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CHAPITRE 12
Les bases technologiques d'un développement agricole durable

12.1 Introduction

On assiste depuis quelques années à une polarisation excessive des points de vue en ce qui concerne l'écocompatibilité des deux options technologiques possibles - apports réduits ou élevés en intrants exogènes - pour répondre à une grande partie des pressions décrites au chapitre 11. Une chose est claire : pour accroître la production agricole, il faut restituer la majeure partie des éléments fertilisants du sol consommés par les cultures, sans quoi il y aura épuisement de ces éléments fertilisants et la production ne sera pas durable. Les systèmes à faibles apports d'intrants nécessiteront une forte intensité de main-d'œuvre (qui n'est pas toujours disponible) et les systèmes à forts apports d'intrants entraîneront une consommation considérable d'énergie fossile, c'est-à-dire non renouvelable. Même si l'emploi d'engrais minéraux continuera d'augmenter, ceux-ci ne peuvent, dans de nombreuses situations, fournir tous les éléments nécessaires pour conserver la fertilité des sols et doivent être combinés avec des engrais organiques et autres intrants biologiques dans le cadre d'un système intégré de nutrition des plantes. Il faut aussi noter que les systèmes à faibles apports d'intrants ne sont pas nécessairement moins polluants que les autres. Ainsi, l'épandage de fumure à un mauvais moment peut entraîner une contamination plus grave des eaux superficielles et souterraines que des quantités appropriées d'engrais minéraux ; par conséquent, les paramètres ne sont pas seulement techniques, ils comprennent aussi la formation de la main-d'œuvre et le cadre réglementaire.

Les deux camps tendent à reconnaître de plus en plus qu'ils n'ont pas l'exclusivité des solutions et que ce qui est nécessaire c'est une combinaison équilibrée des deux options. Un certain nombre d'aspects fondamentaux sont particulièrement importants car ils découlent de l'évolution des perceptions concernant les priorités et options du développement technologique dans les pays en développement et de l'évolution des possibilités qui s'ouvrent dans les pays développés. Nous examinerons ces aspects dans les trois prochaines sections. L'avant-dernière section portera sur la réponse technologique nécessaire pour réaliser l'augmentation de la production agricole projetée dans la présente étude en réduisant au minimum les pollutions. La dernière section évaluera brièvement les besoins et les possibilités en ce qui concerne la mise en place des bases technologiques nécessaires pour un développement agricole durable au-delà de l'an 2010.

L'accent mis ici sur la technologie ne signifie pas qu'une nouvelle orientation technologique soit à elle seule suffisante. Un large éventail de politiques et de mesures institutionnelles doivent être prises pour offrir les incitations voulues aux agriculteurs, utilisateurs des forêts et pêcheurs afin qu'ils adoptent des pratiques technologiques et de gestion des ressources durables. Ces autres mesures font l'objet du chapitre 13.

12.2 Evolution des perceptions concernant les besoins technologiques des pays en développement

Les premiers efforts visant à soutenir le développement agricole dans les pays en développement faisaient une grande place aux transferts de technologies et de pratiques de gestion des pays développés, applicables seulement à un éventail étroit de cultures dans des régions possédant des conditions pédologiques et agroclimatiques favorables. Cela a eu un certain nombre d'effets positifs mais aussi certaines conséquences néfastes. Du côté positif, comme on l'a vu au chapitre 2, la croissance de l'agriculture dans les pays en développement a été supérieure à la croissance démographique, sauf dans l'Afrique subsaharienne. En outre, un certain nombre de pays ont pu augmenter leurs recettes d'exportations agricoles et les revenus locaux tirés de l'agriculture d'exportation sans sacrifier la production vivrière. Ce résultat a été obtenu grâce à des progrès techniques majeurs dans les régions à fort potentiel, même si dans certains cas cela a eu des effets négatifs sur l'environnement, comme on l'a vu plus haut. Les résultats les plus notables sont notamment l'adoption de variétés de blé et de riz à haut rendement en Asie et en Amérique latine, l'accroissement des rendements sucriers dans certains pays, comme la Colombie, et la progression rapide du secteur de l'huile de palme. Rien ne permet de croire qu'on ne pourra pas préserver ces résultats à moyen terme tout en faisant évoluer la production vers un mode de développement plus durable.

Les principales conséquences négatives ont été les suivantes :

  1. Les pratiques traditionnelles de cultures mixtes et de plantations intercalaires, très résistantes aux variations climatiques et aux ravageurs, ont été généralement découragées et remplacées par la monoculture et la plantation en ligne, plus instables. On reconnaît aujourd'hui que cela n'était pas souhaitable dans certaines situations et a eu des effets franchement néfastes, dans d'autres cas, tant pour la sécurité alimentaire à court terme des ménages que pour la durabilité à long terme dans les régions les plus marginales.

  2. Les besoins technologiques des régions arides et semi-arides ont été négligés, sauf lorsque le manque d'eau pouvait être pallié par une irrigation de type classique.

  3. Les efforts d'amélioration des plantes ont été axés sur les cultures de rente ou un petit nombre de denrées alimentaires de base et ont donc généralement négligé des céréales comme le millet, les racines et tubercules et la plupart des légumineuses. De plus, les objectifs de sélection végétale visaient auparavant à maximiser les rendements, plutôt qu'à les stabiliser, ce qui est une préoccupation fondamentale de nombreux agriculteurs. Enfin, dans certains cas, comme celui du sorgho et du millet, la recherche de rendements plus élevés entraînait implicitement la sélection de variétés nécessitant une saison plus longue, d'où un risque accru d'échec de la récolte dans les régions où la durée de la période végétative permise par la pluviosité ou le climat est décisive.

  4. Les systèmes de préparation des sols ont été essentiellement axés sur le labourage classique, qui est mal adapté à certains sols fragiles dans les pays en développement, où l'on aurait dû privilégier des systèmes de labour minimum.

  5. Pour restituer les éléments fertilisants du sol, on a fait appel avant tout à des engrais minéraux, au lieu de mettre au point des systèmes intégrés de nutrition des plantes.

  6. Les méthodes de conservation des sols ont eu davantage recours à des ouvrages techniques qu'à des méthodes biologiques de stabilisation et ont eu pour objectif principal la lutte contre l'érosion et non la gestion de l'humidité du sol.

Ces conséquences négatives sont aujourd'hui largement admises et les systèmes de recherche et de vulgarisation s'efforcent de plus en plus d'y remédier (GCRAI, 1992). Cependant, jusqu'à présent, cela n'a pas entraîné une réorientation majeure des priorités nationales et internationales de la recherche et, même lorsque c'est le cas, il est peu probable que les principales conclusions technologiques et institutionnelles soient largement appliquées dans le court à moyen terme. C'est pourquoi les projections relatives à la production faites dans la présente étude partent du postulat que la voie technologique actuellement dominante le restera pour les 15 à 20 prochaines années, en particulier dans les régions à fort potentiel, mais qu'il y aura une évolution graduelle vers la recherche d'une voie mieux adaptée aux régions plus marginales.

Le fait que certains des résultats de la recherche découlant de la conception « occidentale » du développement agricole n'étaient acceptés que par une minorité d'agriculteurs a été couramment imputé à la faible intégration des paysans dans l'économie de marché et à leur faible réponse aux incitations économiques. Il était rare qu'on l'attribue aux défaillances mentionnées plus haut ou au fait que ces technologies n'étaient pas adaptées aux besoins des agriculteurs. Cependant, un certain nombre de modifications se sont produites ou sont en cours dans la manière dont les besoins technologiques sont définis et la recherche est menée, modifications qui devraient faciliter l'obtention des niveaux de production projetés pour l'an 2010 et la durabilité de cette production.

On peut mentionner trois changements majeurs en ce qui concerne la définition des besoins des agriculteurs. Premièrement, il est maintenant largement admis que les petits agriculteurs cherchent à maximiser leurs profits à condition que la technologie ne présente pas trop de risques et se révèle rentable très tôt dans le processus d'adoption. Ces deux aspects ont été négligés dans la conception et l'évaluation de nombreuses technologies. Deuxièmement, on a fait un certain progrès dans la compréhension des liens entre la pression exercée par les populations sur les ressources d'une part et la mise au point et l'adoption de technologies d'autre part. Par exemple, l'adoption par les agriculteurs de techniques permettant d'accroître les rendements dépend, dans une large mesure, de leur accès à la terre et des incitations offertes par le marché (voir, par exemple, Pingali et Binswanger, 1984; Lele et Stone, 1989 ; Tiffen, Mortimore et Gichuki, 1993). Nous reviendrons plus en détail sur ce point dans une autre section. Troisièmement, on reconnaît de plus en plus que le processus de décision des agriculteurs est influencé davantage par la rentabilité des technologies que par leur capacité de respecter l'environnement (Bebbington et al., 1993).

De même, on peut noter trois changements majeurs en ce qui concerne la recherche. Premièrement, on met l'accent aujourd'hui sur la recherche sur les systèmes culturaux, qui fait une plus grande place aux agriculteurs dans le processus de décision, ce qui aide à placer la recherche sur les produits dans un contexte de production plus significatif. Deuxièmement, on s'est mis à faire de la recherche en situation réelle (sur les exploitations agricoles) en accordant davantage d'importance aux besoins des agriculteurs démunis et cette recherche complète la recherche en station expérimentale, dont elle reste dépendante. Enfin, on a redécouvert des savoirs techniques autochtones. reconnaissant de plus la nécessité de s'appuyer sur des technologies existantes qui ont été sélectionnées et affinées par les agriculteurs, en harmonie avec leur propre situation sociologique et écologique, tout en étant conscient qu'elles ne sont pas, en elles-mêmes, suffisantes (Altieri, 1987; Chambers et al., 1989; Richards, 1990; Bebbington et al., 1993). Les recherches sur l'emploi du haricot de Floride comme couverture végétale du sol et comme engrais vert dans des communautés du Honduras est un exemple de ce type de recherche-développement participative (Bunch, 1990).

12.3 Nouvelles perspectives dans les pays développés

Le public est de plus en plus disposé à payer pour avoir un meilleur environnement. Même si l'amélioration de l'environnement résultant de l'adoption de techniques plus douces et de pratiques agricoles durables peut à long terme être une source d'économies, elle implique généralement des pénalités économiques à court terme, sous forme d'une hausse des coûts de production, de restrictions à l'utilisation des ressources et de dépenses publiques financées par l'impôt. Ainsi, les aliments dits biologiques coûtent 10 à 20 pour cent de plus que les produits classiques et les restrictions préconisées pour l'utilisation des ressources naturelles aux Etats-Unis, en vue de promouvoir une exploitation durable du bois et de protéger l'habitat de la chouette tachetée, ont entraîné une hausse du prix du bois dans ce pays au début de 19931. C'est pourquoi l'évolution des politiques publiques en faveur de technologies et pratiques durables dépend beaucoup de la volonté du consommateur privé et du secteur public de payer ces coûts supplémentaires. Cette volonté s'affirme depuis le début des années 70 et on peut s'attendre à ce que cette tendance se poursuive, malgré des reculs temporaires en période d'incertitudes économiques.

Réorientation de la technologie dans un sens plus favorable à l'environnement. Cette réorientation est déterminée par trois forces. Premièrement, les pressions publiques dont nous avons parlé ci-dessus. Deuxièmement, notamment dans la Communauté européenne, la nécessité de s'attaquer au problème des excédents de production. Troisièmement, le progrès scientifique et technique lui-même. Par exemple, dans la CE, la première et la deuxième de ces forces tendent à restreindre l'emploi d'engrais minéraux et organiques dans les bassins versants sensibles et à encourager l'adoption de pratiques plus durables de gestion des terres. Cela pourrait, à terme, entraîner la mise hors culture d'importantes superficies agricoles transformées en pâturages, forêts ou zones de loisir.

Quant au progrès scientifique et technique, il s'exprime de deux façons particulières. Premièrement, on comprend de mieux en mieux les dangers que font peser certaines pratiques sur la santé de l'homme et des écosystèmes. Ainsi, la découverte des liens entre l'emploi des chlorofluorocarbones (CFC) et la dégradation de la couche d'ozone et la découverte du trou dans la couche d'ozone au-dessus de l'Antarctique ont rapidement abouti à la conclusion de la Convention de Vienne et du Protocole de Montréal. Deuxièmement, les chercheurs mettent au point des technologies plus propres et ayant un meilleure rendement énergétique, qui sont moins coûteuses à employer et seront donc adoptées sous l'effet des forces du marché, même en l'absence de réglementations contraignantes.

1. En fait, la hausse du prix du bois aux Etats-Unis a duré à peine un mois (mars 1993) et au mois de mai les prix étaient retombés au niveau de la fin de 1992. La controverse relative à la chouette tachetée n'avait fait qu'aggraver les incertitudes qui influençaient déjà ce marché. Elle a eu néanmoins un certain coût.

Ces forces se manifestent d'abord dans les pays développés, mais elles auront aussi des effets positifs dans les pays en développement. Elles fourniront des outils nouveaux ou améliorés pour la mise au point de technologies dans les pays en développement eux-mêmes (voir section sur la biotechnologie) et certaines des technologies mises au point pour les pays développés y seront directement utilisables, comme certains biopesticides, ou pourront être adaptées à leur situation, comme l'irrigation à la gorgée.

12.4 Pression démographique et évolution technologique

L'analyse des relations complexes qui existent entre la croissance démographique totale et la part de la population qui vit de l'agriculture, l'utilisation des sols (et donc la modification de l'environnement) et l'évolution technologique aide à placer les projections de cette étude dans une perspective plus large. Elle contribue aussi à élaborer des stratégies susceptibles d'orienter plutôt que de combattre les processus naturels qui déterminent l'intensification de l'utilisation des sols et l'adoption de technologies. Deux conceptions générales prédominent. La première postule qu'il existe une corrélation inverse entre la croissance de la population pauvre dépendant de l'agriculture et la qualité de l'environnement. La seconde envisage cette relation d'une façon plus dynamique en tenant compte davantage de la dimension économique.

La première école accorde beaucoup d'importance au fait que la pression de la population sur une ressource foncière limitée et l'introduction lente d'innovations produites par les agriculteurs ou par la recherche structurée en réponse à ces pressions ont eu d'importants effets négatifs sur l'environnement. La réduction des périodes de jachère et le déboisement de terrains sujets à l'érosion, s'ajoutant à la lenteur des processus naturels qui rétablissent la fertilité des sols, ont abaissé la productivité des terres à cause de la déperdition en éléments fertilisants.

La seconde école se fonde sur les travaux d'Ester Boserup (Boserup, 1965 ; 1981), qui a appliqué les concepts de substitution des facteurs (remplacement de la terre par le travail) et de changement technologique pour émettre l'hypothèse qu'à mesure que la densité de population augmente il se produit une évolution technologique « autonome », résultant du raccourcissement des jachères, de l'augmentation de l'intensité de main-d'œuvre et de l'adoption de meilleurs outils (du plantoir à la bêche et de la bêche à la charrue à traction animale). Selon cette hypothèse, le problème de la croissance démographique et de l'augmentation de la demande de produits alimentaires peut se résoudre de lui-même par le fait qu'il modifie les prix des facteurs : d'abord, il accroît la rareté relative de la terre par rapport au travail, ce qui se traduit par une intensification de l'agriculture ou un raccourcissement des périodes de jachère et l'emploi d'une maind'œuvre accrue; ensuite, la main-d'œuvre se fait rare à certains stades du processus d'intensification de l'exploitation des sols - cueillette, jachère forestière, jachère broussailleuse, jachère herbeuse puis enfin cultures annuelles - ce qui suscite l'adoption de meilleurs outils. Ce processus d'innovation paysanne décrit l'évolution qui adapte la technologie de production aux variations de la rareté des facteurs (Pingali et Binswanger, 1984). La réaction de l'innovation scientifique aux facteurs économiques généraux, comme la dotation en terre et en main-d'œuvre, la demande non agricoles, a main-d'œuvre et la demande de produits alimentaires et autres produits agricoles, a donné naissance au concept très voisin d'innovation induite (Binswanger et Ruttan, 1978; Hayami et Ruttan, 1985). Ainsi, dans l'économie agricole du Japon, vers la fin du 19ème siècle la pénurie de terres a provoqué des innovations biologiques qui ont accru les rendements à l'hectare alors qu'aux Etats-Unis, qui à l'époque possédaient 100 fois plus de terres par travailleur agricole, les agriculteurs ont opté pour la mécanisation. Aux Etats-Unis, les innovations biologiques n'ont été largement adoptées que dans les années 40, sous l'effet de la hausse du prix de la terre.

Toutefois, le processus autonome, qui entraîne une réponse institutionnelle et technologique appropriée face aux pressions qui s'exercent sur l'environnement, comme la construction de terrasses pour lutter contre l'érosion et l'utilisation d'engrais organiques pour restaurer la fertilité des sols, peut ne pas se produire suffisamment vite si la croissance démographique est rapide ou, au contraire, s'il est entravé par une pénurie de main-d'œuvre, par exemple lorsque l'émigration offre la perspective d'une vie moins dure2. En outre, l'adoption d'innovations issues de la recherche peut être limitée par l'insuffisance des infrastructures, de la vulgarisation et des systèmes de commercialisation et de crédit. Il peut en résulter un cercle vicieux caractérisé par une faible adoption des innovations issues de l'agriculture ou de la recherche, une agriculture à faible productivité, une dégradation de l'environnement et une paupérisation. Comme on l'a noté au chapitre 2, lorsque le régime foncier ne s'adapte pas à l'évolution des circonstances, il contribue à créer ce cercle vicieux de pauvreté et de dégradation de l'environnement.

Reste la question de la pauvreté, qui est communément associée à ces situations de cercle vicieux. On peut soutenir que dans certaines situations, la pauvreté suscite d'ellemême une solution, les pauvres réagissant en émigrant, en faisant des sacrifices personnels pour donner à leurs enfants une éducation qui leur permettra de trouver un emploi plus rémunérateur en dehors de l'agriculture et en diversifiant leurs sources de revenus agricoles et non agricoles en fonction des possibilités qu'offre le marché. Cette évolution heureuse est bien illustrée par une récente étude diachronique du district de Machakos au Kenya (voir encadré 12.1). Dans d'autres cas toutefois, les conditions requises ne sont pas réunies et la pauvreté et la dégradation de l'environnement vont de pair et se renforcent mutuellement.

2. La pandémie de sida qui fauche de nombreuses communautés rurales dans les pays d'Afrique qui sont touchés a un effet similaire sur l'offre de main-d'œuvre et entraîne l'adoption de systèmes culturaux à intensité de main-d'œuvre et à productivité réduites (voir chapitre 3, note 2).

Encadré 12.1

LA RESTAURATION DE L'ENVIRONNEMENT DANS LE DISTRICT DE MACHAKOS AU KENYA*

Une grande partie de ce district d'environ 1,4 million d'hectares, aux conditions agro-écologiques diverses, est intrinsèquement marginale pour la production de l'aliment préféré, le maïs. Beaucoup de terres sont en forte pente, avec une pluviosité annuelle de moins de 800 mm répartis sur deux saisons de pluie avec de fortes variations intra- et interannuelles. Compte tenu de ces contraintes et du fait que la pression démographique dans les régions plus favorables était faible, ces terres marginales étaient en grande partie inhabitées au début du siècle. Cela a rapidement changé. Les meilleures terres ont été colonisées en premier, puis les terres plus marginales. Dans les années 30, d'importantes superficies avaient été tellement dégradées par la production végétale et le pâturage que les observateurs de l'époque pensaient que le district était au bord d'un effondrement écologique. L'érosion du sol était très forte sur plus de 75 pour cent de la région habitée et le couvert arboré était tombé à 5 pour cent environ. Dans les années 40, compte tenu du faible emploi d'intrants technologiques, la capacité démographique du district était dépassée.

Pourtant, en 1990, la situation avait complètement changé. La population de plus de 1,4 million d'habitants représentait près de six fois celle du début des années 30 et, entre 1932 et 1989, la densité de population dans les zones agro-écologiques les plus marginales avait été multipliée par prés de 30. La production agricole était en hausse, la dépendance à l'égard d'aliments importés d'autres districts avait diminué, l'érosion du sol était réduite et le couvert végétal s'était accru.

Ainsi, et contrairement à l'opinion prédominante, la croissance démographique s'est traduite par une réduction de la dégradation et une agriculture plus durable. Les facteurs qui sont intervenus et leur ordre de succession ont été analysés en détail. Depuis les années 20, il y a eu des mouvements de migration interne et externe en réponse à la pénurie de terres, la migration interne se produisant vers les terres les plus marginales du district. La migration externe vers les zones urbaines a permis des envois de fonds qui ont fourni une partie du capital fixe et variable nécessaire ultérieurement pour le développement agricole. Ensuite, il y a eu une intensification de l'utilisation des sols, qui a commencé à la fin des années 30 sur les meilleures terres, les plus peuplées, proches des marchés urbains, mais n'a pas débuté avant les années 60 sur les terres marginales moins peuplées. Cette intensification a consisté essentiellement en une réduction des périodes de jachère, l'introduction de cultures multiples, l'intégration plus étroite de la production végétale et de l'élevage et une augmentation de l'utilisation d'engrais organiques, de compost ou, dans le cas des cultures d'exportation, d'engrais minéraux. Elle a été accompagnée ou suivie par une adoption généralisée de mesures de conservation des sols visant à remettre en état les terres dégradées, notamment avec des labours aux fins de conservation et des cultures à courbes de niveau et la construction de terrasses (la proportion des superficies traitées est passée d'environ 52 pour cent en 1948 à 96 pour cent en 1978) ce qui a eu d'importants effets grâce à la réduction de l'érosion du sol et à l'amélioration de l'infiltration des pluies et de la rétention de l'humidité du sol. L'adoption généralisée de ces mesures a été encouragée par l'introduction de diverses cultures de rente, notamment le café, les fruits et d'autres cultures horticoles qui produisent des revenus plus élevés que les denrées alimentaires de base et rendent donc la conservation des sols plus profitable. Enfin, et c'est peutêtre le facteur le plus important, des investissements ont été consacrés à l'amélioration des routes et autres infrastructures permettant un accès facile aux marchés urbains et étrangers et aux installations de transformations locales. Une grande partie de la motivation et du capital nécessaire pour éviter cette catastrophe écologique imminente a été fournie par la population locale elle-même, avec une importante aide des communautés et des ONG locales, mais un apport relativement réduit du gouvernement central et des donateurs.

* Tiffen, Mortimore et Gichuki, 1993.

12.5 Le défi technologique de la croissance agricole

Limiter la dégradation des sols et des eaux

Le chapitre 11 a mis en évidence l'ampleur de la dégradation et l'insuffisance de nos connaissances en ce qui concerne ses incidences sur la productivité et la durabilité des cultures. Deux aspects de la conservation des sols deviennent de plus en plus manifestes. Premièrement, la réussite des mesures de conservation ne peut être assurée que si les agriculteurs en perçoivent les avantages dès la première ou deuxième campagne qui suit leur mise en œuvre, sous forme d'une hausse des rendements et d'une meilleure rentabilité (FAO, 1989a). Dans les zones arides, les gains résulteront généralement davantage d'une amélioration des infrastructures, entraînant un taux d'humidité plus élevé et une plus grande rétention de l'eau dans les sols (Shaxson, 1992), plutôt que d'une réduction des pertes d'éléments fertilisants, même si celles-ci sont importantes (Stocking, 1986).

Le fait que ces conditions n'étaient pas satisfaites, s'ajoutant à des faiblesses institutionnelles, explique l'échec de nombreux projets et techniques de conservation, qui nécessitaient soit une abondante main-d'œuvre, soit des opérations mécaniques coûteuses. En conséquence, ils n'étaient souvent pas rentables à court ou même à moyen terme et les interventions étaient trop coûteuses pour être poursuivies. Les agriculteurs adoptaient donc rarement les techniques de conservation ou n'entretenaient pas les structures mises en place après la fin du projet. Les succès qu'on peut observer aujourd'hui qui, dans un sens, sont des succès du passé car ils sont couramment fondés sur des technologies autochtones, confirment ces conclusions (voir, par exemple, Reid, 1989; FAO, 1991a ; Kerr et Sanghi, 1992).

Les conclusions et observations ci-dessus contiennent plusieurs leçons importantes pour la mise au point de technologies viables à long terme. Premièrement, les stratégies, la recherche et la vulgarisation en matière de conservation des sols doivent être axées sur des mesures qui exigent peu ou pas d'investissements externes, de façon à être mieux adaptées aux besoins des agriculteurs démunis vivant dans des régions marginales dont on prévoit qu'elles seront soumises à des pressions croissantes. Deuxièmement, moyennant le soutien institutionnel approprié (voir chapitre 13), des techniques connues pourraient contribuer à accroître ou stabiliser les rendements. Troisièmement, ces techniques ne sont pas très couramment employées et pourraient être bénéfiques dans des régions beaucoup plus vastes. Elles pourraient permettre d'accroître et de stabiliser les rendements ainsi que d'obtenir des récoltes plus fréquentes dans une grande partie des terres arides de l'Afrique subsaharienne et de l'Asie. De même, les terres en pente des tropiques humides pourraient être plus productives grâce à des techniques mieux adaptées à leur spécificité.

Il y a aussi d'autres leçons à tirer pour la recherche appliquée. L'accent devrait être mis sur des méthodes biologiques et non mécaniques de conservation des sols, comme les barrières végétatives ou la gestion systématique des cultures et des résidus, qui permettent soit de retenir les particules du sol et, petit à petit, de construire des terrasses naturelles, soit de protéger la surface du sol contre l'impact de la pluie et l'érosion. Il faut aussi privilégier des techniques qui combinent la lutte contre l'érosion du sol et des fonctions plus générales de protection contre la dégradation des sols, telles que l'emploi de légumineuses formant un paillis vivant3. Les centres de recherche agricole internationale du GCRAI, notamment le CIAT, le CIPEA et l'Institut international d'agriculture tropicale, ont soutenu les efforts de recherche nationaux en rassemblant et en essayant des légumineuses adaptées pour être utilisées soit comme fourrages soit comme paillis, mais les efforts nationaux et internationaux actuels sont insuffisants par rapport à l'ampleur de la tâche et compte tenu de la contribution qu'ils peuvent apporter à la durabilité.

3. Il s'agit de plantes qui croissent près du sol et le recouvrent complètement, protégeant la surface contre l'impact de la pluie et l'érosion éolienne et fournissant de l'azote aux cultures associées et de la nourriture aux vers de terre, accroissant ainsi la teneur du sol en matières organiques, ce qui améliore la porosité, l'infiltration des pluies et la rétention de l'humidité.

Enfin, il y a le problème plus spécifique de la salinisation. Comme on l'a relevé au chapitre 11, la salinisation entraîne la perte de terres irriguées ou la réduction des rendements sur d'importantes superficies. Les causes les plus courantes de la salinisation sont l'insuffisance du drainage, l'élévation des nappes phréatiques due à l'infiltration d'eau depuis les canaux de distribution et l'irrigation excessive. En conséquence, les mesures palliatives classiques sont l'augmentation du drainage et le revêtement des canaux, qui peuvent être toutes deux coûteuses. A l'avenir toutefois, il semble que la solution consistera en partie à utiliser conjointement les eaux de surface et les eaux souterraines et en parallèle l'irrigation par canaux et l'irrigation par puits forés, cette dernière assurant à la fois le drainage vertical et l'irrigation secondaire. Les expériences réalisées en Chine par exemple ont montré qu'une approche plus globale - appelée dans ce pays le « concept des quatre eaux » - peut prévenir et faire reculer la salinisation (encadré 12.2).

Promouvoir des systèmes intégrés de nutrition des plantes

Les systèmes intégrés de nutrition des plantes visent à maximiser l'efficience de l'apport d'éléments fertilisants aux cultures par une meilleure association des intrants endogènes et exogènes et à assurer une production agricole durable par l'amélioration de la capacité productive du sol. Ces systèmes permettent de réduire sensiblement les besoins en engrais minéraux car ils assurent au bon moment un approvisionnement en éléments fertilisants suffisant et adapté aux rendements visés, et réduisent autant que possible les pertes d'éléments fertilisants dans les systèmes culturaux. L'adoption de la nutrition intégrée peut permettre aux agriculteurs d'employer des engrais de façon plus rentable (FAO, 1993a).

Encadré 12.2

LA GESTION DES « QUATRE EAUX »

De 1949 à 1980, les superficies irriguées en Chine ont été accrues de 32,7 millions d'hectares et représentent aujourd'hui 46,7 millions d'hectares. En raison de la pénurie d'eau et des possibilités limitées d'expansion, le taux d'accroissement a beaucoup baissé ces dernières années. En réponse, les ingénieurs et agronomes chinois ont mis au point une méthode novatrice de gestion de l'eau, dite méthode des « quatre eaux”, expression qui désigne la gestion et la supervision complète des eaux souterraines, des eaux superficielles, de l'humidité du sol et de la pluie au service de la production agricole. L'objectif est de produire deux récoltes par an sur une superficie aussi étendue que possible en utilisant avec modération les eaux superficielles. L'innovation fondamentale est la maîtrise dynamique de l'aquifere. Alors que les systèmes traditionnels de drainage horizontal maintiennent la nappe phréatique en dessous d'un certain niveau pour éviter l'engorgement et la salinisation secondaire, la gestion dynamique des eaux souterraines consiste non seulement à maîtriser la nappe phréatique mais à utiliser aussi l'aquifère comme stockage. Le niveau de l'aquifère est maintenu dans une fourchette déterminée, définie en fonction des besoins hydrologiques et agricoles et compte tenu des risques de salinisation et de la nécessité d'utiliser efficacement l'énergie. Cette méthode a été expérimentée sur une grande échelle dans la station expérimentale de Nanpi (province de Hebei) et sur un projet pilote de 23 600 hectares. Les résultats ont été positifs. Ils ont montré que de grandes superficies de terres salines - alcalines pouvaient être récupérées et que des terres auparavant impropres à l'irrigation en raison de la salinité des eaux souterraines pouvaient être cultivées. En outre, les rendements en riz sont passés de 3,7 à 7,8 tonnes/ha. Une simulation hydrologique sur plusieurs années a montré qu'avec seulement 550 mm de pluie par an en moyenne, il est possible de satisfaire jusqu'à 43 pour cent des besoins d'irrigation en saison sèche sans épuisement des eaux souterraines ni importations d'eau*.

* Shen et Wolter (1992).

La poursuite de ces objectifs généraux doit tenir compte du contexte écologique et économique de l'agriculture dans les pays en développement. Premièrement, il y a des situations dans lesquelles les éléments fertilisants du sol sont épuisés car l'extraction par les cultures et les pertes dues à l'érosion, au lessivage et à la volatilisation dépassent leur faible disponibilité. Dans ce cas, les systèmes intégrés de nutrition des plantes permettront d'améliorer le bilan des éléments fertilisants et d'entreprendre l'intensification de l'agriculture avec un emploi limité d'intrants extérieurs, un meilleur recyclage des éléments fertilisants d'origine locale et, surtout, une réduction considérable des pertes d'éléments fertilisants.

Deuxièmement, il y a des situations dans lesquelles l'utilisation des éléments fertilisants est peu efficiente, même si les apports provenant de diverses sources sont importants. Dans ce cas, les systèmes intégrés permettent d'améliorer la combinaison des sources d'éléments fertilisants et des techniques culturales. Dans la plupart des cas, l'inefficacité est due au fait que l'approvisionnement en éléments fertilisants est déséquilibré (souvent trop d'azote par rapport aux autres éléments) ou à un autre facteur comme une carence en éléments secondaires ou en oligo-éléments et les caractéristiques physiques ou physico-chimiques du sol. Les systèmes intégrés de nutrition des plantes visent à desserrer ces contraintes de façon économique, en tenant compte des ressources disponibles (éléments fertilisants, équipement, énergie, variétés adaptées et irrigation).

Troisièmement, il y a des situations dans lesquelles les pertes d'éléments fertilisants polluent l'environnement car les apports sont excessifs ou mal gérés : pollution des eaux superficielles et souterraines par les nitrates, pollution des eaux superficielles par les phosphates et pollution de l'air par les oxydes d'azote et l'ammoniac. Dans ce cas, la nutrition intégrée permettra de mieux equilibrer ou même de réduire les apports en éléments fertilisants, tout en maintenant les rendements mais en axant les efforts sur une meilleure efficience de la nutrition des plantes et une réduction des pertes d'éléments fertilisants.

Quatrièmement, il y a les régions arides et semi-arides où il est indispensable de maintenir en place les matières organiques du sol pour assurer une gestion efficace des éléments fertilisants, préserver la perméabilité du sol et sa capacité de rétention de l'humidité et favoriser le développement de systèmes radiculaires profonds capables d'exploiter l'eau stockée dans le sol. Dans ces cas-là, les systèmes intégrés doivent produire une biomasse suffisante pour restituer au sol une quantité de matières organiques au moins équivalente à ce qui est minéralisé pendant la culture. En épuisant les réserves d'éléments fertilisants présents dans le sol, les agriculteurs réduisent la capacité de production de biomasse et provoquent une perte de matières organiques. Toutefois, le rythme de minéralisation des matières organiques du sol est rapide lorsque la température du sol est élevée et la production de biomasse, lorsqu'elle n'est pas limitée par une nutrition insuffisante des plantes, est directement liée à la disponibilité de l'eau. Par conséquent, dans les tropiques semi-arides il pourrait être difficile de restituer les matières organiques perdues par un sol dégradé.

Dans les tropiques humides, le lessivage des éléments fertilisants, l'érosion et l'acidification, ainsi que l'immobilisation des éléments fertilisants dans le sol peuvent empêcher les plantes de recevoir un apport suffisant en éléments fertilisants. En outre, la concurrence des mauvaises herbes et les effets des ravageurs contribuent à réduire l'efficience de la nutrition des plantes. Cependant, la production végétale, la production de biomasse et la diversité des cultures sont plus grandes et les effets de la température sur la minéralisation des matières organiques du sol généralement moins élevés que dans les tropiques semi-arides. En outre, le risque climatique est moins grand et les conditions naturelles sont généralement plus favorables à l'intensification de l'agriculture. Dans ce cas, les systèmes intégrés de nutrition des plantes devront donc être adaptés à des niveaux d'intensification assez divers. L'amélioration de la fertilité des sols est plus facile que dans les tropiques arides ou semi-arides car la production de biomasse est plus rapide. Toutefois, la limitation des pertes d'éléments fertilisants est plus complexe que dans les tropiques semi-arides, car la quantité globale d'éléments fertilisants est plus grande et la pression des facteurs qui causent ces pertes est aussi plus forte.

Dans les régions irriguées, l'absence de risque de sécheresse permet d'accroître considérablement l'efficience des apports en éléments fertilisants. Toutefois, l'utilisation des éléments fertilisants est souvent inefficace en raison d'une perte d'azote excessive ou d'une fertilisation déséquilibrée. L'application de systèmes de nutrition intégrés des plantes dans les zones irriguées est assez particulière car il faut gérer très soigneusement l'emploi de résidus des cultures pour éviter la propagation de maladies et le lessivage d'éléments fertilisants. Toutefois, la fixation de l'azote est possible soit directement en cas d'irrigation par submersion (algue bleue, azolla) ou lorsque l'irrigation se fait par aspersion dans un système de cultures mixtes ou séquentielles. Dans ce cas, le système intégré de nutrition des plantes visera avant tout à améliorer l'efficience de l'utilisation des éléments fertilisants, car le maintien de la teneur en matières organiques est plus facile que dans les cultures non irriguées, du fait que la production de biomasse est généralement élevée.

L'utilisation efficace de l'azote est un problème majeur dans les systèmes de nutrition intégrés. La fixation de l'azote atmosphérique peut apporter une contribution importante si les disponibilités en eau, en phosphore et en soufre sont suffisantes. Toutefois, la biofixation de l'azote ne peut pas apporter tout l'azote nécessaire dès qu'on dépasse un faible niveau d'intensification. Il existe un large éventail de bactéries vivant librement dans le sol qui extraient l'azote de l'atmosphère et le rendent disponible pour la croissance des plantes. D'autres bactéries, notamment les Rhizobia, vivent en symbiose avec les plantes dans de petits nodules placés sur leurs racines; elles reçoivent de la plante du sucre et lui fournissent en échange l'azote qu'elles extraient de l'atmosphère. Ces bactéries sont exploitées depuis longtemps par l'homme et ont permis des systèmes de cultures durables en Europe et dans d'autres parties du monde avant la découverte des engrais minéraux à la fin du siècle dernier. En Chine, en Thaïlande, au Viet Nam et dans d'autres pays d'Asie, l'algue Anabaena azollae, qui vit en symbiose avec la fougère d'eau Azolla, a soutenu la culture du riz pendant des siècles en fournissant une grande partie de l'azote requis.

Le problème à résoudre aujourd'hui est de combiner des techniques classiques avec des méthodes du génie génétique pour améliorer ce que la nature a créé et accroître la production d'azote disponible et élargir l'éventail des plantes et environnements dans lesquels ces techniques peuvent être employées. Les systèmes actuels de symbiose plantes/microbes, naturels ou artificiels, peuvent fournir 20 à 60 kilogrammes d'azote par hectare si la pluie est suffisante, ce qui permet des rendements en céréales d'environ 1 tonne. Il est raisonnable de penser que la technologie permettrait d'accroître ces rendements de 25 pour cent d'ici l'an 2010. Les techniques classiques d'amélioration des végétaux pourraient contribuer à améliorer l'efficience par l'emploi de variétés capables de mieux utiliser les éléments fertilisants, ce qui accroîtrait les rendements, ou ayant des systèmes radiculaires plus forts qui limiteraient les pertes par lessivage. En outre, les variétés tolérant des sols difficiles (salinité, manque d'oxygène, aluminium libre) tireront un meilleur parti des éléments fertilisants disponibles que les variétés traditionnelles.

Il est probable que les systèmes intégrés de nutrition des plantes apporteront une contribution importante à la croissance de la production végétale dans la période allant jusqu'à l'an 2010 et à la réalisation de systèmes agricoles durables. Toutefois, il ne faut pas sous-estimer les difficultés dans le court à moyen terme ni surestimer les gains à long terme. Dans certaines régions, le manque de bétail et de main-d'œuvre sera un sérieux obstacle : de nombreux petits exploitants ne peuvent garder suffisamment de bétail pour produire la quantité requise de fumier (jusqu'à 10 tonnes ou plus par hectare) ni fournir le travail considérable que demande le ramassage, le transport et l'épandage de ce fumier. Là où la terre est rare, il pourrait être impossible, avec les technologies actuelles ou prévisibles, d'obtenir de façon durable les rendements élevés nécessaires en se limitant, pour l'approvisionnement en éléments fertilisants, aux techniques de recyclage ou de biofixation (Norse, 1988).

La Chine se trouve dans cette situation depuis plusieurs décennies. Elle possède des systèmes efficients de recyclage des résidus organiques et d'utilisation de l'azote biologique. Toutefois, depuis 1950 environ, la production des aliments de base est de plus en plus tributaire des engrais minéraux et aujourd'hui la Chine en est le premier consommateur du monde. Malgré les efforts qu'elle fait pour augmenter encore l'efficacité d'utilisation des résidus organiques, il est probable que cette tendance se poursuivra et elle pourrait même s'intensifier en raison de la pénurie croissante de maind'œuvre pour le ramassage et l'épandage des engrais organiques. Les projections de la production faite pour la présente étude indiquent que plusieurs autres pays ou régions se trouveront face au même dilemme que la Chine.

Elargir les possibilités d'application de la protection intégrée des cultures

Les résultats passés de l'agriculture sont entachés par les erreurs résultant de notre manque de connaissances antérieures sur la toxicité des pesticides, leur persistance dans les sols et l'eau, leur accumulation à travers la chaîne alimentaire et leur impact sur les espèces- cibles et les autres espèces. Le coût de ces erreurs se traduit en termes de mortalité et de morbidité humaines, de dommages aux écosystèmes et de résistance accrue aux pesticides. Il existe aujourd'hui plus de 450 espèces nuisibles d'arthropodes qui ont développé une résistance à un ou plusieurs pesticides en raison d'applications répétées (Georghiou et Lagunes-Tejeda, 1991). On observe une résistance accrue aussi chez les agents pathogènes des plantes et les mauvaises herbes.

A la suite de recherches ayant montré l'aggravation des dégâts causés par les pesticides à la santé de l'homme et à la fonction des écosystèmes, dans le milieu des années 60, la FAO a pris la tête d'efforts visant à mettre au point et à appliquer le concept de la protection intégrée des cultures. Dans les premières années, les progrès ont été lents car il fallait mieux comprendre les systèmes proie-prédateur et d'autres aspects clés du fonctionnement des écosystèmes. Mais depuis 10 à 15 ans, les succès sont de plus en plus nombreux et le concept est devenu plus complet. Il recouvre aujourd'hui cinq méthodes de lutte complémentaires:

L'expérience considérable acquise par la FAO en Asie avec le Programme inter-Etats pour la protection intégrée du riz apporte une nouvelle dimension : les agriculteurs deviennent les gestionnaires et les experts dans leurs propres champs. Dans le cadre d'écoles sur le terrain, ils apprennent à obtenir des produits plus sains, à préserver les ennemis naturels des ravageurs et à employer les pesticides appropriés uniquement lorsque c'est nécessaire.

Au chapitre 11, nous avons décrit les pressions croissantes qu'exerceront probablement les ravageurs en raison de l'expansion future de l'agriculture, notamment à cause de l'intensification de la production. On a relevé que, même si la consommation totale de pesticides continuera peut-être d'augmenter, ce sera moins rapidement que par le passé et les taux d'application des pesticides, leur persistance dans l'environnement et leur niveau de toxicité seront réduits. Cette évolution est probable car les milieux politiques, techniques et agricoles des pays en développement sont de plus en plus favorables à la lutte intégrée contre les ravageurs et opposés à l'emploi excessif de pesticides.

Dans la mise au point et l'application de la protection intégrée des cultures, il faut donner la priorité aux cultures qui représentent l'essentiel de la consommation de pesticides : coton, maïs, riz, soja, fruits et légumes. Dans toutes ces cultures il est possible de recourir plus largement à la protection intégrée, même si celle-ci n'est pas efficace pour la totalité des principaux ravageurs. Le Programme de protection intégrée du riz de la FAO a atteint quelque 600 000 cultivateurs en Asie, qui ont réduit leurs applications de pesticides dans des proportions allant jusqu'aux deux tiers, accru leurs rendements et abaissé leurs coûts de production. On pense qu'il y aura plus de 1 million de riziculteurs formés en Asie avant la fin du siècle, mais ce ne représentera qu'une faible proportion des quelque 90 millions de riziculteurs qui pourraient bénéficier de ce programme.

Bien que les perspectives pour les autres principales cultures soient elles aussi bonnes, les résultats obtenus jusqu'à présent sont moins positifs. Dans le cas du coton, les résultats sont mitigés, certains pays ayant réussi à réduire sensiblement l'emploi de pesticides alors que d'autres continuent à l'augmenter. Néanmoins, une diffusion plus efficace des enseignements acquis sur le plan international pourrait permettre un progrès sur un large front d'ici l'an 2010 et rendre la culture du coton moins tributaire des pesticides.

Comme on l'a dit au chapitre 11, la valeur relativement élevée des légumes et les conditions agronomiques dans lesquelles ils sont cultivés4 entraînent souvent l'emploi de doses massives de pesticides toxiques. La FAO s'efforce d'encourager des interventions dans ce domaine dans le cadre d'un programme régional de lutte intégrée contre les ravageurs des légumes en Asie qui s'inspire des leçons tirées du Programme de lutte intégrée contre les ravageurs du riz dont il est question plus haut. Toutefois, les retombées de ce programme et des diverses initiatives nationales n'auront probablement pas un effet majeur sur la situation projetée, à moins que ce problème ne reçoive une priorité accrue.

4. Ces conditions sont les suivantes : irrigation ou arrosages abondants; cultures séquentielles avec deux récoltes ou plus par an ; présence de cultures à des stades de maturité différente en étroite proximité; jachère inexistante ou limitée. Toutes ces conditions favorisent une importante transmission de ravageurs d'une culture à la suivante et l'infection précoce des jeunes plantes ou la concurrence des mauvaises herbes avec celles-ci.

Des progrès ont été faits en ce qui concerne l'emploi d'agents de lutte biologique, c'est-à-dire des organismes vivants ou morts (bactéries, champignons, insectes, virus, nématodes et protozoaires), mais ils intéressent principalement les pays développés et, généralement, les cultures de serre. Le biopesticide le plus courant est le Bacillus thuringiensis qui, par exemple, est très efficace contre certains ravageurs du chou mais n'est employé que sur une petite proportion de la production des pays en développement. Toutefois, au Brésil, un baculovirus est actuellement employé sur environ 1 million d'hectares de cultures de soja pour lutter contre la chenille du haricot de Floride, qui est un important ravageur du soja.

Malgré ses avantages démontrés, la protection intégrée des cultures n'est pas une panacée ni une formule de rechange qui pourrait se substituer entièrement à toutes les méthodes classiques de protection des plantes. Sa réussite dépend d'un certain nombre de facteurs naturels, sociaux et économiques. Elle exige que les différentes mesures de contrôle soient échelonnées dans le temps de façon précise. Il faut donc que les agriculteurs reçoivent une formation appropriée et que soit mis en place un système efficace de vulgarisation comportant divers dispositifs de surveillance des ravageurs et d'alerte rapide etc. Cela entraîne une mobilisation considérable du personnel de recherche et de vulgarisation, ainsi que des capacités des agriculteurs. La forte intensité de main d'œuvre requise au niveau de l'exploitation et dans les services de vulgarisation risque de réduire la compétitivité de cette méthode par rapport aux systèmes traditionnels (à forte composante en apports extérieurs), dans un proche avenir, à mesure que le coût de la main d'œuvre augmente dans de nombreux pays en développement.

Mettre en valeur des ressources hydriques et économiser l'eau

Le chapitre 11 donne un aperçu de la concurrence croissante dont fait l'objet l'eau, concurrence dont l'agriculture est sortie perdante dans certains pays développés, par exemple sur les hautes plaines du Texas aux Etats-Unis, et qui semble aller dans le même sens dans certains pays en développement. L'obtention des résultats projetés en matière d'irrigation dépendra donc d'un certain nombre de progrès techniques5 permettant d'accroître l'efficience de la collecte ou de l'utilisation de l'eau, notamment:

5. Les conditions à satisfaire pour une utilisation durable ne sont pas seulement d'ordre technologique. Les aspects institutionnels et stratégiques sont tout aussi importants; ils font l'objet du chapitre 13.

L'irrigation est la première activité consommatrice d'eau mais jusqu'à 60 pour cent de cette eau sont gaspillés (Kandiah et Sandford, 1993). En conséquence, même en réduisant ce gaspillage de 10 pour cent seulement, on pourrait libérer un volume d'eau considérable pour d'autres usages et atténuer les pressions qui s'exercent sur les ressources en eau. Le remplacement des eaux de haute qualité par des eaux marginales peut avoir des effets similaires. Plusieurs pays semi-arides de la région du Proche-Orient utilisent déjà des effluents traités pour l'irrigation, réservant ainsi l'eau de haute qualité à d'autres emplois.

Beaucoup des solutions techniques ont été élaborées et appliquées dans les pays développés, mais leur adoption dans la plupart des pays en développement a été lente, principalement en raison de leur coût et de leur complexité. Dans la plupart des cas, il s'agit de systèmes d'irrigation aérienne par aspersion et de différents systèmes de microirrigation qui sont deux fois plus efficients que l'irrigation superficielle. Les techniques les plus récentes, comme l'irrigation de précision à basse pression, peuvent avoir une efficience supérieure de 90 pour cent à celle de l'irrigation superficielle et permettent l'emploi d'eau saline (encadré 12.3). Elles sont adoptées par certains pays en développement, comme le Maroc, mais ne peuvent remplacer la majeure partie des systèmes actuels d'irrigation car ceux-ci sont principalement des systèmes d'irrigation superficielle, par submersion - pour le riz - ou par sillons. Pour ces systèmes, c'est l'irrigation à la gorgée (encadré 12.3) qui semble offrir les meilleures possibilités d'améliorations, mais elle doit généralement être adaptée aux conditions d'exploitation existant dans les pays en développement.

Encadré 12.3

LES NOUVELLES TECHNIQUES D'IRRIGATION : IRRIGATION DE PRECISION A BASSE PRESSION ET IRRIGATION A LA GORGEE

La méthode d'irrigation de précision à basse pression consiste en un réseau de rampes mobiles, à déplacement circulaire ou linéaire, dans lequel les têtes d'aspersion sont remplacées par des tubes qui amènent l'eau à la surface du sol. Les effets de ce système d'irrigation sur les cultures sont similaires à ceux d'une installation fixe d'irrigation goutte-à-goutte à haute densité. Ce système permet d'utiliser de l'eau salée sans endommager le feuillage. Il maximise l'efficience de l'irrigation avec des orifices à basse pression situés près du sol et l'efficience pourrait atteindre 90 pour cent (Fangmeier et al., 1990). Des agriculteurs du Texas qui ont adopté cette méthode ont pu réduire de 28 pour cent la consommation moyenne d'eau à l'hectare entre 1974 et 1978 (Postel, 1989).

L'irrigation à la gorgée consiste à remplir d'eau, de façon intermittente, des sillons ou bordures, en alternant des périodes avec et sans eau de durée constante ou variable. Généralement, l'eau est distribuée alternativement entre deux champs irrigués jusqu'à ce que l'irrigation soit totale. La commutation entre les deux champs se fait au moyen d'une vanne et d'une commande automatique. L'irrigation à la gorgée réduit considérablement l'absorption au sommet du champ car le temps d'opportunité est beaucoup moins long que dans l'irrigation à flux continu. L'efficience de l'irrigation pourrait être améliorée jusqu'à 70 pour cent ou davantage en moyenne. L'adoption rapide de cette méthode par les agriculteurs aux Etats-Unis montre à quel point elle est un moyen efficace d'économiser l'eau.

Ces solutions pourraient avoir un impact appréciable sur les systèmes d'irrigation autres que par submersion bien avant 2010. Pour le reste, la tâche immédiate est d'intensifier la recherche appliquée pour améliorer l'irrigation par submersion et de mieux adapter les systèmes d'aspersion et de micro-irrigation aux conditions des pays en développement. Comme les délais d'achèvement et de mise en œuvre de ces travaux de recherche sont longs, leurs retombées seront probablement minimes avant l'an 2010.

On s'est beaucoup préoccupé des problèmes sanitaires dus aux systèmes d'irrigation, par exemple la propagation du paludisme et de la bilharziose. Toutefois, les systèmes d'utilisation combinée de l'eau offrent une possibilité non seulement de réduire la concurrence pour l'eau mais aussi de lutter contre un des problèmes sanitaires les plus répandus dans de nombreuses communautés rurales, à savoir le manque d'eau potable. Il est de plus en plus reconnu que les canaux et forages d'irrigation sont une source d'eau potable relativement sûre, mais cela est rarement pris en considération dans la conception des systèmes d'irrigation et les techniques appliquées. Il est urgent d'entreprendre des travaux de recherche-développement pour déterminer les critères de conception à appliquer aux systèmes à usage mixte, définir les traitements à appliquer pour protéger la santé et adapter les techniques et le matériel existant à ces critères.

Accroître la productivité de l'élevage

Les projections soulèvent un certain nombre de problèmes technologiques dans le secteur de l'élevage lui-même et dans les secteurs d'amont - céréales fourragères, aliments fourragers riches en protéines, services de transformation et autres intrants. Les problèmes ne sont pas les mêmes pour les élevages relativement extensifs, comme celui des ruminants, et les productions qui se font de plus en plus hors sol comme la production d'œufs, de viande de porc et de viande de volaille; ces derniers sont de plus en plus produits dans des systèmes intensifs tributaires d'aliments concentrés et implantés à proximité des villes ou d'une voie d'accès rapide. L'élevage extensif tend à être limité par les ressources et déterminé par l'offre et il exerce souvent des pressions croissantes sur l'environnement en raison du surpâturage. Les élevages intensifs sont de moins en moins limités par les contraintes en matière de ressources car les conditions du marché permettent aux producteurs d'acheter des aliments concentrés et les meilleures techniques de production et de transformation. Ils peuvent aussi exercer de fortes pressions sur l'environnement, mais les principaux problèmes sont des pollutions ponctuelles dues à une mauvaise élimination des déchets.

Les principaux problèmes à résoudre sont de compenser l'insuffisance ou la mauvaise qualité des terres par des mesures visant à accroître la production des pâturages et des parcours et à améliorer les systèmes de gestion, de mieux intégrer l'agriculture et l'élevage, d'accroître l'offre et la qualité des aliments d'appoint, de réaliser des améliorations génétiques par des méthodes classiques de sélection et des techniques de génie génétique et de compléter tout cela par des mesures zoosanitaires moins coûteuses et plus efficaces. Beaucoup de recherches sont en cours dans ces différents domaines et elles pourraient avoir un impact bien avant 2010.

Ainsi, le CIAT a sélectionné des légumineuses et herbes fourragères et des espèces de broutage qui s'adaptent bien à l'aménagement des pâturages et aux systèmes de prairies artificielles sur les sols pauvres acides. Les éleveurs parviennent à accroître sensiblement leur cheptel et obtiennent des gains de poids de 100 pour cent ou davantage. Seule une proportion relativement faible de la superficie totale qui pourrait être ainsi gérée en Amérique latine l'est déjà, mais ces techniques pourraient se généraliser d'ici 2010 et être adaptées aux grandes superficies d'Afrique et d'Asie qui connaissent des contraintes similaires.

L'intégration de l'agriculture et de l'élevage dépend en partie de facteurs culturels, en partie des contraintes imposées par les ressources et en partie du marché. La pression foncière force les éleveurs nomades à se stabiliser et à devenir des cultivateurs. Le travail de la terre et le manque de main-d'œuvre forcent les cultivateurs à adopter la traction animale et à entretenir du bétail pour obtenir le fumier indispensable pour soutenir ou accroître la production végétale et les revenus (Mortimore, 1992). L'existence d'une demande et le souhait d'obtenir un revenu plus régulier favorisent les systèmes mixtes centrés sur l'élevage laitier. Ces tendances actuelles vont sans doute s'affirmer pendant la période de projection et accroître la durabilité.

Ces dernières décennies, les méthodes classiques de sélection animale ont permis aux pays développés d'accroître la productivité par animal de 1 à 2 pour cent par an. Les tentatives en ce sens dans les pays en développement ont eu beaucoup moins de succès, en partie faute de lignées reproductrices adaptées et à cause de la mauvaise qualité des aliments fourragers et d'un environnement hostile, notamment en raison des températures élevées. Les outils de la biotechnologie moderne permettent maintenant de modifier le génome des animaux autochtones et de races mixtes pour qu'ils résistent mieux à ces conditions extrêmes ou aux maladies et pour accroître les rendements en lait et en viande. En outre, ces progrès peuvent être rapidement mis à la disposition des agriculteurs grâce aux nouvelles techniques de reproduction comme le transfert d'embryon et la fécondation in vitro, qui accélèrent la reproduction et l'accroissement du cheptel. Toutefois, il est peu probable que ces techniques soient couramment employées dans la plupart des pays en développement d'ici 2010 en raison d'obstacles institutionnels et structurels.

Les outils et procédés de la biotechnologie commencent aussi à avoir des effets pratiques dans le domaine de la santé animale, notamment pour la prévention, le diagnostic et le traitement des maladies animales et en particulier des maladies à vecteur. Leur impact tendra à augmenter sur la période de projection et sera de plus en plus adapté aux besoins des petits agriculteurs. Il existe déjà sur le marché de nouveaux vaccins pour la protection contre les bactéries qui provoquent des diarrhées chez les agneaux, les veaux et les porcs.

A moyen terme, on devrait pouvoir disposer de vaccins pour lutter contre la trypanosomiase et la théileriose, même s'il est peu probable que le premier soit commercialisé dans un proche avenir. Toutefois, une fois disponible, il permettrait de libérer une grande partie de l'Afrique de la trypanosomiase et de remplacer les médicaments trypanocides, dont les plus récents ont une trentaine d'années, d'où une menace croissante d'apparition de trypanosomes résistants. A court terme, de nouvelles méthodes de lutte comme la pulvérisation d'insecticides à faible dose ou d'insecticides sélectifs, les pièges à phéromone et les lâchers de mâles stériles continueront à réduire les populations de mouches tsé-tsé et se substitueront aux méthodes plus anciennes, mais nuisibles pour l'environnement, de pulvérisations massives d'insecticides à effet rémanent, de débroussaillage et de réduction des populations d'animaux sauvages. L'éradication de la peste bovine est aussi réalisable d'ici 2010 si l'on y consacre des ressources suffisantes.

Depuis quelques années apparaissent de nouvelles conceptions de la nutrition animale, appropriées aux conditions de la majorité des pays en développement, qui orienteront la recherche future. Il convient notamment de mieux exploiter les caractéristiques digestives et la complémentarité des différentes espèces de bétail. Les ruminants peuvent assimiler des fourrages fibreux et des sources d'azote non protéiques qui sont inutilisables par l'homme et les animaux monogastriques, alors que ces derniers assimilent de façon plus efficiente les aliments hautement énergétiques6. Les ruminants peuvent être considérés comme une combinaison de deux sous-systèmes : le rumen et sa faune microbienne et l'animal lui-même qui peut assimiler les éléments nutritifs produits par les microbes et ceux qui sont extraits directement d'aliments fourragers (nutriments non dégradés) généralement plus coûteux. C'est pourquoi on consacre beaucoup d'efforts aujourd'hui à l'amélioration de la fonction du rumen par la manipulation de la faune microbienne. En outre, l'apport stratégique de petites quantités de nutriments essentiels pour compléter et équilibrer le régime de base (généralement pâturage et résidus de récolte) peut avoir des effets considérables sur la productivité.

Sur la base de cette meilleure compréhension du processus d'alimentation des animaux, on considère que deux domaines de travail sont prioritaires s'agissant d'améliorer la productivité du bétail : optimiser le ratio protéines/énergie des nutriments absorbés par des ruminants nourris essentiellement avec des fourrages de moindre qualité et optimiser la digestibilité des fourrages de base.

Pour progresser dans cette direction, il faut faire des recherches sur la manipulation du rumen, le développement de sources locales de compléments protéiques non dégradables, les traitements permettant d'améliorer la digestibilité des fourrages de basse qualité et la manipulation génétique des plantes visant à rendre leurs protéines résistantes à l'attaque microbienne dans le rumen.

Il existe différents exemples d'innovations fondées sur cette nouvelle conception de la nutrition animale et qui seront probablement de plus en plus appliquées à l'avenir. Premièrement, l'emploi de blocs mélasse-urée de fabrication locale, qui ont maintenant été essayés avec succès dans quelque 60 pays en développement, dont l'Inde, notamment pour la production de lait, et les pays du Sahel. Ces aliments améliorent l'efficacité de l'écosystème du rumen en fournissant une source de minéraux, de vitamines et d'azote fermentable pour rééquilibrer la nutrition. Deuxièmement, l'emploi de légumineuses fourragères comme suppléments stratégiques pour les ruminants. Les espèces prometteuses sont notamment Leucaena leucocephala et Gliricida sepium, qui apportent au rumen de l'azote fermentable ainsi que des protéines non dégradables, complétant les régimes alimentaires à base de résidus fibreux de récolte. Le troisième exemple est le fractionnement de la canne à sucre pour l'alimentation des porcs et des ruminants en Amérique latine. Cette méthode, qui pourrait représenter une avancée majeure pour l'alimentation des animaux monogastriques dans les tropiques humides, consiste à utiliser le jus de canne à sucre pour alimenter les porcs, ce qui permet de supprimer totalement le maïs. Dans un système totalement intégré, les sommités et les feuilles des cannes ainsi que la bagasse sont données aux ruminants et les résidus sont employés comme combustible. En outre, la canne à sucre peut être cultivée en association avec du soja et certaines espèces d'arbres qui fournissent des aliments fourragers riches en protéines.

6. De récentes études ont montré que, parmi les ruminants, les buffles et les camélidés ont la plus grande efficience pour la digestion de fourrages fibreux et le recyclage de l'urée.

Développer le potentiel de la biotechnologie

Le terme biotechnologie désigne toute technique employant des organismes vivants pour fabriquer ou modifier un produit, améliorer des plantes ou des animaux ou obtenir des micro-organismes ayant des fonctions spécifiques. La biotechnologie n'est pas nouvelle et de nombreux produits résultent d'un emploi simple mais efficace de techniques traditionnelles, comme fermentation pour la production d'aliments à base de manioc, qui, combinée avec l'ébouillantage, abaisse la teneur en cyanure. Ici nous entendons par biotechnologie tant les méthodes traditionnelles, comme la fermentation, que la biotechnologie moderne fondée sur l'emploi de nouvelles méthodes de culture tissulaire et de manipulations de l'ADN recombinant (ADN-r) et souvent designée sous le nom de génie génétique. Les méthodes de culture tissulaire comprennent la fécondation in vitro et la culture d'embryons, les protoplastes et la culture de cellules et de microspores isolés. Ces méthodes sont employées pour produire des plantes exemptes de pathogènes et pour le stockage de matériel génétique. Aujourd'hui, la technologie la plus couramment employée dans le domaine des végétaux est la propagation des plantes par clonage, notamment dans le cas des plantes ornementales en raison de leur valeur marchande relativement élevée. Les techniques modernes de manipulation de l'ADN-r permettent de transférer tout gène cloné d'un organisme à un autre (hôte transgénique) et elles sont beaucoup plus précises et donnent des résultats beaucoup plus rapides que les techniques traditionnelles de sélection végétale ou animale. Toutefois, la biotechnologie ne peut pas se substituer à ces techniques et doit être considérée comme complémentaire. En fait, le renforcement de la recherche biologique traditionnelle est un préalable indispensable à la création d'une capacité de recherche biotechnologique dans la plupart des pays en développement.

La biotechnologie offre tout un éventail d'applications pour la production végétale et animale. Certaines auront probablement un impact croissant bien avant 2010 alors que d'autres doivent être envisagées à plus long terme. Parmi les premières figurent la culture de tissus de lignées de manioc et autres racines exemptes de virus et l'introduction de microbes stimulant la croissance des plantes (par exemple, mycorhize). Les secondes comprennent la création de variétés de céréales capables de fixer une partie de l'azote dont elles ont besoin et les cultures arbustives transgéniques, mais surtout l'introduction de gènes conférant une résistance aux maladies et à la séchersse.

Beaucoup de ces applications contribueront à une utilisation plus durable des ressources, notamment : a) en élevant les rendements des cultures et en réduisant les besoins en terre pour un niveau donné de production, ce qui atténuera les pressions exercées sur les forêts naturelles et les terres marginales ; b) en complétant les engrais azotés industriels par des sources d'azote biologiques pour la croissance des plantes ; c) en améliorant la productivité des végétaux et des animaux, par des manipulations agissant sur leur croissance et par l'amélioration des vaccins et de la résistance aux maladies ; et d) en réduisant les quantités d'intrants chimiques utilisés par unité de production.

12.6 Un programme de recherche pour un avenir durable

Le Programme « Action 21 » adopté par la CNUED définit une philosophie du développement durable qui peut être interprétée pour orienter la recherche agricole. Le premier axe est l'amélioration de la gestion des systèmes biologiques, fondée sur une meilleure compréhension de leur dynamique comme dans le cas des systèmes intégrés de nutrition des plantes et de la protection intégrée des cultures employés pour réduire les applications de produits chimiques. Le deuxième axe est l'amélioration de la gestion de l'information, qui nécessite des données fiables sur les ressources naturelles, l'utilisation des sols et les systèmes culturaux, l'agrométéorologie, etc., pour améliorer la surveillance de l'environnement et permettre une meilleure utilisation du potentiel des ressources naturelles. Le troisième axe est l'amélioration de la gestion du système exploitation agricole-ménage : il faut mieux comprendre les différents systèmes et considérer comme un tout les activités domestiques, agricoles et non agricoles. Enfin, il faut mettre l'accent sur une approche pleinement participative au développement.

Sur un plan plus pratique, on peut identifier deux directions principales comportant chacune une série de priorités. L'une consiste à promouvoir un accroissement durable de la productivité dans les régions à fort potentiel. L'autre consiste à intervenir dans les environnements marginaux et fragiles où il faut remédier à la dégradation actuelle et stabiliser ou relancer la production. Ces deux types d'interventions doivent être complétés par deux démarches transversales et synergiques, à savoir la remise en état et la restauration des écosystèmes et l'exploitation des complémentarités entre les savoirs techniques autochtones et la science moderne. Tout cela doit être soutenu par des efforts internationaux en vue de renforcer les systèmes nationaux de recherche agricole, sur le plan tant institutionnel que financier, car ce sont eux qui devront faire une grande partie de la recherche adaptative et appliquée.

Les priorités, s'agissant d'aller vers une croissance durable de la productivité, sont notamment les suivantes : expansion de la production d'intrants endogènes/biologiques et recyclage des intrants, combinés à une réduction de la consommation d'engrais minéraux et de pesticides exogènes ; accroissement des rendements plafonds ; amélioration de la gestion de l'irrigation ; lutte contre l'acidification des sols ; utilisation plus efficiente de l'énergie et promotion des énergies renouvelables ; enfin, réduction de l'intensité de main-d'œuvre dans certains systèmes de cultures multiples.

La production endogène ou le recyclage des intrants offrent trois avantages principaux. Premièrement, ils peuvent fournir aux petits agriculteurs une solution plus rentable que les systèmes employant des intrants exogènes coûteux qui, même s'ils sont techniquement efficaces, impliquent un risque financier. Deuxièmement, ils peuvent contribuer à prévenir l'épuisement des éléments fertilisants du sol et l'accumulation excessive d'engrais minéraux et de résidus de pesticides dans les eaux superficielles et souterraines et dans le sol. Troisièmement, grâce à l'emploi de légumineuses comme paillis vivant, d'engrais verts et autres résidus organiques, ils peuvent améliorer la structure du sol, préserver sa fertilité et accroître sa capacité d'absorption du dioxyde de carbone. Tout cela nécessite une connaissance beaucoup plus approfondie de la fonction des agro-écosystèmes mais ces méthodes risquent aussi de se heurter à la pénurie de main-d'œuvre. Il est difficile d'imaginer, par exemple, comment certains systèmes complexes de cultures intercalaires et séquentielles actuellement appliqués en Chine pour obtenir trois récoltes par an, qui nécessitent énormément de travail manuel, pourraient survivre dans un environnement où la main-d'œuvre serait plus coûteuse. Les priorités en matière de recherche sont notamment les processus et techniques de recyclage des éléments fertilisants, la gestion des ressources naturelles dans les villages et les systèmes intégrés de culture et d'élevage.

L'accroissement des rendements plafonds dans les environnements difficiles est à l'étude depuis de nombreuses années. Aujourd'hui, on comprend mieux les enjeux et on a fait des progrès avec certaines cultures comme le millet et les légumineuses. Parallèlement, on s'efforce à nouveau d'accroître le rendement maximum possible des cultures vivrières de base dans les zones à fort potentiel, qui ont été au cœur des succès de la révolution verte (les cultures irriguées de blé et de riz en Asie) et où les rendements expérimentaux semblent avoir atteint un palier et n'ont quasiment pas progressé au cours des dix dernières années ou plus (Pingali et al., 1990). Même si, dans ces régions, les rendements moyens sont encore nettement inférieurs aux rendements expérimentaux, si bien qu'ils pourraient continuer d'augmenter jusqu'en 2010, au-delà, la progression sera très ralentie à moins que la recherche ne parvienne à dépasser le palier actuel et à repousser les limites potentielles de rendement (Hayami et Otsuka, 1991). Cela représente aujourd'hui une priorité majeure de l'IRRI et d'autres institutions de recherche, mais leurs efforts doivent être complétés par des actions au niveau national. La récente introduction généralisée de riz hybride en Chine et dans d'autres pays d'Asie, d'abord pour les zones tempérées puis pour les variétés tropicales, permet d'envisager un relèvement important du plafond des rendements (voir chapitre 4). Les axes prioritaires de la recherche sont notamment : a) la production de variétés ayant une tolérance ou une résistance accrue à l'excès d'humidité ou aux contraintes liées aux éléments fertilisants du sol ; b) la lutte contre les carences en oligo-éléments ; et c) l'étude des conditions biologiques en situation de production végétale intensive continue ainsi qu'en situation de faible apport d'intrants.

En matière d'irrigation, le programme de recherche comporte trois éléments. Le premier est l'emploi d'eaux de qualité médiocre pour remplacer les eaux de haute qualité, qui sont rares. Le deuxième est l'accroissement de l'efficience de l'utilisation de l'eau, qui permettra de réduire les coûts unitaires. La troisième est l'amélioration de la gestion des systèmes d'irrigation. Les techniques actuelles peuvent beaucoup contribuer à soutenir la croissance à moyen terme, mais il faut accélérer la recherche pour trouver des moyens plus économiques de prévenir la poursuite de la détérioration des ressources hydriques et pour élargir l'éventail des options technologiques pour l'avenir. Les priorités sont notamment : a) accroître l'efficience de l'irrigation par submersion au moyen de méthodes pratiques de maîtrise du niveau de l'eau et de l'infiltration, une meilleure préparation des sols et l'alternance de régimes secs et humides ; b) adapter l'irrigation à la gorgée aux conditions des pays en développement ; c) mettre au point des méthodes simples, efficientes et économiques de traitement des eaux usées permettant d'éviter ou réduire au minimum les impacts nefastes sur la santé de l'homme et sur l'environnement ; d) identifier les principales caractéristiques institutionnelles des systèmes les plus efficaces de gestion de l'irrigation et les effets du transfert de la gestion aux agriculteurs.

Un des effets courants de l'intensification de l'agriculture, que ce soit avec un apport élevé ou faible en intrants exogènes, est d'accroître la concurrence entre cultures et mauvaises herbes pour les éléments fertilisants, l'eau et la lumière. Les réponses habituelles sont soit l'intensification du désherbage manuel soit l'emploi de quantités accrues d'herbicides. Pour la première, la main-d'œuvre est de plus en plus rare et chère et la seconde fait peser une menace de plus en plus grave sur l'environnement et la santé humaine. Les priorités sont donc : a) développer les techniques de lutte contre les mauvaises herbes ; b) stimuler la recherche sur les méthodes de lutte biologique et les herbicides biodégradables ; c) rechercher des façons novatrices de réduire l'emploi d'herbicides7.

7. Par exemple, dans la région du Cerrado au Brésil, les cultivateurs de soja pratiquent des techniques de labour minimum et pulvérisent les herbicides de nuit (ce qui leur garantit des conditions de calme, de fraîcheur et d'humidité) et appliquent avec succès un quart seulement des doses recommandées.

Il est impossible d'améliorer la productivité si l'on ne parvient pas à répondre aux besoins énergétiques de l'agriculture et des services ruraux. La préparation des sols, la récolte, l'irrigation et la transformation des produits requièrent différents types et niveaux d'énergie, soit directe (énergie mécanique, thermique et électrique), soit indirecte (engrais). Sans cette énergie, la productivité agricole restera faible et probablement bien inférieure à son potentiel. En même temps, des pratiques impliquant une consommation d'énergie inutilement élevée entraînent un épuisement des ressources. Il faut donc mieux étudier les liens entre énergie et agriculture et promouvoir des systèmes durables fondés sur l'emploi d'énergies renouvelables, qui sont principalement l'énergie de la biomasse, l'énergie solaire et l'énergie éolienne. Le potentiel de l'agriculture elle-même pour la production d'énergie nécessite des études et recherches supplémentaires sur l'utilisation des résidus de la biomasse, des plantations énergétiques et des systèmes de production combinée d'énergie et d'aliments. Les priorités sont : a) l'évaluation des interactions énergie-agriculture dans différents écosystèmes et dans les régions à haut et à faible potentiel ; b) l'amélioration de la compréhension de la gestion intégrée de l'énergie et des autres intrants (eau, engrais, pesticides, mécanisation) ; et c) l'évaluation du potentiel des biocombustibles dans le cadre de différents environnements et de différentes politiques d'utilisation des sols.

Le problème de la sauvegarde des régions marginales comporte deux facettes. La première concerne les régions dont la vocation n'est pas nécessairement marginale car, avec des investissements, des modifications institutionnelles et des technologies appropriées, elles pourraient devenir des régions à potentiel moyen à élevé (voir encadré 12.1). La seconde concerne les régions intrinsèquement marginales, en raison d'une aridité extrême qui ne peut être palliée par l'irrigation ou de types de sols qui ne peuvent être amendés de façon économique. Ici, la priorité doit être donnée à la limitation des dégradations et à la création d'emplois non agricoles, permettant aux populations d'acheter des aliments produits dans des régions mieux dotées au lieu d'être obligées de surexploiter la terre.

On reconnaît de plus en plus qu'il existe de nombreuses techniques autochtones pour la conservation des eaux, au niveau de l'exploitation ou au niveau local, qui peuvent être employées dès maintenant ou rapidement adaptées pour compléter les actions cidessus. Toutefois, pour poursuivre les progrès au-delà de l'an 2010, des recherches fondamentales et appliquées seront nécessaires au cours des deux prochaines décennies. Comme dans le cas de l'amélioration des plantes, les délais peuvent être de 10 à 15 ans ou davantage. Ainsi, certaines techniques de labour minimum, qui ont transformé la production végétale dans certaines régions sèches des Etats-Unis, ont demandé une vingtaine d'années de mise au point et d'application. En outre, s'agissant de techniques à faible consommation d'intrants, elles sont plus durables, en termes de consommation d'énergie fossile et de maintein de la fertilité des sols, que les pratiques culturales qu'elles ont remplacées. Les priorités sont : a) la mise au point de systèmes de labour minimum pour les agriculteurs à faibles revenus des régions arides des pays en développement ; et b) la recherche de méthodes d'amélioration des pâturages dans les zones de parcours extensif, tant tropicales que tempérées.

Si les possibilités de mise au point de systèmes à faible consommation d'intrants sont considérables, l'indépendance complète à l'égard des intrants exogènes n'est pas possible, sauf dans des cas très particuliers comme là où il y a des dépôts de cendres volcaniques ou de poussières éoliennes ou des inondations d'eaux chargées de sédiments. Il faut donc poursuivre la recherche sur l'abaissement des coûts unitaires des intrants exogènes ou sur l'accroissement de l'efficience des intrants, ou encore sur la réduction des besoins au moyen de méthodes novatrices permettant de pallier les facteurs qui rendent actuellement certaines régions marginales. Certaines des possibilités sont bien illustrées par le cas très répandu des sols pauvres en phosphate. Le phosphate est indispensable pour la croissance des plantes mais de nombreux sols en contiennent très peu, ou, s'ils en contiennent assez, il n'est pas disponible pour la croissance des végétaux en raison d'autres facteurs comme la présence d'aluminium ou de fer qui sont toxiques. Les engrais organiques sont rarement une solution à long terme si l'on veut obtenir des rendements élevés et les engrais obtenus à partir de biomasse cultivée sur des sols carencés en phosphore auront eux-mêmes une teneur insuffisante en phosphore.

Les méthodes classiques de production d'engrais phosphatés sont coûteuses et, lorsqu'ils doivent être transportés sur de longues distances, ces engrais sont encore plus inabordables pour les agriculteurs des régions marginales. Cependant, il existe dans de nombreux pays des dépôts de phosphates naturels à faible teneur, ou d'autres matières contenant du phosphate, qui pourraient être employés si l'on trouvait des méthodes économiques pour les transformer de façon à rendre les phosphates disponibles pour les plantes. Par ailleurs, à plus long terme, il semble qu'il serait possible de transférer génétiquement à d'autres plantes les propriétés du pois cajan, qui est capable de libérer les phosphates liés dans le sol pour les rendre disponibles pour la croissance végétale. Cependant, à défaut de tels progrès techniques, dans de nombreuses régions marginales un développement durable sera impossible. La recherche doit donc être axée en priorité sur : a) la mise au point de techniques économiques pour l'amélioration de l'efficience des phosphates naturels à faible teneur, par exemple avec l'incorporation de matières organiques et la promotion de l'activité des mycorrhizes dans le sol ; et b) la détermination des mécanismes par lesquels le pois cajan libère les phosphates liés dans le sol en vue de les transférer à d'autres espèces.

L'accroissement de la concurrence entre agriculture et élevage pour la terre, tant dans les régions marginales que dans les régions à haut potentiel, et la menace que fait peser sur les rendements des cultures le déclin de la fertilté des sols sont des facteurs qui favoriseront l'intégration des deux systèmes. Toutefois, cela nécessitera une intensification de la recherche pour trouver des solutions plus satisfaisantes à un certain nombre de problèmes, notamment : a) la réduction des besoins en main-d'œuvre et autres contraintes qui entravent l'adoption de cultures en couloirs associées à l'élevage et autres systèmes sylvopastoraux, compte tenu de la concurrence pour l'eau, la lumière et les éléments fertilisants ; b) la mise au point de pratiques de cultures séquentielles ou intercalaires, de pratiques de conservation des sols et autres méthodes à base de cultures de légumineuses pour accroître la production d'aliments fourragers et de fourrages à forte teneur en protéines ; et enfin c) l'introduction et le perfectionnement des systèmes de praire artificielle herbes-légumineuses pour les sols acides et autres sols médiocres.

Nous avons passé en revue les problèmes à résoudre et les possibilités qui s'offrent pour obtenir la production projetée pour 2010 et mettre en place les conditions d'une agriculture durable au 21 ème siècle. Toutefois, les besoins ne concernent pas seulement la recherche-développement. Si le progrès technique n'est pas accompagné de modifications institutionnelles et d'un environnement économique plus favorable au développement de l'agriculture, de nombreux résultats de la recherche ne quitteront pas le laboratoire ou la station expérimentale et ne pourront pas être obtenus sur les exploitations. Nous reviendrons sur ces aspects, dont certains ont déjà été examinés dans des chapitres précédents, dans le chapitre de conclusion qui suit.


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