Page précédente Table des matières Page suivante


CHAPITRE 13
Optimiser les arbitrages entre environnement et développement de l'agriculture

13.1 Introduction

Les chapitres qui précèdent ont démontré qu'il y a souvent un certain nombre de compromis à faire entre l'environnement, la sécurité alimentaire et d'autres aspects du développement. Dans certains cas, les compromis sont évitables mais dans d'autres, ils ne le sont pas, du moins dans l'immédiat. Les questions de fond ont été clarifiées et mises en évidence par la Commission Brundtland. Son rapport a souligné à quel point il était difficile de concilier l'impératif à court terme d'accroissement de la production alimentaire et agricole et des revenus de la génération actuelle avec la nécessité, plus lointaine et presque impossible à quantifier, de conserver les ressources naturelles pour répondre aux besoins des générations futures (Commission mondiale sur l'environnement et le développement, 1988). Par conséquent, si l'objectif à long terme est le développement durable de l'agriculture et de l'ensemble de l'économie, les moyens ou processus qui y conduisent devront peut-être s'écarter de cet impératif dans le court à moyen terme, d'où l'importance des compromis à trouver.

Au chapitre 11 nous avons décrit autant que possible les pressions que risque d'exercer sur l'environnement l'évolution future de l'agriculture. Beaucoup des pressions environnementales associées au développement sont devenues une pierre d'achoppement entre les pays développés et les pays en développement et expliquent en partie la diversité des priorités de ces deux groupes de pays à la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUED) et dans d'autres enceintes internationales.

13.2 Le clivage nord-sud

Les pays développés tendent à donner la priorité à la protection de l'environnement et aux mesures visant à atténuer la dégradation des ressources naturelles, malgré leur éventuel coût économique et social. Ce faisant, ils admettent rarement qu'un environnement propre est, à certains égards du moins, un luxe qu'ils peuvent aujourd'hui se permettre mais que dans leur passé ils ont en grande partie négligé. Les pays en développement, par nécessité, tendent à avoir des priorités différentes. Ils reconnaissent qu'il importe de trouver un chemin de croissance plus durable et, à la CNUED, ils ont soutenu massivement le Programme «Action 21» (encadré 13.1) et les conventions relatives à la biodiversité et au changement climatique. Mais ils soulignent la nécessité de veiller à ce que les mesures environnementales n'aient pas d'effets négatifs sur leur développement, soutenant par exemple que si la pauvreté rurale n'est pas éliminée, une grande partie de leur population ne pourra éviter de surexploiter les ressources naturelles pour assurer sa survie.

Encadré 13.1

LES RESULTATS DE LA CNUED*

La conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (Rio de Janeiro, 3–14 juin 1992), à laquelle étaient représentés les gouvernements de 172 pays membres, s'est achevée sur le Sommet de la Planète Terre, au cours duquel 102 chefs d'Etat ou de gouvernement ont fait des déclarations exprimant leur engagement en faveur d'un développement respectueux de l'environnement et durable. Les principaux accords conclus et entérinés par la suite à la quarante-septième session de l'Assemblée générale des Nations Unies sont les suivants:

  1. la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement (qui doit servir de base pour l'élaboration d'une Charte de la Terre que devrait adopter l'Assemblée générale des Nations Unies en 1995, à l'occasion du 50ème anniversaire de l'ONU);

  2. le Programme « Action 21 », qui décrit sur quelque 280 pages un plan d'action global composé de 115 programmes regroupés en 40 chapitres. Ceux qui intéressent particulièrement l'alimentation et l'agriculture sont le chapitre 10, Conception intégrée de la planification et de la gestion des terres, le chapitre 11, Lutte contre le déboisement, le chapitre 12, Gestion des écosystèmes fragiles : lutte contre la désertification et la sécheresse, le chapitre 13, Gestion des écosystèmes fragiles : mise en valeur durable des montagnes, le chapitre 14, Promotion d'une agriculture et d'un développement rural durables et le chapitre 17, Protection des ressources marines;

  3. la Convention-cadre sur le changement climatique, signée par 162 gouvernements;

  4. la Convention sur la diversité biologique, signée par 159 gouvernments ;

  5. la «Déclaration de principes, non juridiquement contraignante mais faisant autorité, pour un consensus mondial sur la gestion, la conservation et l'exploitation écologiquement viable de tous les types de forêts », qui pourrait conduire à des « arrangements appropriés faisant l'objet d'un accord international pour promouvoir la coopération internationale »;

  6. un accord sur les ressources financières et les mécanismes de financement d'Action 21, y compris des ressources nouvelles et additionnelles fournies à titre de dons ou à des conditions de faveur par la communauté internationale des donateurs, à savoir : 1) les banques et fonds multilatéraux de développement, y compris l'IDA, les banques de développement régionales et sous-régionales et le Fonds pour l'environnement mondial ; 2) les institutions spécialisées compétentes et d'autres organismes des Nations Unies et organisations internationales ; 3) les institutions multilatérales spécialisées dans la création des capacités et la coopération technique ; 4) les programmes d'assistance bilatérale ; 5) l'allegement de la dette ; 6) les financements privés (ONG); 7) l'investissement ; et 8) des modes de financement novateurs ;

  7. des arrangements institutionnels internationaux pour le suivi, en particulier la Commission pour le développement durable du Conseil économique et social et un Comité interinstitutions sur le développement durable créé par le CAC ;

  8. le lancement d'un processus de négociation en vue d'une Convention internationale sur la lutte contre la désertification dans les pays qui connaissent de graves problèmes de sécheresse et/ou de désertification, particulièrement en Afrique. La Convention a été mise définitivement en forme en juin 1994;

  9. la convocation d'un certain nombre de conférences des Nations Unies, notamment la Conférence sur les stocks de poissons chevauchants et les stocks de poissons grands migrateurs (New York, juillet 1993) et la Conférence mondiale sur le développement durable des petits Etats en développement insulaires (La Barbade, avril 1994).

* Voir aussi FAO (1993b).

La plupart des pays développés ont déjà pris des mesures pour supprimer ou continuer d'atténuer les menaces les plus graves que fait peser l'agriculture sur l'environnement. Par exemple, ils ont mis hors production des terres marginales, réduit ou interdit l'utilisation d'engrais minéraux et de pesticides à effets rémanents sur les bassins versants sujets à la contamination des eaux souterraines, renforcé la réglementation sur l'élimination des déchets des élevages intensifs, etc. L'adoption de mesures supplémentaires pour protéger l'environnement contre les pressions de l'agriculture dépend d'un choix de société, car ces pays ont les moyens économiques et techniques d'introduire des réglementations supplémentaires ou des technologies plus douces et plus durables. En outre, cela entraînera pour eux moins de difficultés économiques que pour les pays en développement qui pourraient être touchés par exemple par l'augmentation du coût des aliments et/ou des importations de produits alimentaires ou la baisse de leurs exportations. La familiarisation avec les technologies douces et les progrès que celles-ci sont appelées à faire feraient concilier de mieux en mieux environnement et développement, ce dernier terme étant entendu dans sa conception classique (revenu par habitant, etc.).

Dans la plupart des pays en développement la situation est tout autre. Pour eux, l'amélioration de la gestion des ressources agricoles est un impératif social et non un choix de société, car la dégradation de ces ressources est à la fois une cause et une conséquence de la pauvreté (voir chapitre 2). Toutefois, leurs options sont souvent très limitées, du moins à court et à moyen terme. Ils seront obligés d'utiliser une part accrue de leurs terres peu productives ainsi que certaines terres marécageuses à fort potentiel agricole. Ils ne peuvent réduire leur consommation déjà souvent faible d'engrais minéraux sans menacer la sécurité alimentaire et intensifier la dégradation des sols et ne sont pas en mesure d'exploiter davantage, à bref délai, les possibilités techniques qu'offre la nutrition intégrée des plantes. Pour certains problèmes de production ou d'environnement, il n'existe pas encore de solutions techniques appropriées et, si elles existent, elles sont difficilement applicables ou trop coûteuses. Toute hausse appréciable des coûts et des prix à la consommation des produits alimentaires auraient des effets négatifs sur une consommation déjà insuffisante et beaucoup de pays n'ont pas les moyens d'accroître leurs importations alimentaires à des conditions commerciales. Enfin, il leur est déjà très difficile de maintenir le niveau actuel des services publics, si bien que les mesures de protection de l'environnement sont souvent en concurrence directe avec d'autres projets pour l'attribution de ressources matérielles et humaines limitées.

Heureusement, on peut faire beaucoup pour limiter les sacrifices nécessaires et il existe aussi un certain nombre de mesures qui sont à la fois plus écologiques et rentables. Le chapitre 12 a passé en revue les problèmes et possibilités de la technologie. Il nous reste à examiner les modifications institutionnelles et les réorientations stratégiques plus générales nécessaires pour offrir une structure d'incitations et des mécanismes de soutien favorables à l'adoption des technologies requises pour que la production agricole atteigne les niveaux projetés ici et pour contribuer à la mise en place d'une agriculture et d'un développement rural durables. A la section 13.3 nous suggérerons ce qui pourrait être les principaux axes d'une stratégie visant à concilier autant que possible environnement et développement. A la section 4 nous passerons de la stratégie à la tectique et traiterons des politiques et mesures de gestion des ressources nécessaires pour atténuer les principales pressions qu'exerce sur l'environnement la poursuite de la croissance agricole.

13.3 Une stratégie pour concilier autant que possible environnement et développement

Les options techniques examinées au chapitre 12 ne sont pas en elles-mêmes suffisantes pour susciter un développement écologique et durable jusqu'en 2010 et audelà. Il faut aussi que l'environnement économique et institutionnel y soit favorable. Les agriculteurs doivent avoir un meilleur accès à des technologies, intrants et services éprouvés et à des marchés pour leurs produits. Il faut que leur droit d'accès à la terre et aux autres ressources soit garanti pour qu'ils aient la stabilité et la confiance nécessaires pour profiter des possibilités qu'offre la technologie et faire les investissements requis. Enfin, comme les techniques nouvelles sont rarement dénuées de risque en l'absence de mesures de sauvegarde pour protéger les biens publics, il faut un cadre réglementaire approprié. Les incohérences ou lacunes dans cet environnement réglementaire et institutionnel risquent de compromettre sérieusement l'efficacité des différentes technologies et des solutions d'ensemble. Il est donc indispensable que les actions visant à concilier agriculture et environnement et à mettre l'agriculture sur une voie de développement durable s'insèrent dans un cadre stratégique cohérent.

La FAO a joué un rôle de premier plan dans l'élaboration d'un tel cadre au titre de sa contribution à la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (FAO, 1991c). En particulier, elle a été responsable d'un certain nombre de chapitres d'Action 21, le programme qui regroupe les principales recommandations opérationnelles de la Conférence (voir encadré 13.1). Action 21 (ONU, 1993a) contient des propositions pour un large éventail de changements techniques et institutionnels à l'appui de la stratégie et des hypothèses sur lesquelles se fondent les projections à l'horizon 2010 et qui sont indispensables pour le développement à plus long terme. Ces nombreux changements ont servi de base pour l'élaboration d'une stratégie globale de développement agricole rural durable à long terme. Toutefois, dans cette stratégie globale, on peut distinguer des composantes centrées sur des questions précises, en l'espèce les arbitrages entre environnement et développement, par exemple au moyen de mesures visant à atténuer les pressions qui entraînent le déboisement des forêts primaires ou le drainage des marais pour l'agriculture.

Dans les précédents chapitres, et notamment aux chapitres 7 à 10, nous avons examiné les principaux axes d'une stratégie visant à améliorer les résultats de l'agriculture, à réduire la pauvreté rurale et à améliorer l'accès à la nourriture. Il nous reste ici à examiner les questions liées plus spécifiquement à l'objectif de concilier protection de l'environnement et développement. Premièrement, comme on l'a montré au chapitre 12, il faut mettre l'accent sur une réorientation de la technologie, en abandonnant en partie les solutions «dures» qui nécessitent un important capital fixe et variable, comme les terrassements mécaniques ou les pesticides, au profit de solutions fondées sur des pratiques de gestion plus raffinées, à forte intensité de savoir et d'informations. Ces dernières comportent moins de risques environnementaux, économiques et sanitaires pour les producteurs, les travailleurs agricoles et les consommateurs. Ainsi, on privilégiera les barrières végétatives pour limiter l'érosion du sol, au lieu des terrasses construites à la machine ou à la main, et la lutte intégrée contre les ravageurs, fondée sur une connaissance des relations prédateurs-proies, plutôt que des stratégies recourant principalement aux pesticides. Ces solutions visent à réduire à la fois le recours à des intrants exogènes et les pressions sur l'environnement. La construction mécanique de terrasses par exemple nécessite un investissement important.

Souvent, les fonds nécessaires proviennent de ressources publiques, toujours insuffisantes, ce qui entraîne des sacrifices ailleurs, par exemple sur les dépenses de santé et d'éducation. Les machines et les carburants nécessaires sont généralement importés en échange de précieuses devises. En outre, ces terrasses sont souvent inefficaces parce que rapidement négligées, du fait qu'elles ont été créées dans le cadre d'un processus excluant les agriculteurs et les communautés de leur conception et de leur mise en œuvre.

Deuxièmement, il convient d'établir des droits de propriété ou d'usage bien définis pour les ressources publiques et privées, par exemple en élaborant des régimes fonciers ou en créant des groupes d'utilisateurs sur la base de systèmes traditionnels. En Afrique notamment, ces régimes d'inspiration traditionnelle fonctionnent mieux que les systèmes d'inspiration occidentale consistant à individualiser la propriété foncière. Sans cela, les utilisateurs des ressources communes ne seront guère incités à les exploiter de façon durable et un développement non maîtrisé se traduit souvent par une réduction de l'utilité économique d'une ressource donnée. En revanche, des droits clairs en matière d'accès à la terre fournissent les incitations économiques et sociales nécessaires pour la protection et l'amélioration des ressources, même s'ils sont rarement suffisants.

Troisèmement, le succès dépend beaucoup de la participation des populations et d'une gestion décentralisée des ressources. Ce sont les petits agriculteurs, les éleveurs et les habitants des forêts qui prennent la plupart des décisions clés concernant l'utilisation des ressources. Ce sont eux qui décident d'adopter ou non des pratiques durables, de déboiser ou de labourer des pâturages et leurs décisions répondent à des considérations de sécurité du foyer plus qu'aux édits gouvernementaux. Collectivement, au niveau du village ou de communautés plus importantes, ce sont eux qui aménagent les bassins versants. Dans les pays en développement, le secteur public n'a pas les moyens de faire appliquer ces mesures et n'est pas non plus motivé, comme l'est un propriétaire ou un utilisateur, pour sauvegarder les ressources exploitées.

Quatrièmement, il faut dans la mesure du possible que le marché donne des signaux qui intègrent une évaluation raisonnable des biens environnementaux. Il faut notamment que les prix des produits incluent tous les coûts environnementaux directs et indirects. Il est impossible au secteur public de policer tous les aspects de l'utilisation des ressources, sauf à imposer une charge politiquement et économiquement insupportable. La solution est d'employer les mécanismes de prix pour atteindre les mêmes objectifs généraux, mais en les complétant par un environnement réglementaire national et international qui définisse des normes appropriées, par exemple des systèmes de certification pour les bois exploités de façon durable ou des prescriptions d'étiquetage pour les produits «organiques».

Les interventions de caractère général décrites ci-dessus correspondent à ce qui est indispensable dans certains pays pour réaliser les projections à l'horizon 2010 tout en réduisant au minimum les dégâts causés à l'environnement. Toutefois, à des degrés variables, elles sont indispensables dans tous les pays développés et en développement, sans quoi la production projetée pour 2010 ne sera pas durable. Mais ces interventions ne sont pas suffisantes. Pour qu'elles entraînent une réorientation effective des politiques et l'adoption de mesures opérationnelles, elles doivent, être précisées et adaptées à la situation de chaque pays et aux problèmes spécifiques des différents agroécosystèmes. Quatre types principaux d'agro-écosystèmes fournissent plus de 95 pour cent de la production alimentaire et agricole dans les pays en développement, et on a tenu compte de leur contribution à la production actuelle et future dans les projections : régions sèches et à pluviosité incertaine, basses terres humides, systèmes irrigués et régions de colline ou de montagne. Ces agro-écosystèmes peuvent cœxister dans un même pays mais parfois l'un d'eux domine. Les spécificités, les problèmes et les possibilités qu'offre chacun de ces agro-écosystèmes peuvent fournir une base rationnelle pour une planification stratégique au niveau national ou supranational. Cependant, en dernière instance, les arbitrages devront être faits par l'agriculteur ou la communauté locale qui doit prendre les décisions concernant l'exploitation de ressources ayant telles ou telles caractéristiques de production.

Le plus important est d'adapter la stratégie au cadre institutionnel national car celuici représente une combinaison unique de facteurs culturels, politiques, économiques, sociaux et physiques qui déterminent la validité des différents arbitrages. La stratégie doit être nationale, mais décentralisée sur le plan opérationnel. Certaines décisions devront être prises au niveau national mais une grande partie des mesures d'exécution devront être confiées à l'utilisateur. Les gouvernements ont la responsabilité souveraine de concilier les besoins des utilisateurs actuels et ceux des générations futures. Seuls les gouvernements ont l'autorité nécessaire en ce qui concerne tout l'éventail des instruments juridiques, fiscaux et sociaux ainsi que les institutions et services d'appui. Seuls les gouvernements ont l'autorité nécessaire pour conclure des accords contraignants sur des questions transfrontières, comme la gestion des bassins hydriques internationaux, qui sont indispensables pour un développement durable et la protection de l'environnement. Cependant, les gouvernements ne sont pas infaillibles, et le rôle que les gouvernements et les organismes nationaux peuvent jouer dans la gestion des ressources naturelles est bien délimité. C'est pourquoi une grande partie des décisions spécifiques devront être laissées aux communautés locales et aux agriculteurs, encouragés par des politiques et règlements nationaux appropriés.

La stratégie doit tenir compte du fait que la première priorité de nombreux agriculteurs est la sécurité alimentaire et le bien-être de leur famille. Ils n'abandonnent pas une production alimentaire immédiate, même si elle peut entraîner une certaine dégradation, contre un avenir durable mais moins tangible. Par conséquent, pour concilier la protection de l'environnement et la production agricole, il faut mettre l'accent sur des mesures qui améliorent la sécurité alimentaire ou le pouvoir d'achat de produits alimentaires, réduisent les fluctuations saisonnières et améliorent l'accès général aux aliments. En outre, il ne suffit pas de répondre aux besoins alimentaires. La stratégie doit être rentable pour les agriculteurs et les autres investisseurs privés, dans des délais qui correspondent à leur situation ou à leur perception du risque. Il faut au minimum qu'ils aient le temps ou les revenus nécessaires pour investir dans la durabilité.

Toute stratégie doit avoir une base juridique et définir clairement les règles de l'utilisation des ressources. Elle doit clairement définir les responsabilités et attribuer les droits d'accès, ou d'usage, sur les ressources environnementales (voir section suivante). Elle doit être acceptable sur le plan sociopolitique et équitable et ne doit pas dépasser les capacités de mise en œuvre tant des pouvoirs publics que des individus. Les gouvernements doivent être à la fois disposés à exercer leurs responsabilités et capables de le faire. Premièrement, il faut le courage politique d'accepter d'éventuelles réactions négatives de l'opinion publique face à des contraintes qui paraissent entraver les comportements privés. Deuxièmement, les gouvernements doivent veiller à ce qu'il existe des mécanismes institutionnels publics ou privés solides, capables de fournir aux agriculteurs et aux communautés les services de soutien nécessaires pour mettre en œuvre les options retenues afin de concilier autant que possible environnement et agriculture. Enfin, ils doivent intervenir pour atténuer les difficultés sociales qui peuvent se produire lorsque des gens doivent abandonner l'agriculture pour d'autres activités.

13.4 Comment optimiser certains arbitrages ?

Comme on l'a dit dans l'introduction, certains arbitrages entre l'environnement et le développement agricole sont inévitables, du moins dans le court à moyen terme.

Premièrement, certains pays en développement peuvent être obligés de déboiser des forêts naturelles et de drainer une partie de leurs marécages pour nourrir leur population, promouvoir la croissance agricole et améliorer le bien-être social net. Deuxièmement, il n'existe pas de technologies douces pour de nombreux problèmes ou situations, si bien que dans l'immédiat on devra employer des techniques moins durables, jusqu'à ce que la recherche ait mis au point des solutions appropriées. Troisièmement, les pays en développement n'ont pas suffisamment de personnel possédant la formation voulue. Enfin, de nombreux pays en développement n'ont pas les mécanismes institutionnels locaux et centraux nécessaires pour rassembler et analyser les données relatives à la gestion des ressources, évaluer les différentes options, améliorer le fonctionnement des marchés et s'assurer l'adhésion des agriculteurs et des communautés rurales. Pour surmonter ces obstacles, il faudra, dans certains cas, au moins une décennie et parfois beaucoup plus de temps.

Pour trouver des compromis acceptables, il faut adopter une approche globale comportant trois dimensions principales - technique, institutionnelle et internationale - qui ont chacune leur spécificité, mais doivent être formulées et mises en œuvre ensemble pour que la politique adoptée soit globalement cohérente.

La dimension technique

La croissance démographique et économique a porté la demande de produits alimentaires et agricoles au-delà de ce qui peut être produit par une agriculture extensive sans danger pour l'environnement (voir chapitre 12). Par conséquent, l'agriculture a dû être intensifiée et la production accrue au moyen d'intrants techniques qui peuvent, à court terme, causer des dégâts inévitables à l'environnement. Toutefois, ces dégâts peuvent être atténués et doivent être mis en perspective. On peut prendre l'exemple du problème de la pollution des eaux superficielles et souterraines par les nitrates et la question générale du choix entre les sources organiques et minérales d'azote. Certains militent en faveur d'une interdiction complète de l'emploi d'engrais minéraux. Cela est totalement irréaliste. Cette interdiction ne résoudrait pas le problème de la pollution des eaux souterraines par les nitrates et entraînerait inévitablement de graves pénuries alimentaires, une baisse des revenus et une aggravation de la malnutrition, tout en intensifiant la dégradation des sols à cause de l'épuisement des éléments fertilisants, pour les raisons suivantes :

Premièrement, le problème est dû aussi bien aux sources organiques qu'aux sources minérales d'azote. Ainsi, lorsque des engrais minéraux sont épandus à la surface du sol ou des fumures organiques appliquées sur des terres en jachère, c'est-à-dire lorsqu'il n'y a pas de cultures capables d'absorber les éléments fertilisants libérés par la décomposition des engrais, ces éléments sont lessivés et polluent les eaux souterraines. De même, les déchets organiques des élevages ou des fermes piscicoles sont parfois déversés directement dans des cours d'eau ou stockés dans de mauvaises conditions si bien qu'ils sont entraînés par la pluie dans le système d'eaux superficielles.

Deuxièmement, dans de grandes parties de l'Afrique par exemple, les apports d'azote organique fourni par les déjections des animaux ou la culture de légumineuses sont insuffisants. Par conséquent, ils ne peuvent à eux seuls permettre les rendements élevés nécessaires pour compenser le fait que les exploitations agricoles sont très petites ou pour répondre aux besoins alimentaires essentiels au niveau national. C'est pourquoi toute intervention visant à accroître les revenus des petits agriculteurs entraîne inévitablement l'emploi de certains engrais minéraux et organiques1 dont les résidus seront libérés dans l'environnement. Néanmoins, on peut faire beaucoup pour limiter ce problème. Certaines solutions techniques comme l'adoption de systèmes intégrés de nutrition des plantes et d'autres mesures permettant une utilisation plus efficiente des engrais ont été évoquées au chapitre 12. Mais, comme dans le cas d'autres mesures techniques pour la conservation des sols, la lutte contre les ravageurs, l'irrigation et la gestion de l'eau, il ne suffit pas que les moyens existent et les forces du marché ne sont pas à elles seules capables d'en assurer la diffusion. Il faut aussi qu'un certain nombre de conditions institutionnelles soient satisfaites pour fournir un cadre et un appui pour la mise au point et l'adoption de ces mesures.

La dimension institutionnelle

Il est difficile d'établir la nature et l'ampleur de certaines des relations de cause à effet entre les changements institutionnels et l'environnement et donc le rôle précis que peuvent jouer ces changements pour ce qui est de réduire l'impact sur l'environnement. Il est clair toutefois que des changements sont nécessaires à un certain nombre de niveaux pour assurer une plus grande cohérence entre les dimensions technique et institutionnelle. Il faut prendre des mesures au niveau de la planification nationale et locale pour limiter ou orienter l'utilisation des ressources ; au niveau de la recherche et de la vulgarisation pour mettre au point des technologies et des pratiques agricoles durables et les faire adopter par les agriculteurs, les utilisateurs des forêts et les pêcheurs ; au niveau des intrants techniques pour faire en sorte que les systèmes de fourniture des intrants fonctionnent efficacement et dans l'intérêt des utilisateurs ; au niveau de la politique des prix des intrants et des produits pour éviter ou atténuer les distorsions du marché et inciter ainsi les agriculteurs à adopter une orientation technologique plus durable. Enfin, il faut prendre des mesures pour créer un cadre réglementaire propre à protéger des biens publics comme l'air et l'eau et à éviter que les consommateurs ne soient mis en danger par l'abus de pesticides, engrais, activateurs de la croissance du bétail, etc.

En ce qui concerne les possibilités qu'offre la planification de la mise en valeur des ressources, il faut relever que les plans nationaux d'utilisation des eaux et des terres sont généralement rigides et irréalistes en ce qui concerne leurs objectifs et mécanismes de mise en œuvre. On ne peut pas imposer une utilisation durable des sols par la loi. La motivation fondamentale doit provenir d'une prise de conscience, de l'intérêt même des utilisateurs (sécurité alimentaire ou autres aspects du bien-être) et de leurs capacités.

1. « Certains affirment qu'il serait possible de résoudre les problèmes alimentaires de l'Afrique sans recourir aux engrais chimiques. C'est une pure utopie ». Norman Borlaug, Financial Times, 10 juin 1994.

Cela dit, la planification nationale de l'utilisation des ressources est indispensable, mais il faut mettre en place des mécanismes institutionnels plus équilibrés faisant une plus large place à la participation des intéressés. La planification nationale de l'utilisation et de l'aménagement des ressources doit jouer un certain nombre de rôles clés :

  1. Déterminer quelles sont les ressources hydriques et foncières les plus adaptées à la mise en valeur ou à une utilisation plus intensive, ce qui est la première étape du processus de planification devant aboutir à une modification de l'utilisation des sols ou de l'eau et à la mise en place d'un dispositif d'incitations, par les prix ou autrement, pour faire en sorte que les utilisateurs aient un comportement aussi compatible que possible avec une gestion durable de ces ressources.

  2. Aider à régler le problème de la concurrence entre différents secteurs et soussecteurs pour des ressources en eau et en terre de plus en plus rares et favoriser ou imposer des utilisations mixtes, par exemple l'agroforesterie ou l'utilisation des eaux usées urbaines pour l'irrigation.

  3. Identifier et protéger les écosystèmes fragiles, les habitats les plus importants, les sources de biodiversité et les bassins versants, en créant des parcs nationaux, des collections de matériel génétique, etc.

  4. Favoriser une urbanisation équilibrée en évitant l'hypertrophie d'une ou deux mégalopoles et, dans la mesure du possible, privilégier l'expansion ou la création de villes secondaires dans des régions où les sols sont de qualité marginale mais à proximité de sols de bonne qualité, de façon qu'elles puissent être approvisionnées sans qu'il y ait trop de distance entre producteurs et consommateurs.

  5. Planifier les liaisons routières, ferroviaires, pluviales ou maritimes en tenant compte de la nécessité de ne pas exposer des régions protégées à une colonisation sauvage ; améliorer les liaisons entre les régions qui se prêtent à une production durable et leurs marchés urbains ou étrangers pour que les utilisateurs des ressources aient à la fois les incitations et les moyens financiers nécessaires pour adopter de meilleures mesures de conservation, etc., et que les coûts d'acheminement des intrants jusqu'aux agriculteurs et des matières premières agro-industrielles et des produits alimentaires jusqu'aux zones urbaines soient réduits au minimum.

  6. Déterminer une répartition appropriée des aides publiques entre les zones marginales et les zones à fort potentiel agricole. Cela nécessite une analyse soignée et rigoureuse de la qualité des sols, car un sol actuellement marginal n'est pas nécessairement voué à le rester, et peut être remis en état au moyen de mesures de conservation appropriées et d'autres modification techniques, comme l'ont clairement démontré les habitants du district de Machakos au Kenya (voir encadré 12.1). Il importe donc de bien comprendre comment la recherche peut modifier le potentiel d'une terre et élargir la gamme des options possibles pour l'utilisation des ressources. Il faut aussi tenir compte de ce qui se passe dans le reste de l'économie, car même si l'objectif à long terme peut être d'encourager la population à quitter les terres marginales pour se rendre dans les régions pouvant assurer son existence de façon plus durable, cela n'est pas toujours possible dans l'immédiat. Par conséquent, il peut être nécessaire d'affecter des ressources publiques aux régions marginales, à titre plus ou moins temporaire, jusqu'à ce que d'autres possibilités aient été mises en place.

  7. Surveiller l'utilisation des sols et des eaux pour déceler assez tôt les problèmes de concurrence pour les ressources et de dégradation et pour définir et exécuter des mesures correctrices, par exemple au moyen d'une utilisation conjointe de l'eau comme on l'a évoqué plus haut.

  8. Dans la mesure du possible, faire payer l'utilisation de ressources comme l'eau, qui est souvent considérée comme une ressource gratuite, ne serait-ce que pour entretenir les infrastructures et protéger les bassins versants.

Recherche, vulgarisation et technologie. Au chapitre 4 nous avons appelé l'attention sur l'important écart qui existe entre les rendements obtenus par les agriculteurs les plus efficients et les rendements nationaux moyens. Cependant, nous avons aussi souligné qu'il y un écart considérable entre les technologies disponibles et celles qui seront nécessaires pour atteindre les niveaux de production projetés pour 2010 sans trop endommager l'environnement et pour mettre en place les conditions d'une croissance durable à long terme. Les problèmes institutionnels sont nombreux et variés. Premièrement, les milieux politiques ne sont pas toujours suffisamment conscients du rôle que joue l'agriculture dans le développement économique (voir chapitre 7). En outre, on ne se rend pas suffisamment compte de la rentabilité que peut avoir une recherche agricole bien conçue, qui peut dépasser de beaucoup celle de tout autre investissement de développement, ni de la contribution que cette recherche apporte à la conservation des ressources en atténuant les pressions qui entraînent la mise en culture de terres inexploitées. En Inde par exemple, l'introduction de blé à haut rendement a peut-être évité que 30 millions d'hectares de terres marginales et de forêts ne soient transformés en champs de blé. La recherche contribue aussi indirectement à la conservation des ressources, du fait que l'augmentation de la productivité et des revenus font baisser la pauvreté rurale et facilitent le développement en général.

Il y a aussi la pénurie de compétences pour la recherche technique et l'application commerciale des résultats de la recherche, qui nécessitent des ressources humaines et un soutien institutionnel approprié (voir chapitre 10). Cela nous amène aux problèmes des institutions et mécanismes de recherche et de vulgarisation eux-mêmes, car dans l'ensemble ils n'ont pas axé leurs efforts sur la question de la durabilité. Ils se sont rarement préoccupés des problèmes d'environnement urgents qui se posent dans certaines régions ou de rechercher des technologies durables appropriées pour les agriculteurs pauvres de ces régions ou de régions à haut potentiel agricole. Il faut améliorer les mécanismes de définition des priorités de la recherche au niveau national, car les centres internationaux de recherche agricole ne peuvent pas faire la recherche adaptative ou la recherche plus fondamentale que nécessitent des problèmes géographiquement localisés. Il faut associer plus étroitement les grands et petits agriculteurs à la définition des problèmes sur lesquels doivent travailler les chercheurs et les inciter davantage à travailler avec les chercheurs en vue de résoudre ces problèmes, pour mettre à contribution le meilleur des connaissances autochtones et des connaissances acquises dans le laboratoire.

Nous avons examiné aux chapitres 7 et 9 les mesures économiques qui ont des effets sur l'agriculture, ainsi que les politiques de commercialisation des intrants et des produits. C'est pourquoi nous nous contenterons de souligner qu'il importe de corriger les politiques qui établissent une discrimination au détriment de l'agriculture et entraînent des pratiques non durables car elles empêchent l'utilisation d'intrants et de technologies durables d'être rentables. En particulier, il faut corriger les distorsions dues aux politiques qui ont pour effet de décourager l'adoption de techniques de conservation des sols, l'utilisation équilibrée des engrais minéraux et d'autres mesures nécessaires pour assurer la sécurité alimentaire et le développement général de façon durable.

Le cadre réglementaire. L'histoire des pays développés montre que les mesures cidessus ne sont pas suffisantes pour donner à la croissance une orientation qui concilie objectifs sociaux et environnementaux. Par exemple, la planification de l'utilisation des sols peut définir les zones à protéger et les zones qui se prêtent le mieux au développement, mais il est probable que l'introduction de nouvelles technologies et des forces du marché, si elles ne sont pas encadrées, ne respecteront pas ces considérations et, par conséquent, il faut les compléter par des restrictions ayant force de loi. De même, la diminution du rendement marginal des engrais minéraux n'est pas nécessairement suffisante pour limiter leur utilisation avant qu'elle n'entraîne une grave pollution des eaux souterraines. Il faut donc créer des institutions publiques chargées de fixer des normes et règlements appropriés, de veiller à leur application et de prendre des mesures juridiques ou financières appropriées pour lutter contre les pratiques qui ne tiennent pas suffisamment compte de la nécessité de minimiser l'arbitrage entre croissance et environnement.

Les mesures réglementaires requises sont très diverses ; on peut citer notamment : a) les restrictions légales concernant l'utilisation des zones protégées ou la construction urbaine ou industrielle sur des terres arables de haute qualité ; b) la limitation de l'emploi d'engrais minéraux sur les bassins versants sensibles ; c) les règles concernant les quantités et les périodes appropriées pour l'épandage d'engrais organiques ; d) les normes de conception pour le stockage des déjections animales sur les fermes d'élevage ; e) les normes de qualité pour les effluents déversés dans les cours d'eau par les élevages, les fermes d'aquaculture et les activités de transformation des produits agricoles; f) les normes sanitaires pour les abattoirs et les entrepôts frigorifiques ; g) les restrictions quant aux types de pesticides qui peuvent être importés et employés et au moment auquel ils peuvent être appliqués, conformément au Code international de conduite sur la distribution et l'utilisation des pesticides (FAO, 1990a) et au Codex Alimentarius (FAO, 1994a); h) les règles relatives à l'étiquetage des emballages de pesticides et à leur élimination ; i) les normes de biosécurité pour l'introduction dans l'environnement d'organismes génétiquement modifiés.

Les droits de propriété. Les pratiques agricoles non durables sont souvent le fait d'exploitants qui n'ont que des droits de propriété ou d'usage limités sur les ressources qu'ils surexploitent. L'attribution de droits garantis, au niveau individuel ou communal, accroîtrait considérablement l'intérêt des exploitants pour l'amélioration de la gestion des ressources et les investissements dans les mesures de conservation des sols et autres aménagements. La question des droits de propriété a aussi une dimension institutionnelle plus générale, concernant l'efficience des marchés et de la gestion des biens publics. L'environnement est souvent sacrifié lorsque les institutions qui gèrent les biens publics se sont effondrées ou parce que les marchés ne peuvent pas attribuer une valeur à des biens publics, comme l'air pur, ou un coût à des nuisances publiques, comme la pollution. Il faut améliorer le fonctionnement des marchés en définissant plus précisément les droits de propriété et en créant ou en renforçant les institutions chargées de les gérer, en attribuant un prix réaliste à des biens environnementaux comme l'eau et en essayant de déterminer le coût des nuisances publiques et d'adopter, s'il y a lieu, le « principe pollueur payeur ».

La dimension internationale

Cette dimension est particulièrement importante car la mauvaise gestion des ressources naturelles dans les pays en développement est due en grande partie à la pauvreté et au fait que la croissance économique est insuffisante pour offrir des moyens d'existence plus attrayants et durables que l'agriculture de subsistance. Pour concilier environnement et développement, il faut que le climat économique mondial soit plus favorable à la croissance, de façon que les pays en développement puissent accroître sensiblement les possibilités d'emploi rémunéré en dehors de l'agriculture. Cela est particulièrement important dans les pays arides, les pays d'altitude et les pays sans littoral dont les terres sont en grande partie marginales et qui sont souvent pénalisés par le coût élevé du transport d'intrants exogènes comme les engrais minéraux et/ou par l'insuffisance de la productivité biologique intrinsèque. Par conséquent, toutes les mesures qui modifient les perspectives de développement des pays en développement par l'intermédiaire du cadre économique international ont un impact direct sur les possibilités de concilier protection de l'environnement et développement. C'est ici qu'interviennent les questions du commerce international, de la dette et des flux de ressources. Certaines de ces questions sont examinées dans d'autres chapitres et nous n'y reviendrons pas ici.

Un aspect particulièrement important est la transmission internationale des pressions environnementales par le truchement des échanges de produits agricoles. On emploie parfois les expressions « subvention environnementale » ou « empreinte écologique » pour désigner ce phénomène2. Par exemple, il se peut que les Etats-Unis versent des subventions environnementales aux pays qui leur achètent d'importantes quantités de maïs, dont la production contribue à l'érosion des sols, nécessite d'importantes applications d'engrais minéraux et de pesticides, qui sont une source de pollution des eaux superficielles et souterraines, et exerce une pression négative sur les écosystèmes naturels. De même, les Pays-Bas exportent des produits laitiers qui sont indirectement une cause majeure de pollution dans ce pays. En revanche, les Pays-Bas ainsi que d'autres pays européens importent des quantités considérables de manioc d'Asie du Sud-Est, produit qui est généralement cultivé dans des régions à forte pluviosité, sur des terrains en pente aux sols fragiles, ce qui entraîne une très importante érosion du sol. Ces questions intéressent donc tant les pays développés que les pays en développement, mais les premiers sont mieux équipés pour adopter le principe « pollueur payeur » ou des règlements visant à internaliser le coût de la pollution dans le prix de vente des produits (pour plus de précisions, voir chapitre 8).

2. Les subventions écologiques correspondent au coût de la dégradation des sols, de la perte de biodiversité, etc. liés à la production agricole, qu'un pays exportateur « donne » au pays importateur lorsque les prix des produits exportés ne reflètent pas ces coûts. L'empreinte écologique est l'ensemble des consommations de ressources naturelles et de prestations fournies par la terre, la mer et l'air, qui sont requises pour entretenir une population donnée à son niveau de consommation actuel. Un pays qui serait entièrement autosuffisant en produits alimentaires, combustibles, minéraux et autres ressources naturelles et n'exporterait ni n'importerait ces produits aurait une empreinte écologique entièrement comprise dans ses frontières nationales, à condition qu'il puisse également y confiner la pollution qu'il provoque.

13.5 Amorce de conclusions

Nous avons esquissé, de façon certes imprécise, l'aspect environnemental des projections agricoles, mais ce tableau est objectif dans la mesure où les données et la compréhension que nous en avons le permettent. Il y a certainement une marge d'erreur. Les interactions entre économie, développement agricole et environnement sont trop complexes et dynamiques pour être modélisées avec précision. Par conséquent, l'ampleur des impacts sur l'environnement et des dangers qui y sont associés sont également incertains, et c'est pourquoi nous avons mis l'accent sur la nécessité de les réduire au minimum et d'appliquer une marge de sécurité. Néanmoins, deux aspects semblent clairs.

Premièrement, il importe de ne pas avoir une vision trop statique de ce qui est possible. Les habitants du district de Machakos au Kenya ont montré qu'il est possible d'éviter une catastrophe environnementale imminente, de remettre en état des sols fortement dégradés et d'introduire des systèmes de production plus durables (encadré 12.1), comme l'ont aussi montré d'autres exemples en Chine, en Indonésie et dans de nombreuses régions du monde présentant des caractéristiques agro-écologiques diverses.

Deuxièmement, les mesures requises vont bien au-delà d'une intervention technocratique, même si de nouvelles technologies fondées sur des dernières découvertes scientifiques seront d'une importance cruciale, de même que la redécouverte ou l'amélioration de technologies autochtones. Il faut notamment agir sur le plan international pour créer un système commercial plus ouvert et plus équitable, avec des mesures de sauvegarde environnementales plus larges et plus fortes, et pour orienter plus systématiquement l'aide au développement vers une agriculture durable. Cela dit, les interventions les plus importantes se feront aux niveaux national et local. Il s'agit notamment de promouvoir le développement, de créer un cadre réglementaire et un système d'incitations qui encouragent l'adoption de technologies durables, de promouvoir des approches décentralisées et participatoires de la planification et de la gestion des ressources naturelles et de ralentir la croissance démographique.

Mais, le plus important peut-être, c'est qu'il faut avoir une conception du développement davantage axée sur l'homme et que ceux qui militent en faveur d'une priorité absolue à l'environnement, qui ne correspond ni aux attentes ni aux ressources des agriculteurs des pays pauvres, fassent preuve de plus d'humilité.


Page précédente Début de page Page suivante