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2. L'ETAT DES RESSOURCES MARINES VIVANTES ET DE LEUR ENVIRONNEMENT (Continued)

2.3 LES RESSOURCES ET L'ENVIRONNEMENT DES MERS FERMEES ET SEMI-FERMEES

2.3.1 Classification des mers semi-fermées

On reconnaît une valeur particulière aux mers fermées et semi-fermées et, dans certains cas, aux eaux baignant les archipels, dans la mesure où leur littoral fournit à l'homme un environnement très favorable, ainsi que pour les ressources renouvelables et la faune et les habitats uniques qu'elles offrent. Elles sont aussi, réellement et potentiellement, les étendues d'eaux marines les plus exposées aux influences humaines et possèdent quelques caractéristiques des estuaires, dont le faible taux de renouvellement des eaux et une sensibilité accrue aux effets des activités terrestres.

Divers critères ont été suggérés pour déterminer si une étendue d'eau géographiquement distincte constitue une mer semi-fermée. Alexander (1973) suggère une zone de 50 000 km2 au moins avec un minimum de 50% de sa circonférence constitué de côtes et moins de 20% faisant contact avec une mer extérieure. La définition incluse dans l'article 122 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer est géographiquement moins spécifique: “un golfe, un bassin ou une mer entouré par un ou plusieurs Etats et relié à une autre mer ou océan par un passage étroit ou consistant entièrement ou principalement des eaux territoriales et des zones économiques exclusives de deux ou plusieurs Etats côtiers”.

Cette définition incorpore plusieurs idées-clés:

  1. l'impact potentiel du continent sur le milieu marin;

  2. l'implication directe de deux ou plusieurs Etats;

  3. une liaison avec une autre mer ou un océan par un détroit;

  4. la division de l'étendue d'eau en eaux territoriales et/ou en zones économiques exclusives, du moins en théorie.

Il y a au moins deux autres catégories de mers semi-fermées: celle comprenant des régions situées au-delà des eaux territoriales où les ZEE, soit n'ont pas été déclarées (cas de la Méditerranée), soit font l'objet des conflits qui n'ont pas encore été résolus (cas de la mer Jaune et de la mer de Chine Méridionale).

La définition de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer n'englobe pas les mers nationales comme la mer de Beaufort, la mer de Marmara ou la mer intérieure de Seto, bien que, comme dans le cas des archipels, la circulation sans entrave des ressources marines d'une juridiction à une autre par ces eaux exclusivement nationales soit internationalement reconnue et acceptée. Ceci impose à l'Etat concerné des obligations spéciales en ce qui concerne la conservation des ressources migratoires internationales quand elles traversent les détroits et mers nationales.

Il peut être utile de considérer d'autres facteurs, climatiques et sociaux par exemple, pour classifier les mers semi-fermées. Ainsi, Smith et Vallega (1990) font référence aux mers “communes” comme la mer du Nord, la Méditerranée, la mer Jaune, etc., surtout dans les zones tempérées; le long du littoral, d'importantes concentrations humaines augmentent le risque d'impacts négatifs sur les ressources et l'environnement, malgré un degré manifeste de résilience aux impacts des activités humaines.

Enfin, il existe une autre catégorie de mers semi-fermées qui comprend les mers froides (par ex. la Baie d'Hudson, la mer d'Okhotsk et tout l'Océan Arctique) et les mers tropicales (par ex. la lagune de la Grande barrière de corail) dont les systèmes biologiques sont intrinsèquement moins tolérants aux activités humaines, qui commencent à faire sentir leurs effets.

2.3.2 Impact des activités humaines

La pêche dans les mers fermées et semi-fermées constitue la première base d'évaluation de l'impact de l'homme sur les écosystèmes marins dans leur ensemble. Ouelques-unes des principales caractéristiques de ces mers semi-fermées ont été décrites pat Ketchum (1983). On peut résumer la sensibilité de ces mers aux effets des activités humaines en quatre points (adapté de Caddy, 1993a):

  1. les quantités d'apports fluviaux, atmosphériques et côtiers (c'est-à-dire par ruissellement direct) par rapport au taux d'évacuation vers l'océan, et l'amplitude du bassin hydrographique et des précipitations qu'il reçoit par rapport à la taille de la mer semifermée;

  2. la mesure dans laquelle les seuils et les bassins modifient les échanges d'eau avec l'océan et au sein de la mer semi-fermée elle-même;

  3. la latitude, la profondeur et, en conséquence, du moins pour une bonne part, la température et la stratification des masses d'eau;

  4. l'importance de la population humaine résidant le long du littoral et dans le bassin hydrographique, le niveau relatif d'activité et les habitudes en termes d'utilisation des sols.

Des complications hydrologiques peuvent apparaître selon que le renouvellement des eaux est irrégulier, comme dans le cas de la mer Baltique (Rosemarin, 1990; Anon., 1990), ou périodique comme pourraient le suggérer les cycles de productivité à long terme, par exemple en mer Adriatique (Regner et Gacic, 1974) et dans la Baie de Fundy (Caddy, 1979).

Les mers semi-fermées ayant des détroits de communication étroits peuvent présenter des caractéristiques physico-chimiques en gradient: dans les eaux tropicales et subtropicales, la transition pourra être graduelle entre les eaux marines proches de l'entrée et les eaux plus salines là où la mer semi-fermée agit comme un bassin d'évaporation (par ex. mer Méditerranée, Golfe Persique). Dans les mers tempérées froides, la transition peut se faire des eaux typiquement marines de l'entrée à des eaux presque douces à l'intérieur (par ex. systèmes mer de Marmaramer Noire - mer d'Azov et Kattegat - mer Baltique - Golfe de Bothnie). Même les mers côtières très ouvertes comme la mer du Nord peuvent présenter des zones de transition similaires (Daan, 1989; DANA, 1989).

Dans le cas des systèmes totalement fermés comme la mer Caspienne et la mer d'Aral (Williams et adin, 1991), les changements de niveaux de l'eau ont résulté du détournement et de l'utilisation excessive de I'eau des affluents. Ceci constitue globalement un problème croissant étant donné que les prélèvements d'eau de plus en plus importants pour les activités humaines à terre, sont souvent accompagnés par des effluents de plus en plus chargés en éléments nutritifs et autres matériaux. Ceci a modifié la nature même des écosystèmes marins en général et des systèmes estuariens en particulier. Les effets des rejets de déchets domestiques sur la diversité des espèces peuvent être positifs ou négatifs, dépendant de la quantité d'effluents déversée chaque jour (Reish, 1 980) et des capacités d'absorption du bassin de réception, mais ils se révèlent rarement positifs sur les espèces anadromes.

En mer Noire, dans la Baltique, la Méditerranée, la mer Rouge et le Golfe Persique, les taux d'échange avec l'océan sont très faibles, Ils sont beaucoup plus élevés dans le Golfe de Thaïlande, la mer Jaune, la mer du Nord, les Caraïbes, la mer du Japon et la mer de Chine Méridionale, mais il est de plus en plus évident que la rétention de masses d'eau polluées à proximité de la côte peut avoir des retombées importantes, difficiles à contrôler, même dans le cas de systèmes “ouverts” comme la mer du Nord (Boddeke et Hagel, 1991), l'Adriatique (Degobbis, 1989) et la Méditerranée dans son ensemble (PNUE/ Unesco/FAO, 1988).

Une proportion significative des charges polluantes des mers enclavées comme la Baltique et la mer Noire vint de l'agriculture, essentiellement de l'utilisation excessive d'engrais et de l'élevage intensif du bétail (Fan Zhijie et Cote, 1991; Barg et Wijkstrom, 1994). Une partie du phosphore contenu dans les eaux de ruissellement peut éventuellement s'accumuler dans les sédiments mais peut ultérieurement se retrouver dans la colonne d'eau, surtout dans des conditions d'anoxie (Abe et Pekpiroon, 1991). Le déversement de rejets riches en éléments nutritifs est fonction de l'activité humaine et va affecter la production de poisson dans les rivières (Ward et Stanford, 1989; Welcomme, 1996). En effet, les apports fluviaux peuvent accroître la production primaire dans des eaux pauvres en nutriments (Caddy, 1990; Edwards et Pullin, 1990). Si elles étaient modérées et qu'on pouvait exclure la contamination par des déchets toxiques, de tels déversements de substances nutritives pourraient augmenter la production biologique de certaines ressources exploitées (Boddeke et Hagel, 1991; Caddy, 1993a). Cependant l'enrichissement côtier en nutriments et le déséquilibre entre éléments nutritifs entraîne également des efflorescences de phytoplancton anormales dont la décomposition affecte les espèces démersales et benthiques et occasionne, près des points de décharge, des pollutions esthétiques, affectant donc négativement les activités sur le littoral, tourisme notamment. La mer Adriatique, un sous-système semi-fermé de la Méditerranée, en est un bon exemple (Vollenweider et al., 1992).

Il est possible de détecter par satellite les zones de concentration de production phytoplanctonique dans certaines régions marines, en utilisant les spectres des pigments chlorophylliens impliqués (NSF/NASA, 1989). Cette technique a été utilisée pour produire un atlas mondial qui illustre bien l'importance primordiale des zones littorales pour la production de nourriture d'origine marine.

La production élevée d'algues microscopiques dans les eaux côtières de la mer du Nord a été impliquée dans la production de pluies acides par le biais de l'oxydation du dimethylsulfure (DMS - un gaz produit par les plantes marines placées dans des conditions de suralimentation) en oxydes de soufre (Holligan et Kirst, 1989).

L'enrichissement nutritif est un facteur dont l'importance est reconnue depuis longtemps dans les écosystèmes d'eau douce. Son rôle en milieu marin n'a été identifié que plus récemment (Brockmann et al., 1988) et la nécessité d'une gestion environnementale des mers côtières fermées devient de plus en plus évidente et urgente (Goda et al., 1991). On peut distinguer plusieurs niveaux d'eutrophisation auxquels on peut appliquer les descripteurs suivants (adapté de Caddy, 1993a):

  1. Oligotrophique - caractérisé par une biomasse faible, et une disponibilité basse en éléments nutritifs, en métaux-traces et/ou en facteurs de croissance. Le sud et l'est de la Méditerranée, la mer des Sargasses ainsi que de nombreuses mers semi-fermées dans leur état d'origine sont ou étaient des exemples de masses d'eau oligotrophiques.

  2. Mésotrophique - milieux modérément enrichis avec un écosystéme pélagique bien développé dominé par une biomasse sédentaire de petits poissons pélagiques et un écosystème benthique bien oxygéné qui contribuent significativement à la production halieutique. Les bassins de drainage côtiers essentiellement fluviaux comme la mer du Nord et la mer Jaune en sont des exemples typiques.

  3. Eutrophique - production primaire très intense résultant de charges en nutriments élevées avec une sédimentation détritique substantielle favorisant le développement de bactéries hétérotrophes et de flagellés, donc l'apparition de zones anoxiques saisonnières ou permanentes dans les eaux profondes et les sédiments. Ceci entraîne des effets néfastes sur le benthos et les réseaux alimentaires démersaux ainsi qu'une biomasse élevée de petits pélagiques et de zooplanctophages s'appuyant sur de fortes densités d'herbivores planctoniques. Certaines zones côtières deviennent eutrophiques à cause d'importants rejets dus aux activités humaines. A un moindre degré, le même phénomène peut se produire naturellement dans les zones de remontée d'eau, par exemple dans la mer Noire et la mer d'Azov entre les années 40 et 60, et dans la Haute-Adriatique.

  4. Dystrophique - changements importants d'ordre chimique, dus à des apports de nutriments excessifs accompagnés de niveaux d'oxygène bas en permanence ou d'anoxie, entraînant l'élimination de la plupart des stocks de poissons benthiques et démersaux exploitables. Le nord-ouest de la mer Noire en est actuellement le meilleur exemple.

L'expérience acquise en mer Méditerranée, dans la mer Intérieure de Seto et en mer Noire suggère qu'un enrichissement modéré de masses d'eau oligotrophiques peut favoriser la production primaire et même la culture en suspension de certaines espèces de bivalves et la production de petits poissons pélagiques de faible valeur économique, mais au détriment d'espèces de poissons et de crustacés de fond, souvent de plus grande valeur. Les apports accrus de nutriments dans les mers semi-fermées, surtout s'ils sont accompagnés de charges sédimentaires importantes, peuvent également accélérer la croissance du phytoplancton au point d'affecter négativement les plantes aquatiques en réduisant la pénétration de la lumière. Au contraire, la réduction des apports nutritifs, comme dans le cas du Nil après la construction du barrage d'Assouan, peut amener un déclin des captures de poissons marins (Wahby et Bishara, 1981).

Comme nous l'avons déjà noté, les rejets non contrôlés de déchets entraînent l'eutrophisation, la réduction des taux d'oxygène et des conditions anoxiques saisonnières (comme en Haute-Adriatique) ou semi-permanentes (par ex. dans la mer Baltique (Hanson, 1985; Hanson et Rudstam, 1990; Wulff et al., 1990). Des conditions anoxiques ont été signalées plus haut, dans des régions du plateau continental de la mer Noire (Sorokin, 1983, 1993; Mee, 1992; Zaister, 1993) traduisant donc une extension des conditions naturellement anoxiques qui règent dans les eaux profondes de cette mer, avec les conséquences désastreuses sur le benthos et les poissons démersaux. Les macro-invertébrés rampants et fouisseurs à longue durée de vie peuvent disparaître alors que des espèces à durée de vie courte, adaptées à des environnements pauvres en oxygène, deviennent abondantes. Ainsi, l'écosystème s'adapte jusqu'à hauteur des limites biologiques imposées par l'environnement, mais les nouveaux éléments de cet écosystème, quelquefois introduits par accident ou par immigration d'espèces non-indigènes et souvent mieux adaptés que les espèces indigènes au nouvel environnement, présentent rarement un intérêt économique.

Les efflorescences d'espèces phytoplanctoniques toxiques résultant du rejet en mer de substances nutritives et d'autres composés peuvent avoir un impact sur l'aquaculture et la pêche (Richardson, 1989; CIEM, 1992b) en imposant l'interdiction temporaire de la vente des produits affectés afin de protéger la santé des consommateurs. Les eaux d'égout non-traitées peuvent présenter des risques de contamination virale des invertébrés et entraîner des problèmes de snaté humaine. La dégradation de l'environnement peut favoriser l'apparition de maladies infectieuses (Snieszko, 1974) et peut également affecter la santé des poissons dans les zones contaminées (Dethlefsen, 1980, 1989; Mellergaard et Nielsen, 1990) et provoquer des épizooties. De plus la surfertilisation peut favoriser la salissure et l'encrassement des filets et des trappes utilisées en aquaculture (Barg, 1992). Il faut noter que le traitement primaire des effluents ne change pas grand-chose à leur impact en termes de charge nutritive.

L'aquaculture intensive est elle-même source de surfertilisation des mers semi-fermées dont les échanges d'eau avec l'océan sont limités, même si leur facilité d'accès et les abris qu'elles offrent les rendent initialement attrayantes pour l'aquaculture. Il est déjà possible d'établir des critères de mises en charge biologiques des fjords, des baies et des lagunes où est pratiqué l'élevage de poissons en cage mais il reste très difficile de définir un niveau “favorable” d'enrichissement des eaux du point de vue des ressources naturelles.

Nous avons besoin d'une approche comparative pour décrire les changements dans ces écosystèmes. Les principes caractéristiques des mers semi-fermées (et c'est encore plus vrai pour des mers fermées comme la mer Caspienne et la mer d'Aral) présentent des ressemblances frappantes avec les systèmes dulçaquicoles stressés, notamment des ensembles aussi bien étudiés que les Grands Lacs en Amérique du Nord (Regier, 1973; Regier et Henderson, 1973; Regier, 1979; Rapport et al., 1985). Les durées de renouvellement des eaux peuvent être longues: à titre d'exemple, on l'estime à 80 ans pour l'ensemble de la Méditerranée. Dans de tels environnements, les substances nutritives et toxiques peuvent s'accumuler rapidement. En plus d'être synergiques, les effets de l'enrichissement nutritif et de la surpêche dans les Grands Lacs en Amérique du Nord sont, à bien des égards, similaires à ceux que l'on observe pour les mers semi-fermées (Regier et al., 1988). On assiste à un déclin de la diversité de l'écosystème, à une domination progressive de la production du système par des espèces surtout pélagiques à cycle de vie court et par des espèces non-indigènes ou introduites (Regier, 1973, 1979). La croissance concurrente de la pêche industrielle et des effets de l'augmentation de la population, de l'industrialisation et de l'agro-industrie, surtout depuis la seconde guerre mondiale, a rendu particulièrement difficile la distinction entre ces deux types d'impacts anthropogéniques sur les mers continentales et semi-fermées.

Le recrutement, la mortalité et la croissance d'un stock de poisson sont affectés par les impacts occasionnés par les autres utilisateurs de l'habitat aquatique et de son bassin de drainage. De tels impacts peuvent provenir de toutes les activités économiques situées en amont, industries et agriculture par exemple, et de la pêche. Une des contraintes majeures qui empêche d'agir efficacement résulte de l'atomisation des responsabilités entre les nombreuses institutions nationales et internationales ayant compétence sur divers aspects de l'utilisation des ressources et de leur environnement.

2.3.3 Perspectives et contraintes pour un développement durable

Des organismes gouvernementaux fonctionnent déjà pour un certain nombre de mers semifermées. La Commission d'Helsinki et la Commission des pêches de la mer Baltique s'occupent respectivement de l'environnement et des pêches dans la mer Baltique. Le Plan d'action pour la Méditerranée du Programme des Nations Unies pour l'environnement et le Conseil général des pêches pour la Méditerranée (CGPM) de la FAO ont des mandats similaires pour la Méditerranée. Le renforcement de la collaboration entre ces organismes s'impose.

Les pêcheries des mers semi-fermées ont connu des bouleversements attribuables non seulement aux effets de la pêche mais également, et peut-être indépendamment, aux effets des rejets dans l'environnement marin de déchets d'origine humaine, qu'ils soient toxiques, nutritifs ou de toute autre nature.

Deux processus, en grande partie simultanés et synergiques, peuvent être signalés:

  1. La réduction du nombre de prédateurs apicaux, notamment les phoques et les petits cétacés dans la Baltique, la Méditerranée et la mer Noire, et de grands poissons prédateurs comme le thon rouge en Méditerranée et les turbots, bonites et tassergs en mer Noire (lvanov et Beverton, 1985; Caddy et Griffiths, 1990). Certains de ces effets, mais pas tous, peuvent être attribués à la surpêche. La réduction du nombre de prédateurs a contribué, dans certains cas, à l'augmentation de taille des populations de certaines espèces-proies. Dans des régions où la pression de pêche est élevée comme la mer du Nord, la pêche s'est progressivement dirigée vers des espèces situées plus bas dans la chaîne alimentaire, d'où prises plus importantes de poissons plus petits, à cycle plus court et de moindre valeur commerciale (Pope et Knights, 1982; Daan, 1989).

  2. L'augmentation des rejets de matières organiques et de nutriments a eu, notamment pour effet d'augmenter la production planctonique et donc la disponibilité de nourriture pour des composantes plus nombreuses du réseau alimentaire.

On peut distinguer deux types d'effets correspondant à ces processus:

  1. Les effets “descendants”: La disparition du contrôle par les prédateurs peut conduire à une augmentation de l'abondance de certaines proies, poissons ou d'autres espèces. Cette situation est rarement avantageuse pour les pêches étant donné que d'autres prédateurs apparaissent généralement et que les espèces prédatrices perdues étaient le plus souvent de haute valeur commerciale. Comme c'est le cas dans les grands lacs (Northcote, 1980), une abondance élevée de poissons planctophages peut entraîner la réduction des populations de zooplancton et l'augmentation des densités phytoplanctoniques avec perte de transparence des eaux et effets néfastes sur la végétation de fond, si importante pour de nombreuses espèces démersales.

  2. Les effets “ascendants”: Ils conduisent à une augmentation des efflorescences phytoplanctoniques due à l'enrichissement des eaux. Ces efflorescences sont souvent le fait d'espèces différentes de celles présentes dans les eaux non-enrichies. Elles peuvent affecter la végétation marine en réduisant la pénétration de la lumière et leur décomposition crée des conditions anoxiques, saisonnières ou parfois permanentes, dans les sédiments et les eaux du plateau continental. Suite à une augmentation initiale de la production, à faible niveau d'impact, on assiste généralement à un déclin du benthos et des populations de mollusques, de crustacés et de poissons démersaux. En ce qui concerne le réseau trophique pélagique, l'abondance d'espèces zooplanctoniques, souvent atypiques des environnements non-enrichis, augmente. Au départ, elle permet la croissance de populations de petits poissons pélagiques mais aussi d'autres prédateurs pélagiques sans valeur commerciale comme les méduses et les cténophores (en mer Noire par exemple). On peut relier les conditions d'apparition des méduses aux intrusions d'eaux salées dans les estuaires fertiles peu profonds comme ceux qui mènent vers la mer d'Azov (Volovik et al., 1993); ces intrusions quant à elles sont provoquées par des prélèvements excessifs d'eau douce pour les besoins de l'industrie et de l'agriculture. Les prédateurs invertébrés comme les méduses et, plus récemment, les cténophores, se nourrissent de larves de poisson et leur action, combinée avec l'exploitation intensive, à l'échelle industrielle, des populations de poissons peut avoir provoqué par exemple l'effondrement des stocks d'anchois de la mer d'Azov (Avedikova et al., 1982; Zaitsev, 1993) et de la mer Noire (Caddy et Griffiths, 1990) et, plus récemment, de la mer de Marmara (CGPM, 1993; Shiganova et al., 1993).

On peut noter incidemment qu'un mécanisme composite a été décrit sous le nom de réseaux trophiques “en taille de guêpe” (Rice, sous presse). Ceux-ci paraissent typiques de certains réseaux alimentaires à faible diversité et à productivité élevée des régions de remontée d'eau où les fluctuations des importantes biomasses de petits poissons pélagiques comme les anchois ou les sardinelles jouent un rôle-clé en influençant aussi bien leurs prédateurs (effet ascendant) que leurs proies (effet descendant). De telles fluctuations qui impliquent des changements en termes de dominance spécifique, sont apparues dans ces systémes avant même l'exploitation par l'homme (Holmgren-Urba et Baumgartner, 1993).

L'introduction voulue ou accidentelle par l'homme d'espèces non-indigènes dans un environnement marin donné, a considérablement augmenté et des changements environnementaux ont facilité le processus avant d'en subir eux-mêmes l'effet (Carlton, 1989; Carlton et Yeller, 1993). L'installation d'espèces non-indigènes nuisibles ou parasites par le biais de pratiques aquaculturales douteuses, du pompage des eaux de blastage des cargos ou au travers des canaux percés par l'homme, a changé la composition faunistique de nombreuses mers fermées et semi-fermées. L'introduction d'organismes pathogènes a souvent affecté négativement les espèces tant indigènes qu'introduites, particulièrement les bivalves cultivés. L'article 196 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer aborde ces problémes et le contexte dans lequel ils se situent.

En ce qui concerne l'introduction d'organismes non-indigènes, la FAO a collaboré avec la CIEM pour la préparation d'un “Code d'usage concernant les transferts et les introductions d'organismes marins et d'organismes d'eau douce” (CIEM, 1995). L'Organisation maritime internationale (OMI) en collaboration avec la CIEM prépare également des lignes directrices afin de minimiser les risques de transferts d'organismes nuisibles par les eaux de blastage.

2.3.4 Actions proposées

Smith et Vallega (1990) suggèrent une suite d'actions pour évaluer l'utilisation des zones semi-fermées. Leurs idées ont servi à rédiger les propositions suivantes pour un développement durable de ces systèmes marins:

  1. Les Etats côtiers doivent coopérer par le biais de réunions d'un organisme régional de gestion - auxquelles participeront les décideurs représentant ces Etats; cet organisme sera chargé d'élaborer, de coordonner et de mettre en oeuvre les actions nationales, et de maintenir les ressources biologiques marines et leur environnement dans un état tel que leur gestion rationnelle reste une approche réalisable pour le futur. (ldéalement, le même organisme devrait s'intéresser à la gestion des ressources biologiques marines et de leur environnement. Dans le cas contraire, les organismes possédant des compétences séparées doivent coordonner leurs efforts. Toutes les entités appartenant au bassin versant et sa marge maritime (BV), dont les limites océaniques et continentales doivent être définies, doivent idéalement adhérer à ces organismes).

  2. Pour l'aménagement des mers fermées et semi-fermées et de leur bassin hydrographique, il faut introduire les principes de la gestion des bassins versants et leurs marges maritimes (BV) avec établissement de niveaux-cibles en ce qui concerne les rejets de déchets toxiques, de nutriments et de sédiments fins et, le lessivage des sols et la pollution atmosphérique arrivant en mer, et contrôle serré de ces décharges. (La planification du développement en milieu marin devrait être basée sur la gestion environnementale intégrée de la totalité du bassin de drainage, y compris les affluents, les décharges d'effluents et l'environnement marin qu'ils affectent).

  3. Il faut établir des scénarios régionaux de rechange pour l'utilisation des ressources biologiques et de leur environnement, en tenant compte des intérêts respectifs et des interactions entre les parties concernées.

  4. Pour la réflexion et l'action, on a besoin de bases de données communes sur l'environnement, les ressources et les activités socio-économiques dans et autour de la mer concernée.

  5. Il faut chercher des solutions au problème du transit des poissons migrateurs au travers des détroits et des estuaires, surtout si ces transits affectent l'accés traditionnel à une ressource relevant d'autres juridictions.

  6. Il est indispensable de mettre en oeuvre un programme de recherche coordonné avec échange ouvert d'informations entre les pays concernés, dont les priorités seraient: gestion des ressources et étude des écosystèmes, suivi et estimation des déversements dans l'eau d'agents polluants et de matières en suspension ainsi que de leur transfert atmosphérique du continent vers la mer; étude des conséquences économiques de changements importants des écosystèmes.

  7. Il faut renforcer les mesures visant à éviter les activités nuisibles pour les mers fermées et semi-fermées, notamment les effluents industriels et domestiques, et les déversements de pétrole, et les pratiques qui encouragent l'introduction d'espèces non-indigènes dans ces environnements écologiquement uniques.

  8. Les initiatives locales doivent être subordonnées aux accords régionaux dans la mesure où toute action dans une quelconque sous-zone d'une mer fermée ou semi-fermée sera inefficace si elle ne tient pas compte des interactions humaines dans l'ensemble de l'écosystème et les bassins de versants limitrophes.

2.4 LES RESSOURCES ET L'ENVIRONNEMENT DE LA HAUTE MER ET DES OCEANS

2.4.1 Ressources océaniques et pêche hauturière

L'état des ressources biologiques de la haute mer a été bien résumé par Garcia et Majkowski (1990) et la FAO (1993c, k). Les principales ressources de la haute mer sont: les baleines, les thons et espèces apparentées, les saumons, les calmars océaniques, les requins, les chinchards, les poissons mésopélagiques, les tortues de mer, le lieu de l'alaska, les brèmes de mer, le saury du Pacifique et quelques autres espèces potentiellement importantes.

Sur les quelque 400 espèces commerciales ou qui pourraient le devenir, considérées comme océaniques, peu font l'objet d'une pêche ciblée. Les informations biologiques disponibles sur la plupart de ces espèces sont peu nombreuses si ce n'est pour les grands thonidés et les baleines. Les thons, les saumons, les requins, les poissons à rostre et les calmars sont à l'heure actuelle les principales ressources exploitées en haute mer si on fait exception du cas particulier des ressources en poissons démersaux et petits pélagiques des plateaux continentaux situés au-delà de la limite des 200 miles. Les thons, en tant que prédateurs apicaux dans les systèmes océaniques, se nourrissent d'un certain nombre d'espèces plus petites (maquereaux, calmars, etc.) qui pourraient, du moins en théorie, produire dix fois plus que les captures de thon. Cependant, les thons couvrent en fait toute la chaîne alimentaire océanique et, en tant que prédateurs apicaux, la rendent disponible à l'homme sous forme de bancs de grande valeur et facilement accessibles. À l'exception de certains stocks de calmars, les proies des thons situées plus bas dans la chaîne trophique sont rarement exploitées, en partie à cause des coûts d'exploitation loin des ports et des prix trop bas sur le marché, ou parce que les densités et la disponibilité pour la pêche sont faibles.

Certains stocks de thon sont très exploités, la plupart des tortues marines et quelques populations d'oiseaux de mer subissent, directement ou indirectement, la pression des activités humaines. Peu de populations de requins ont supporté une exploitation locale soutenue et prolongée sans s'effondrer. La plupart des grandes espèces de baleines ont été surexploitées dans le passé et les stocks sont peut-être encore appauvris ou même en voie d'extinction. Mais il faut noter que les estimations des populations de baleines sont imprécises car elles reposent essentiellement sur les repérages visuels. L'attention s'est récemment concentrée sur les dauphins et certaines populations pourraient être en danger dans des mers fermées et des régions côtières. Selon certaines informations cependant, on constate un maintien des populations hauturières dans des régions comme le Pacifique-Est, mais il faut surveiller les prises accessoires par certains engins de pêche et améliorer l'évaluation des populations.

De nouvelles pêcheries ne sont maintenant possibles que pour un nombre relativement restreint de ressources sous-exploitées mais les calmars pélagiques, les poissons méso pélagiques et le krill de l'Antarctique pourraient encore présenter un potentiel non-utilisé, bien que les avis scientifiques dans ce cas soient moins optimistes qu'ils ne l'ont été. En ce qui concerne les poissons mésopélagiques, les rendements potentiels sont élevés mais, étant donné la faible valeur unitaire, les coûts élevés du carburant et le niveau de technologie requis, le rendement économique net pourrait se révéler trop faible. Cependant, la mise en valeur de ce potentiel mérite d'être encouragée. En effet, une partie de ces ressources pourrait servir à la fabrication de farine de poisson en remplacement de petits poissons pélagiques qui seraient alors disponibles pour l'alimentation humaine (FAO, 1993b).

2.4.2 L'environnement de la haute mer

Dans le rapport du GESAMP sur l'état de l'environnement marin (GESAMP, 1990) on note que les océans au large sont relativement propres mais qu'on observe certaines contaminations, essentiellement d'origine atmosphérique. La prolifération des débris de plastique flottants sur tous les océans du monde est également trés inquiétante. Ces débris peuvent gêner les mouvements de la faune (par emmêlement notamment) et entraver l'alimentation des oiseaux, des mammifères et des poissons vivant à la surface des océans ou à proximité.

2.4.3 Gestion des pêcheries hauturières

2.4.3.1 Les unités de gestion pour les systèmes océaniques

Nous savons que l'exploitation de certaines espèces affecte l'abondance d'autres espèces par le biais des relations prédateur-proie et de la compétition interspécifique. Notre compréhension actuelle de ces relations dans un réseau trophique océanique soulève le problème - analogue à celui des limites entre stocks d'une espèce donnée - de décider quelles sont les limites géographiques réelles des systèmes océaniques au sein desquelles doit s'exercer une approche intégrée de gestion. Ceci prend en compte le principe darwinien (Sinclair, 1988) selon lequel la gestion des populations auto-reproductrices doit s'exercer sur la totalité de leurs zones de répartition sans tenir compte des limites des juridictions qui les traversent (FAO, 1993b, k; 1995e).

Un concept en vogue est celui de Grand écosystème marin (GEM) qui verrait certaines grandes régions océaniques comme le système du courant de Benguela ou la mer de Bering gérées conjointement par les États possédant un intérêt légitime pour les ressources marines desdites régions. Les GEM chevaucheraient inévitablement les frontières maritimes, nécessiteraient une intensification des efforts de recherche de la part de tous les partenaires afin de comprendre les liens fonctionnels et demanderaient à être intégrés dans les structures de gestion existantes ou bien en réclameraient de nouvelles. Il faudrait alors prendre des décisions en ce qui concerne les niveaux de priorité à accorder aux divers scénarios d'exploitation. Cependant, il paraît évident que la gestion sur une base monospécifique, l'approche qui a été la plus utilisée jusqu' à présent, est loin d'être satisfaisante. Les interrelations entre espèces (compétiteurs, prédateurs et proies), environnement et pêches doivent être bien comprises avant d'appliquer le concept d'aménagement des GEM, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle.

En ce qui concerne la gestion des pêches hauturières, les principales conclusions de la Consultation technique sur la pêche en haute mer de la FAO (Rome, 7–15 septembre 1992; FAO, 1992a) permettent de faire les observations ci-après:

  1. la pêche en haute mer va continuer à progresser, de même que les besoins d'aménagement; il est peu probable qu'on résolve le problème du manque de données, une “approche de précaution” (voir section 4.4.2) est donc de mise dans ce domaine;

  2. la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (Annexe IV), complétée par les décisions pertinentes de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (voir sous-chapitres 7.1 et 7.3) et la Déclaration de Cancún (Annexe V) offrent l'essentiel du cadre juridique pour le développement durable des ressources en haute mer;

  3. il faut adopter un code de conduite pour une pêche responsable des ressources hauturières et autres (voir également sous-chapitre 4.4);

  4. l'enregistrement des navires sous pavillon de complaisance pour échapper aux mesures de conservation et de gestion, et aux pratiques commerciales loyales doit être vivement découragé;

  5. les Etats de pavillon doivent maintenir à jour un registre national des navires de pêche équipés pour, et autorisés à opérer en haute mer;

  6. dans la mesure du possible, la gestion de la pêche en haute mer doit être prise en charge par des organisations régionales ou sous-régionales - ce qui implique de renforcer les organismes régionaux des pêches; elle doit en outre couvrir tous les stocks et prendre en compte tous les prélèvements qui y sont faits;

  7. la gestion de la pêche en haute mer doit tenir pleinement compte des considérations environnementales et reposer sur les meilleures informations et données scientifiques possibles, y compris des statistiques des pêches prêcises et complètes; toute l'attention voulue doit être accordée à la légitime confidentialité de ces données, informations et statistiques;

  8. une approche efficace en termes de suivi, contrôle et surveillance (SCS) est essentielle dans le cadre de la gestion de la pêche en haute mer et demande l'application de nouvelles technologies;

  9. il est nécessaire d'augmenter l'effort de recherche sur les ressources et l'environnement hauturiers et d'en appliquer les résultats à la gestion des ressources;

  10. la Production maximale équilibrée (PME) n'est plus un point de référence vide pour la gestion de la pêche en haute mer et d'autres points de référence doivent être examinés;

  11. il faut aider les pays en développement à acquérir les capacités voulues pour participer aux pêches en haute mer et à leur gestion;

  12. il faut s'efforcer d'augmenter le niveau de prise de conscience du grand public sur les problèmes des pêches hauturières.

Au cours de sa 102e session (novembre 1992), le Conseil de la FAO a fait siennes les conclusions de la Consultation technique et a accepté la Déclaration de Cancún sur la pêche responsable comme base de toute action future visant à développer un code de conduite dans ce domaine.

2.4.3.2 Les problèmes posés par les stocks chevauchant les ZEE et la haute mer

La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer a étendu les dispositions de conservation des stocks grands migrateurs aux régions et aux ressources situées au-delà des ZEE nationales en affirmant que “les Etats côtiers et les autres Etats” devaient “coopérer directement ou au travers des organisations internationales appropriées en vue d'assurer la conservation des espèces en cause et de promouvoir l'exploitation optimale de ces espèces dans l'ensemble de la région”. Cependant, le besoin de mécanismes de conservation plus explicites et d'un code d'usages régissant les opérations de pêche en haute mer est devenu plus évident ces dernières années.

Bien que l'expression “ressources biologiques de la haute mer” figurant dans la Convention s'applique aux ressources océaniques se trouvant au-delà de la limite des 200 miles, il y a, en pratique, peu de ressources marines vivantes qui ne chevauchent pas les zones de juridiction d'un ou de plusieurs Etats côtiers. Ceci a de profondes répercussions pour l'exploitation et la gestion des ressources étant donné que de nombreuses ressources dites “de haute mer” sont en fait des stocks chevauchant des ZEE adjacentes.

Les navires de pêche hauturière opèrent en dehors de la juridiction de leur pays d'origine et, bien que les flottilles de pêche soient souvent obligées par condition de licence à déclarer leurs prises, il est très difficile pour l'Etat de pavillon de faire respecter ces dispositions étant donné le coût prohibitif de la surveillance en mer. Ce problème explique également la difficulté à obtenir des données de pêche fiables, surtout pour les prises accessoires (Alverson et al., 1994). Les motifs de falsification sont réels et il existe plusieurs sources de biais possibles:

  1. une partie des prises d'une espèce capturée sous licence dans une ZEE peut être déclarée comme provenant d'une zone non-réglementée (la haute mer) ou de la ZEE de l'Etat du pavillon;

  2. étant donné la mobilité des flottilles hauturières et la durée d'une sortie, les prises peuvent provenir de régions océaniques soumises à des juridictions différentes ou même d'océans différents;

  3. des prises illégales d'une espèce réglementée peuvent être déclarées comme venant d'une région non réglementée ou bien, après transformation en mer, comme provenant d'une espèce non réglementée;

  4. des prises illégales peuvent être vendues ou transbordées sur un autre navire en mer ou dans un port non réglementé.

Tout plan d'aménagement destiné à contrôler la pêche en haute mer doit trouver des solutions à ces éventuelles échappatoires et au problème de la surveillance en mer.

Les questions non résolues mentionnées plus haut et la nécessité de mettre en place une base de données commune sur les pêcheries hauturières sont devenues plus évidentes ces dernières années. Cependant, la Résolution 44/225 adoptée le 22 décembre 1989 par l'Assemblée générale des Nations Unies sur la question de la pêche aux grands filets pélagiques dérivants a fait récemment ressortir la faiblesse de nos connaissances sur les ressources biologiques de la haute mer et l'absence d'une structure permettant de limiter l'impact des activités humaines sur ces ressources.

Suivant le principe que “évaluation et gestion des stocks doivent tenir compte des prélèvements dans l'ensemble de la zone de répartition”, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer préconise l'échange d'informations et la coordination des campagnes de pêche pour les ressources marines, y compris celles capturées hors ZEE.

En pratique, plusieurs problèmes majeurs ressortent de manière évidente:

  1. Peu de nations dont les ZEE recouvrent la zone de répartition des ressources de la haute mer sont susceptibles de réduire unilatéralement leur taux d'exploitation pour prendre en compte les captures opérées par les flottilles d'autres pays dans des ZEE adjacentes. Un plus petit nombre encore est susceptible de prendre en compte, dans le cadre d'un total de prises autorisé, les besoins de flottilles étrangères exploitant les mêmes stocks dans les eaux internationales, à moins qu'ils ne soient signataires d'un accord international ou ne soient membres d'une commission des pêches à laquelle ils ont délégué le pouvoir de gestion des captures de l'espèce en question dans l'ensemble de sa zone de répartition. Il est plutôt probable qu'ils se plaindront, avec raison, que les taux de capture dans leur ZEE pourraient être affectés par une pêche incontrôlée du même stock dans les régions non-soumises à leur juridiction. Quand il existe un manque de reconnaissance mutuelle des droits des autres utilisateurs sur la même ressource, la surexploitation réduit inévitablement la valeur de cette ressource pour tous les intervenants (Caddy, 1982).

  2. Les navires des Etats de pavillon qui, pour le moment, ne sont pas membres d'une commission des pêches ou signataires d'un accord de pêche, n'ont aucune obligation, selon le droit international, de limiter leurs captures en haute mer; il n'y a de plus aucun contrôle international ni aucune capacité de surveillance des régions situées hors ZEE.

  3. Les captures faites en haute mer par des navires isolés appartenant soit à une nation pratiquant la pêche au long cours, soit à un Etat côtier adjacent (que l'Etat de pavillon soit, ou non, signataire d'un accord) ne sont pas toujours enregistrées précisément quant au lieu d'origine. Il en résulte que les données de prises, d'effort et de prises accessoires nécessaires pour mener à bien l'évaluation des stocks sont incomplètes ou biaisées, ce qui rend imprécise l'évaluation de l'impact de la pêche.

  4. Les flottilles hauturières sont en mer pour de longues périodes, ce qui rend difficile le maintien à bord d'un observateur assermenté. Ces flottilles peuvent se déplacer rapidement d'une juridiction à l'autre au cours d'une même sortie; elles peuvent également transformer les captures à bord sous une forme moins facilement reconnaissable et, enfin, elles peuvent les transborder sur un autre bateau, en mer ou au port, rendant donc difficile, au débarquement, d'établir l'origine géographique et la date de capture des quantités débarquées.

Ce genre de problèmes requiert des solutions radicales nouvelles dont l'application, étant donnéla nature peu sûre des informations disponibles, exigera une approche de précaution (Garcia, 1994a, b) et un nouveau cadre juridique et de gestion pour l'exploitation des ressources de la haute mer, sachant que les hautes technologies joueront sans nul doute un rôle important. Ces questions et d'autres sont étudiées à l'heure actuelle à New York par la Conférence des Nations Unies sur les stocks chevauchants et grands migrateurs et ces discussions mèneront, on l'espère, à un régime d'exploitation plus contrôlé.

2.4.3.3 Les bases de données océaniques pour la prise de décision et les mesures de contrôle possibles

La gestion des pêches au plan international dépend évidemment de l'exploitation d'une masse d'informations de différents types et il est de plus en plus manifeste qu'il faudrait développer des systèmes d'information géographique (SIG) (Maguire et al., 1991). Cet outil, initialement mis au point pour rationaliser l'utilisation diversifiée des sols, a d'abord été étendu aux zones côtières et il devrait maintenant être appliqué aux ressources océaniques. Cependant, les informations sur l'environnement océanique ne sont guère accessibles aux décideurs dans le domaine des pêches. Cette remarque s'applique, dans l'autre sens, aux autres utilisateurs de l'environnement marin qui n'ont pas toujours tenu compte des besoins de la gestion des ressources marines.

Toutes ces considérations montrent qu'il faudrait disposer d'un mécanisme de coordination pour le suivi et la réglementation des pêches en haute mer. Ce ou ces organisme(s) devrai(en)t maintenir des contacts étroits avec tous les Etats ayant un intérêt légitime pour les pêches hauturières, et devrai(en)t recevoir les conseils des commissions régionales des pêches responsables pour les ressources considérées mais qui, en pratique, n'ont pas de mandat pour contrôler l'exploitation des stocks qui chevauchent plusieurs juridictions. Un mandat global serait nécessaire pour maintenir une base de données commune sur les prises en haute mer par région statistique et établir une liste des navires exploitant les ressources biologiques en question, comprenant les marquages internationaux standards des navires et des engins de pêche. Il faudrait établir des procédures de déclaration obligatoires pour les navires enregistrés et contrôler leur application. Les progrès enregistrés dans ce sens au cours des dernières années sont réels mais un tel système uniforme à l'échelle du globe n'existe pas encore.

Des problèmes majeurs subsistent en ce qui concerne cet organisme mondial hypothétique; ils sont pour l'essentiel de nature juridique, administrative et financière, mais aussi technique notamment en ce qui concerne la vérification. Des solutions technologiques sont possibles en théorie: une “boîte noire” pourrait être installée sur les navires de pêche immatriculés, pour surveiller en permanence, par satellite, la position des navires et divers dispositifs télémétriques, moteurs et fonctionnement des treuils etc. indiqueraient que des opérations de pêche sont en cours. Ces systèmes ne contribueront pas toutefois à documenter les pratiques de pêche illégales et la solution la plus simple mais qui n'est pas infaillible a été d'interdire la pêche avec certains engins dans des zones spécifiées.

Un problème particulier qui a focalisé l'attention internationale ces dernières années est celui de la faible sélectivité des filets en monofilament utilisés dans le cadre de la pêche aux grands filets pélagiques dérivants. Ces filets diffèrent considérablement des filets maillants utilisés pour la pêche côtière par leur taille (jusqu'à 100 km de long) et leur mode de fonctionnement, en ce qu'ils emprisonnent toutes les espèces qui viennent en contact avec le filet incluant les poissons, les calmars, les oiseaux (CIEM, 1994b) et les mammifères marins (Northridge 1984, 1991; FAO, 1991). Les rejets d'espèces non-ciblées capturées dans ces immenses filets peuvent être importants et inclure non seulement des oiseaux et des mammifères marins, mais également des petits thons et d'autres espèces de poissons qui ne sont pas intéressants du point de vue commercial. Cette situation soulève des questions juridiques délicates en ce qui concerne la pêche en haute mer (Hey et al., 1992). La Résolution 44/225 de l'Assemblée générale des Nations Unies (22 décembre 1989) a abordé ce problème et reconnu la nécessité de mettre au point des engins de pêche qui capturent sélectivement les espècescibles et minimisent les prises accessoires. Il s'agit là d'un défi majeur pour les experts en engins de pêche. Une autre façon de décourager les pratiques de pêche irresponsables évoquées plus haut consiste à prendre des mesures de rétorsion commerciale à l'encontre des produits issus de ces pratiques nuisibles.

Il existe d'autres difficultés en ce qui concerne les prises accessoires illégales d'espèces non-ciblées, par exemple les captures accidentelles d'espèces réglementées en dehors des zones et des saisons ou au-delà des quotas imposés. On peut, en théorie, surveiller au port de débarquement les prises interdites de saumons par les filets maillants à calmars puisque ces espèces sont moins susceptibles d'être rejetées en mer. Mais cette approche ne permet pas de quantifier la mortalité subie par les espèces capturées accidentellement et rejetées en mer comme les mammifères marins. Elle demande en effet une évaluation en mer, rigoureuse mais hautement problématique, de l'impact des engins de pêche en fonction de la saison, de la zone géographique et de la méthode de pêche et le développement d'engins et de procédés plus sélectifs et qui satisfont les critères écologiques (CIEM, 1994a). En ce qui concerne le suivi des pêches en haute mer, des solutions plus imaginatives devraient permettre des réponses plus peuvent être améliorées et, après modifications, pourraient contribuer à la réalisation des objectifs de développement durable.

2.4.4 Action proposée

La mesure suivante (en caractères gras avec texte de complément en italiques) semble appropriée dans l'optique d'un développement durable des ressources biologiques de la haute mer:

Des mécanismes sont nécessaires pour aménager les ressources de la haute mer. Les résultats de la Conférence des Nations Unies sur les stocks de poissons chevauchants et grands migrateurs pourrait fournir une base dans ce sens à condition, entre autres, de mettre à jour et d'échanger les registres de navires immatriculés; d'utiliser des méthodes de déclaration des captures en temps réel et un système de surveillance utilisant les technologies les plus modernes; de mettre sur pied et de maintenir une base de données sur les niveaux d'abondance et de prélèvement des stocks et les changements de l'environnement océanique ayant une influence sur les ressources vivantes; de fournir quand il le faut aux commissions des pêches régionales les informations pertinentes sur les activités de pêche nationales et sur l'état des ressources chevauchant les juridictions concernées; enfin, de coordonner les évaluations de ressources avec les pays et la commission régionale concernés. De plus, ceci fournirait, en particulier pour les principaux océans, un mécanisme de coordination des différentes commissions régionales qui pourrait inclure dans leur mandat la nécessité de préserver l'environnement océanique et ses ressources.

2.5 LES RESSOURCES ANTARCTIQUES ET LEUR ENVIRONNEMENT

2.5.1 Etat des ressources

L'océan Antarctique est l'une des rares régions pour laquelle la structure responsable de la gestion des ressources intègre une approche de modélisation de l'écosystème (CCAMLR, 1993a, b). Si on examine l'état des ressources exploitables à l'heure actuelle dans l'Antarctique (Fisher et Hureau, 1985), il y a peu de raisons d'être satisfaits en ce qui concerne les stocks de baleines et de poissons, même si la situation est relativement bonne pour la plupart des ressources vivantes antarctiques et sub-antarctiques non-exploitables, à l'exception de quelques espèces comme l'albatros, capturé accidentellement au cours de certaines opérations de pêche plus au nord.

Les ressources de poissons démersaux à croissance très lente et à maturation tardive, par exemple Notothenia sp., Champsocephus sp. et d'autres (Fisher et Hureau, 1985; Gon et Heemstra; 1990), ont été fortement affectées par la pêche exercée dans les années 70, principalement par d'ex-pays socialistes travaillant selon des critères non-économiques (Koch, 1992). Dans certains cas, les quotas établis par la Commission pour la conservation de la faune et de la flore marines de l'Antarctique (CCAMLR) n'ont pas été atteints à cause de la faible abondance des populations concernées. Aucune prise de poisson des glaces n'a été signalée en 1992/93, en partie à cause du déclin continuel des stocks. Le problème du contrôle des pêches dans l'Antarctique ne semble pas provenir des critères retenus mais de la quasi-impossibilité d'appliquer les règlements pertinents dans ces régions immenses et inhospitalières et d'obtenir les données nécessaires pour l'évaluation des stocks.

On peut faire les mêmes observations en ce qui concerne le krill, Euphausia superba, espèce sur laquelle reposent la plupart des réseaux trophiques (Miller et Hampton, n.d.) et qui présente des biomasses énormes. Après avoir atteint quelque 300 000 tonnes, les prises sont tombées à environ 87 000 tonnes en 1992/93 et il est peu probable qu'une pêcherie nonsubventionnée opérant avec les technologies existantes puisse dégager un profit sur cette ressource. Certains milieux ont exprimé la crainte que le prélèvement d'une proportion, même faible, du stock disponible localement pour les colonies d'oiseaux et de phoques pourrait provoquer une raréfaction de la nourriture pour les populations en reproduction, donc moins mobiles, basées sur le continent ou sur la glace.

La capture accidentelle d'albatros à grande amplitude de migration au niveau des pêcheries de thons de surface dans le Pacifique Sud pourrait être l'un des facteurs responsables du déclin de certaines populations d'oiseaux, comme l'albatros austral. La raréfaction des baleines mysticètes, autrefois très exploitées, et qui se nourrissaient de préférence de krill de l'Antarctique, a pu entraîner l'augmentation d'autres ressources dépendant de l'écosystème basé sur le krill comme les phoques crabiers, léopards, de Weddell et à fourrure (Institute of Biology (UK), 1985) bien que certains auteurs aient constaté relativement peu de recouvrement dans les régimes alimentaires de ces espèces (Siniff, 1988). Le rétablissement des populations de grandes baleines s'avère lent et il faudrait peut-être protéger leurs migrations hors du sanctuaire des baleines de l'Antarctique récemment proclamé par la Commission baleinière au sud du 40e parallèle.

D'autres ressources des régions antarctiques et sub-antarctiques ont également attiré l'attention, dont certains crustacés et les céphopodes (Rodhouse, 1989) mais leur exploitation commerciale n'a pas encore démarré pour des raisons évidentes de coût des opérations. Cependant, le risque subsiste que l'absence de contrôle exercé normalement par les Etats côtiers dans les autres mers rende difficile une surveillance appropriée des niveaux d'exploitation.

Les contraintes environnementales naturelles qui s'exercent sur l'écosystème antarctique le rendent particulièrement sensible aux changements introduits par des facteurs exogènes. En plus de la pêche, la contamination atmosphérique due aux activités humaines dans l'hémisphère nord, bien que faible, est en augmentation et a déjà affecté la couche d'ozone qui protège des rayonnements ultraviolets (Bidigare, 1989; Karentz, 1991).

2.5.2 Mesures de protection

La Commission pour la conservation de la faune et de la flore marines de l'Antarctique (CCAMLR) couvre toutes les ressources biologiques marines, y compris les mammifères et les oiseaux, au sud du 50e parallèle et fournit un prototype de plan d'aménagement de type GEM. L'objectif de la Commission (CCAMLR, 1993a) est “la conservation” qu'elle met sur un pied d'égalité avec “l'utilisation rationnelle”. Le but est de prévenir toute réduction d'une population qui mette en danger la stabilité de son recrutement, qu'elle soit due à son exploitation directe, à l'exploitation de ses proies essentielles ou à une modification nuisible de son environnement. Ainsi, malgré les biomasses considérables de krill et de céphalopodes, par exemple, présentes dans l'Antarctique, leur taux de renouvellement, leur schéma de répartition et leur importance comme source de nourriture pour des espèces terrestres et aquatiques sont censés déterminer les quotas, les zones et les saisons d'exploitation autorisées. Une protection est particulièrement nécessaire à proximité des colonies d'oiseaux et de mammifères et pour les oiseaux et mammifères proches des régions d'activité humaine en expansion dans l'Antarctique. Au niveau de ces interrelations, le rôle de l'Antarctique pour le suivi des changements environnementaux à l'échelle du globe est parfaitement reconnu (SCAR, 1993).

2.5.3 Actions proposées

Les mesures suivantes, entre autres, semblent appropriées dans l'optique d'un développement durable des ressources de l'Antarctique:

  1. Efforts de recherche accrus sur les ressources biologiques de la région, à condition que ces travaux soient coordonnés afin de réduire les doubles emplois, et qu'ils prennent en compte l'impact grandissant que les campements scientifiques eux-mêmes ont sur une zone nondéveloppée. La recherche dans l'Antarctique joue un rôle essentiel en ce qui concerne le suivi des changements climatiques et des conditions environnementales à l'échelle du globe.

  2. Une stratégie d'exploitation de précaution est nécessaire; sans empêcher l'utilisation des ressources de l'Antarctique, elle garantirait que l'accès à ces ressources est soumis à des limitations dans l'espace et dans le temps.

2.6 PREDATEURS APICAUX, MAMMIFERES MARINS, REPTILES, OISEAUX ET ESPECES MENACEES

Les deux derniers siècles ont été les témoins de la réduction d'un certain nombre de populations d'oiseaux, de reptiles et de mammifères marins qui interagissent directement ou indirectement avec les activités de pêche de l'homme (Northridge, 1984). Dans certains cascomme la loutre de mer et plusieurs populations de phoques (Ridgeway et Harrison, 1985), comme le phoque à fourrure du Pacifique (Mitchell, 1973; FAO, 1978b) - le rétablissement s'est produit dès qu'une législation appropriée a été mise en oeuvre, grâce à la régénération amorcée à partir de populations survivantes marginales ou présentant des densités trop faibles pour être commercialement exploitées. On connaît plusieurs cas d'extinction (par ex. le lamantin de Steller (FAO, 1978b; Ridgeway et Harrison, 1985) et d'espèces actuellement considérées comme en voie d'extinction ou menacées (Jefferson et al., 1993). La pêche et la chasse ont été à l'origine de la plupart de ces quasi-disparitions. Dans d'autres cas, comme celui des dugongs et des tortues de mer (Ogden, 1989), la cause prédominante a peut-être été la concurrence pour un environnement favorable et sa dégradation subséquente par l'homme. Les fluctuations naturelles et les brusques cycles d'effondrement et de reconstruction des colonies d'oiseaux marins vivant à proximité de stocks exploités de petits pélagiques (Anon., 1995) peuvent être accentués par l'action directe de l'homme. L'exploitation intense de leurs principales proies peut donc constituer un facteur important. Des infections bactériennes ou virales, peut-être dues à la pollution, ont été invoquées pour expliquer des mortalités massives de mammifères marins dans la Baltique et la Méditerranée (Heide-Joergensen et al., 1992; Calzada et al., 1994).

Les prédateurs apicaux, notamment des mammifères marins comme certaines espèces de phoques, de dauphins et de baleines, et des grands poissons prédateurs comme les requins, les thons et les flétans ont un rôle dans le contrôle de la densité de leurs espèces-proies mais ils sont aussi les premières victimes de la pêche industrielle. Cependant, étant donnée la complexité des réseaux alimentaires marins, l'élimination des principaux prédateurs apicaux est souvent compensée par d'autres espèces qui assument tout ou partie de leur rôle régulateur, jusqu'à ce qu'eux-mêmes soient éventuellement surexploités (Kerr, 1977; Ursin, 1982) ou changent de proies (Glasser, 1978).

Comme nous l'avons déjà signalé, les réseaux trophiques marins sont extrêmement complexes (Caddy et Sharp, 1986) ce qui ne va pas sans difficultés quand il s'agit de quantifier les effets des activités humaines (May et al., 1979). L'élimination d'un prédateur supérieur ne conduit pas toujours à une augmentation significative du rendement de ses espèces-proies (Pauly, 1979a). D'autre part, étant donnée la taille des stocks de prédateurs avant leur épuisement, il y a certainement eu concurrence entre l'homme et les prédateurs pour leurs proies communes. Des calculs, étudiés entre autres par Katona et Whitehead (1988), ont montré que les populations de mammifères marins, même si leur taille a été réduite dans de nombreuses régions du globe, peuvent consommer au moins autant de proies qu'il en est pêché par l'homme. On a affirmé que les cachalots consommaient à eux seuls une quantité de calmars plus importante que le total des captures de la pêche mondiale (Voss, 1973). Des calculs similaires sont courants dans la documentation scientifique. Pour l'écosystème de la mer de Bering (FAO, 1978 b), on estimait par exemple que la consommation d'une biomasse estimée à l'époque à 450 000 tonnes par 25 espèces de mammifères marins atteignait 9 à 10 millions de tonnes annuellement, soit environ quatre fois plus que les prises commerciales d'alors (mais les proies consommées étaient principalement des espèces benthiques et nectoniques non-exploitées par l'homme). Plus récemment, l'impact de l'exploitation intense du lieu de l'Alaska sur les populations de leurs prédateurs naturels comme le phoque à fourrure, a soulevé des inquiétudes. Avant l'avènement de la pêche à la baleine, on estimait que les baleines mysticètes avaient besoin de 190 millions de tonnes de krill par an, soit deux fois le total des captures de la pêche mondiale actuelle (FAO, 1992f).

Certaines populations de phoques sont vecteurs de parasites qui infectent également certaines espèces commerciales comme la morue (McClelland et al., 1983; FAO, 1978b) et, incidemment, peuvent occasionner des dommages aux engins de pêche. Ceci explique en partie le comportement hostile des pêcheurs dans certaines régions vis-à-vis de certains mammifères marins. Des calculs ont été faits pour chiffrer les “pertes” pour la pêche mais il n'est pas évident que de tels calculs rendent compte d'effets réels. On ne peut pas non plus les appliquer de manière simpliste pour estimer les surplus de production dégagés pour l'exploitation humaine une fois que les prédateurs des poissons ont été pratiquement éliminés par la pêche. De tels calculs ne prennent pas en compte les liens écologiques, la stabilité de l'écosystème et la compréhension accrue du rôle écologique des mammifères marins et de leur intérêt culturel pour l'homme, à cause de leur intelligence, de leurs moyens de communication et de leur comportement social. La plupart des populations de phoques arctiques et subarctiques retrouvent leurs niveaux d'antan et des inquiétudes ont été exprimées quant à l'impact de grandes populations de phoques du Groenland, d'otaries et d'autres espèces (en dehors de l'Antarctique) sur les ressources vivantes exploitées par l'homme, justifiant éventuellement des mesures de contrôle des populations.

Les théories en cours sur la place des prédateurs dans les écosystèmes terrestres insistent sur leur rôle dans l'élimination des individus malades ou inadaptés et dans le maintien de la taille des populations d'espèces-proies en équilibre avec les ressources disponibles. Cependant, il n'est pas facile de prouver à quel point ces arguments s'appliquent dans le milieu marin où la prédation humaine est également très intense. On ne sait pas encore si, dans le milieu marin, la réproduction des populations de prédateurs a rendu les populations de poissons-proies plus instables et/ou si on peut faire une estimation, en sus des besoins des prédateurs qui sont en compétition pour la même nourriture, du “surplus” de production exploitable. A titre d'exemple, les 150 millions de tonnes de krill de l'Antarctique qui ne sont plus consommées par les populations très réduites de baleines à fanons le sont maintenant par d'autres espèces, les populations de certaines d'entre elles ayant peut-être augmenté (FAO, 1978b). On peut supposer que le retour de certaines populations de mammifères marins aux niveaux qui existaient avant que l'homme n'assume le rôle d'espèce prédatrice dominante pour les chaînes alimentaires marines ne serait possible que dans l'hypothèse d'une réduction importante des captures mondiales de poissons, ce nouvel équilibre entraînant à son tour une baisse des disponibilités. Etant donné que les disponibilités trophiques constituent un des facteurs limitant des populations de prédateurs et compte tenu de l'existence de la pêche industrielle, il est probable que cette limitation interviendra à des niveaux d'abondance des mammifères marins plus bas qu'antérieurement. Cela ne compromettra pas nécessairement la durabilité des populations de mammifères marins concernées et, du moins en théorie, on pourrait en tenir compte de manière explicite lors de l'établissement des quotas de pêche.

Dans le débat qui oppose conservation et développement, les arguments de toute évidence spécieux sont courants et on ne se livre pas toujours à un examen critique des preuves contradictoires de part et d'autre. On a prétendu que réduire l'abondance des populations de calmars se nourrissant de poissons juvéniles pourrait augmenter les rendements des espèces de poissons couramment pêchées. Ce raisonnement ne tient compte ni de la croissance mondiale des pêcheries de céphalopodes qui occupent une partie de la niche écologique laissée vacante par des populations de poissons de fond en déclin, ni du fait que les calmars peuvent maintenant se vendre plus cher sur le marché que beaucoup de poissons. ll est difficile de ne pas arriver à la conclusion que l'un des objectifs du développement durable des stocks menacés de prédateurs apicaux surexploités est leur retour à des niveaux d'abondance propres à assurer la capacité d'auto-reproduction sans risque d'effondrement des populations. Cependant, des populations de prédateurs apicaux non-contrôlées peuvent avoir des répercussions négatives sur la disponibilité de poissons pour l'alimentation humaine. Il est clair que le retour des stocks de certains prédateurs apicaux à leurs niveaux antérieurs à l'exploitation ne pourrait se faire qu'au détriment de l'homme en termes de protéines animales d'origine marine. Cet aspect doit être pris en considération dans le contexte du développement soutenu des ressources marines dans leur ensemble.

Dans le cas d'une réduction de taille d'une population d'un prédateur supérieur (par ex. mérou, morue ou flétan), il peut en résulter une augmentation de rendement pour des espèces situées plus bas dans la chaîne alimentaire. Cependant, étant donné que ce supplément est dominé par des petits poissons-proies dont la valeur unitaire est généralement plus faible que celle de leurs prédateurs, le bénéfice net pour la pêcherie sera probablement plus faible.

Un autre aspect important de la gestion des stocks de prédateurs apicaux est l'accumulation possible tout au long des chaînes alimentaires, de contaminants comme le mercure et les composés organochlorés (Olsson, 1994) ou encore de substances naturelles comme les ciguatoxines (Pulos, 1986) qui peuvent constituer une menace pour les prédateurs et un risque pour la santé humaine.

Les principes du développement durable exigent que les ressources marines soient exploitées de façon à assurer la continuité des populations et des espèces mais ils ne peuvent aider à faire un choix entre différents niveaux d'exploitation directe et indirecte qui respectent dans leur ensemble ces principes mais modifient l'abondance relative des divers éléments de l'écosystème. Déterminer le niveau d'exploitation est devenu sujet de controverse entre les tenants de la sécurité alimentaire et ceux qui voudraient que les populations de certaines espèces soient pratiquement inexploitées (Beddington et May, 1977; Beddington, 1978). La réalisation de ce dernier objectif aura des coûts importants à cause de ses effets sur la nature et l'ampleur des activités de récolte et, pour le moment, ces coûts seront à la charge presque exclusive de l'industrie des pêches qui joue encore le rôle majeur pour ce qui est de tirer un revenu des ressources marines vivantes.

2.6.1 Mesures proposées

Les mesures suivantes devraient être au centre d'un développement durable des prédateurs apicaux et des espèces menacées:

  1. Des recherches plus nombreuses - et plus approfondies - sont nécessaires pour comprendre le rôle des mammifères marins et des autres prédateurs apicaux dans les écosystèmes marins, notamment leur contrôle des populations-proies, et leurs interactions indirectes avec l'homme au travers de la chaîne alimentaire.

  2. Il faut réduire les captures accidentelles de mammifères, de tortues et d'oiseaux surtout quand il s'agit d'espèces menacées, et un effort doit être fait pour maintenir ces prises accessoires à des niveaux compatibles avec le rétablissement des ressources concernées.

  3. La capture de mammifères marins pour des raisons alimentaires, par mortalité secondaire consécutive à la pêche ou pour toute autre raison comme le contrôle des prédateurs dans les ZEE, doit tenir compte du faible taux de renouvellement de ces populations, de leur sensibilité aux autres influences humaines et de leurs usages non alimentaires.


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