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5. CONSEQUENCES SUR LES STOCKS DE POISSONS D'ACTIVITES AUTRES QUE LA PECHE

Jusqu'à une époque très récente, on considérait que l'impact de l'homme sur les écosystèmes marins se limitait aux effets de la pêche. La capacité de l'environnement marin et de ses ressources vivantes à supporter les effets des autres activités humaines semblait illimitée. Cela était dû, dans une certaine mesure, à la difficulté de suivre ces effets dans un milieu opaque. Comme c'est le cas pour certains écosystèmes terrestres et aquatiques continentaux, des écosystèmes marins peuvent opposer une certaine résistance aux impacts écologiques, alors que d'autres s'avèrent très sensibles.

Avant d'examiner comment le concept de développement durable s'applique aux ressources biologiques de la mer, il est important de reconnaître que le “développement” (pas toujours durable ) affecte les ressources, essentiellement de deux manières:

  1. Tout prélèvement d'organisme marin, que ce soit la pêche à la baleine, l'exploitation des récifs coralliens pour le bâtiment ou la récolte des algues marines,peut être considéré comme une “pêche” au sens le plus large d'un terme qui englobe la récolte d'organismes vivants à des fins alimentaires ou autres, effectuée dans les estuaires,les zones intertidales ou en haute mer. Le développement des pêches comprend donc les effets de cette récolte sur toutes les composantes des chaînesalimentaires marines.

  2. Les changements apportés à l'environnement par d'autres activité s humaines relevant du “développement” au sens classique du terme concernentaussi les ressources biologiques et peuvent être regroupés en deux catégories principales:

    1. les activités qui se déroulent dans l'environnement marin ou a proximité immédiate, comme les aménagements du littoral, la navigation,les rejets en mer,le tourisme littoral, l'exploitation minière sous-marine et l'extraction de pétrole et de gaz;

    2. les produits des activités humaines terrestres qui affectent le bassin de drainage marin par l'intermédiaire des transports fluviaux (par ex. transport des produits de l'érosion des sols ,des engrais ,des pesticides,des métaux et autres matériaux toxiques ) ou par voie atmosphérique (par ex. des organochlorés, certains métaux lourds; voir Ackefors et al., 1990).

5.1 POLLUTION MARINE

Il faut prendre en considération diverses définitions de la pollution marine quand on étudie les effets des activités humaines sur les ressources marines. Plusieurs ont été proposées:

Le GESAMP (1983) dé finit la pollution comme:

l'introduction par l'homme, directement ou indirectement,dans le milieu marin (estuaires compris), de substances ou d'énergie provoquant des effets nuisibles tels que dommages aux ressources biologiques, risques pour la santé humaine,entraves aux activités maritimes, notamment à la pêche ,altération de la qualité d'utilisation de l'eau de mer et réduction des agréments”.

En 1982, à l'Article premier, paragraphe 1(4) ,la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, souscrit largement à la définition du GESAMP en décrivant la pollution du milieu marin comme suit:

“on entend par” “pollution du milieu marin” l'introduction directe ou indirecte,par l'homme, de substances ou d'énergie dans le milieu marin, y compris les estuaires, lorsqu'elle a ou peut avoir des effets nuisibles tels que dommages aux ressources biologiques et à la faune et la flore marines,risques pour la santé de l'homme, entraves aux activités maritimes ,y compris la pêche et les autres utilisations légitimes de la mer,altération de la qualité de l'eau de mer du point de vue de son utilisation et dégradation des valeurs d'agrément;”

A l'Article premier de la Convention de Londres sur les déversements, les parties contractantes s'engagent à:

prendre toutes les mesures concrètes pour empêcher la pollution des mers par les déversements de déchets et autres matières susceptibles de mettre en danger la santéhumaine, de nuire aux ressources biologiques de la mer, d'endommager les valeurs d'agrément et d'interférer avec les autres usages légitimes du milieu marin.

La définition du GESAMP a été reprise dans tous les instruments juridiques approuvés au niveau international pour la prévention et le contrôle de la pollution marine. Il a été précisé que l'introduction dans l'environnement marin de substances qui n'entraînent pas les effets négatifs mentionnés ci-dessus ne serait pas considérée comme une pollution. Ainsi, dans l'hypothèse où on déciderait d'introduire des engrais dans une lagune côtière pour augmenter le rendement halieutique (effet d'une “pollution” modérée par des molécules organiques biodégradables ou des nutriments,également connu sous le non “d'enrichissement”), ce déversement ne serait pas considéré comme une pollution selon la définition du GESAMP.

5.1.1 Rejets de déchets en mer et capacité d'absorption de l'environnement

La pollution chimique peut influencer la production halieutique de multiples facons: réduction des stocks par mortalité massive, déclin graduel ou changements de la composition de populations ou d'écosystèmes complets, occurrence accrue de maladies, détérioration de la qualité des poissons-aliments, taux de croissance réduits. Les mers et les étendues d'eau fermées reçoivent une quantité importante de polluants chimiques par voie atmosphérique, de sorte qu'on ne peut faire abstraction des effets produits loin de la source de pollution. Malgré cela, et même si les effets doivent être plus rigoureusement contrôlés, d'importantes pressions vont s'exercer et l'environnement marin servira à l'élimination des déchets, vu que la population mondiale atteindra sept milliards d'habitants d'ici le début du prochain siécle. Il serait plus réaliste d'essayer de définir les niveaux de pollution qui n'entraînent pas de risques appréciables et d'identifier les zones oú de tels risques sont plus graves pour les ressources biologiques.

Le GESAMP (1986) a qualifié de “capacité écologique” la capacité d'un élément de l'environnement marin à s'adapter à un niveau ou à une intensité donné d'activité humaine, concept analogue aux points de référence étudiés au sous-chapitre 4.1 en relation avec l'intensité de pêche. Ce concept reconnaît intrinséquement que:

  1. l'environnement a une capacité limitée d'absorber des déchets sans en être sensiblement altéré;
  2. une telle capacité peut être quantifiée;
  3. un certain niveau de contamination ne produira pas des effets inacceptables sur les ressources biologiques de la mer.

L'impact sur les ressources biologiques du rejet en mer de déchets, qu'il soit délibéré ou accidentel, dépend, dans une large mesure, de la localisation et de l'intensité du rejet. Ainsi, on peut s'attendre à ce qu'une marée noire en haute mer ait des effets moins graves-mais pas nécessairement négligeables - que dans les eaux littorales de l'Arctique. Comme on l'a déjà signalé, des niveaux de rejets modérés, effectués de maniére responsable, peuvent même améliorer la productivité des écosystèmes. Dans de nombreux environnements marins, la diversité et la productivité sont limitées par la topographie relativement uniforme des fonds. Dans le cas de certaines zones àfond plat, l'immersion de matériaux respectant des critères précis dans des zones agréées pour l'installation de récifs artificiels peut être contraire à la Convention de Londres (OMI), mais pourrait être considérée comme souhaitable pour le développement des ressources côtiéres et pour protéger du chalutage des habitats marins sensibles. ll est donc nécessaire de discuter précisément quel type d'immersion, oú et à quelle intensité, doit être retenu comme dangereux et de voir si les conventions existantes nécessitent, dans certaines circonstances, des modifications afin de promouvoir un développement durable.

5.1.2 Sécurité des produits aquatiques

Comme les consommateurs sont de plus en plus avertis en ce qui concerne la qualité du poisson et les réglementations plus sévères introduites par les gouvernements pour garantir cette qualité, les pays en développement ont plus de difficultés á respecter les normes minimales fixées dans le cadre du Codex Alimentarius de la FAO/OMS (FAO/WHO, 1993). Le rejet dans l'environnement de contaminants tels que les métaux lourds, les BPC et la dioxine, et leur accumulation dans la chaîne alimentaire, peuvent se répercuter sur la qualité des produits de la mer. Les problèmes de contamination des milieux continentaux et côtiers et, par voie de conséquence, des produits aquatiques, par des bactéries pathogènes et des virus contenus dans les effluents d'égouts et les ruissellements urbains incontrôlés sont en augmentation dans le monde entier (Ahmed, 1991). Les substances nutritives en provenance des mêmes sources favorisent également les proliférations de dinoflagellés toxiques (marées rouges) qui peuvent contaminer poissons et invertébrés, qu'ils soient cultivés ou sauvages. La prévalence de la ciguatera dans certaines zones tropicales est un phénomène tout à fait similaire (Pulos, 1986). Sous les tropiques, d'autres formes de toxicité des poissons et de proliférations d'algues entraînent des mortalités massives de poissons (White et al., 1984). Dans les zones d'exploitation pétrolière, les captures et les engins de pêche doivent parfois être jetés pour cause de pollution.

5.2 CONSTRUCTIONS COTIERES

Etant donné que les populations humaines préfèrent vivre sur le littoral ou à proximité et que ces populations côtiéres continuent à croître dans de nombreux pays, l'urbanisation a augmenté en proportion, sous forme de résidences et d'hôtels, de ports, de marinas, et de toutes les infrastructures associées (usines de traitement des eaux usées, décharges, commerces, banques, bureaux de poste, hôpitaux, etc.) ainsi que des installations industrielles (voir souschapitre 5.3). Le peuplement humain non seulement apporte avec lui les problèmes de contamination évoqués dans ce chapitre mais également menace l'habitat de nombreuses espèces marines: poissons, tortues, oiseaux, mammifères et autres organismes qui vivent habituellement dans la zone littorale, en mer ou à terre. L'abattage incontrôlé des mangroves, que ce soit pour faciliter la construction de bassins à crevettes ou pour exploiter le bois (Soepadmo et al., 1984; UNDP/Unesco, 1987) peut, àpartir d'un certain stade, dégrader l'environnement et perturber les ressources marines côtières.

Les constructions côtières n'affectent peut-être pas directement les pêcheurs - qui devraient bénéficier, initialement du moins, de l'augmentation de la demande de poisson consécutive à celle de la population - mais elles altèrent les régimes de sédimentation et les caractéristiques écologiques de la zone littorale. De plus, elles bouleversent les écosystèmes marins locaux et obligent souvent les pêcheurs à changer leurs méthodes, leurs engins et leurs espèces-cibles. A titre d'exemple, la pratique, traditionnelle dans certains pays, de débarquer le poisson sur la plage et de le vendre directement au public et aux restaurants peut disparaître; on peut forcer les pêcheurs à débarquer leurs captures dans un port de pêche, plus éloigné. Ce genre d'évolution peut provoquer une “amélioration” forcée en termes de motorisation des bateaux et de commercialisation du poisson qui, le plus souvent, entraîne un surcoût pour les pêcheurs et la nécessité d'augmenter l'effort de pêche pour faire face à ces dépenses supplémentaires. Les constructions côtières peuvent donc améliorer la capacité des stations littorales à accueillir des visiteurs ou de nouveaux résidents mais il devient plus difficile de les approvisionner en produits de la mer.

5.3 L'INDUSTRIE COTIERE

Les industries s'installent sur le littoral parce qu'elles ont besoin de la mer pour éliminer leurs déchets ou pour alimenter les circuits de refroidissement (donc pour éliminer de la chaleur). La plupart des industries doivent se débarrasser de résidus chimiques provenant de certaines étapes de fabrication (par ex., sels de mercure et fongicides dans la production de pâte à papier) et, quelquefois, de déchets solides comme des boues (par ex. provenant du traitement des minerais d'oxydes d'aluminium et de titane). Les usines de dessalement sont, par définition, situées sur la côte, elles rejettent de la chaleur, et parfois même des saumures chaudes.

Les industries côtières peuvent dégrader l'environnement local dans lequel elles rejettent leurs déchets mais elles occupent aussi le milieu terrestre au détriment d'autres habitats ayant une importance biologique pour des espèces côtières et marines. Dans la mesure oú les perturbations et contaminations diminuent l'abondance et la qualité de la faune marine, elles affectent négativement les pêcheries locales et, à long terme, les rejets industriels qui n'ont pas été totalement absorbés par le milieu marin peuvent affecter l'ensemble de la pêche maritime côtière. Cependant, même si les poissons d'intérêt économique ne sont pas toujours affectés par des pollutions chimiques, l'industrie côtière, y compris l'aquaculture intensive, a le potentiel de nuire aux intérêts des pêcheurs et doit faire l'objet d'arrangements avec ce secteur dans le cadre d'un plan de GIZC.

5.4 L'EXPLOITATION MINIERE EN MER

L'exploitation minière en mer comprend les forages de pétrole et de gaz naturel, et le dragage des sables et graviers. On peut également inclure l'exploitation des récifs coralliens et des gisements profonds de nodules de manganèse. Le dragage des sédiments marins pour l'extraction de minéraux contenant de l'étain, de l'or, des diamants, de l'ilménite, du rutile, du zircon et de la monazite, par exemple, est moins connu. L'exploitation des nodules de manganèse, qui contiennent également d'autres métaux comme le cobalt, le nickel, le fer, etc., n'atteindra pas le stade commercial tant que ces mêmes métaux seront disponibles sur terre à moindre coût. Quand une telle exploitation se généralisera, les conséquences sur la pêche pourraient être importantes surtout si une partie du traitement industriel se fait sur place (par exemple, rejet en mer des débris de roche augmentant la turbidité ou la concentration de certains éléments normalement rares dans l'eau de mer mais toxiques à forte concentration). Comme nous l'avons déjà signalé, l'exploitation minière en mer est souvent plus coûteuse qu'à terre, et cette activité n'en est qu'à un stade précoce de développement.

L'extraction en mer de pétrole et de gaz naturel, comme source d'énergie ou pour l'industrie de la transformation chimique, est déjà une activité importante dans certaines régions. Une fois que les forages exploratoires sont achevés et que les plates-formes de production sont en place, la pêche n'est affectée que si les plates-formes sont trop rapprochées les unes des autres, de telle sorte qu'une importante surface des fonds marins devient inaccessible. Cependant, de telles concentrations de plates-formes peuvent servir de refuge à certains poissons et offrir des possibilités intéressantes pour la pêche sportive (Dugas et al., 1979; Reggio, 1987). Les accidents de plate-forme entraînant la fuite de quantités importantes de pétrole auront vraisemblablement plus d'impact sur des activités comme le tourisme que sur la pêche qui est plus sensible aux effets à long terme des rejets de déchets toxiques.

Les graviers, les sables et les récifs coralliens fossiles sont exploités dans certaines régions pour fournir des matériaux de construction. Dans les pays où ces matériaux sont rares ou trop chers, le dragage côtier représente souvent une activité majeure (ICES, 1992a; Campbell, 1993) dont les interactions avec la pêche sont encore mal connues. Ces extractions perturbent les organismes benthiques en détruisant les habitats et en endommageant les zones de ponte des poissons démersaux et d'autres espèces. Elles interfèrent également avec le chalutage et les autres méthodes de pêche de fond. Cependant, une fois que l'exploitation cesse, la durée des effets peut être relativement courte pour la plupart des fonds mous. ll faut noter que les récifs coralliens ont trois fonctions écologiques principales qui sont souvent gravement compromises par l'exploitation minière: enclore une lagune côtière (donc créer un bassin naturel), protéger la côte, et donc l'habitat des poissons, des vagues et des tempêtes et, attirer des espèces commercialement intéressantes.

5.5 TOURISME ET LOISIRS

Les loisirs des résidents et des touristes constituent une activité économique majeure dans beaucoup de pays, riches et pauvres. En ce qui a trait à la zone côtière, à partir du moment où il y a des plages propres, du soleil et toutes les infrastructures connexes (hôtels, lieux de divertissement, équipements sanitaires, banques, bureaux de poste, magasins, etc.), ceux qui peuvent se le permettre paieront pour y venir. A certains endroits, comme le long de la Méditerranée, une station peut voir sa population multipliée par trois à cinq pendant la période estivale (on a même cité des chiffres de plusieurs touristes par mètre linéaire de côte méditerranéenne par an). Ceci demande des investissements importants, basés sur le nombre maximum de résidents, dans les services de nettoyage, le logement et d'autres équipements, même si l'ensemble est sous-utilisé pendant la moitié de l'année. Si les autorités locales ne mettent pas à disposition les moyens et les services, surtout en ce qui concerne les déchets, c'est vers la mer que l'on déchargera tout ce qui ne peut pas être traité. Bien que la capacité d'absorption de la mer puisse paraître considérable, elle dépend beaucoup du taux de renouvellement des eaux par les courants côtiers. Les effluents non-traités entraînent également une augmentation de la quantité de détritus dans l'eau et sur le fond, ainsi qu'une concentration plus élevée que d'habitude de micro-organismes potentiellement dangereux.

L'idée de consacrer certaines portions de côte aux activités touristiques, et d'autres à la pêche et/ou à la mariculture, donc d'appliquer le concept de GIZC, ne semble pas avoir été incorporée dans les politiques d'aménagement de nombreux pays, même si, avec le développement, on a assisté à une séparation de facto des activités humaines, en général au détriment des pêcheurs.

5.6 AQUACULTURE COTIERE

Ce sujet a été abordé dans la section 2.1.3 dans le cadre des ressources littorales et estuariennes. Le présent sous-chapitre aborde l'impact sur la pêche traditionnelle.

La mariculture côtière peut offrir une solution de rechange à la raréfaction d'espèces de forte valeur et très demandées que la pêche ne peut plus fournir. L'essentiel de ces activités se déroule encore dans des lagunes côtières et des petites baies bien abritées. La culture des espèces intéressantes (par ex. crevette, daurade, saumon) est parfois basée sur des populations naturelles enfermées dans des lagunes ou des baies et nourries dans ces enceintes jusqu'à atteindre la taille commerciale. L'élevage ne porte que rarement sur tout le cycle, depuis la fertilisation artificielle jusqu'à la culture des larves et le grossissement à taille commerciale (Shokita et al., 1991).

Le “gavage” des espèces cultivées par addition de nourriture dans le milieu naturel peut, sous certaines conditions, entraîner une eutrophisation locale (Enell et Ackefors, 1991) et, peutêtre, causer une prolifération de plancton toxique (White et al., 1984). Le GESAMP (1991) a examiné les moyens de réduire l'impact de l'aquaculture côtière intensive sur l'environnement.

Les pêcheurs ne voient pas toujours d'un bon oeil le développement de la mariculture à cause de la concurrence que pourrait provoquer l'arrivée sur le marché de produits cultivés. Pour éviter les problèmes futurs, il est souhaitable de s'assurer, dans la mesure du possible, que les pêcheurs au chômage trouvent du travail dans ce secteur comme dans d'autres emplois côtiers.

5.7 NAVIGATION COTIERE

Les routes de navigation commerciale très fréquentées ne sont guère compatibles avec la pêche commerciale. Les pétroliers sont en général des navires de très grande taille difficiles à manoeuvrer près des côtes. En dehors des risques évidents de marées noires, ils peuvent aussi, bien que cela soit interdit, vidanger leurs réservoirs en mer, provoquant alors une pollution qui peut se révéler préjudiciable aux pêcheurs (dégradation du milieu marin, chair de poisson avariée, engins de pêche, surtout filets, huileux, etc.). Les grandes marées noires peuvent, du point de vue de la pêche, occasionner des catastrophes localisées mais, dans I'ensemble, les risques présentés par le transport du pétrole et du gaz naturel sont peut-être surestimés par rapport aux formes de pollution plus discrètes discutées ailleurs dans ce rapport.

5.8 IMPACT POTENTIEL DE L'AGRICULTURE SUR LE BASSIN VERSANT ET SA MARGE MARITIME

Les pratiques agricoles inadéquates au voisinage du littoral peuvent créer de graves problèmes aux pêcheurs côtiers, aussi bien à cause des pesticides que des engrais. Les pesticides, qui peuvent être appliqués en trop grandes quantités, sont lessivés par les pluies et aboutissent directement en mer, ou indirectement par les fleuves, avec des effets négatifs possibles sur la faune marine côtière et en particulier sur les espèces d'intérêt commercial. Les pesticides agricoles peuvent aussi être transportés par voie atmosphérique; ils peuvent alors atteindre les océans mais à une échelle régionale, voire globale, de sorte que les effets sur les zones côtières ne sont pas faciles à quantifier; toutefois, on sait que des écosystèmes distants, comme les régions antarctiques, peuvent accumuler des niveaux détectables de contaminants chimiques industriels.

L'effet des engrais lessivés ou déchargés via les rivières dans la mer a été étudié à la section 2.1.4. Les effets possibles sur les stocks côtiers de poissons, donc sur les pêcheries, peuvent être très importants; souvent négatifs à proximité du point de décharge, ils sont peutêtre plus positifs après dispersion dans la masse océanique. Clarholm et al. (1988) ainsi que la Conférence FAO-Pays-Bas sur l'agriculture et l'environnement en 1991, ont étudié quelques-uns des problèmes posés par les engrais agricoles, plus particulièrement les engrais azotés.

5.9 L'INTRODUCTION D'ESPECES NON-INDIGENES ET LE PROBLEME DE LA BIODIVERSITE

Le nombre d'espèces étrangères à un environnement marin particulier qui a été introduit accidentellement ou délibérément par l'homme a beaucoup augmenté et il est clair que les changements environnementaux consécutifs aux activités humaines pourraient faciliter ce processus. L'installation d'espèces non-indigènes a souvent eu des conséquences d'une grande portée pour la composition de la faune de nombreuses mers fermées et semi-fermées, estuaires et eaux littorales (Li et Moyle, 1981; Carlton, 1989). Parmi les effets de ces introductions, on peut noter: les impacts écologiques immédiats au niveau des communautés à cause des changements dans les schémas de compétition interspécifique et de prédation, les changements de la nature même du milieu sous l'influence de certains organismes, et la dégradation génétique possible des stocks indigènes. La FAO a collaboré avec la CIEM pour la préparation d'un “Code d'usages et manuel de procédures concernant les introductions et transferts d'organismes marins et d'organismes d'eau douce” (Turner, 1988). L'introduction simultanée d'organismes pathogènes a souvent nui aux espèces indigènes et introduites, en particulier en conchyliculture (Chew, 1990).

La conservation de la biodiversité et de la diversité génétique des organismes aquatiques (Grassle et al., 1990; FAO, 1992d, 1993i; Norse, 1993) se heurte à deux types de problèmes: d'abord, pour les stocks sauvages, la perte d'espèces, plus particulièrement de races locales, à cause d'un changement environnemental, de la surpêche ou de la compétition avec des espèces introduites; ensuite, la tendance à vouloir développer des lignées génétiques uniformes, adaptées à l'élevage en captivité, augmente, pour les populations sauvages, les risques résultant d'individus cultivés mais qui se sont échappés et des croisements qui en résultent, par exemple entre saumons cultivés et sauvages (FAO, 1993i). De tels accidents génétiques pourraient réduire la variabilité dont les stocks sauvages ont besoin pour assurer leur résilience et leur adaptabilité à un environnement changeant (Smith, 1994).

Un des effets possibles de la pêche intensive sur la biodiversité est la conséquence de la sélectivité de l'engin pour certaines tailles, en fonction de la méthode de pêche. De telles pressions peuvent également entrainer une sélection des individus à maturation précoce ou à faible taux de croissance, avec des effets qui pourraient devenir mesurables en quelques générations (Smith, 1994). Ce type d'effets peut être réduit ou inversé par l'emploi de techniques de pêche différentes.

Un problème particulier en ce qui concerne la biodiversité est le rôle joué par les canaux creusés par l'homme pour relier des régions dont les faunes sont différentes et celui de la navigation pour faciliter le transport accidentel d'espèces non-indigènes (Carlton et Geller, 1993). Ce type d'introduction serait facilité par un canal creusé au niveau de la mer, comme cela est envisagé pour relier les océans Pacifique et Atlantique au travers de l'isthme de Panama (Ambler, 1987). La migration de quelque 500 espèces indo-pacifiques dans la Méditerranée orientale depuis le percement du canal de Suez en est un exemple parfait (Por, 1968). Ces introductions et leur extension ultérieure vers l'ouest et le nord ont été également facilitées par l'augmentation de salinité occasionnée par la construction du barrage d'Assouan et la suppression de la barrière de basse salinité que représentait, pour les poissons en provenance de la mer Rouge, la décharge des eaux du Nil en Méditerranée. Un autre exemple nous est fourni par les changements marqués de la faune de la mer Noire dus à l'introduction d'espèces non-indigènes mieux adaptées aux conditions eutrophiques que les espèces locales (Ivanov et Beverton, 1985; Caddy et Griffiths, 1990; GESAMP, 1995).

La conservation de la biodiversité des organismes aquatiques vise à compenser les pertes d'espèces et de races locales dues à des pratiques nuisibles comme la surpêche, la destruction des habitats et la pollution. Bien que la surexploitation n'ait provoqué l'extinction commerciale que d'un petit nombre d'espèces, ce n'est pas le cas pour un certain nombre de populations et de races géographiques, et d'autres activités humaines se sont révélées néfastes de par leurs effets sur les habitats. La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES) est un mécanisme important pour protéger les espèces de grande valeur commerciale qui pourraient faire l'objet d'un trafic international.

On en arrive à la conclusion que, comme dans le cas des écosystèmes terrestres, l'exploitation intensive par l'homme de tous les habitats réduit leur complexité et favorise les écosystèmes simples et les espèces colonisatrices “généralistes”, à croissance et à reproduction rapide, mais pas nécessairement de grande valeur commerciale.

5.10 IMPACT POTENTIEL DES CHANGEMENTS GLOBAUX SUR LES RESSOURCES MARINES

Certaines variations des conditions d'existence des écosystèmes marins, maintenant et dans le futur, résulteront sans doute des changements climatiques globaux (Francis, 1990). De tels changements se surajouteront aux variations naturelles auxquelles les écosystèmes ont toujours été soumis (voir chapitre 3). Leurs effets sur la pêche et l'aquaculture sont au mieux, difficiles à prévoir, bien que, dans le cas des pêcheries s'exerçant sur des populations sauvages, on ait reconnu le rôle-clé des changements environnementaux dans les variations considérables de vigueur des classes d'âge recrutées (Fogarty et al., 1991).

Le groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat du PNUE-OMM (GIEC) a fait la synthèse des opinions de la communauté scientifique internationale sur la magnitude des changements attendus en relation avec le climat (IPCC, 1992) et le Conseil International des unions scientifiques (CIUS) a lancé un Programme international géosphère-biosphère (PIGB) pour évaluer la vitesse des changements majeurs observables en milieu terrestre (Williamson, 1992). En ce qui concerne les océans, la Commission océanographique intergouvernementale (COI) a lancé un Système mondial d'observation des océans (SMOO) (Kullenberg et al., 1993).

Des études exploratoires suggèrent que le taux de gaz carbonique (un gaz “à effet de serre”) aura vraisemblablement doublé dans l'atmosphère vers 2025 ou 2050 si on ne prend aucune mesure, entraînant une hausse probable de la température moyenne du globe de 1,5 à 4,5°C (IPCC, 1992). Ceci pourrait provoquer une hausse du niveau des océans d'environ 20 cm vers 2030 et de 65 cm vers 2100 et une augmentation de la température de surface de 0,2 à 2,5°C. Bakun (1992) prévoit quelques-uns des effets vraisemblables de ces changements sur les écosystèmes côtiers et du plateau continental et, plus particulièrement, l'augmentation des différences de températures entre les continents et les eaux côtières, qui devrait intensifier les remontées d'eaux profondes en modifiant le régime pression atmosphérique/vent.

Les changements climatiques globaux mentionnés plus haut ne devraient pas avoir d'effet néfaste sur la production halieutique comme ils en auront au niveau des écosystèmes terrestres, lacustres et fluviaux, bien que des stocks particuliers puissent être affectés et que des changements des précipitations et du débit des fleuves risquent d'avoir des impacts spécifiques sur les mers semi-fermées et les zones côtières d'alevinage. L'aquaculture côtière sera également touchée. Les remontées tropicales d'eaux profondes qui produisent de grandes quantités de poissons, pourraient se déplacer vers les pôles et augmenter en intensité. La variabilité inter-annuelle des ressources qu'elles entraînent pourrait augmenter. Cependant, une production phytoplanctonique plus importante pourrait entraîner une réduction des niveaux d'oxygène et. localement, des conditions anoxiques. Les récifs coralliens pourraient, comme dans le passé, répondre aux changements de niveaux de l'eau et en témoigner, mais seulement si ces changements se produisent de manière graduelle.

5.11 GESTION INTEGREE DES ZONES COTIERES

En dehors de la pêche, les principes d'utilisations de la frange côtière telles que mentionnées plus haut sont les décharges polluantes d'origine domestique ou industrielle, le pompage d'eaux de refroidissement, la construction d'habitations et d'infrastructures connexes, l'exploitation minière en mer, le tourisme et les loisirs, la mariculture et la navigation. Des régions particulières sont parfois réservées à l'usage militaire. Comme suggéré dans le souschapitre5.8, l'agriculture dans l'arrière-pays, bien que ne constituant pas une “utilisation” de la bande côtière au sens strict du terme, pourrait avoir des effets réels sur l'environnement à cause des pesticides et des engrais. Cet impact n'est d'ailleurs pas toujours pris en compte au niveau des analyses coûts-bénéfices des opérations agricoles.

ll est rare, et peut être même impossible que toutes ces utilisations coexistent dans une même zone côtière. L'urbanisme côtier, le tourisme et les loisirs d'un côté et, l'industrie et l'exploitation minière de l'autre tendent à s'exclure mutuellement, et toutes ces activités sont généralement préjudiciables à la pêche, y compris la pêche sportive, et à l'aquaculture en mer. L'application d'une approche GIZC est donc importante surtout parce que les critères de choix écologiques en termes d'espace et d'objectifs ne correspondront sans doute pas aux critères politiques, juridiques ou économiques (Clark, 1992), d'ou la nécessité de chercher à établir une relation fonctionnelle entre la GIZC et le développement durable.

Les objectifs de la GIZC, pour un lieu, un moment et dans un contexte socio-économique donnés, sont multiples et souvent conflictuels. Il faut donc, comme pour le développement des pêches, que ces objectifs soient nettement définis et liés aux objectifs politiques, écologiques et socio-économiques du gouvernement responsable et des autorités locales de facon à favoriser au maximum le bien commun. La perception publique de ce “bien” peut varier mais sa définition doit également tenir compte de l'échelle temporelle, décennale de progression du développement des sociétés humaines. Selon l'orientation actuelle de la pensée sociale, ce bien commun doit avoir comme objectif principal le développement durable tel que défini par la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement. Burbridge et Burbridge (MS., 1992) et Fallon Scura (MS., 1993) ont passé en revue les expériences du PNUE, de l'UICN et du WWF dans le domaine de la mise en oeuvre de projets de gestion intégrée des zones côtières.

En ce qui concerne la pêche, l'essentiel des captures mondiales provient des eaux côtières, non seulement parce que les effets positifs des ruissellements terrestres et les interactions physiques entre le continent et la mer ont favorisé la productivité des eaux côtières, mais aussi parce que les ressources sont à proximité de la majorité des pêcheurs et des consommateurs. Cependant, les usages multiples déjà évoqués rendent d'une efficacité douteuse l'application en isolation de mesures de gestion des pêches. Le contexte d'action approprié pourrait s'intituler Gestion intégrée des pêcheries côtières (GIPC), approche impliquant l'évaluation des autres activités humaines comme appropriées ou non, selon leur impact sur la pêche. La notion de propriété commune, prédominante jusqu'ici dans le domaine de l'exploitation des ressources côtières, a été pour une bonne part responsable de leur diminution à des niveaux tels qu'elles ne sont plus suffisantes pour assurer le maintien de la communauté côtière ou même, dans certains cas, celui de la communauté de pêcheurs. Ces deux groupes (celui-ci étant compris dans celuilà)n'ont rien à perdre à participer à la mise en place d'un programme de Gestion intégrée des pêcheries côtières.

Réduire les conflits entre utilisateurs exige en général d'assigner une valeur - une sorte de loyer d'utilisation - à une région particulière de la zone côtière dont l'accès sera alors restreint par le coût économique de la location ou par des limites socialement établies et qui nécessitera une délimitation des zones grâce à laquelle les différentes utilisations seront physiquement séparées de façon à éviter les impacts négatifs sur les autres usagers et leurs activités et, peutêtresurtout, sur l'environnement et les ressources naturelles. Parmi les mesures qui relévent de la délimitation des zones côtières, on peut citer les zones fermées et les parcs marins qui assurent que les ressources d'une partie de l'écosystème côtier ne sont pas exploitées (Agardy, 1994).


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