'Etat investisse dans l'infrastructure rurale, la recherche et la vulgarisation.

Réformes des politiques : le rôle des institutions et des contraintes politiques

Comme il est impossible de tirer des conclusions qui s'appliquent à tous les cas, pour choisir entre les diverses façons possibles d'assurer la fourniture de biens collectifs, il est indispensable d'effectuer une analyse minutieuse des besoins, des moyens disponibles et des impacts des politiques dans chaque pays et chaque contexte. Actuellement, dans un certain nombre de pays, le secteur public ne dispose ni des compétences d'analyse ni des capacités institutionnelles requises pour pouvoir s'acquitter de ces tâches. En dépit de leur utilité « a priori », les grands projets publics peuvent devenir des objets coûteux et inutiles, s'ils ne sont pas gérés et mis en œuvre comme il convient. Il faut s'assurer de l'existence des capacités nécessaires dès leur préparation.

Le secteur privé manque souvent d'institutions suffisamment développées pour pouvoir remplacer les organismes parapublics agricoles dans leurs fonctions de commercialisation, d'entreposage et d'importation et exportation des intrants et des produits agricoles, ce qui complique et entrave les efforts de libéralisation. Dans les pays où, depuis toujours, le secteur privé intervient peu dans les activités de commercialisation et de distribution (activités du marché parallèle mises à part), le secteur privé ne fait pas toujours le « pas nécessaire » pour combler le vide laissé depuis que l'Etat s'est désengagé. Il y a aussi des cas où la privatisation rapide crée des problèmes à court terme liés au redéploiement du personnel et à l'augmentation des tensions sociales. La réforme des organismes parapublics et des offices de commercialisation doit alors être progressive, l'accent étant mis sur l'accroissement des responsabilités et de la transparence, la rationalisation des opérations et la réduction des coûts. Il faut également prendre des mesures pour décharger ces organisations de multiples tâches de développement que les gouvernements leur imposent (stabilisation des prix, garantie de débouchés commerciaux, sécurité alimentaire, employeur de dernier recours). En ce cas, des interventions spécifiques sont nécessaires pour faire face aux effets négatifs de ces réformes sur l'emploi. Les expériences de privatisation dans les pays développés montrent que l'introduction de la concurrence du secteur privé peut être un premier pas important vers une libéralisation réussie. Toutefois, l'expérience de l'Afrique subsaharienne dans ce domaine est moins concluante.

Encadré 7.2 Déterminants du succès des réformes : cas de l'Asie du Sud et de l'Afrique subsaharienne

La diversité des résultats de réformes apparemment semblables incite à s'interroger sur les facteurs socio-économiques et politiques qui déterminent la persistance dans l'application des programmes de réforme et la mesure dans laquelle ils stimulent la croissance. Dans une étude écrite pour la FAO, Subramanian, Sadoulet et de Janvry (1994) comparent un pays pauvre typique d'Asie à un pays pauvre typique d'Afrique (ci-après désignés respectivement par « Asie » et « Afrique”) pour montrer comment les structures économiques et les institutions peuvent déterminer la nature des ajustements nécessaires et le résultat des réformes. Leurs principales constatations sont les suivantes :

  1. En Afrique, les réformes ont le plus souvent été entreprises non à l'initiative des pays intéressés, mais parce que les organismes de prêt les imposaient. Elles étaient générales et stéréotypées au lieu d'être adaptées à chaque pays, et allaient souvent contre les intérêts des coalitions au pouvoir. En Asie, elles ont dans bien des cas été entreprises à l'initiative des pays eux-mêmes ; elles étaient mieux adaptées aux besoins et aux conditions du pays ; elles ont suscité moins de résistance et elles étaient politiquement plus viables ; elles ont donc été appliquées de façon plus cohérente.

  2. La viabilité politique a été érodée par la fréquence et l'ampleur des chocs extérieurs qu'ont subis les pays africains, et par les difficultés économiques qui les ont suivis et qui ont empêché de dédommager les « victimes » des réformes, ce qui rendait difficile le consensus.

  3. Même si le rôle de l'Etat après la réforme devait être semblable dans toutes les régions (fourniture de biens publics, gestion des externalités, réduction des coûts de transaction, fonctions sociales), la situation n'était pas tout à fait la même : le désengagement de l'Etat n'a pas autant perturbé les administrations responsables de la fourniture des biens publics en Asie qu'en Afrique, parce qu'au départ le rôle de l'Etat n'y était pas aussi important.

  4. Dans le secteur agricole, les filières de commercialisation privées et les institutions rurales indigènes étaient plus faibles et moins bien loties en Afrique qu'en Asie, parce que la méfiance à l'égard du secteur privé était plus grande. C'est ce qui explique qu'en Asie le secteur privé ait pu prendre la relève de l'Etat là où celui-ci se désengageait.

  5. En Afrique, la croissance est freinée par le sous-développement des marchés financiers. La faiblesse du système fiscal oblige à tirer des taxes sur les produits une part importante des recettes publiques. Cette difficulté qu'ont les Etats africains à lever l'impôt est d'autant plus regrettable que l'effet marginal du développement de l'infrastructure sur la productivité agricole est plus fort en Afrique qu'en Asie.

Bien souvent, les efforts de libéralisation ne s'accompagnent pas d'un cadre juridique clair qui légitime l'activité du secteur privé. L'absence d'un tel cadre crée des risques qui découragent le secteur privé de participer aux activités de production et de commercialisation. Font notamment partie de ces exemples les subventions permanentes ou accordées sans règles précises aux organismes parapublics qui sont en concurrence avec le secteur privé ainsi que les restrictions quantitatives aux échanges commerciaux interrégionaux.

Quant à l'origine des réformes, l'expérience indique que les programmes d'ajustement endogènes ont plus de chance d'être appliqués de façon cohérente et persistante et de produire des résultats que ceux qui sont inspirés par l'extérieur. Il n'est pas toujours possible de réaliser le consensus politique nécessaire pour appliquer un programme de réformes ambitieux et crédible. Dans la mesure où les distorsions de prix et le volume et la nature des dépenses publiques reflètent la structure du pouvoir politique, les réformes ou la perspective de réformes rencontreront des résistances plus ou moins énergiques. Si les bénéficiaires des réformes (commerçants, entreprises d'import-export, secteur non-structuré) peuvent s'insérer dans les créneaux créés par la libéralisation de l'économie et remplacer l'Etat dans les fonctions dont celui-ci se retire, les réformes ont plus de chances d'être efficaces. Mais, pour que le consensus puisse se réaliser avant la réforme, il faut que les bénéficiaires potentiels aient déjà un certain pouvoir politique. L'importance des facteurs institutionnels et politiques en tant que déterminants du succès des réformes est examinée dans l'encadré 7.2.

7.5 Les enseignements tirés et leurs implications au niveau des politiques : ajustements à court terme et stratégies à long terme

Politiques à court et à moyen terme

Il ressort de l'analyse effectuée dans les sections précédentes qu'un bon environnement macro-économique (stabilité des prix, taux de change compétitif, taux d'intérêt qui reflète l'équilibre entre la demande de crédit et l'épargne) peut contribuer, dans une large mesure, à améliorer les conditions de la croissance agricole. La principale conclusion que l'on tire de l'étude de l'expérience passée est que les solutions fragmentaires ne peuvent pas fonctionner car les crises sont ordinairement le résultat non pas d'une mais de nombreuses politiques, dont les objectifs sont souvent contradictoires. Un ensemble cohérent de politiques est nécessaire pour éviter les crises ou les inverser. Par exemple, la contraction de la demande sans dévaluation, lorsque les prix et les salaires sont rigides, peut provoquer une crise lorque le bilan des flux de capitaux avec l'étranger devient négatif. Par ailleurs, les dévaluations réelles ne sont pas durables si elles ne s'accompagnent pas de politiques monétaires et budgétaires appropriées. Les théories en faveur d'une grande souplesse des politiques de change gagnent du terrain. La dévaluation, même quand elle est nécessaire, n'élimine toutefois pas le besoin d'améliorer la compétitivé au moyen d'accroissements de productivité à long terme. Bien qu'elle puisse relancer l'agriculture en rétablissant les incitations par les prix des produits exportables, et bien qu'elle puisse soulager à court terme la balance des paiements, le bilan à long terme du secteur agricole et de l'économie dépend des gains réels de productivité.

La question n'est pas de savoir si, en principe, un régime de taux de change fixes est ou non meilleur en soi qu'un système de taux variables, mais si les politiques monétaires et budgétaires sont compatibles avec le régime de change choisi. Si des taux variables sont parfois préférables, c'est parce que les politiques budgétaires et monétaires nécessaires pour appuyer un taux fixe sont presque intenables en pratique, surtout en présence de chocs extérieurs. Pour un pays qui ne peut pas modifier à son gré la valeur de sa monnaie, une politique budgétaire qui n'amène pas à surévaluer la monnaie et un système de prix et de salaires qui réagisse aux déséquilibres sont les pierres angulaires de l'indispensable stabilité macro-économique. La décision récente de dévaluer le franc CFA (monnaie des 14 pays d'Afrique de la zone franc - voir IMF Survey, 24 janvier 1994) montre à quel point il est difficile de respecter les règles budgétaires et monétaires rigoureuses qui sont nécessaires pour éviter la surévaluation des taux de change réels dans un système de parité nominale fixe, et en présence de chocs extérieurs. S'il est vrai que la parité fixe a été un facteur de stabilité et de croissance et un frein à l'inflation jusqu'au milieu des années 80, il aurait fallu établir la compétitivité en contenant les coûts de production ou au moyen de mesures commerciales alors que les termes de l'échange se détérioraient et que le franc français s'appréciait. Beaucoup des pays concernés ont vu s'effondrer les exportations, les investissements et la croissance, et ont sombré dans la crise financière, faute d'avoir pu contenir les coûts au moyen d'ajustements internes.

Dans plusieurs pays, les ajustements entrepris dans le sillage de la crise économique ont consisté à appliquer des restrictions au commerce extérieur et à rationner les devises. Comme les allocations de devises et les autorisations d'importer dépendent souvent des pressions politiques que peuvent exercer les bénéficiaires, l'agriculture a presque toujours été perdante.

Dans le contexte de la réforme macro-économique évoquée plus haut, les investissements publics dans l'infrastructure agricole seront limités par l'austérité budgétaire imposée par la réforme. Comme on l'a vu plus haut, il sera parfois inévitable de taxer, entre autres, les importations et les exportations de produits agricoles, du moins dans l'immédiat, en attendant que des mécanismes plus efficaces de perception de l'impôt aient pu être mis en place. S'il est nécessaire de pénaliser ainsi directement l'agriculture - ou, dans certains cas, de continuer à la pénaliser - il n'en sera que plus indispensable de supprimer les impôts occultes qui pèsent sur elle tels que la surévaluation des taux de change. Une protection à la frontière ou une taxation uniforme, suboptimale du point de vue de l'efficience, n'en est peut-être pas moins la meilleure solution étant donné les difficultés d'exécution des mesures non uniformes et le risque qu'elles ne créent des rentes. La transformation des obstacles non tarifaires en droits de douane créera une source de recettes budgétaires. Plusieurs pays en développement ont déjà effectué ces changements.

Il faut aussi chercher d'autres sources de fonds. On peut utiliser pour financer les biens publics les économies réalisées grâce à la suppression graduelle de certaines subventions improductives ou contre-productives et à la réforme ou la privatisation des entreprises d'Etat ou para-étatiques. Dans plusieurs pays, il sera possible de dégager des fonds en modifiant la répartition des dépenses entre les postes budgétaires, par exemple en transférant des crédits du budget de fonctionnement au budget d'équipement à mesure que l'efficacité du secteur public s'améliorera.

Outre un cadre macro-économique favorable, la libéralisation du secteur agricole aura besoin, pour être efficace, de réformes équilibrées dans tous les secteurs de l'économie. Si l'on cherche à promouvoir l'efficience dans le secteur agricole en réduisant les obstacles aux importations, les droits de douane ou les subventions, tout en maintenant la protection dont bénéficient les autres secteurs, on pénalise l'agriculture. Corriger la moitié des distorsions n'est pas la même chose que réduire de moitié toutes les distorsions.

Les prix internationaux de certains produits (céréales, produits laitiers, sucre) sont plus bas et plus instables qu'ils ne le seraient si les pays développés n'appliquaient pas de mesures faussant le commerce. Mais, dans certains cas, ce sont justement ces mesures qui ont aidé à améliorer la sécurité d'approvisionnement des marchés internationaux, en particulier pour les céréales, car elles ont conduit à porter les stocks de ces pays à des niveaux plus élevés qu'ils ne l'auraient été autrement (O'Brien 1994 ; voir aussi chapitre 2).

Les prix du marché international représentent de fait le coût d'opportunité des biens pour les pays en développement et ils pourraient en principe servir de base pour calculer la protection ou la pénalisation relatives des produits, c'est-à-dire de référence pour mesurer les distorsions. Mais ces prix sont dans bien des cas artificiellement bas et opaques à cause des subventions à l'exportation, qui sont considérables, irrégulières, et rarement transparentes. On peut donc se demander s'il est raisonnable de les laisser agir sans frein sur le marché agricole des pays importateurs, car ils perturbent le développement sain de la production intérieure20. Les gains qui résultent des bas prix à l'importation peuvent être compensés et au-delà si les incitations à la production sont perturbés par des signaux capricieux et artificiels du marché international. C'est pourquoi, plusieurs pays en développement importateurs ont adopté des mesures à la frontière pour filtrer ces signaux, par exemple en maintenant les prix à l'importation dans un « serpent » afin de les lisser. Ces mesures n'isolent pas l'économie nationale de l'évolution à long terme des prix internationaux, mais la protègent contre les mouvements capricieux et éphémères provoqués par certaines subventions, occultes ou non, des exportations.

En conclusion, si on considère le rôle des prix du marché international comme un coût d'opportunité qui influe sur les incitations à la production, il faut tenir compte de l'augmentation des risques que comporte une telle utilisation des cours internationaux sujets à distortions. Ces cours sont non seulement plus bas, mais aussi plus instables et moins transparents qu'ils ne le seraient sans les distorsions des politiques en question. Ils risquent en outre d'être moins durables que les tendances de prix engendrées par les forces du marché, car les politiques qui les ont abaissés peuvent être modifiées du jour au lendemain.

On a avancé des arguments en faveur de la protection positive des cultures (surtout vivrières), principalement pour améliorer la sécurité alimentaire (souvent associée à tort à l'autosuffisance alimentaire), ainsi que pour soutenir les emplois et les revenus ruraux. Certains de ces arguments en faveur de l'augmentation de l'autosuffisance alimentaire peuvent être valables s'ils corrigent des dysfonctionnements du marché ou d'autres distorsions. De même, si la production vivrière a des effets multiplicateurs que les producteurs privés ne prennent pas en compte au moment de prendre leurs décisions, une intervention des pouvoirs publics peut s'avérer nécessaire (Matthews, 1989; cette question est analysée plus loin). Si de tels objectifs sont poursuivis, il faut faire preuve de prudence en ce qui concerne les instruments grâce auxquels on encouragera la production vivrière afin qu'ils s'attaquent aux racines du problème. Ainsi, une intervention visant à accroître la productivité de la petite agriculture par des mesures non fondées sur les prix (organismes et coopératives de crédit, diffusion des technologies, etc) pourrait se révéler plus efficace qu'une intervention agissant par une distortion des prix.

20. Le manque de transparence dans la formation des prix internationaux que provoquent divers types de subventions à l'exportation, occultes ou non, est illustré par les exemples ci-après : le prix affiché (f.o.b.) du blé sur le marché international était au début de 1994 de 130 à 150 dollars la tonne (US soft Red Winter No 2) ou d'environ 120 dollars la tonne (Argentina Trigo Pan). A la même époque, les producteurs kényans se plaignaient d'être submergés par du blé qui arrivait à Mombassa à 90–100 dollars la tonne (Financial Times, 28 juin 1994). La Chine aurait acheté en janvier 1994 815 000 tonnes de blé américain (US SRW) avec une ristourne de 65,5 dollars la tonne au titre du programme de promotion des exportations, soit un prix net implicite de 93 dollars.

L'instabilité accrue des factures d'importations et des recettes d'exportation peut aboutir à des crises occasionnelles de la sécurité alimentaire nationale dans les pays à faible revenu et à déficit vivrier. Dans ces conditions, il peut être justifié de rechercher un plus grand degré d'autosuffisance alimentaire que celui qui serait suggéré par de simples considérations d'efficacité, dans la mesure où il réduit l'élément risque associé à l'instabilité des prix sur le marché mondial et dans la mesure où il est difficile de mettre en œuvre d'autres politiques pour faire face à ce risque, par exemple : maintien des réserves de devises destinées aux importations alimentaires, utilisation de tarifs douaniers variables (afin de compenser les effets de la volatilité artificielle des cours mondiaux - dus notamment aux politiques qui faussent la structure des échanges), ou recours à des marchés mondiaux à terme ou à options.

Comme il a été dit précédemment, les écarts entre les prix intérieurs et les cours mondiaux peuvent se justifier dans la mesure où ceux-ci résultent, plus que d'améliorations techniques, de politiques non durables pratiquées par les exportateurs de produits alimentaires, politiques qui risquent à tout moment d'être inversées. Ceci est important surtout si l'on doit prendre des décisions sur des projets d'investissement dans le secteur alimentaire. Le taux de rentabilité des projets infrastructurels de longue durée devrait tenir compte de niveaux «soutenables» des cours mondiaux. Plusieurs autres arguments peuvent être avancés en faveur de l'augmentation de l'autosuffisance au-delà de ce qu'exigeraient de stricts critères d'efficacité. Même si ces arguments traduisent sans doute les impératifs sociaux et politiques des divers pays, leur validité devrait être examinée au cas par cas, en tenant compte des pertes ou des gains d'efficacité économique causés par ces choix et de la possibilité de poursuivre ces politiques de façon durable.

Des mesures à court terme aux stratégies à long terme : rôle de l'agriculture dans le développement économique

La tendance à la rigueur budgétaire et à la libéralisation de l'économie se poursuivra sans doute dans les pays en développement (ainsi que dans les pays développés). Le détail des réformes (délais, séquence, rapidité) pourra changer à mesure que l'on tirera des enseignements de l'expérience et que l'on verra ce qui se passe dans les pays qui ont entrepris des réformes. Il est maintenant évident qu'il faudra plus de temps qu'on ne le pensait pour que les réformes portent fruit, surtout dans les pays à bas revenu dont les institutions et les infrastructures laissent à désirer. Dans ces pays, la réaction du secteur agricole aux réformes macro-économiques a été mitigée.

A l'avenir, il faut s'attendre à ce que les programmes de réforme continuent à accorder une attention croissante à l'élimination des goulets d'étranglement résultant des carences des infrastructures, à la promotion de la recherche et de la vulgarisation, au financement de la protection de l'environnement et aux mesures visant directement à combattre la pauvreté dans ses différentes manifestations (sécurité alimentaire, santé) et non pas seulement au rétablissement de l'équilibre des comptes intérieurs et extérieurs ainsi que des prix relatifs.

On s'est jusqu'ici surtout intéressé aux politiques à court et à moyen terme, qui ont pour objet de créer des conditions propices à une allocation efficiente des ressources entre les secteurs et à l'intérieur du secteur agricole. Les réformes à court terme qui visent à corriger des déséquilibres économiques et à résoudre les crises qui en résultent sont sans doute nécessaires, mais non suffisantes pour relancer la croissance. Les stratégies de croissance à long terme exigent une vision plus ample et doivent reposer sur un choix des secteurs prioritaires pour l'investissement public.

Les coûts économiques considérables qu'ont entraînés les politiques privilégiant l'industrialisation et le remplacement des importations aux dépens de l'agriculture ont incité à une nouvelle réflexion sur l'agriculture en tant que moteur du développement économique, surtout dans les pays où la population rurale est importante et où l'agriculture est la source d'une forte proportion du PIB, des exportations et de l'emploi. D'où un regain d'intérêt pour les stratégies de développement tiré par l'agriculture.

Ces stratégies ne sauraient se limiter à corriger dans l'immédiat les discriminations dont souffre le secteur agricole. Il faut aussi appuyer massivement ce secteur au moyen d'investissements publics considérables, justifiés par les avantages qui en découleront : amélioration de la sécurité alimentaire et de la nutrition, répartition plus égalitaire des revenus, création d'emplois, et surtout stimulation de la croissance d'ensemble résultant des interactions du secteur agricole avec le reste de l'économie.

Mellor et Johnston (1984) ont proposé une stratégie fondée sur les liaisons intersectorielles qui privilégie l'accroissement de la productivité dans la petite agriculture, grâce au développement de l'infrastructure et à la diffusion de techniques appropriées à fort cœfficient de main-d'œuvre. Une telle stratégie améliore la nutrition parce qu'elle accroît la production vivrière et surtout parce qu'elle facilite l'accès à la nourriture grâce à ses effets secondaires sur l'emploi et les revenus21; l'accroissement de la production et des revenus dans la petite agriculture a des retombées sur le secteur rural non agricole et sur le secteur manufacturier urbain du fait de l'augmentation de la demande d'outils agricoles et de biens de consommation dont la demande est élastique par rapport aux revenus. On peut penser que ces deux secteurs non agricoles se composent d'activités à fort cœfficient de main-d'œuvre et que leur croissance améliore donc l'emploi. L'accroissement de l'emploi et des revenus hors du secteur agricole permet d'absorber le surcroît de production alimentaire sans effondrement des prix. Le surplus est transféré à l'industrie sous forme de réduction du prix des vivres et d'épargne. L'accroissement de la productivité et des revenus dans la petite agriculture et l'amélioration de l'emploi agricole et non agricole qui en résulte améliorent la répartition des revenus. La stratégie peut donc produire des gains économiques et sociaux22.

Une stratégie de développement analogue, faisant la première place au secteur agricole, a été proposée par Singer (1979). Elle a ensuite fait l'objet des testes empiriques (Adelman, 1984 et surtout Vogel, 1994). Comme celle de Mellor et Johnston, cette stratégie d'industrialisation tirée par la demande du secteur agricole est fondée sur les liaisons entre la performance de l'agriculture (en particulier la production vivrière des petites et moyennes exploitations) et la demande de produits des autres secteurs. En donnant la primauté aux petits agriculteurs, on stimule la demande d'intrants intermédiaires qui sont pour la plupart traditionnels et peuvent être produits dans le pays, alors que la grande agriculture commerciale d'exportation a besoin d'intrants modernes et que sa demande s'adresse donc davantage à l'économie internationale.

21. Selon cette stratégie, le » dualisme » dans l'allocation des ressources (allocations excessives à l'industrie et à des éléments improductifs du secteur privé) est un des principaux obstacles à l'accroissement de l'emploi et à la lutte contre le paupérisme rural et la malnutrition. Cette stratégie donne donc un rôle central à la production vivrière dans un secteur agricole unimodal basé sur les petits exploitants.

22. La corrélation positive observée dans beaucoup de pays entre la production vivrière et les importations de produits alimentaires est un des principaux arguments invoqués à l'appui de cette stratégie. On explique cette corrélation par l'effet positif de l'accroissement de la production agricole sur les revenus dans l'ensemble de l'économie. Toutefois, cette conclusion est plus ou moins valable selon les pays, et ne l'est pas du tout dans certains (voir de Janvry et al., 1989).

En outre, l'amélioration des revenus des petits exploitants se traduit par une augmentation de la demande de produits de consommation de première nécessité d'origine nationale, ce qui stimule l'industrie légère et l'emploi. Cette stratégie d'industrialisation tirée par la demande du secteur agricole est proposée pour remplacer celles qui s'appuyaient sur le commerce extérieur et privilégiaient les politiques de remplacement des importations et de promotion des exportations. Toutefois, la vérification empirique de sa supériorité est entachée de nombreuses incertitudes, notamment en ce qui concerne la validité de la représentation des spécificités du secteur agricole dans les modèles utilisés (contraintes liées aux ressources naturelles ou d'ordre technologique, fonctionnement du marché international des produits de base - voir Alexandratos, 1992).

Le test quantitatif le plus complet qui ait été fait est celui de Vogel (1994), qui a utilisé des matrices de comptabilité sociale23 de 27 pays pour calculer des multiplicateurs du secteur agricole et des autres secteurs. Les résultats de cette étude confirment la forte interaction entre l'agriculture et les activités productives des autres secteurs dans les pays peu développés. Dans ces pays, l'accroissement des revenus des ménages ruraux entraîne d'abord un accroissement de la demande de biens de consommation non agricoles plutôt que d'intrants ; à mesure que le développement progresse, c'est la demande d'intrants agricoles, y compris de services et de crédit, qui augmente. On constate que, comme on pouvait s'y attendre, le multiplicateur des revenus des ménages ruraux diminue à mesure que progresse le développement.

Que ce soit pour remédier à des années de pénalisation de l'agriculture ou dans le cadre d'une stratégie active qui fait de l'agriculture la locomotive du développement, ce secteur est et restera probablement au cœur de l'effort de développement dans les pays du tiers monde, principalement dans les pays à bas revenu. Les avantages d'une stratégie de développement tiré par l'agriculture semblent très nets pour plusieurs pays, mais il faut éviter de trop généraliser. Les différents modèles ou stratégies donnant la priorité à l'agriculture ont été élaborés dans le contexte d'environnements régionaux plus ou moins spécifiques, de certains niveaux de développement et d'un climat économique mondial déterminé. Par exemple, la stratégie de Mellor et Johnston est inspirée principalement par le succès de la révolution verte en Asie. Plusieurs pays où la stratégie de développement tiré par l'agriculture semble avoir réussi (par exemple la province chinoise de Taiwan, la Thaïlande et la Malaisie) ont en même temps appliqué une stratégie de croissance tirée par les exportations. Il est difficile de déterminer lequel des deux éléments (agriculture ou exportation) a déterminé le succès24.

Les stratégies d'industrialisation tirée par l'agriculture, envisageant les liaisons du côté de la demande, postulent une élasticité de l'offre infinie dans tous les secteurs, de sorte que le processus n'est pas perturbé par une flambée des prix. Cela signifie que ces stratégies fondées sur la demande ne donnent de bons résultats que si l'élasticité de l'offre est élevée, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays ni dans tous les secteurs; pour réaliser cette condition, il peut être nécessaire d'éliminer divers goulets d'étranglement afin de « créer » une forte élasticité. Quand l'élasticité de l'offre est faible, la stratégie ne saurait atteindre ses objectifs, quelle que soit la valeur des multiplicateurs.

23. La matrice de comptabilité sociale est un cadre comptable qui montre les interdépendances structurelles entre différents ensembles d'agents économiques et permet de suivre le cycle des revenus et des dépenses consacrées à l'achat de biens et services.

24. Selon Mellor (1986), c'est l'importance déterminante de l'essor des échanges commerciaux dans une stratégie de développement tiré par l'agriculture qui a amené à considérer ces pays comme des exemples de croissance tirée par les exportations plutôt que comme des exemples de stratégies efficaces de développement tiré par l'agriculture.

La stratégie est aussi problématique quand il y a une asymétrie entre les réponses de chacun des deux secteurs - agriculture et industrie - à la demande de l'autre. Par exemple, si l'on suscite un accroissement trop rapide de la production vivrière sans que l'emploi et les revenus ruraux augmentent aussi vite (et en présence de structures d'exportation insuffisantes ou de coûts de transport élevés), les prix des produits alimentaires dans les zones de production risquent de s'effondrer, à moins que l'excédent ne soit retiré du marché ou de la zone, ou encore que les gouvernements ne constituent des stocks pour empêcher les prix de s'effondrer (Mellor, 1986, cite un exemple en Inde). Des équilibres intersectoriels aussi délicats sont difficiles à gérer pour la plupart des gouvernements et presque impossibles à planifier. Inversement, si l'élasticité de l'offre de biens non agricoles est faible, l'accroissement de la demande de ces biens provoquera des pressions inflationnistes, ou sera satisfait par l'importation. Les partisans de la stratégie d'industrialisation tirée par la demande du secteur agricole proposent des mesures pour remédier à ce problème, notamment la protection des industries naissantes. Comme on l'a déjà fait observer, de telles mesures risquent de déboucher sur un protectionnisme chronique et des inefficacités. Mellor et Johnston préconisent au contraire un régime de commerce ouvert même si cela signifie qu'une partie de l'accroissement des revenus sera consacrée à des importations.

Une stratégie de répartition des budgets d'équipement ou des budgets courants de développement entre les secteurs doit envisager plusieurs options en tenant compte des avantages comparatifs à long terme du pays. La théorie de la liaison intersectorielle peut être prise en considération, mais ce ne doit pas être le seul critère. Il faut aussi diriger les investissements publics dans les secteurs où ils peuvent amorcer des investissements privés. L'opposition entre une stratégie de promotion des exportations et une stratégie d'expansion du marché intérieur peut induire en erreur. Même dans les pays dont les marchés d'exportation traditionnels se contractent ou stagnent, une stratégie de repli n'est pas toujours souhaitable. Il faut aussi examiner les possibilités de développer des exportations agricoles non traditionnelles ou des produits d'origine agricole ayant subi un degré plus poussé de transformation, etc.

En général, l'accroissement de la production vivrière des petites exploitations, même s'il est toujours souhaitable en raison de ses nombreux effets sur la croissance et le bienêtre social, ne doit pas être recherché à n'importe quel coût d'efficacité sociale et économique, notamment lorsque d'autres activités agricoles ou non agricoles jouissent d'avantages comparatifs. Si ces autres secteurs sont négligés, le bien-être social peut en souffrir beaucoup. Là où on adopte une autre stratégie, les retombées de la stratégie fondée sur le développement du secteur agricole et alimentaire (telles que l'amélioration de la nutrition ou la réduction du paupérisme rural) peuvent être obtenues à moindre coût au moyen d'interventions directes. Il est très probable que dans la plupart des pays en développement à bas revenu, l'agriculture est le secteur dans lequel les investissements publics peuvent être le plus rentables, tant sur le plan social que sur le plan économique ; toutefois, il faut user de prudence quand on choisit les locomotives du développement. Le succès des pays d'Asie de l'Est qui ont su choisir des branches de production porteuses n'est pas nécessairement reproductible dans tous les pays.

Croissance agricole et secteur rural non agricole

Un autre aspect de la stratégie de développement tiré par l'agriculture est la liaison entre l'agriculture et les activités rurales non agricoles. Celles-ci constituent une partie importante de l'emploi rural total, surtout là où les communautés sont organisées en agglomérations. La proportion varie d'un pays et d'une région à l'autre, selon le mode de concentration des populations. Ainsi, elle est plus élevée en Amérique latine et en Asie, où les populations rurales tendent à être regroupées dans des bourgs, qu'en Afrique, où elles sont dispersées dans un habitat rural25 (pour une étude plus approfondie, voir Haggblade et al., 1989, 1991; Hazell et Haggblade, 1993).

Les activités rurales non agricoles offrent de l'emploi et des revenus aux ruraux pauvres - sans terres ou presque sans terres - ainsi qu'aux femmes rurales, ces dernières représentant une proportion importante des travailleurs ruraux non agricoles (préparation et transformation des aliments, couture, etc.). Il existe d'importantes liaisons entre la production et la consommation du secteur agricole rural et les autres secteurs ruraux, comme avec le reste de l'économie26. La croissance de l'économie rurale non agricole aidera à réduire la pauvreté et à améliorer la répartition des revenus et freinera donc l'exode rural. Selon les études quantitatives disponibles, le multiplicateur moyen du revenu agricole est de l'ordre de 1,6, c'est-à-dire que chaque unité supplémentaire de revenu agricole produit un revenu supplémentaire de 0,6 dans le secteur rural non agricole. L'effet multiplicateur semble varier selon les régions et les pays ; il est en général plus faible en Afrique qu'en Asie et en Amérique latine27.

La recherche prouve que les agglomérations rurales renforcent les interactions entre le secteur agricole et le secteur rural non agricole et accroissent l'effet multiplicateur de la croissance de l'agriculture (Hazell et Haggblade, 1993). Ainsi, en Afrique, la valeur relativement faible du multiplicateur s'explique en partie par le fait que la population est très dispersée dans des établissements ruraux le plus souvent petits et que les liaisons entre les points de concentration démographique sont difficiles. Ces observations confirment ce qui est dit dans l'encadré 7.1 sur la nécessité de restaurer et de développer le réseau de transport en Afrique si l'on veut accélérer la croissance de l'agriculture et faciliter la réalisation de ses effects secondaires.

25. L'emploi rural non agricole (non compris les activités saisonnières et à temps partiel) représente 19, 36 et 47 pour cent de l'emploi rural respectivement en Afrique, en Asie et en Amérique latine, si l'on tient compte des agglomérations rurales. Il représente entre 25 et 30 pour cent des revenus ruraux en Afrique et entre 30 et 40 pour cent en Asie et en Amérique latine (y compris l'emploi à temps partiel et saisonnier, mais non compris les agglomérations rurales) ; Hazell et Haggblade (1993).

26. On a également étudié les interactions existant dans un troisième domaine, celui du marché du travail, entre les activités agricoles et non agricoles. La croissance du secteur agricole peut faire monter les salaires ruraux et amener à remplacer les activités non agricoles rurales à forte intensité de main-d'œuvre peu qualifiée par des activités à plus forte intensité de capital, plus rentables et exigeant une main-d'œuvre plus qualifiée ; voir Hossain (1988).

27. Les chiffres des différentes régions varient autour de la moyenne selon le type d'activité agricole, mais aussi selon la méthode utilisée. La plupart des auteurs utilisent des multiplicateurs basés sur la demande induite au sein des modèles d'intrants-extrants, qui postulent une technologie dans laquelle les facteurs entrent dans des proportions fixes et une offre parfaitement élastique de produits non échangeables. Dans ces conditions, les multiplicateurs sont probablement surestimés. L'étude de Haggblade et al., (1991) est une exception : les prix sont endogènes, les intrants peuvent se substituer les uns aux autres, et l'offre de produits non échangeables n'est pas parfaitement élastique. Avec cette méthode, on obtient des multiplicateurs systématiquement moins élevés qu'avec les modèles utilisant des prix fixes.

On peut conclure de ce qui précède qu'en dehors des politiques stimulant la croissance du secteur agricole il faut envisager d'adopter des mesures pour que le secteur rural non agricole puisse mieux réagir à la demande d'une économie agricole en plein essor. Il faudra non seulement développer les infrastructures et le capital humain en milieu rural et dans les petites villes, mais établir un cadre législatif clair, créant des conditions favorables aux petites entreprises, y compris une législation du travail. Les donateurs devraient envisager de subventionner des activités telles que la formation dans les domaines nécessaires aux petites entreprises (comptabilité, etc.), l'assistance technique pour des ateliers et la mise en place d'un système efficace de crédit en milieu rural.

L'appui aux activités agricoles non rurales aidera à atteindre un autre objectif important, à savoir la diversification des exportations des pays en développement en faveur de produits à plus haute valeur ajoutée. Si ces pays deviennent moins tributaires des produits de base agricoles, cela aura non seulement des effets sur leur croissance, mais cela réduira leur vulnérabilité aux amples fluctuations des prix internationaux des produits de base. Les pays développés peuvent appuyer cet effort en abolissant les discriminations contre les importations à forte valeur ajoutée en provenance de pays en développement, telles que la progressivité des droit de douane en fonction du degré de transformation.

Ces résultats doivent être pris en considération pour toute nouvelle réflexion sur le processus de transformation économique des pays en développement qui doivent passer d'une économie essentiellement agraire à une économie fondamentalement industrielle. Le potentiel de croissance d'autres secteurs tels que le commerce et les services ruraux doit être considéré parallèlement à celui du secteur manufacturier et non pas s'y substituer.

Conclusion : l'Etat et les stratégies fondées sur l'agriculture

A propos du rôle de l'agriculture dans le développement, une stratégie ne peut et ne doit pas ignorer le fait que le développement économique conduit au bout du compte à réduire le rôle de l'agriculture dans l'économie globale à long terme. Le débat sur les stratégies de développement fondées sur l'agriculture reconnaît la nécessité de cette transformation, mais rejette l'idée que l'agriculture n'est qu'un réservoir de ressources. En fait, ces stratégies considèrent le transfert des ressources vers le secteur non agricole comme le résultat de la génération d'un excédent en agriculture, et non pas comme le prélévement forcé d'un excédent. En d'autres termes, ce transfert est une conséquence de l'accroissement de la productivité agricole; or, comme la demande de produits agricoles s'accroît moins vite que celle des autres produits, il est avantageux, sur le plan économique, que les ressources soient de plus en plus orientées vers d'autres secteurs à mesure que le développement progresse. Dans ces stratégies, l'Etat joue un rôle capital pour promouvoir des améliorations techniques dans l'agriculture (y compris des améliorations des ressources humaines) afin d'accroître la productivité et aussi pour promouvoir le bon fonctionnement du marché des intrants et produits agricoles.

A ce propos, on notera que les idées récentes sur les facteurs qui contribuent à la croissance minimisent l'importance du capital matériel pour le développement de l'économie, et lui préfère une définition plus large du capital, qui englobe le stock de connaissances et de ressources humaines.28 Comme les connaissances générées dans un secteur peuvent avoir des retombées positives sur d'autres secteurs, il est fondamental que les pouvoirs publics investissent dans la recherche et le développement, ainsi qu'ils favorisent les secteurs producteurs de connaissances. Pour l'agriculture, les effects positifs des ressources humaines et de la recherche et du développement ont été démontrés depuis longtemps (voir chapitres 4, 10); il ensuit que cette évolution des idées ne contribue guère de nouveau à l'analyse des éléments déterminants de la croissance agricole.

28. Pour une présentation des nouvelles théories de croissance économique voir Stamoulis (1993).

D'autres raisons encore font que les nouvelles théories sur la croissance servent peu à la compréhension du rôle de l'agriculture dans le développement économique: a) elles se fondent sur des modèles unisectoriels (du moins, dans leur forme récente): et b) elles concernent essentiellement des situations de stabilité durable. La description de ces situations n'est guère utile pour comprendre le processus de croissance agricole et l'évolution du rôle de l'agriculture dans le développement, notamment pendant la phase de transformation29.

En résumé, bien que des arguments solides donnent la priorité à l'agriculture dans les stratégies de développement dans des cas bien déterminés, il n'existe pas de réponse universelle toute faite. Les résultats des études sur l'efficacité de l'investissement public au niveau national ou régional peuvent difficilement être généralisés pour déboucher sur une seule approche stratégique du développement agricole. Les effets dynamiques à long terme des interventions de l'Etat n'ont pas été évalués, notamment parce qu'on ne dispose de données détaillées ni sur les dépenses publiques affectées à l'agriculture par opposition aux zones rurales en général, ni sur le montant de l'investissement privé qu'elles peuvent engendrer, y compris l'investissement financé par l'épargne des agriculteurs et l'investissement du propre travail qui ne crée pas de flux financiers observables (Timmer, 1991).

Il est également risqué de tirer des conclusions générales sur le juste « dosage » de la participation publique et privée. D'une part, comme on l'a vu dans ce chapitre, les fonctions que l'on considère généralement comme étant plutôt du ressort du secteur public sont mal définies pour chaque pays et, d'autre part, elles ne peuvent pas être considérées comme immuables dans le temps. La conception selon laquelle le développement dépend des compétences d'organisation et de gestion des gouvernements, de la structure des institutions (y compris de la participation populaire au processus de prise de décision) et de consensus politique gagne de plus en plus de terrain. Ces caractéristiques diffèrent selon les pays et selon les périodes à l'intérieur d'un même pays, du fait que les institutions et les structures évoluent. Alors que l'idée que les gouvernements sont généralement mal équipés pour intervenir directement dans les systèmes de production et de distribution est désormais largement admise, il est également reconnu que les gouvernements doivent devenir plus efficaces en ce qui concerne la fourniture de biens collectifs, etc. Ils ne pourront le faire que dans la mesure où ils amélioreront en même temps leurs capacités d'organisation et de gestion.

29. Un examen critique du rôle de l'agriculture dans le développement économique du point de vue des différentes théories de croissance est donné dans Stern (1994).

On est de plus en plus conscient que, dans le passé, les échecs du développement ont été dans une large mesure dus au fait que les gouvernements, parfois encouragés par la communauté des donateurs, ont voulu en faire trop, car ils ont cherché à concilier les intérêts (souvent opposés) de trop de groupes, en contournant l'activité du marché ou en se substituant à celle-ci. L'expérience en la matière montre que l'on doit faire plus confiance que dans le passé aux marchés et aux agents privés et que les conditions qui sont à l'origine des dysfonctionnements du marché, (insuffisance d'information, absence de droits de propriété clairement définis, absence de cadre juridique clair et stable) doivent être corrigées. Dans un cadre axé sur le marché, les gouvernements ont beaucoup à faire: établir et faire appliquer les dispositions et les règlementations qui régissent les marchés ; définir et faire appliquer les droits de propriété, surtout les droits d'occupation des terres; établir des normes de qualité pour les produits alimentaires; fournir des biens collectifs et corriger les externalités; mener des interventions spécifiques pour atténuer la pauvreté et améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition.


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