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5.1. Formation des prix dans la filière Lait
locale
5.2. Formation des prix des produits
importés
5.3. Concurrence entre la production locale
et les produits d'importation
5.1. Formation des prix dans la filière Lait locale
(cf. tableau XIX)
En toute circonstance, le calcul du coût de production du lait s'avère difficile tant les conditions d'exploitation des troupeaux diffèrent d'un cas à l'autre. Seules les fermes laitières gérées selon des critères techniques et économiques rigoureux fournissent un résultat, mais là encore les éléments fournis peuvent prêter à discussion. C'est le plus souvent sur le marché que s'établit le prix en fonction de l'offre et de la demande. Suivant les règles de base de l'échange, ce qui est rare est cher. En Afrique, le lait reste une denrée rare, son prix est donc élevé: à Bouaké (R.C.I.) où la production locale est la plus rare, le prix du litre de lait peut atteindre 400 FCFA/litre. Au taux de change officiel, ce prix est du même ordre de grandeur que le prix pratiqué dans les pays industrialisés, alors que le niveau de vie en terme de P. I.B. /habitant est de 30 à 100 fois plus faible et le salaire minimum de 20 à 30 fois moindre ! A ce niveau le lait reste un véritable produit de luxe pour la plus grande partie des Africains.
A la production, une estimation du coût de revient a été faite au niveau des éleveurs traditionnels au Burundi: 40 FBU/litre''; en comparaison avec le coût calculé dans les fermes laitières de ce pays ce coût est modéré, ce qui est normal puisqu'il n'incorpore pas de charges de structure et les intrants sont faibles. Le coût de production des fermes modèles - ISABU et SOMERA - est de 2,5 à 3 fois plus élevé. A ce niveau le lait produit de façon intensive n'est pas compétitif et l'équilibre financier de ces fermes reste incertain. Une situation identique est observée en Ethiopie où les coûts de production dans les fermes d'Etat sont prohibitifs: un très sérieux effort et une plus grande rigueur de gestion devraient permettre de redresser la situation: nombre et qualification du personnel, surveillance étroite des ventes... sont des mesures facilement applicables et rapidement rentables.
En Afrique de l'Ouest, seules les éco-fermes de Bouaké ont établi un coût de production (126 FCFA/litre en 1993): dans une situation géo-climatique difficile, les résultats se révèlent positifs. Ce type de situation devrait pouvoir être étendu sans difficulté majeure hormis l'investissement de départ.
A partir du lieu de production, le lait est écoulé par différents canaux de distribution; les marges observées au niveau des opérateurs successifs sont relativement modestes, compte tenu des conditions de distribution - longueur et difficulté d'acheminement, nombre d'intermédiaires - auxquelles viennent parfois s'ajouter des taxes de circulation (Burundi). Mais en définitive, c'est sur le marché que se fixent les prix, d'où l'écrasement des marges des intermédiaires.
Le lait caillé valorise toujours mieux la matière première. En Ethiopie, cette meilleure valorisation est obtenue à travers la fabrication de beurre et de lait caillé.
D'une façon générale, une majoration sensible des prix est observée en saison sèche (15 à 25 % de plus qu'en saison humide). Là encore, c'est la confrontation entre l'offre et la demande qui fixe le niveau des prix. Dans les régions les plus dépourvues de lait, certains consommateurs n'hésitent pas à payer le litre de lait frais jusqu'à 350 à 400 FCFA afin de s'assurer un produit de qualité conforme à leur goût.
Les usines de traitement cherchent à obtenir une matière première au prix le plus bas afin d'élaborer des produits finis à des prix compétitifs. Cette attitude détourne les producteurs qui préfèrent vendre directement à un prix plus rémunérateur Lorsque l'usine achète son lait à une ferme laitière, la recherche d'un prix bas se fait au détriment de l'exploration laitière dont l'équilibre financier n'est plus assuré. Lorsque l'usine achète son lait au prix du marché à des producteurs locaux, c'est son propre équilibre financier qui est alors compromis... et c'est le cas le plus fréquent.
L'abaissement du prix du lait à la production va dans le sens de la satisfaction du transformateur et du consommateur, mais l'éleveur risque de ne pas y trouver son intérêt s'il maintient un même niveau de production. Cependant en jouant sur une augmentation de sa productivité et de sa production l'éleveur pourrait mettre sur le marché un volume de lait plus important à un prix moindre, sans pour autant remettre en cause une juste rémunération du travail accompli et du capital investi. Ce processus passe par la définition d'une politique laitière cohérente où l'ensemble des intérêts seront pris en compte: approvisionnement des consommateurs à des prix aussi modérés que possible et débouchés sûrs, réguliers et rémunérateurs pour l'éleveur.
Une telle politique est la seule voie possible pour le développement de filières Lait autonomes et rentables dans les pays africains; elle suppose la création et le fonctionnement correct d'un service du lait bénéficiant de toute la sollicitude des autorités locales ainsi que l'appui des organisations internationales spécialisées.
TabIeau XlX: La formation des prix dans la filière Lait locale
B.K.F. | BUR | C.I.V. | ETH | MALI | SNG | ||
Bobo-dioulasso | Bujumbura | Korhogo | Bouaké | Addis Abéba | Bamako | Dakar | |
FCFA | FBU | FCFA | FCFA | Birr | FCFA | FCFA | |
Vente
au voisinage en milieu rural |
100 À 125 | Prix
de revient rural: 40 vente: 70 |
65 à 75 | 175 à 200 | 1.00 à 2,00 | 100 à 125 | 200
en saison sèche |
Veute à colportcur ou à collecteur | 100 à 125 | 80 | 65
à 75 au parc revendu 100 à 150 |
achat:
175 revente: 200 en kiosque 250 en porte à rte |
n.c. | 100
à 125 S.H 150 à 200 S.S. Revente 175 à 250 |
Achat
:200/225 Revente: 250 |
Vcntc
directc à abonnés syst. urbain): |
150/175 voire | 120/160 | - | 200/250 voire | 1.60 à 1,75 | 175 à 200 | 250 a 300 |
Lait cru | 130 pour | - | jusqu'à 400 | voire 400 | |||
Lait caillé | SOMERA | ||||||
Vente
par femmes peuls ou revendeurs |
175/200 | 40
FBU venant Zaire |
LC
125/175 L.B. 120 |
Achat: 175/200 Revente: 250/400 |
n c | 175/200 | 350 lait caillé |
Vente
à l'usine de traitement |
125
à 250 selon saison |
70
(1992) 100 (1993) 85 à Akiramata |
- | - | 1.00 à la DDE | 115 à 125 | 90
à Nestlé Sénegal |
Prix de revient établi par Ies fermes laitières | n.c. | ISABU: 110 SOMERA: 104 |
- | Eco-fermes: 126 |
Fermes
d'Etat: 1.00 à 3.70 |
n.c. | n.c. |
Prix
de vente: sortie usine: L.P. L.C. |
300 | 160 à 180 | - | - | 2,00 | ULB 250 140 |
SOCA 335 375 |
Prix de
revient établi pour l'usine |
A peine
équilibré pourL . P . |
Vente à pErte | - | - | 1,83 | Vente à
perte ULB, positi pour mini-laiteries |
vente à
pertc 1100 |
5.2. Formation des prix des produits importés
La loi de l'offre et de la demande régit d'une façon normale la formation du prix des produits de la filière locale, rareté et faible productivité entraînent ces prix à la hausse. En ce qui concerne la formation des prix des produits importés, on ne perçoit plus le fonctionnement de cette loi tant les distorsions et aménagements, voire compromissions de toute sorte vont déformer et détourner les bases de l'échange.
Du côté de l'offre, la principale distorsion se situe au niveau des prix très bas pratiqués sur le marché mondial: les excédents de lait et produits laitiers accumulés dans les pays industrialisés exercent une pression à la baisse. Or, pour ces excédents, les P. V. D. restent le principal débouché et la concurrence entre pays exportateurs se traduit par l'octroi de subventions considérables pour les ventes vers ces P.V.D.: ainsi la poudre de lait arrivait-elle jusqu'à fin 1 993 à environ 600 FCFA-C. A. F. T.T.C./kg chez les importateurs de la zone Franc. De plus, les multinationales de l'agro-alimentaire exercent une forte pression sur les consommateurs africains pour les inciter à acheter leurs produits: publicité, réunions d'information, échantillons gratuits, etc. Enfin, le maintien de parités monétaires inadaptées introduit une ultime et insidieuse distorsion favorisant largement l'offre: la surévaluation du FCFA a trop longtemps joué en faveur des importations dans toute la zone Franc alors que la sous-évaluation permanente du dollar U. S. depuis plusieurs années joue en faveur des exportations américaines vers l'ensemble des zones économiques ou monétaires. En mettant l'accent sur les distorsions introduites par les subventions dans les échanges internationaux, les récents accords du GATT (décembre 1993) n'ont que partiellement répondu à la recherche d'une plus grande équité dans les échanges commerciaux, le dumping monétaire s'avérant être une arme tout aussi efficace. La récente dévaluation du FCFA a en partie réduit la portée de cette arme.
Du côté de la demande, les importations de lait et produits laitiers - entre autres permettent de résoudre une partie du problème grandissant que constitue l'approvisionnement des centres urbains en Afrique. La plus grande partie de ces populations issues d'un exode rural obligé, vit les condition difficiles du sous-emploi, du logement précaire, etc.. Y ajouter la difficulté d'une alimentation rare et chère conduit inévitablement à une instabilité sociale accrue: prévenir ce risque est un souci majeur des autorités locales.
La mise sur le marché de produits alimentaires à des prix modérés est un facteur de maintien d'une certaine paix sociale. Les importations alimentaires forment donc une composante de la politique sociale des autorités locales: ainsi en basant les droits de douane pour les laits et produits laitiers sur les mercuriales (60 FCFA/kg de poudre de lait) et non pas sur le cours commercial (400 à 500 FCFA) les responsables entendaient-ils minimiser autant que faire se peut le prix des produits mis sur le marché.
Les convergences de vues et d'intérêts entre l'offre et la demande ont donc permis de maintenir, voire d'amplifier les courants d'importations de lait et produits laitiers vers les pays de la zone franc en Afrique subsaharienne. C'est également la raison pour laquelle la législation sur les importations de lait et produits laitiers a été dans le sens d'une large libéralisation: contingentements et licences d'importation sont désormais quasi-inexistants en Afrique.
La formation des prix sur le marché des produits laitiers importés repose donc sur une base (prix TTC) relativement faible, en ce qui concerne les poudres de lait et les laits concentrés qui constituent l'essentiel des importations. Par contre pour les fromages, lait U.H.T., yaourts, qui ne forment qu'un étroit marché, les taxations sont souvent plus élevées et leurs circuits de distribution ne concerneront qu'un nombre limité d'opérateurs dont les marges sont élevées (30 à 40 % sur les fromages au niveau des grossistes, demi-grossistes).
Pour la poudre, les circuits sont plus complexes mais les marges dégagées par les opérateurs restent modérées: de 5 à 12 % suivant les pays et suivant les opérateurs. Notons que les industriels travaillant de la poudre de lait sont directement importateurs, ce qui limite les frais de distribution.
Nous suivrons la formation du prix de la poudre de lait 26 % en sacs de 25 kg dans deux pays différents et de la poudre instantanée dans un 3ème pays où le vrac n'arrive que par le marché parallèle: monnaie, éloignement, taxation, forment les principales variables dans les coûts successifs observés. Un circuit plus ou moins complexe peut faire intervenir plusieurs intermédiaires prélevant une marge de 3 à 5 % relevant d'autant les prix pour des consommateurs éloignés. (Tableau XX)
Dans la zone Franc, on retrouve une certaine homogénéité des prix mettant le sac de 25 kg de poudre entre 16 000 et 22 000 FCFA. Cette homogénéité semble écarter tout recours à un marché parallèle qui, par contre, est très développé au Burundi où les droits et taxes à l'importation sont les plus élevés (65 % au total sur CAF).
5.3. Concurrence entre la production locale et les produits d'importation
L'accent a été mis à de nombreuses reprises sur la concurrence que faisait la poudre de lait à la production locale. Les données chiffrées établies en 1993 montrent sans aucune ambiguïté que le lait obtenu à partir de poudre a un coût de revient nettement inférieur au prix du lait frais local commercialisé en milieu urbain. Il peut constituer de toute évidence un frein au développement de cette production locale. Mais il ne faut pas oublier cependant toutes les contraintes locales qui elles aussi freinent cette production: productivité, collecte...
Les droits de douane élevés pourraient constituer un obstacle, mais dans cette hypothèse, le marché parallèle prend la relève des circuits officiels. La dévaluation va-t-elle permettre de rétablir une saine concurrence ? Ce n'est pas certain, car les marges dégagées par les entreprises travaillant du lait reconstitué sont considérables en particulier sur les yaourts, le lait caillé, le fromage blanc où la matière première ne représentait que 10 à 25 % du prix final du produit. De plus, le prix CAF sur lequel va peser la dévaluation ne représente que les 2/3 du prix final en moyenne, le tiers restant constituant encore une marge de manoeuvre non négligeable pour les importateurs-transformateurs. Enfin, comment vont réagir les multinationales de la poudre et les gouvernements des pays industrialisés prompts à jouer sur l'aide alimentaire ?
Actuellement, l'Ethiopie reste à l'écart des importations et une filière Lait locale indépendante et bien structurée est en place. Certes les conditions géo-climatiques y sont plus favorables qu'ailleurs et la tradition d'élevage est fortement ancrée dans le monde rural. Dès lors, est-il inconcevable de voir se développer en Afrique de l'Ouest une filière Lait indépendante, donc à l'abri des importations de poudre ? Là aussi, la tradition d'élevage est forte chez les Peuls, omniprésents dans la région, mais deux obstacles freinent encore l'émergence d'une filière Lait locale: l'absence d'une politique laitière volontariste et la présence d'une poudre de lait trop bon marché, les deux pouvant être liées à certains niveaux. Mais même en levant ces obstacles "externes", il ne faut pas oublier toutes les contraintes propres qui pèsent sur la filière elle-même: obstacles techniques et sociologiques qui bloquent généralement le développement laitier dans de nombreux pays africains.
Tableau XX:Formation du prix de la poudre de lait 26 % - Prix au kilo (1993)
Burkina Faso |
Burundi |
Sénégal |
||
Nature du produit | Poudre vrac 26 % | Poudre instantanée (conditionnée) |
Poudre vrac 26 % | |
F.O.B. Anvers Transport/assurance |
475 | lait vrac 26% | 880 | 475 |
125 | au marché | 95 | 47 | |
- | parallèle venant | - | - | |
C.A.F. | 600 | du Zimbabwe | 975 | 552 |
Mercunales | - | - | (60) | |
Droits de douane et taxes | 11 % | 65 % | 23 % | |
diverses àl'importation | 66 | 640 | 13,8 | |
PRIX CAF TTC | 666 | 1 615 | 566 | |
Marge de l'importateur et frais de gestion (25%) | 166 | 385 | 140 | |
Prix de vente par l'importateur |
832 | 2 000 | 706 | |
1er détaillant (marge 5 %): | 41,6 | 100 | 35,3 | |
PRIX CONSOMMATEUR | 874 | 750 | 2 100 | 741 |
Prix du litre de lait reconstitué(1 kg pour 7,6 l de lait): | 115 | 100 | 276 | 97,5 |